CHAPITRE II - 19 : Mon rôle changera toujours
J'ai l'impression que le monde reste sans bouger une éternité. Les paroles des gens autour de moi restent floues, sans sens. Peut-être car ils parlent tous en anglais, et que mon idiote de tête refuse de comprendre cette langue pour le moment.
Le temps ne bouge pas, les corps, vivants comme morts, restent immobiles et le soleil éclairant le couloir donne à la scène l'apparence d'une peinture macabre. Sam a rejoint Isla sur le sol, ses yeux mi-clos et sans l'énergie que je voyais quand nous parlions.
Morgan s'est assis.e sur l'un des fauteuils de l'autre côté du salon. Génésis a ses côtés. Je sens les regards de l'endeuillé.e sur moi, la personne qui a déclenché l'alarme, celle qui n'a rien fait pour l'aider si ce n'est rester dans l'encadrement de la porte et m'effondrer par terre.
Le temps reprend son cours quand l'incarnation de la Mort arrive dans l'encadrement de la porte. Monokuma, une douzaine de papiers sous le bras, rentre dans la pièce et regarde les corps. Son visage est trop obscuré pour que je puisse comprendre son expression.
Il murmure quelque chose dans une langue qui ressemble à de l'arabe, et qui fait sangloter Ife, qui est assise non loin du corps d'Isla. Puis, il se tourne vers le plus gros du groupe et nous donne petit à petit les dossiers qui servent de rapports d'autopsie.
Je ne veux pas lire ça. Les « DEAD » bloquant les visages des décédé.es est trop froid. Trop impersonnel.
« Je vois que vous êtes déjà tous là. Nous avons deux victimes, cela signifie deux appels à écouter, j'en ai peur. Cela n'affectera évidemment pas le reste de votre enquête. »
Le bruit des enceintes coupe le fil de mes pensées, alors que les voix de Sam et d'une fille qui sonne plus jeune qu'Émile remplissent la pièce. Une discussion entre deux adelphes, deux personnes qui espéraient se revoir.
Mais est-ce que Sam s'attendait à sa fin ici, pour demander à sa sœur de prendre soin de leurs parents ? Consciemment ou non, avait-elle le sentiment que quelqu'un essaierait de la tuer pour une raison ou une autre ?
Est-ce pour ça, qu'on avait parlé de ce que j'aurais fait et de ce qu'elle aurait fait ? Kozma a dit que je suis la « protagoniste », est-ce que Sam le pensait aussi ? Est-ce qu'elle s'est trompée à ce point ?
Une date est mentionnée. Un mois et une semaine au moment de l'appel. Un mois et une semaine depuis que nous avons été enfermés ici, au moins. Est-ce que tant de temps peut vraiment s'être écoulé ? Ça ne serait pas la première fois. Mais je ne peux m'empêcher de craindre.
L'appel se coupe, et immédiatement un autre se lance. Isla parle, sa voix encore prise par le sommeil, faisant traîner ses mots. A l'autre bout du fil, un homme, la voix fatiguée pour une tout autre raison. Leurs accents sont très différents, mais ce n'est pas dur de comprendre à qui Isla parle, qu'elle a échangé avec son père.
C'est une conversation pleine de fausse normalité. Le père d'Isla essaie d'ignorer d'où sa fille appelle, et Isla essaie de ne pas penser à sa mort probable. Imminente. Elle pose des questions simples, auxquelles son père n'a pas besoin de trop réfléchir.
Elle mentionne un frère, un jumeau, qui serait arrivé à Hope's Peak la même année. Un rugbyman. Frère qui n'est pas avec son père. Frère avec lequel elle n'a pas pu échanger une seule fois depuis son arrivée ici.
Elle n'avait que seize ans.
L'appel prend fin, et Monokuma se retourne vers la porte et nous laisse seuls sans plus de cérémonie. J'essaie de calmer mes tremblements en regardant les deux fiches qui se trouvent entre mes doigts, qui disent juste ce que Monokuma veut que nous sachions avant le procès.
Ce qui, cette fois, est bien peu.
Je sens la bile monter dans ma gorge, mais je ne peux pas vomir, pas maintenant.
Le monde est silencieux, tout le monde lit. Tout le monde relève l'absence de noms, une chose qui nous avait permis de savoir l'identité de trois innocents. Aujourd'hui, personne n'est libre de soupçons.
« Morgan, je suis désolée de te le demander. » Achroma est la première à vaincre le silence alors qu'Abel s'approche des cadavres sans un mot. « Mais tu tenais Sam dans tes bras, lors de notre arrivée. Est-ce que tu as un moyen de nous dire quand les alarmes se sont déclenchées ?
– Ouais, ouais, erm... » Sa voix tremble, la rage a laissé place à la douleur, et aussi imposant.e soit-iel, je me vois remplie de pitié pour luel. « La... La première s'est déclenchée quand Héloïse est arrivée. La seconde, quand Eleanor a passé la porte, mais Génésis était juste derrière elle alors je... Je sais pas qui des deux a compté comme personne innocente.
– Attends, Héloïse seulement ? Personne d'autre ? » Ne me regardez pas, ne me regardez pas.
« Oui, je sais pas... Je sais pas qui a vu un des corps avant nous.
– Nous en reparlerons plus tard, vous voulez ? » Abel rejoint le groupe, les mains légèrement ensanglantées. « Pendant que vous parliez d'une chose dont il est aisé de débattre lors du procès, j'ai jeté un œil aux fameuses blessures au crâne.
– Oh ? Et qu'est ce que tu as trouvé, monsieur l'amuse-gueule ?
– C'est simple. Si j'en crois l'endroit où les coups ont été portés, la ou les meurtriers étaient plus petits que nos victimes, et d'au moins une dizaine de centimètres.
– Comment tu sais ça ?
– L'angle et la position de la blessure. » Il commence à mimer, tenant une barre de fer imaginaire entre ses mains. « Si vous souhaitez donner un coup à l'arrière de la tête de quelqu'un, vous profiterez de votre taille pour l'abattre. » Un coup imaginaire vers le sol. « Or, c'est impossible si on est trop petit par rapport à notre victime. Quiconque a abattu Sam et Isla ne dépassait pas le mètre soixante-cinq.
– Ooh, comme si leurs crânes étaient des balles de baseball et les éclater donnerait un homerun ?
– Kozma, ferme la.
– J'ai peur que ce soit cependant un bon exemple. Elles ont été frappées comme si leur agresseur jouait au baseball. »
Tout le monde hoche la tête et note rapidement sur les fiches l'addendum. Je le ferai aussi, si mes mains ne tremblaient pas autant. La bile ne veut pas quitter ma gorge, mes yeux les photos des corps sans vie.
« Comment on fait, pour l'enquête ? La dernière fois, on avait trois innocents sûrs, mais cette fois...
– Commençons par quelque chose de simple. Je propose que Morgan n'enquête pas sur ce double meurtre.
– Pardon ?! » La rage revient, mélangée à du choc, mais ça ne fait pas bouger Abel.
« Tu as été retrouvé.e par nous tous tenant dans tes bras un cadavre, et tu es toujours couvert.e de sang actuellement. Seuls des inconscients laisseraient un suspect aussi important que toi avoir une chance de cacher ses traces.
– Je peux la surveiller ? » Les regards se tournent vers Génésis, qui semble encore plus petit que d'ordinaire. « Même... Même s'il y avait deux tueurs. Seule une de nous deux s'en sortirait, je tire rien de la protéger, et inversement.
– ... Je n'y vois aucune objection. Vous autres ? » personne ne répond à Abel, qui hoche simplement la tête. « Bien. Ensuite, je propose qu'Héloïse conduise l'enquête. Elle est la seule dont nous soyons entièrement sûrs de l'innocence, si nous croyons le témoignage de Morgan. »
Leurs yeux se tournent vers moi, ils me dissèquent. Je suis un rat de laboratoire, un échantillon mystérieux, une chose qui doit être regardée et examinée contre ses souhaits.
La bile arrive dans ma bouche, et seule ma main l'empêche de tâcher le tapis.
Un vent de panique, mais un seau est rapidement posé face à moi pour évacuer l'acide et l'horreur. J'entends vaguement Eleanor dire quelque chose, mais ne remarque que quand elle m'aide à me redresser que le salon ne contient plus que nous deux, elle ne me touche pas et me tend simplement une bouteille d'eau.
J'avale difficilement le liquide, en profitant pour nettoyer le goût de mes propres sucs gastriques. Elle me tend sa main et je la serre immédiatement. Je ne sais pas comment elle fait pour savoir de quoi j'ai besoin quand, mais je suis chanceuse de l'avoir ici.
« Prends ton temps Hélo. Ils sont dans la cuisine, Abel s'occupe de les surveiller.
– Je peux pas faire ça. Je, je peux pas enquêter.
– Personne te forcera Héloïse, promis. Mais je peux essayer d'en parler avec toi ? » elle s'assoit en face de moi, ses yeux vairons regardant nos mains toujours l'une dans l'autre. « Je pense que c'est important.
– ... J'ai peur. Et si je me trompais... ?
– On te demandera pas de tout faire seule. On va avoir un procès, juste car tu enquête ne veux pas dire que tu vas devoir mener ça aussi, quelqu'un d'autre le fera si tu penses que c'est nécessaire. On... On sait peut-être pas qui est le coupable, mais ça ne veut pas dire qu'on va laisser une seule personne faire. On a vu comment ça a fini la première fois. »
Je hoche un peu la tête. Est-ce que je peux vraiment faire ça, enquêter ? Sans que je ne le veuille, mes yeux se tournent vers les corps toujours ici, leurs yeux fermés par quelqu'un. Sans doute Abel quand il a examiné leurs blessures.
Sam... Notre discussion du feu de camp me revient. Elle aussi, elle n'était qu'une humaine. On l'a forcée dans son rôle, est-ce que... Est-ce que je peux vraiment me prétendre à lui reprendre ainsi ? Est-ce l'honorer, ou trahir ses envies ?
Elle avait peur aussi.
Si ça avait été quelqu'un d'autre...
Je regarde Isla. Cette fille qui faisait de son mieux pour apporter de la joie aussi. Une fille gentille, agréable.
« ... Je le ferai. Mais, mais je peux demander de l'aide... ?
– Bien sûr ! Dis moi tout, j'irai chercher. »
Elle part, et quand elle revient elle est accompagnée d'Abel, qui semble bien confus de me voir debout mais tremblant comme une feuille.
« Abel, je... J'aimerai faire un interrogatoire. Est-ce que tu peux préparer des questions pour tout le monde ?
– Bien sûr oui. Mais tu es sûre de pouvoir le faire ? Si jamais, je peux m'en occuper. Eleanor peut facilement me surveiller.
– Je suis sûre, je... Je reviendrai vers toi si on en a besoin, mais garde tout le monde dans la cuisine pour le moment. »
Avec une légère hésitation, il soupire avant de retourner à l'intérieur. Je me tourne vers Eleanor, qui m'offre un sourire qui finit de me motiver.
Je... Je trouverai qui a fait ça.
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