5. L'avocat du Diable
Médéric relu les dossiers des deux hommes jusqu'à en avoir mal aux yeux. Marc Mayotte était un gosse de riche. S'il avait eu quelques déboires avec qui que ce soit, ses parents s'étaient très certainement débrouillés pour que l'information soit légalement effacée de son casier judiciaire.
Les explications de Phœnix en tête, le gendarme se creusa alors les méninges en vue de trouver à ce dernier une porte de sortie. Habituellement irréprochable dans son travail, il avait conscience de commettre une entorse répréhensible en cachant ce qu'il savait vraiment, ou même la nature de ses relations avec le suspect. Mais après une pandémie et des confinements à répétition, quel citoyen respectable pouvait encore se vanter de ne jamais avoir cédé à la tentation du ''pas vu, pas pris'' ?
Révéler toute la vérité exposerait Yadiel à des charges supplémentaires pour activité rémunérée non déclarée. Il était aussi probable qu'il tente de l'emporter dans sa chute si les choses ne tournaient pas en sa faveur. Médéric voyait déjà les gros titres.
« Gendarme homosexuel : il fricote avec un stripteaseur criminel. »
Et ce qu'en penseraient les gens...
« Le pervers était marié ? Pas étonnant qu'elle soit partie avec son meilleur ami. »
Ce genre de bévue circulait toujours assez vite sur WhatsApp, Facebook et les autres réseaux sociaux prisés par les adultes de la population locale. Cela jouerait incontestablement un rôle dans son divorce et il perdrait peut-être même le droit de garde partagée.
Ce cas de figure s'avérait extrême, certes. Cependant, avec la chance de Médéric ces derniers temps, il préférait faire profil bas et défendre au mieux les intérêts de tout le monde. Après son service, il se rendit alors chez le jeune Marc Mayotte. Le seul individu à pouvoir apporter une solution simple à la situation.
Arrivé devant la grande propriété, il sonna à l'interphone. Comme Yadiel l'avait mentionné, l'endroit exposait la richesse de son propriétaire.
La ville du Gosier était l'une des plus peuplées, mais aussi l'une des plus prisées par les touristes. Les lumières du casino et les nombreux bars revenus à la vie égayaient ses rues bourdonnantes. Construite en hauteur dans une zone résidentielle, la villa de Marc Mayotte offrait un panorama époustouflant sur la mer. Le phare du petit îlet faisant en partie la réputation de la commune était d'ailleurs visible au loin. Admirant cette vue apaisante sous la douce brise marine, Médéric attendit patiemment une réponse. Elle ne tarda pas trop.
— Ouais, c'est qui ?
— Officier Gauthier, gendarmerie du Nord Grande-Terre.
Médéric n'eut pas l'occasion de dire autre chose. Il se fit couper la parole.
— Si c'est pour l'effraction du dominicain, j'ai déjà fait ma déposition. Rien à ajouter.
Yadiel était en fait né en Guadeloupe, d'une mère dominicaine et d'un père français. Il était donc lui-même de nationalité française. Médéric occulta cette précision.
— De nouveaux éléments compromettent votre dite déposition.
Avec ça, il regagna toute l'attention du jeune homme. Celui-ci joua pourtant la carte de l'innocence.
— J'ai... Je ne comprends pas de quoi vous parlez.
— Eh bien, il semblerait que vous et Monsieur ''Phœnix'' ayez des liens que vous avez oublié de mentionner.
Un léger silence s'ensuivit. Nulle part dans la déposition du fils Mayotte – ni dans le dossier Marcelin – n'était faite mention de ce pseudonyme. Médéric se référa volontairement à lui par son nom de scène, afin de semer le doute dans l'esprit du jeune homme quant à la crédibilité de sa déclaration. Cela sembla fonctionner.
— Qu'est-ce qu'il a raconté, comme mensonges ?
Marc paraissait déjà sur la défensive. Au lieu de répondre clairement, Médéric tourna la situation à son avantage.
— Auriez-vous l'amabilité de me laisser entrer afin que nous en discutions face à face ?
Nouveau blanc. Aucune réponse, mais le buzz du portail signifia à l'agent que Mayotte lui avait ouvert. Il poussa la lourde porte en métal et s'engagea dans l'allée pavée. Le jardin et la demeure étaient bien dignes du petit dernier d'une famille à la tête d'une des plus grosses fortunes locales. Lorsque Médéric arriva à l'entrée, la porte était entre-ouverte. Il posa machinalement une main sur son arme, avant de pousser le bois massif. Marc Mayotte apparut immédiatement dans son champ de vision.
Il se tenait debout dans le séjour spacieux, affublé d'un peignoir en soie couleur pêche ouvert sur son torse nu tout aussi clair. L'héritier pressait un verre rempli de glaçons et d'un liquide ambré contre sa joue bouffie. Médéric le salua d'un léger mouvement de tête. Le jeune homme ne s'encombra pas non plus d'effusion de bienséance.
— Alors, il a dit quoi ?
Prenant le temps de détailler les lieux, le gendarme repensa à la version de Yadiel. Les Mayotte étaient des békés, des descendants des premiers colons. Ce statut encore privilégié leur permettait de prospérer et baigner dans l'opulence. En témoignaient leurs nombreux commerces et cette maison grandiose. La baie vitrée débouchait sur un deuxième jardin avec piscine. L'extérieur était coquettement aménagé afin de tirer profit du paysage idyllique. Médéric avait donc du mal à imaginer que ce gamin tenterait de rouler Phœnix.
Pourtant, afin vérifier cette version, il ancra son regard à celui du jeune homme.
— Vous avez refusé de payer.
Ce n'était pas une question, ni même une affirmation. Médéric voulait simplement étudier sa réaction à cette information.
Les prunelles cristallines du jeune homme face à lui dansèrent de façon coupable et il voulu aussitôt de se défendre.
— Attendez, ce n'est pas ce que vous pensez.
— Je n'en pense encore rien, mais je suis tout ouïe.
Le regard fixe, un visage impassible, des réponses concises sujettes à interprétation... Rien de mieux pour mettre la pression aux suspects les plus craintifs.
— Il... J'ai eu peur pour ma vie ! D'accord ? Ce type est complètement cinglé ! Regardez, il m'a frappé tellement fort qu'il m'a cassé une dent.
Marc fourra l'index dans sa bouche et tira grossièrement dessus afin prouver ses dires. Malheureusement pour lui, des années d'expérience rendaient le radar à bobards de Médéric très sensible.
— Il vous aurait donc frappé... Était-ce avant, ou juste après votre refus d'honorer le paiement d'une prestation que vous aviez personnellement réclamé ?
— Euh, c'était-
— Je suppose que vous n'avez pas réservé à l'aveugle. Vous connaissiez la réputation de ce ''Phœnix''.
Son regard inflexible fit perdre au jeune Mayotte tous ses moyens, en plus de son peu de crédibilité. Maintenant que la faille était ouverte, Médéric s'y engouffra.
— Écoutez, si vous enlevez votre plainte, personne n'entendra parler de cette histoire.
Jouant l'officier concerné, il poursuivit :
— Par contre, si vous laissez cette affaire aller plus loin, la presse risque d'apprendre que vous faites appel à des escortes masculins. Le fait que vous refusiez en plus de régler vos dettes... Ça risque de beaucoup embarrasser vos parents.
— Non ! Ils ne doivent surtout pas être au courant, confirma prestement le jeune homme.
Il glissa une main nerveuse dans ses cheveux et détourna brièvement les yeux.
— Ce serait la fois de trop. Mais je... je risque la prison pour avoir fait une fausse déclaration. Non ? Je ne veux pas appeler notre avocat, il se dépêcherait de prévenir mes vieux. Mais je veux votre parole. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dis si ça doit me causer plus de problèmes.
Médéric adopta une attitude rassurante.
— Je comprends, vous étiez certainement en état de choc. Nos services comprendront aussi qu'il y ait eu un mal entendu tout autre entre vous et l'autre jeune. Vous êtes libre d'expliquer que vous vous êtes trompé sur ses intentions, puis comment la situation a échappé à votre contrôle. Ce sont des choses qui arrivent.
Il n'était pas très fier par cette orientation de témoin pure et dure. Mais même si Phœnix avait bel et bien frappé cet idiot, il avait été invité chez lui et n'était donc pas coupable des accusations liées à la violation de propriété privée. Le fils Mayotte, lui, était responsable d'une fausse déclaration. Une de plus n'allait pas le tuer. Il avait bien trop peur que ses parents viennent à découvrir son incartade et donc, aucun intérêt à ce que l'incident s'ébruite.
— D'accord... Est-ce que vous pouvez prendre ma nouvelle déposition maintenant ?
— Oh, eh bien il se fait tard et vous m'avez l'air épuisé. Pourquoi ne pas vous reposer un peu ? Vous pourrez vous rendre à la gendarmerie demain, à la première heure. Un de mes collègues s'en chargera. Expliquez juste que c'était un malentendu et que vous souhaitez retirer votre plainte.
Mayotte se mordit la lèvre et finit par opiner. Médéric le salua cordialement.
— Merci pour votre coopération. Soignez-vous bien, jeune homme, et essayez d'éviter ce genre d'ennuis, à l'avenir.
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