3. Lourdes Charges.

Pour la énième fois de la soirée, Médéric se dirigea vers la machine à café. Cela faisait plusieurs semaines qu'il enchaînait les heures supplémentaires afin de couvrir les frais liés à son divorce. Il devait anticiper sur la pension alimentaire de son fils, Ludéric, mais aussi les paiements du petit appartement qu'il louait.

En bon père, il avait évidemment choisi de laisser le domicile familial à Leïla dès la fin de sa rééducation. Elle y vivait dorénavant avec celui que Médéric pensait jadis être son meilleur ami. Ils pouvaient s'envoyer en l'air sans plus d'états d'âmes, sans se soucier de ses sentiments, ni de l'impact de leur aventure sur son équilibre mental.

Heureusement, le petit Ludéric ne vivait pas trop mal cette séparation. Après tout, il avait retrouvé son papa super-héro ! Médéric lui accordait autant de temps que possible, mais travailler gardait son esprit focalisé sur autre chose que ses démons ou la trahison de deux personnes chères à son cœur. Il s'efforçait toutefois de gérer la situation avec retenue et diplomatie. D'après la thérapeute qui assurait son suivi obligatoire, le fait d'avoir vaincu sa dépression afin de reprendre du service était déjà une immense victoire.

- Eh, Gauthier ! Je t'ai mis de la racaille bien puante de côté. Salle 2, juste comme t'aimes.

Médéric venait à peine de s'asseoir pour siroter son breuvage caféiné. Son collègue taquin lâcha deux dossiers sur son bureau en lui adressant un clin d'œil.

- Vraiment chouette de ta part...

Ses ronchonnements amusèrent l'intéressé, qui rigola grassement et lui colla une tape amicale sur l'épaule.

- Bon, je retourne à mes propres vauriens. Si t'as besoin d'un coup de main, tu me fais signe.

L'officier opina avec un sourire de façade. Sa brigade le soutenait dans cette mauvaise passe, il le savait. Mais il voyait aussi la pitié dans leurs regards. Jamais auparavant il n'avait inspiré ce sentiment à ses pairs. Il avait beau être de retour d'entre les morts, il n'était plus dorénavant qu'une ombre parmi les Hommes.

Il soupira et, après une gorgée de son café, se plongea distraitement dans le dossier qui venait de lui être assigné. Sa salive descendit de travers quand ses yeux avisèrent la photo accompagnant les documents internes.

Pris d'une quinte de toux, Médéric plaqua le poing contre ses lèvres.

- Ben alors, on s'étouffe ? s'inquiéta sa collègue au standard.

Médéric peina à reprendre son souffle, mais leva une main pour la rassurer.

- N-Non, ça va. Merci.

La quinquagénaire hocha de la tête et retourna à ses affaires. De même, lorsqu'il reprit un minimum contenance, Médéric poursuivit la lecture du dossier de celui qu'il connaissait sous le pseudonyme de Phœnix.

Quelles étaient les probabilités qu'il tombe sur lui dans sa ville ?

Rien qu'à la lecture des charges à l'encontre de cet homme, les yeux du gendarme s'écarquillèrent.

Violation de propriété privée, effraction, tentative de vol, coups et blessures volontaires sur la personne de Marc Mayotte - plaignant et victime. S'y ajoutaient outrage et rébellion. La seule information agréable à découvrir fut la véritable identité du forcené : Yadiel Joaquin Marcelin. Son fruit défendu portait donc un prénom biblique. Quelle ironie !

Médéric passa à la seconde page, le casier judiciaire du châtain. Entaché, mais pas aussi catastrophique qu'il le redoutait. Il se gratta machinalement le crâne avant de se frotter les yeux. Apparemment Phœnix, enfin... ce Yadiel, avait cumulé les amendes pour menaces, bagarres et dégradations de biens privés. Quelques condamnations à des stages de citoyenneté et des travaux d'intérês généraux figuraient aussi au dossier. Le dernier fait remontait toutefois à environ trois ans. Un condensé de sanctions mineures, en somme, raison pour laquelle les charges d'accusations interpellèrent Médéric.

Ce coup-ci, avec tout ce qu'on lui mettait sur le dos, Phœnix risquait une peine de prison ferme. Cela signifiait qu'il ne danserait plus au Fantasmique pendant un bon moment. Vu les événements, la dernière fois qu'il s'était rendu à ce fichu club, Médéric pensa un instant refuser le traitement de cette plainte. Mais a près brève réflexion, et malgré le flagrant conflit d'intérêts, il ne pu se résoudre à cette idée. Avec un peu de chance, peut-être que Phœnix ne se souviendrait même pas de lui. Médéric, lui, ressentait le besoin irrépressible de le revoir. De savoir s'il éprouverait la même attraction en dehors du cadre étourdissant du club Fantasmique.

Décidé à avoir le fin mot de l'histoire, il attrapa les dossiers Marcelin-Mayotte et se leva prestement de sa chaise. Quelques mots bien pensés à sa collègue, et direction salle d'interrogatoire. Le militaire marqua toutefois une halte pour briser son empressement.

À coup sûr, Phœnix percevait la nervosité. Médéric ne voulait pas se laisser déstabiliser sur son propre terrain. Il redressa la tête, réajusta son polo dans son pantalon, inspira un bon coup pour rentrer sa petite bedaine et bomba inconsciemment le torse. Une fois son mental préparé, il avança à pas mesurés.

Le représentant de l'ordre entra, confiant, et alla déposer ses dossiers sur la table en acier. La pièce était impersonnelle, pas très grande et ne disposait que de ce seul meuble accompagné de deux chaises. Initiant un premier contact visuel avec le suspect assis à l'autre bout de celui-ci, l'officier Gauthier ne pipa mot.

Phœnix, aka Yadiel, inclina légèrement la tête. Son expression resta tout à fait neutre tandis que ses yeux perçants sondaient le nouvel arrivant.

Médéric conserva au mieux son masque d'impassibilité. Un millier de frissons parcouraient pourtant son corps pendant cette joute avec l'acteur principal de ses nombreux rêves érotiques. Moulé dans des vêtements affriolants ou affublé d'un banal sweat-shirt, hors de ce maudit club, Phœnix semblait avoir le même effet vertigineux sur lui. Ses prunelles châtaigne, aiguisées telles des diamants brut, transperçaient férocement Médéric. Le rendant encore et toujours plus fébrile. Il dû d'ailleurs se retenir d'ajuster nerveusement le col parfait de son uniforme.

Après une minute qui parut interminable, le détenu consenti enfin à ouvrir la bouche.

- T'as l'air moins con que tes potes. Tu viens m'annoncer que je peux enfin me barrer d'ici ?

Sujet au désenchantement rapide qui se produisait dès que cet homme parlait, Médéric retint un soupir. Il se rapprocha ensuite des volets et prit le soin de les ouvrir avant de débuter l'audition. Il préférait autant que ses collègues puissent voir se qui se déroulait dans cette salle en passant devant. Pourtant, rien dans l'attitude de Phœnix n'indiquait qu'il l'avait reconnu. Il fallait dire que Médéric s'était enfin rasé et portait des lentilles de contact plutôt que ses lunettes durant son service. Il aurait toutefois souhaité en avoir le cœur net, mais se voyait mal poser la question de but en blanc.

De son côté, Phœnix le suivi du regard avec un intérêt très marqué.

- J'ai comme une impression de déjà vu.

Le cœur de Médéric sauta dans sa poitrine. Son peu d'espoir s'envola lorsqu'il se retourna. Ce sourire narquois étirant les lèvres juteuses de Phœnix criait qu'il se souvenait parfaitement de lui. Le gendarme ne laissa cependant rien paraître de ses craintes et soutint son regard. Il déclina son identité et lui énonça distinctement ses droits. Le suspect soupira en levant les yeux au ciel.

- Ouais, ouais. Je connais la rengaine.

- Bien. Si vous refusez le droit de faire appel à un avocat, nous pouvons commencer votre audition. Gardez cependant à l'esprit la possibilité de faire valoir vos droits. À tout moment.

- Mh, cool. Je peux avoir une clope ?

- Ce n'est pas Pierre & Vacances, ici.

Cette réponse ferme, du tac au tac, surprit le stripteaseur. Mais aussi craintif et incertain que pouvait s'avérer Médéric au Club, cette salle d'interrogatoire était son territoire. Phœnix n'y régnait pas.

Et pourtant, il avait réussi à l'éloigner de son ton au préalable formel. Amusé que la flicaille perde si rapidement son sang froid, Phœnix pouffa de rire et le déshabilla du regard.

- Je l'avais remarqué, Officier Sexy.

Le rythme cardiaque de Médéric accéléra à ce surnom provocateur. Il garda cependant contenance. Un peu déçu qu'il ne réagisse pas plus que ça, Phœnix se laissa glisser dans son siège et poursuivit lentement :

- De toute façon, la satisfaction des citoyens n'a jamais été votre première préoccupation. C'est de notoriété publique.

- Merci pour le partage de vos opinons. Mais puisque vous êtes si bavard, nous pourrions plutôt discuter de ce qui s'est passé chez le fils Mayotte.

Médéric ouvrit le dossier de la victime, rendant visibles les images de ses blessures. Il s'assit ensuite tranquillement sur le bord opposé de la table.

Pour une raison qui lui échappait, les suspects adoraient mettre en place des bras de fers. Ce Yadiel Marcelin ne faisait visiblement pas exception. S'y mêlait toutefois une sorte de tension sexuelle assez mesquine.

Le regard ancré dans le sien, Phœnix ignora les clichés et se pencha en avant.

- Entre nous, vu le degré d'intimité qu'on a atteint l'autre soir, tu peux me tutoyer.

Voilà, c'était dit.

Il tenait son secret, sa carrière, sa vie entière entre ses mains, et pouvait en faire ce que bon lui semblait.

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