14. Bonnes mœurs

Lorsque Médéric descendit de voiture, le soleil disparaissait déjà totalement derrière de hauts arbres. Les ronronnements du moteur de sa Citroën, arrêtée dans la rue perpendiculaire, ne couvraient ni les bruissements de feuillages ni les cris des oiseaux. Les petites bêtes, bien agitées, se perchaient dans les branches pour la soirée. Leur légère cacophonie accompagna l'aller-retour tranquille de Médéric vers le portail de la propriété nichée dans la campagne de Capesterre-Belle-Eau. Son calme n'était cependant qu'apparent.

En son for intérieur, les émotions du gendarme faisaient le yoyo. Il était content de retrouver son chéri après quelques jours d'éloignement dus à son tour de garde, mais toujours un peu préoccupé quant à leur avenir. Ainsi pensif, Médéric remonta en voiture et manœuvra au pas le long du sentier cimenté grippant jusqu'à la maison de Yadiel. Une bâtisse de deux étages, assez imposante, alliant un esthétisme moderne au style traditionnel des maisons créoles. Si Soraya échoua à convaincre son fils borné de s'installer sur la Grande-Terre, à proximité de chez elle, elle parvint à dissuader Yadiel de couvrir ses façades d'une peinture sombre. Ainsi, le toit pentu en tôle, les portes et les fenêtres en bois étaient les seules touches gris foncé disséminées sur la maison toute blanche.

Arrivé en haut de la légère côte, Médéric dévia du sentier. Ce dernier conduisait au large garage accolé à la maison, dont le volet roulant était abaissé. Il roula encore un peu, jusqu'aux abords de la véranda, tandis que les aboiements frénétiques du molosse de Yadiel signalaient à son maître l'arrivée d'un visiteur. Leur écho claqua dans le bois entourant le domaine, réveillant au passage la fougue des autres toutous des alentours. Médéric abaissa sa vitre et gara son véhicule en prenant garde d'éviter ses roues au chien, qui courait en cercle tout autour. Les derniers rayons de la journée mourraient tout juste. Yadiel n'avait donc pas encore allumé l'éclairage extérieur, mais les ombres du début de soirée s'imposaient déjà par endroits et le pelage entièrement noir du gardien à pattes n'aidait en rien à suivre ses mouvements azimuts via les rétroviseurs.

- Mais du calme, gros balourd, lança l'arrivant. Tu n'en as pas marre de toujours causer autant de raffut ?

Sans jamais cesser de japper, le chien se dressa sur ses pattes arrières. Debout ainsi, il atteignait presque la taille d'une personne adulte. De quoi impressionner et même dissuader de l'approcher. C'était pourtant une crème, quoiqu'un brin territoriale. Il finit par s'asseoir face à la portière du conducteur. Enfin stationné, Médéric coupa le moteur et saisit ses affaires posées sur le siège passager. Il mettait à peine pied à terre, pas le moins du monde inquiété par la présence du petit tas de muscles, qu'une voix amusée s'éleva depuis la maison.

- Faut bien qu'il justifie sa paie. Titan, s ors du passage, intima toutefois Yadiel à son énorme Cane Corso.

Debout dans l'encadrement d'une des deux portes donnant sur la véranda, Yadiel ne comptait pas se répéter. Le coupable croisa son regard et, l a queue battant l'air, s'écarta promptement du chemin de Médéric - sur lequel il se plaisait à renifler l'odeur de Perle à chaque visite. Il n'arrêta cependant pas d'aboyer et suivit le visiteur, qui traversait la véranda sobrement aménagée sans plus faire grand cas de son agitation.

- J'ai cru comprendre que tu m'offrirais la bouffe si je ramenais des bières , plaisanta Médéric en exhibant son butin.

Yadiel ricana.

- Y'a toujours moyen de négocier.

Le sourire complice échangé par le couple ne fit que s'agrandir à mesure que la distance les séparant réduisait. Puis, enfin, Yadiel put entourer la taille de Médéric, qu'il accueillit d'un bécot appuyé. Médéric enroula son bras libre autour des épaules de Yadiel et lui rendit généreusement son tendre baisé.

- T'as fait bonne route ? s'enquit ensuite le plus jeune, regard rieur plongé dans le sien.

- Ça aurait pu être pire, souffla Médéric avec un léger sourire. J'ai croisé pas mal de chauffards, mais aucun accident ne s'est ajouté aux bouchons, ce coup-ci. Alors j'imagine que je n'ai pas à me plaindre.

- De toute façon, t'as jamais vraiment de quoi te plaindre quand il s'agit de me rendre visite.

Yadiel ponctua sa déclaration d'un bisou coquin dans son cou, Médéric ne put qu'approuver le message. Ces moments qu'ils passaient ensemble depuis onze mois valaient largement une heure de trajet et toutes les petites embûches associées.

Quittant à contre-cœur l'étreinte de son chéri, Yadiel se décida à fermer la porte d'entrée pour étouffer les bruits du dehors. Il débarrassa ensuite Médéric, qui l'observa s'affairer dans un silence significatif. Son sac de sport fut abandonné sur la banquette installée dans le salon, juste entre les deux portes fenêtres, puis Yadiel traversa le séjour spacieux jusqu'à la cuisine ouverte. Le pack de bières se vit ranger au frigo dans la foulée et, avec un soupir, il vint s'appuyer contre la longue table haute servant de bar dans l'espace cuisine.

- Alors, crache le morceau. On est bons ? Ou c'est la grosse merde ?

À ce stade de leur relation, son tact s'avérait légendaire. Médéric se mordit la lèvre. Ce s quelques secondes de flottement avaient suffit pour que l'ambiance change du tout au tout. Il ne venait effectivement pas en simple visite de courtoisie, il apportait une réponse qui pourrait être difficile à entendre.

- Tout d'abord, merci d'avoir patienté que je vienne te parler de vive voix.

Médéric se rapprocha pour enrouler les bras autour de sa taille, Yadiel craignit le pire. D'un autre côté, il savait combien son homme était vieux jeu en plus d'avoir le chic de dramatiser certaines situations. Une lueur d'espoir persista donc au milieu de son appréhension.

- Ensuite, disons que la décision est mitigée. Pour l'instant, ma hiérarchie n'estime pas que nos rapports soient de nature à compromettre mes engagements ou porter atteinte à l'image de la gendarmerie nationale. L'enquête est bien terminée, donc f inies les questions gênantes sur nos vies privées . Mais, et c'est le point crucial, tu dois rester sur la voie du bon citoyen que les enquêteurs ont entrevu.

- Je n'ai pas l'intention d'en dévier. Ta mise à pieds est levée, alors ?

- Oui, je reprends mes gardes dès dimanche soir.

- OK, donc notre week-end de débauche est écourté. T'as pu éviter l'avertissement, au moins ?

Médéric secoua la tête.

- Mon représentant syndical m'avait déjà averti que je n'y réchapperai pas. J'aurai dû signaler la situation bien plus tôt et, surtout, m'abstenir d'intervenir dans cette histoire avec le fils Mayotte. Ce que je ne regrette absolument pas, d'ailleurs, parce que je sais que tu n'étais pas coupable de ce dont il t'accusait.

- Mais c'est ce qui a pesé le plus lourd dans la balance.

- Sans aucun doute. Ceci dit, je ne veux pas que tu te sentes fautif, kiki. V u mes états de services, un avertissement n'est pas si handicapant. Le plus important, c'est vraiment que tu ne t'attires plus de problèmes . Sinon...

- Je sais, s'agaça sèchement Yadiel.

Leur avenir à deux reposait en grande partie sur la pérennité de sa bonne conduite dans la société. Sa mère et son beau-père le lui avaient aussi répété en long, en large et de travers pendant les deux mois que dura l'enquête de moralité visant son petit ami gendarme.

Yadiel soupira. En place de glisser la main dans ses cheveux, noués au-dessus de sa tête, il se pressa la nuque.

- Quelle idée j'ai eue aussi, de me maquer avec bleu.

- Tu regrettes déjà ?

- Ouais... Autant que toi, railla-t-il, faussement blasé.

- Alors ça reste de bonnes nouvelles, sourit Médéric en rapprochant son visage du sien.

Pleinement conscient des conséquences de leur rapprochement, il prit le temps jauger ses sentiments envers Yadiel dès leurs premières semaines de batifolages. L'obsession qu'il avait éprouvée au début sembla bel et bien enterrée au profit d'une profonde affection. Médéric ne cherchait plus à voir cet homme en désespoir de cause, uniquement mu par la nécessité de se sentir pulser dans une vie au goût fade. Il ne se sentait plus hanté par les ombres de son passé, ni même tourmenté par un quelconque démon. Non. Médéric fréquentait dorénavant Yadiel parce que sa compagnie lui était on ne peut plus agréable et souhaitait l'assumer au su de tous. Il s'attarda donc sur une nouvelle discussion à cœurs ouverts avec l'intéressé, puis confia à sa psychologue son envie de révéler la vérité à sa brigade. Il avait été mis à l'épreuve à maintes reprises ces dernières années, mais la décision qui se profila alors s'avéra la plus difficile qu'il n'avait jamais eu à affronter. Pourtant, las de se sentir écartelé entre sa droiture professionnelle et ses aspirations personnelles, Médéric en vint à la conclusion que son couple valait le risque de mettre en péril sa carrière.

Après tout, Yadiel avait tenu la promesse faite à sa sœur et vivait tranquillement sa reconversion professionnelle. Lui aussi dû mûrement réfléchir avant de confirmer vouloir s'engager aux côtés d'un représentant de l'ordre. Impossible toutefois d'ignorer le fait que leurs sentiments mutuels se renforçaient de jour en jour, au rythme des souvenirs qu'ils se forgeaient. Mais la loyauté de Médéric était censée converger vers son travail. Aider et protéger les autres était sa vocation, la seule raison d'être dont il n'avait jamais douté malgré l'orage le surplombant depuis sa sortie du coma. Yadiel avait compris l'étendue de sa dévotion et pensait sincèrement que Médéric était le meilleur gendarme sur qui quelqu'un pourrait tomber. Le mettre dans une situation si délicate, où il devait choisir entre deux choses qu'il aimait, l'avait beaucoup attristé. Derrière ces airs parfois encore trop renfrogné, Yadiel ne voulait pas perdre ce bonheur trouvé auprès de Médéric. Sachant que le bien-être de ce dernier passait par sa famille autant que sa mission de super-héro, il continuerait ses efforts d'adaptation ; pour Lyanna, pour leur mère, pour lui-même et enfin pour le salut de son couple.

- Je propose qu'on commence à célébrer avec autre chose que de l'alcool, poursuivit son chéri.

- Ah oui ? s'amusa Yadiel. J'ai peut-être quelques petites idées qui me viennent à l'esprit, mais est-ce que j'ai encore le droit d'être vilain ?

Médéric opina, lèvre pincée pour retenir son sourire béat.

- Seulement avec moi, susurra-t-il.

Leurs bouches joueuses n'étaient qu'à quelques millimètres. Elles se pressèrent avec entrain sitôt Yadiel s'empara-t-il de la mâchoire de son homme.

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