12. Shoot de dopamine

— Ton sens critique est surdéveloppé ! On dirait presque ma mère, c'est hallucinant.

— Bizarrement, ça sonne pas trop comme un compliment.

Affalé dans l'angle du canapé, Yadiel esquissa pourtant un léger sourire en ramenant ses cheveux désordonnés vers l'arrière. 

— Parce que ce n'en est pas un, s'amusa Médéric. Ça fait bien trente minutes qu'on enchaîne les résumés et aucun film ne te convient ?

L'invité surprise ricana et se redressa.

— J'ai horreur des scénarios basiques. D'ailleurs, si t'en as marre de chercher quoi mater...

La lenteur avec laquelle il se pencha ensuite vers Médéric fit accélérer leurs cœurs impatients. 

— On pourrait sauter l'étape ''Netflix and chill'' et passer à la suivante.

Leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres, Yadiel s'accouda sagement au dossier du fauteuil. Son regard intense oscilla entre ses lèvres et ses yeux troublés, criant ses intentions. Médéric senti toutefois l'interrogation dans sa voix. 

Ce temps mort indiquait que Yadiel ne tenterait pas le rapprochement sans son accord. Médéric avait le choix, sauter à pieds joints dans ce fantasme qu'il nourrissait depuis des mois ou piller net. 

Noyé dans ces yeux débordants d'envie, le souffle déjà raccourci par sa propre exaltation, il n'opina que timidement. Satisfait, mais conscient de son appréhension, Yadiel ne précipita rien. Son regard dévia brièvement vers la télécommande, qu'il enleva d'entre les doigts de Médéric pour la poser sur la table basse. Quelques mèches incommodantes tombèrent sur sa joue lorsqu'il s'inclina à nouveau. Comme hypnotisé, Médéric les repoussa d'un geste minutieux et les retint en place derrière sa nuque. Yadiel esquissa un sourire entendu. Saisissant fermement son menton, il cueillit enfin ses lèvres tentatrices. 

Médéric se laissa vite emporter. Ensorcelé par son odeur, il s'abandonna à l'ardeur de leurs baisers, poussa de petits soupirs d'appréciation et ne l'attira que plus étroitement entre ses bras. Yadiel savoura sa fougue, autant que le goût praliné de sa langue. Il quitta pourtant sa douceur pour balader la sienne dans son cou, qu'il finit par mordiller avant de presser sa hanche à travers ses vêtements. 

Sentir le poids de Yadiel peser sur son buste, sa main pétrir sa peau, son bassin réclamer le sien, excitait Médéric plus que de raison. Ils n'étaient plus au club. Il n'y avait plus aucune règle limitant leurs contacts ni ce à quoi ils pouvaient s'adonner. Yadiel pourrait le prendre là, maintenant. Ils en brûlaient d'envie. Seulement, Médéric n'était pas prêt à aller aussi loin. Pas aussi vite. Il frissonna de plaisir quand la langue gourmande de Yadiel revint s'enrouler autour de la sienne, mais mit fin à leur baiser. Non sans regret.

— Quelque chose te tracasse, devina Yadiel.

Il recula et essuya délicatement la lèvre humide de Médéric, mais ne le délivra pas de son poids.

— Non, tout va bien. Je suis content que tu sois là. Hum... Tu m'aides à débarrasser ?

— D'accord. 

Médéric le repoussa sans attendre et se leva prestement afin d'ôter les plats vides de la table. Son air effarouché était de retour. Yadiel ramena ses cheveux en arrière, souffla un coup et se leva à sa suite. Prêt à lui accorder du temps pour s'habituer à leurs nouveaux rapports, il attrapa nonchalamment les bouteilles de bière laissées sur le meuble. 

Perle cavalait à la poursuite d'une petite balle clochette. Elle passa entre ses pieds, pile au moment où il se dirigeait vers la cuisine ! Déséquilibré, Yadiel retint un léger juron. Alors qu'il prenait appui sur une commode pour éviter une chute ennuyeuse, son regard se posa sur plusieurs cadres photo. Il reparti à la cuisine en toisant le satané félin et abandonna le cadavre des boissons à la poubelle. Se calant ensuite contre l'évier au côté de Médéric, bras croisés par habitude, il l'observa d'abord laver les assiettes puis proposa de les essuyer.

— C'est ton fils, sur les photos ?

Médéric leva la tête de la vaisselle. Un sourire attendrit se dessina tout de suite sur ses lèvres.

— Oui. Mon Ludéric a neuf ans.

— Cool. Mon petit frère a à peu près le même age. Ton rejeton vit avec sa mère, c'est ça ? 

— On est divorcés depuis peu, alors on se partage la garde. Je te savais déjà très intuitif, mais je vois que tu es aussi observateur. Tu ferais un excellent enquêteur, le taquina Médéric.

Yadiel ricana. 

— Je suis beaucoup de choses, mais je serai jamais de ce côté de la barrière. Je préfère largement le gang des insoumis.

La plaisanterie, bien que peu flatteuse, tira un rire au gendarme. On ne pouvait pas vraiment dire que Yadiel débordait de tact. Cela dit, il ne cherchait plus le conflit. Son attitude était plus détendue que jamais. Ces manières abruptes faisaient simplement partie de lui et, avec un tel caractère, Médéric se posait d'autant plus de questions.

— J'espère que tu ne le prendras pas mal, mais je me suis souvent demandé ce qui pouvait motiver quelqu'un à travailler dans ce genre d'endroit. En Guadeloupe, en plus... 

Il apparaissait clair durant ses prestations qu'il ne le dansait pas pour l'amour ou les acclamations du public. 

Yadiel pouffa dédaigneusement et haussa les épaules. 

Dès son ouverture, l'endroit fut critiqué avec ferveur par la population locale et ses employés pris à partie de manière récurrente. Au grand jour, l'opinion publique refusait l'existence d'un ''club à pédés'' dans la communauté antillaise. Même si Yadiel n'y travaillait pas encore, le vent d'indignation ayant secoué l'archipel n'avait pas épargné ses oreilles. Mais lorsque l'opportunité de rejoindre ses effectifs se présenta, l'impopularité du Fantasmique aux yeux d'hypocrites ne pesa en rien dans sa balance. 

— Argent facile, lança-t-il d'un ton entendu. J'apprécie moyen qu'un patron ou un petit manager de mes deux me prenne de haut, alors j'ai tendance à me faire virer assez vite des tafs ordinaires. Puis ils payent même pas aussi bien. Quand j'ai vu l'annonce de réouverture du Fantasmique après la crise sanitaire, je me suis juste dit : pourquoi pas ?

— Je vois. Je sais ne pas être le mieux placé pour critiquer ton choix de carrière, mais t'exhiber ainsi ne te donne pas l'impression de devenir une sorte... d'objet ? 

— Mh, c'est une façon de voir les choses, ouais. Je mentirais si je disais que ce mode de vie ne vient pas avec ses inconvénients. Mais dans le fond, y'a beaucoup plus d'avantages. Il existe bien pire, comme situation... Monter sur cette scène, me foutre à moitié à poil et donner à des types l'illusion qu'ils peuvent m'avoir, ça représente que 10% de ma vie. Je compte pas rester à admirer les belles choses de loin, ni jalouser oisivement les biens des autres jusqu'à la fin de mes jours. J'ai mes propres projets à atteindre. Alors je me tape pas mal de ce que veulent ou pensent des étrangers. Ce sont pas les jugements moralisateurs qui vont m'aider à avancer. 

Sa détermination était palpable. On ne pouvait pas dire que Yadiel était un grand bavard en temps normal. Il rebutait aux échanges de banalités, mais discuter de façon ouverte avec Médéric s'avérait important pour lui aussi. 

— On me reproche souvent d'être imprévisible, voir lunatique... Mais c'est pas juste parce que j'aime casser les couilles aux autres. Ma sœur, Lyanna, elle était la seule à me comprendre. Sans vouloir m'épancher dessus, on a eu une enfance merdique et c'est ce qui nous a forgés. Quand elle a été hospitalisée, y'a quatre ans, elle savait qu'elle s'en sortirait pas. Elle m'a fait promettre de me tourner vers une vie meilleure et j'y suis décidé. Pas seulement pour la rendre fière, mais aussi parce que je le mérite.

Comme beaucoup d'enfants, l'histoire chaotique de Yadiel commençait avec sa mère. Elle n'abandonna la République Dominicaine avec son aînée sur les bras qu'afin d'échapper à un conjoint abusif et espérait de tout son cœur lui offrir un avenir meilleur. Ce fut toutefois dans un des quartiers les plus défavorisés de Guadeloupe que Soraya trouva refuge. Elle y rencontra presque aussitôt José. Un homme bon et travailleur, un peu trop porté sur la boisson. Leur bonheur en dent de scie dura quelques temps, avant que les dettes de jeu, l'amertume, puis la maladie ne s'installent. En plus de voir son père périr d'une cirrhose l'année de ses douze ans, Yadiel se retrouva au milieu d'un foyer infernal quand leur mère à la dérive chercha réconfort auprès d'un homme hargneux. Lyanna et lui préférèrent bien souvent affronter la rudesse des rues et dormir le ventre vide plutôt manger des repas entachés du goût amer des violences domestiques. 

En grandissant, Lyanna se dévoua à ses études et Yadiel se démena pour les sortir de la misère. Il fréquenta peut-être les mauvaises personnes, adopta des travers... Mais à présent, il vivait sainement. Sa mère, plus heureuse que jamais, habitait une belle maison – qu'il aida récemment à rénover. Son petit frère était en sécurité, auprès de parents aimants, et ne manquait de rien. Quant à lui, dès que les travaux seraient bouclés dans la villa léguée par leur défunte sœur, il utiliserait les profits de locations saisonnières afin de reprendre le chantier de son propre domaine. L'avenir de Yadiel ne refléterait pas les succès d'un autre, il le traçait au Caterpillar. Quoique l'on puisse dire de ses méthodes, il en était satisfait. 

Médéric se pinça les lèvres. Il concevait parfaitement le point de vue de Yadiel, mais sa déclaration piqua sa fierté. Il avait sans aucun doute fait partie de ces hommes pensant obtenir beaucoup plus qu'ils n'auraient dû l'espérer. Il était même passé dans une catégorie d'individus encore moins glorieuse : ceux qui fantasmaient et se touchaient sur l'image d'une personne hors d'atteinte. 

Alors qu'il s'auto-flagellelait mentalement, ses joues s'échauffèrent. Se tenir à deux pas de lui, sentir à nouveau sa témérité, fit bien sûr réagir son corps. Son souffle raccourcit de manière drastique. À défaut de capter l'émoi grandissant entre ses cuisses, Yadiel perçut son trouble. 

— Je t'ai pas dis ça pour te faire culpabiliser, tu sais. Toi, t'es différent des autres stalkers. Tu me fais... ressentir. Des choses qui m'avaient pas touché depuis longtemps. Des choses que je ne pouvais pas associer à ce boulot, avoua-t-il d'un timbre bien trop suave pour l'équilibre de Médéric. Alors j'ai dû te faire virer du club, Officier Sexy. 

Ce surnom, additionné à la reconnaissance d'une réciprocité dans leurs sentiments, lui fit tourner la tête. Médéric ferma brièvement ses paupières tandis que la douce chaleur du bonheur se diffusait dans son ventre en serpentant vers son bassin.

— T'y es pas retourné depuis, statua Yadiel. 

— Tu me l'as interdit, murmura Médéric. 

— Peut-être... Mais t'avais toutes les ressources nécessaires pour me serrer ailleurs. J'aurais juré que t'étais pas capable de me lâcher la grappe. Qu'est-ce qui a changé ? 

Cette interdiction n'était qu'un moyen de le tester. La plupart des adulateurs insistants de Phœnix ne savaient pas quand s'arrêter, ni où se trouvait la ligne entre admiration et harcèlement. Ils s'avéraient incapables de respecter une distance imposée et tentaient sans cesse de s'immiscer dans sa vie réelle jusqu'à ce qu'il emploie la manière forte pour les en éjecter. Lorsque Médéric ne se manifesta plus, Yadiel se retrouva face à deux interrogations incongrues :

Le gendarme était-il passé à une nouvelle obsession ? Ou, tout comme lui, se consumait-il sur lui-même tel un feu mourant ?

— J'ai cédé à beaucoup de dérives qui auraient pu me coûter cher, mais je ne serais jamais allé jusqu'à te traquer chez toi. Si je me suis montré aussi insistant, c'était avant tout parce que j'avais l'impression que tu lisais en moi d'une certaine manière. Et, oui, je sais que c'est farfelu. On ne s'est vraiment vu que quatre fois, à tout casser... Quand je me suis fait sortir du club à ta demande, j'ai réalisé combien je dépassais les bornes. Je n'avais pas le droit de projeter mes attentes sur toi, ni de te soutirer une attention que tu n'étais pas enclin à me donner. Tu mérites le respect des limites que tu imposes, comme n'importe quel autre professionnel. 

Médéric évitait soigneusement son regard déstabilisant. Un rictus imperceptible aux lèvres, Yadiel se décala derrière lui. Il retrouvait effectivement une part de ses propres maux dans ceux de ce foutu bleu. 

Rigide, inadapté, trop conscient de la noirceur qui le rongeait malgré une volonté profonde d'aller de l'avant. C'était ce qui les réunissait, ce qui fascinait aussi Yadiel chez son ''Clark Kent''. Ce type l'emportait dans un tourbillon indescriptible aussi intense que déconcertant.

— Eh ben, je bosse plus là-bas, informa-t-il. Et on dirait bien qu'à présent, c'est moi qui te cours après. C'est drôle, mh ?

Une vague de désir ravagea Médéric.

— Drôle ? marmonna-t-il après un léger flottement. Ce n'est pas vraiment le terme qui me vient à l'esprit.

— Ah oui ?

Le sourire taquin de Yadiel s'élargit, son souffle caressa le cou de son aîné. Retenant un soupir, Médéric inclina légèrement la tête sur le côté. Offrant ainsi un meilleur accès à son assaillant, il se focalisa sur les lèvres curieuses qui frôlèrent sa peau. Yadiel avait posé ses mains de part et d'autre de l'évier. Médéric enserra l'éponge savonneuse. Les couverts qu'il tenait lui échappèrent lorsqu'il agrippa à son tour la surface en inox. Emprisonné au milieu de ses bras, transporté par sa chaleur enivrante dans son dos, il se sentait comme une feuille à la merci du vent. Le nez provocateur qui lui effleura l'oreille fit frétiller son érection.

— Ça te dit, un brin de toilette avant d'aller au lit ?

Quant à cette proposition... Elle lui grilla quelques neurones ! Les survivants sautèrent dans une mer de luxure lorsque Yadiel pressa le bassin contre son postérieur. Rien de bien insistant. Juste assez pour qu'il sente son entrain avant de prendre sa décision. 

Médéric ne parvint qu'à hocher la tête tant le brasier qui s'emparait de son corps l'étourdissait.

Cette fois, Yadiel le libéra totalement de sa présence afin qu'il ait l'occasion de reprendre ses esprits. Il glissa ses mains dans les poches de son jeans tandis que celles tremblantes de Médéric abandonnaient prestement la vaisselle. Les joues toutes chaudes, il prit à peine le temps de sécher ses doigts avant de se retourner. Son pantalon de pyjama ne masquait visiblement pas son état. Yadiel ne revint à son visage timide qu'après un coup d'œil intéressé autre part. 

— T'es sûr de vouloir ? lança-t-il tranquillement. 

Médéric déglutit, puis opina. 

— Oui. Suis-moi.

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