10. Doux poison
Médéric ne parvenait pas à accueillir Morphée. Son dimanche pascal avait pourtant été bien rempli. De plus, en début de soirée, il avait essayé de s'abrutir aux côtés de son fils devant un dessin animé, avant de basculer vers la lecture une fois Ludéric couché. Rien n'y faisait. Les chiffres du cadrant numérique de son éveil affichaient une succession de zéros et il se retournait encore sans fin dans ses draps.
Ce n'était d'ailleurs pas si rare ces derniers temps. Certaines nuits s'avéraient seulement plus dures que d'autres. Cela aurait été beaucoup plus simple si son esprit n'était pollué que par les aléas de son métier, ou ses problèmes conjugaux. Mais non. Sa mémoire s'accrochait à des souvenirs toxiques et s'acharner à les éviter ne servait à rien. La seule façon d'écarter sa frustration était de la prendre à bras le corps.
L'insomniaque envoya alors valser ses couvertures avec un soupir exaspéré. Recourir à cette méthode tailladait petit à petit les restes fragilisés de son estime personnelle. Seulement voilà, faute d'alternative plus efficace, il y était contraint pour enfin fermer l'œil. Médéric cessa donc de maintenir la digue mentale imparfaite qu'il avait érigée ces dernières heures. Sans aucun mal, son visage indifférent se dessina derrière ses paupières closes. L'indifférence fut vite remplacée par un rictus narquois qui accéléra légèrement son rythme cardiaque. Cette fois, Médéric invita l'objet de son désir dans ses pensées au lieu de s'efforcer à l'en repousser.
« Respire, Officier Sexy. »
Il entendit parfaitement sa voix. Ce timbre grave, mélange acide et mielleux, l'attirait encore dans son piège telle une mouche.
Fidèle à son caractère, Yadiel s'imposa rapidement. Sans honte. Il sembla remplir toutes les parcelles du cerveau de l'officier et même contrôler ses gestes. Le souffle lourd, Médéric descendit lentement ses mains le long de son buste dénudé. L'une s'arrêta sur son ventre, l'autre franchit la frontière de son bas de pyjama. Sans escale, elle se fraya un chemin sous l'élastique du vêtement et atterrit sur son membre en éveil.
« Ouais... Je vais te donner ce que tu veux. »
Médéric déglutit. Sa paume chaude malaxa son renflement. Non content d'entendre cette voix ravageuse, il en revoyait clairement l'auteur. Et pas uniquement des images de son corps ondulant sous des néons rouges étourdissants. Il revoyait Yadiel dans sa globalité. Tour à tour véhément, sensible, aguicheur, confiant...
« Je sais bien. Je te réchauffe le cœur et d'autres parties du corps qu'on taira. »
Dans un sens comme dans l'autre, il savait - trop bien - rendre Médéric complètement fou.
Ses doigts fébriles s'enroulèrent autour de son sexe gorgé de désir, mais son esprit imagina que c'étaient à nouveau ceux de Yadiel. Médéric se mordit la lèvre. Il tenta de retenir un gémissement qui se créa tout de même une voie en entraînant des semblables dans son sillage. Ses hanches bougèrent encore sans son accord, accompagnant les allers-retours de sa main tandis qu'il caressait son torse de l'autre.
Une fine pellicule de sueur couvrait son corps en émoi. La gouttelette qui roula sur son front plissé eut toutefois de quoi pâlir face au filet de semence perlant abondamment de son gland. Les paumes moites, le ventre humide, les lèvres engourdies et le souffle court, sa transe le transporta. Médéric enfonça la tête dans son oreiller. Reproduisant presque instinctivement ce moment où Yadiel lui avait emprisonné les poignets au-dessus de sa tête, il accrocha les barreaux de son lit de sa main libre.
« Quand t'es ici, c'est pas toi qui contrôles. »
- Mmm... Yadiel...
Il n'était plus que plaintes et soupirs. Son poing battit énergétiquement la cadence autour de son érection turgescente. Ses jambes s'écartèrent, son bassin ondula dans des mouvements compulsifs. Ses phalanges serrèrent étroitement sa verge, aussi bien que la tête de lit. Et dans un souffle ardent décousu, Médéric atteignit enfin la délivrance.
Son corps se relâcha totalement. Terrassé par cet orgasme, il eut malgré lui un petit rire.
En écartant ses découvertes d'adolescent, ses expériences solitaires avaient rarement été aussi satisfaisantes que depuis l'ingérence de Yadiel dans son esprit. Médéric se demandait parfois s'il devait remercier ou maudire cet homme d'en faire un moment si intense. Une interrogation rhétorique, puisque l'intéressé s'était assuré qu'il ne puisse plus l'aborder.
L'euphorie s'évanouit à ce simple rappel. Ayant repris son souffle, Médéric revint à duré la réalité. Épuisé, il se nettoya avec le t-shirt abandonné au pied de son lit et se laissa écraser par le poids de la tristesse.
Avoir été banni du Fantasmique aurait pu progressivement le sevrer de son obsession. À la place, cette restriction ne fit que le pousser plus loin dans ses abysses. Il avait bien essayé de rencontrer d'autres hommes depuis la fin du carême, en toute discrétion. Mais Tinder n'était clairement pas sa tasse de thé et ces messieurs n'étaient pas lui.
*
Le lendemain, père et fils se levèrent en traînant des pieds. Étant de repos en ce lundi de pâques, Médéric ne pressa pas son petit champion. Ils petit-déjeunèrent dans une ambiance détendue en regardant Alvin et les chipmunks à la télévision depuis le coin cuisine.
- Moi auchi, che veux chouer de la batterie ! déclara Ludéric, la bouche pleine de céréales. Mais maman, elle dit que cha fait trop de bruit et que cha va dérancher le bébé autant dans son ventre que quand il sera vraiment là.
- On ne parle pas la bouche pleine, ma grenouille. Et ta maman a raison, s'accorda Médéric. Les bébés ont besoin de beaucoup de calme avant et aussi après leur naissance. Mais si tu veux, on cherchera un centre où tu puisses jouer d'un instrument avec d'autres enfants.
- Ah, non. Moi, je veux une batterie dans ma chambre ! Si maman elle veut pas de bruit à la maison, on a qu'à la laisser ici.
- Oh...
Ce gamin avait bien trop de suite dans ses idées. Pris de court, Médéric dû rapidement réfléchir à une parade.
- Bonhomme, je ne suis pas très sûr que mes voisins apprécient le bruit, eux non plus.
L'attitude joviale de Ludéric changea du tout au tout. Il fronça ses sourcils et fixa son père. Sa frimousse contrariée était quasiment la copie conforme de celle qu'affichait souvent Leïla, mais en beaucoup plus joufflue.
- Donc, tu veux pas non plus ? s'agaça-t-il en lâchant sa cuillère humide à côté de son bol. Mais alors, à quoi ça sert d'avoir deux maisons si je peux avoir ce que je veux dans aucune des deux ?
Le cœur de Médéric se sera de chagrin.
Avant l'accident, Ludéric ne s'était jamais montré si irritable et prêt au conflit. Mais il avait grandi et souffert de cette longue absence, lui aussi, sans compter tous les changements brutaux qui s'étaient imposés suite à sa sortie de l'hôpital. Alors, au lieu de le réprimander, le père esquissa un sourire de façade.
- Tu deviens assez grand pour savoir qu'on n'a pas toujours ce qu'on veut, dans la vie. Sinon, mamie Véro te laisserait manger des sucreries avant d'aller au lit.
Sa remarque fut ponctuée d'un clin d'œil joueur. Fort heureusement, ce petit avait en partie hérité du caractère conciliant de son géniteur. Cette réponse badine suffit à le faire rire. Médéric enchaîna alors pour achever de le distraire de sa dernière lubie.
- Allez, si tu as fini de manger, files te préparer, mon chéri. On risque d'être en retard pour te ramener à la maison.
Il ne croyait pas si bien dire.
- Vous êtes en retard, gronda Leïla dès qu'elle leur ouvrit la porte.
Son regard intransigeant fusillait Médéric.
- Désolé. On a eu un peu de mal à enclencher les vitesses, ce matin.
- Hier, c'était trop fatiguant ! s'anima innocemment Ludéric. D'abord on est partis à la messe super tôt avec mamie Véro et papi Gégé. Et puis, y'a eu la chasse aux œufs avec les gens du travail de papa et leurs enfants, et on a été les plus rapides ! Regarde, j'ai encore plein de chocolats.
Le garçonnet présenta son sac à confiseries avec fierté. Sa mère n'y jeta pourtant qu'un vague coup d'œil.
- Tu me montreras tout ça plus tard, chéri. Dis au revoir et va te laver les mains comme on te l'a appris pour tuer les microbes. Tes autres papis et mamies attendent tes bisous avec impatience.
- D'accord ! Au revoir papa.
Il se retourna, bras levés, et sauta sans sommation vers son père. Sourire aux lèvres, Médéric l'attrapa tant bien que mal avant de le sécuriser contre sa hanche.
- À bientôt, ma grenouille. Je t'appelle dans la semaine.
- Oui, comme d'habitude. Bisou baveux, mouah !
Médéric retourna à son petit trésor un bisou sur la joue et le reposa sur la marche de l'entrée. Une main sur son ventre déjà bien rond, la mère encouragea son garnement à rentrer et le suivi d'un regard attendri. Toute cette touche de chaleur s'envola lorsqu'elle posa à nouveau les yeux sur son ex-époux.
- Jour férié ou pas, tu dois ramener le petit à l'heure.
- Je le sais et je t'ai présenté mes excuses. Ce n'est pas comme si ça avait été prémédité, ou que j'avais une heure de retard.
Leïla souffla d'irritation.
- Je n'ai pas envie de me prendre la tête avec tes histoires, Médéric. Honnêtement, j'ai déjà assez donné. La prochaine fois, débrouille-toi pour me ramener mon fils à l'heure convenue et pas trente minutes après.
Elle lui claqua la porte au nez sans lui donner l'occasion d'ajouter quoi que ce soit. Un soulagement, dans un sens, car Médéric détestait les engueulades. En particulier quand leur fils était à portée de voix. La main sur sa nuque encore nouée, il traversa pensivement l'allée en gravillons, regagna sa voiture et quitta la propriété qui fut jadis sienne.
Le reste de la journée se déroula tranquillement. Après quelques courses rapides, Médéric rentra se terrer chez lui. Sur les coups de vingt heures, alors qu'il préparait son dîner en se dandinant sur la chanson de zouk rétro diffusée par la radio, un appel vint troubler sa quiétude. Il posa son couteau, s'essuya les mains avant d'aller récupérer son téléphone et soupira de lassitude en vérifiant l'identifiant.
Sa mère avait été sur son dos toute la semaine. Médéric avait du mal à imaginer ce qu'elle pouvait encore avoir à lui dire. Pourtant, il décrocha.
- Salut, maman. Tout va bien ?
- Est-ce que tout va bien ? s'étonna-t-elle d'une voix forte. C'est plutôt à moi de poser cette question, Médéric Hugues Gauthier. Qui t'as envoyé dire à ta femme que tu es homosexuel ?
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