1. La Scène

Honte... Désarroi... Envie... Un flot d'émotions dans lesquelles Médéric Gauthier ne s'était jamais tant débattu qu'au cours de ces derniers mois.

Ainsi noyé, il perdait le contrôle de sa vie et se retrouvait de plus en plus souvent face à ses dilemmes intérieurs. Des tergiversations qui le poussaient ce soir à faire les cents pas sur le parking d'un night club qu'il jugeait pourtant indécent.

- Mésié... Désidé'w ! se souffla-t-il à lui-même en créole.

[Mec... Décide-toi !]

Ses états d'âme l'agaçaient au plus haut point. Quelques minutes auparavant, sa décision d'entrer était belle et bien arrêtée. À présent, sa jauge de courage se voyait drainée par la peur. Il se contentait d'observer de loin les autres. Ceux qui franchissaient le contrôle de sécurité, le plus naturellement au monde, tandis que lui restait bêtement à la merci de ces satanés moustiques. Sans compter l'air humide aux relents marécageux.

Le cœur erratique, Médéric remonta machinalement ses lunettes sur son large nez puis griffa sa barbe. Ses doigts tremblants se posèrent ensuite sur ses lèvres.

Que craignait-il, au juste ? Il se trouvait au fin fond de la ville de Jarry, assez loin de son secteur d'intervention habituel, dans un coin des plus inhospitaliers. L'endroit, bien que fréquenté par une clientèle fidèle, semblait paumé. Assez pour qu'il se permette d'explorer le volcan qu'il sentait bourdonner en lui, sans risquer de croiser une connaissance. Le cas échéant, cette personne serait coupable du même péché que le père de famille.

De plus, ce n'était pas sa première fois. Cela faisait presque un mois que Médéric venait et répétait ce même manège mélodramatique... deux soirs par semaine !

- Chié ba sa...

[Fait chier...]

Baragouinant dans son coin, l'officier glissa machinalement les doigts sur ses cheveux coupés court. Il prit une grande inspiration - qu'il regretta aussitôt - et s'élança prestement vers la file tant qu'il en avait encore le cran. Comme d'habitude, il eut l'impression que l'enseigne lumineuse du Club Fantasmique le traitait de dépravé dans toutes les langues. Sa paume moite tâta en vain sa ceinture, où son arme s'exhibait avec fierté lorsqu'il était en service.

Depuis sa reprise, la toucher le rassurait. Elle était gage de sécurité, de stabilité. Sa présence familière était une des seules choses fixes sur laquelle Médéric pouvait encore compter dans sa nouvelle vie. Mais, ce coup ci, il devait aussi se passer de ce soutien.

Après avoir été palpé en bonne et due forme, le quadragénaire paya son entrée. Tête basse afin de se fondre dans le décor sombre, il avança à pas lents dans l'interminable couloir menant à la salle principale. Les flashs lumineux coupant l'éclairage tamisé laissaient deviner qu'un des danseurs se déhanchait sur scène.

Indifférent au show en cours, Médéric se dirigea précautionneusement vers le bar. Il commanda une boisson, histoire de patienter mais surtout d'abrutir sa conscience. Le barman, sexy et fringant, qui préparait son verre se dandinait lui aussi sur la musique entraînante remplissant la salle. Le boxer tout rikiki couvrant ses formes était assorti à un nœud papillon. Son sourire tapageur poussa Médéric à détourner le regard, les joues en feu et sans même un « Merci », dès qu'il lui servit son whiskey.

Peu de choses avaient vraiment changées depuis sa première visite. Issu d'une famille pieuse et frigide, Médéric s'était tout de suite senti marginal dans cet univers débridé. L'angoisse d'être pris la main dans le sac le tenait toujours en alerte. Sa seule évolution était peut-être bien de ne plus se demander ce que diable il fichait et comment il en était arrivé là... Dorénavant, et même si la fréquentation d'un club de striptease gay et trans le tiraillait, l'officier savait parfaitement pourquoi il venait.

La jambe trépignant, Médéric atteignait déjà le fond de son verre lorsque la musique diminua. La voix feutrée du gérant s'éleva dans le micro. Elle domina les acclamations de la foule dispersée sur les nombreux sièges autour de la scène surélevée.

- Merci à Ivoire pour ce spectacle sauvage. Grrr !

Médéric releva la tête, scruta les environs et sauta presque de son siège. Quittant le bar, il se dirigea vers les banquettes installées en contrebas. Il s'assurait toujours ne pas être trop proche, mais tout de même assez pour dévorer sa prestation jusqu'à la dernière petite miette.

- À présent, mes chéris, préparez-vous à être consumés par le feu ardent de l'insaisissable... PHŒNIX !

Avant même que les premiers riffs de guitare ne résonnent, le cœur de Médéric battait déjà à tout rompre. Deux soirs, toutes les semaines. Malgré les risques, son hésitation et tous ses doutes, le militaire était présent dans cette salle. Il campait la bouche ouverte devant cette foutue scène seulement pour lui, Phœnix.

Ses pas nonchalants, les ondulations assurées de son corps musclé encore bien trop couvert, soulevèrent sifflets d'excitation et applaudissements. Comme à l'accoutumée, la simple arrivée du réputé dominicain à la barre fit croître le nombre de spectateurs au premier rang. Les cris rauques redoublèrent lorsqu'il saisit un pan de sa veste en jean destroy et dévoila ses tétons percés, avant de laisser sa main libre glisser le long d'abdominaux saillants. Elle s'arrêta effrontément sur la bosse déformant son pantalon cintré. Le monde entier de Médéric se retrouva alors en suspens, accroché à son obsession.

Exalté par le frisson de la scène, Phœnix remonta une main sur le chapeau de cowboy qui cachait son visage. De l'autre, il accapara la barre. Un mouvement rapide et maîtrisé, en contraste total avec la lenteur exacerbée qu'il mit ensuite à tourner autour.

Lorsque tu t'es avancé, l'air s'est raréfié.

Les paroles de sa chanson s'imposèrent dans la salle en haleine. Son tour à peine terminé, le danseur pivota sensuellement et laissa son dos glisser contre le poteau en métal.

Et toutes les ombres se sont remplies de doutes.

Une fois accroupi, Phœnix ôta enfin le chapeau cachant son sourire goguenard. D'un coup de tête aguerri, il dégagea les quelques mèches châtain foncé retombées sur son visage. Le couvre-chef caressa son buste caramel, jusqu'à hauteur de nombril, puis il l'envoya valser sur le côté. Ses gestes calquaient les sonorités rock qu'il affectionnait : secs, puissants et pourtant emplis d'une lascivité captivante.

Se relevant promptement, il tourna encore tout en saisissant sa veste. Les manches déchirés frôlèrent ses biceps tandis qu'il laissait choir ce premier vêtement au sol. L'étalon approcha ensuite le bord de la scène. Il dédaigna les cris de mâles en rut causés par le pétrissage satisfait de son pectoral. Sa paume chaude glissa sur sa peau huilée et se cala dans son pantalon. Sa deuxième main, quant à elle, se leva pour offrir un doigt d'honneur effronté.

L'assistance devinait à quel point cet affront à leur égard amusait le coupable. Pourtant, nul ne s'en plaignit. Bien au contraire ! Cette attitude irrespectueuse attisait le brasier en leur sein. Ils brûlaient de désir devant cet homme, assez impudique pour ramener son doigt injurieux à ses lèvres, sortir sa langue et le lécher. Sans gêne aucune.

Je ne sais pas pour qui tu te prends,

Mais je tiens une chose pour sûre...

Phœnix traîna indifféremment sa phalange humide par-dessus son harnais, puis le long de la toison clairsemée de son torse. Sourire narquois au coin des lèvres, il chantonna pour lui-même en longeant le bord de la scène :

''Je veux faire de vilaines choses, avec toi.''

D'un geste aussi vif qu'inattendu, il dégrafa son pantalon. Fut alors dévoilé un boxer en résille ne laissant qu'une infime part de travail à l'imagination. À l'aise comme un poisson dans l'eau, le performeur descendit de l'estrade d'un saut habile. Il sillonna ensuite le premier rang sous des hurlements surexcités. Touchant une épaule par ici, frôlant une cuisse par là, il attrapa une boisson à la volée et repoussa froidement la tête de son propriétaire après l'avoir à peine effleurée.

Je m'enfoutiste et anarchiste, voilà ce qui décrivait Phœnix. N'en déplaise à ses collègues, il ne se comporterait jamais comme s'il ressentait le besoin de séduire ni de plaire à qui que ce soit.

Oh que non ! C'était aux autres de ramper à ses pieds, à eux d'être reconnaissants d'obtenir un millième de son attention. Ce mépris naturel en faisait un des meilleurs éléments de l'établissement.

Médéric n'avait aucune chance face au pouvoir d'attraction de ce type. Phœnix était hypnotique, indépendant et se fichait à vue d'œil de l'opinion des autres. Il faisait naître chez lui un sentiment de jalousie, sous une couche étourdissante de convoitise. Tant et si bien qu'il était incapable d'en détacher son regard. Ses pensées ? Encore moins.

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Chanson striptease : Bad things, Jace Everett (générique de Trublood).


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