Prologue

La jeune femme gravit les marches de granit, les sujets se pliant promptement à chacun de ses pas. Trois Gardes Dorés dans son dos suffisaient à maintenir les regards impassibles, d'ordinaire pleins de haine au passage de la famille royale. Le Seuil des Anciens Dieux s'était tu lorsque la princesse aux cheveux embrasés avaient franchi le portail, accompagnée de sa fidèle guerrière blonde. Tous autour savaient que leur visite en ce lieu étaient tous sauf un agréable présage. Les hommes-lézard s'étaient réfugiés en leur demeure, qui s'effondrait chaque jour un peu plus, à peine le rythme de ses pas avaient résonné dans les ruelles.

La crasse, quand ce n'était pas la boue, s'étalait entre les pavés, Lucina les ignorait. Elle se dirigeait droit vers le dernier temple de la Nature de la capitale, sans un salut.

-Cette ambiance n'est pas à notre goût, se crispait Talia qui menait à la statue austère de Kaalhin. Ils savent pourtant qu'ils n'ont rien à craindre de nous.

-Nous venons sous ordre de mission, la fit taire la princesse d'or et d'écarlate vêtue, avec la Garde Dorée. Les circonstances sont quelque peu différentes. Et je te prierai de m'appeler Majesté en public.

Son amie et garde fit disparaître le sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Une ombre violette, son Sans Visage se profilait à sa droite, éloignait les gens du commun. Lucina avait appris à oublier la haine qu'elle éprouvait encore à l'encontre des hommes-lézards qui peuplaient ce quartier de la capitale. Ils étaient en ce jour terrifiés à l'idée que les représentants de la Citadelle Noire soient descendus en leur monde, si solennellement.

La forteresse se dressait sur la colline où le soleil se couchait, resplendissante de noir et d'obscurité, le donjon royal et la Tour de l'Aigle s'élançaient déchiquetés vers le ciel grisâtre. Tout ici était tordu, puant les tripes. Les couleurs vives, ainsi que les mets délicieux, ainsi que la douceur des draps, ainsi que les odeurs printanières, avaient comme fui cet endroit où trônait encore une espèce que le roi voulait voir révolue. Qu'elle aussi avait souhaité anéanti, avant de rencontrer Talia, fille du commandant de la Garde Dorée.

-Sois douce avec eux, ne les persécute pas, la conseilla celle-ci alors que les Prieurs Rouges se préparaient à les recevoir. Ta posture seule suffit à ton autorité.

Elle acquiesça, son Sans Visage violet vint se placer face aux prêtres, menaçant. Les Gardes Dorés barrèrent la route aux badauds, évacuant les fervents de Kaalhin. Le temple à l'allure de grotte, suspendu par des colonnes d'obsidienne miroitantes, se dressaient de toute sa glaciale allure, les lourdes portes de bronze ouvertes sur des profondeurs rougeoyantes. Une statue du dieu les surplombait de sa sévérité, un rapace semblait vouloir les éloigner de son bec ouvert.

-Votre Majesté, grinça ce qui semblait être le patriarche de cette assemblée de rouge recouverte, quel plaisir de vous accueillir. Vos visites se font rares par les temps qui courent. Quelle requête amène l'héritière en la humble demeure de Notre Dieu.

-Tout le plaisir est pour nous, Votre Sainteté, salua avec aplomb Lucina en acceptant la révérence. Veuillez pardonner notre négligence, un Tournoi se prépare. Les Dernaz vous transmettent leurs amitiés.

L'atmosphère s'était comme tout à coup allégée, les rides désertèrent les visages, les yeux étrécis soulevèrent leur voile de méfiance.

-Je m'excuse de vous importuner si promptement, reprit la Dernaz sur le ton des confidences. Nous avons à traiter d'affaires urgentes, qui requièrent le plus grand secret.

Le chef fit mine à ses hommes de se retirer, vaquant à leurs occupations habituelles. La vie reprit aux alentours, les lekaros sortirent progressivement, sans un bruit, évitant les pupilles sans vie des Gardes Dorés.

-Veuillez me suivre, s'obtempéra l'homme de Kaalhin, en lui entamant le pas.

Elle ordonna à ses trois hommes d'armes de rester à l'extérieur, ils obéirent sans broncher. Seuls partirent à sa suite sa fidèle Talia et son Sans Visage presque invisible aux yeux du commun. Lucina déboucha alors dans un hall d'une taille insoupçonnée où flamboyaient des nuées d'incendies miniatures, sur lesquels étaient posés des cuves d'eau bouillonnante. Toute trace de leur dynastie était absente en ce lieu pieux, évincé par la Main de la Justice de cet être irréel et austère qui servait aux gens de ce quartier de guide spirituel. Elle traversa en tremblant cette allée sinueuse, brûlante, pour se diriger vers des marches qui s'enfonçaient droit au fon de la terre. Elle marqua un arrêt, mal à l'aise devant cet univers inconnu.

-Suivez moi, Majesté, ici bas nous serons à l'abri des oreilles indiscrètes, répétait-il d'une voix plate qui aurait endormi un mort.

Talia frôla son épaule pour la rassurer, les deux amies rattrapèrent leur guide improvisé dans des couloirs aux murs imprécis, où les flambeaux dessinaient des ombres dignes de la Citadelle. La température passa du tout au tout alors qu'ils se perdaient dans un labyrinthe alambiqué de couloirs recouverts d'alvéoles ou de portes fermées. Son souffle se métamorphosa en minuscules nuages qui allèrent s'envoler vers les parois coulantes.

Le Prieur Rouge cessa sa marche devant ce qui ressemblait trop au goût de la princière personnage à une porte de cachot. Il dégaina un inimaginable trousseau d'où hérissait une multitude de clés brillantes. Talia et Lucina se retinrent de rire devant les incalculables essais infructueux, puis elles frissonnèrent lorsqu'un déclic sourd retentit, se répercutant dans leurs tympans.

-Sans Visage, surveillez l'entrée, ordonna-t-elle sèchement avant de pénétrer dans ce qui était en réalité un salon sobre de prière.

Sans demander son reste, elle s'installa dans le fauteuil dur, face à une miniature du dieu de ces lieux glaciaux. Talia se dirigea pour empêcher toute sortie, tandis que le prêtre se serrait les mains en signe de nervosité.

-N'auriez vous pas une liqueur à me proposer? Vous en servirez aussi à mon amie, elle a très soif.

-C'est que, Majesté, Kaalhin...

-Kaalhin est pour moi un être inexistant, Votre Sainteté. Une Dernaz a soif.

Il glapit face à la menace à peine voilée derrière le ton hautain, s'empressant maladroitement de satisfaire les deux dames qui l'avaient piégé en son propre domaine. Lucina observa la coupe poussiéreuse, avant de porter le précieux breuvage à ses lèvres rosées. Il était détestable, mais peu importe, elle n'était pas venue pour déguster du vin. Talia faillit le recracher, elle déglutit devant le regard sévère de sa protégée.

L'homme allumait un feu dans l'âtre noirci, sa capuche peinait à dissimuler sa calvitie. Ses yeux ternes passaient le plus clair de leur temps à échapper au bleu perçant des siens.

-Votre Altesse désire autre chose...

-Votre Altesse désire des réponses, le coupa gravement la royale rousse. Il y a peu, mon père a découvert des papiers à propos des conquêtes de mon grand-oncle Colza- Les traits maigres du maître des lieux se figèrent- Ils traitaient entre autres choses d'une quête qu'il aurait confiée à ses généraux. Cela parlait, je ne remettrais pas le nom dessus tellement il est absurde...

-Du Sortilège de la Nuit Éternelle, murmura l'homme rouge qui suait à grosses gouttes.

Les deux femmes échangèrent un immense sourire, il savait des choses. Rien d'étonnant pour un prêtre de la Nature.

-Cela exactement, jubila Lucina comme une enfant. Bien que les légendes elfiques me laissent septiques, le roi s'est mis dans l'idée de retrouver les éléments qu'il faudrait réunir pour... réveiller la force cachée.

Le prêtre inconnu restait le regard vague emprisonné dans les flammes, elle aperçut une longue goutte de sueur s'écrasait sur le sol.

-C'est que, pardonnez moi, la chose dont vous me parlez est pour maints d'entre nous un simple mythe.

Il mentait, Talia dégaina à peine sa lame au travers de sa cape. Lucina se leva, de toute sa stature, l'obligea à se retourner vers elles.

-Un mythe aurait-il provoqué une guerre? Le pressa-t-elle. Ce mythe intéresse le roi, le roi ordonne. Par chance, il vous accepte encore au sein de sa capitale, vous lui devez au moins d'obéir

-C'est que... défaillit l'autre au vue du fer qui pointait vers lui. Oseriez-vous menacer un homme saint en son refuge, Votre Altesse? Les dieux se souviendront!

Lucina ordonne à sa fidèle gardienne de se calmer, avant d'infliger un soufflet mémorable à ce fervent de pacotille.

-Les Dernaz ont tous les pouvoirs en cette cité, et jusqu'à preuve du contraire, votre temple s'y trouve. Je ne souffrirai que l'on critique nos manières d'agir, ou ce temple changera de représentant. Ai-je été assez claire?

-Évidemment Majesté, se résigna l'homme de Kaalhin en s'inclinant. Le Sortilège de la Nuit Éternelle est l'une des plus anciennes légendes qui a court sur Ergantos. Celui qui réunirait les reliques des quatre éléments seraient en mesure de s'en servir et de faire tomber la nuit sur ce monde. Si il existait, ce serait un objet d'une obscurité incomparable. Malheureusement... Il s'interrompit.

-Malheureusement? Ne perdons pas plus de temps que nécessaire.

-La Prêtresse Suprême, qui nous a rendue visite il y a peu, croit qu'ils sont perdus en Ergantos. Ainsi que le Sortilège lui-même.

Lucina était à bouts de nerfs, cette minuscule pièce puait l'encens et l'humidité, ses murs de pierres écarlates l'étouffaient. Cet homme lui avait appris ce qu'elle savait déjà.

-J'accorde peu de confiance à votre atrum divine. Elle et les Armena à Elzra déchirent le peuple, les éloignent de la religion. Force nobles nous ont envoyés des missives nous indiquant qu'ils plieraient le genoux à n'importe quel hobereau avec un tant soit peu de jugeote que le bon roi Karlos. Je m'en voudrai que de pareilles rumeurs tournent autour de votre temple...

-Où? Se fatigua sa compagne, se lassant vite de ses joutes verbales. Votre roi désire le savoir. Où sont cachés tous les éléments?

Le Prieur Rouge restait prostré, ses tempes et ses mains s'activaient sans cesse, ses yeux même paraissaient ne plus lui appartenir. Talia se recula quelque peu devant ces convulsions physiques qui intriguaient Lucina au plus au point. Lorsqu'elle aperçut ses iris, ils étaient d'un violet éclatant. La princesse eut un mouvement de peur avant de conserver les apparences. L'homme partit d'un rire tonitruant, qui aurait su provoquer l'effondrement de la bâtisse. Cette fois, Talia tira son épée au clair, grand bien le fasse au dieu. L'arc de Lucina s'apprêta à sortir de son veston où trônait le griffon.

-Il y en a un ici, jeune fille, ricanait-il d'une voix sortie des profondeurs de la terre. Un splendide bâton, aux pouvoirs extraordinaires, qui à lui seul détruirait une nation. Le quatrième élément se trouve au Royaume de la Nuit. Tu ne le trouveras jamais, Lucina Dernaz.

Il s'approchait vers elle, chaque pas plus proche, plus oppressant, plus terrifiant. Une sueur froide dégoulina dans son dos, à la vue de l'aura bleutée qui se dégageait de cet être infernal.

-Tu le perdras toi aussi, s'écriait-il. La Iantre estas corthias a été réveillée, il n'y a rien que tu puisses faire. Je détruirai ton règne. Jeune fille, je causerai ta mort.

Avant que Talia n'ait pu agir, une flèche se ficha dans l'abdomen du Prieur Rouge. Rien ne s'écoula de la plaie, juste de la fumée, bientôt il ne resta de l'homme que les vêtements entassés sur le sol sec. Lucina peinait à inspirer l'air étouffant, arc tendu, les yeux violacés s'étaient incrustés dans sa mémoire comme l'encre dans le papier.

-Nous ne dirons rien de ce qui s'est passé ici, répéta-t-elle hébétée à sa compagne armée, prise au dépourvu. Rien, rien du tout.

Lorsqu'elle fut seule, dans le donjon royal, elle avala coup sur coup les bouteilles de vin. Les murs se refermaient sur elle, comme l'emprise que le roi exerçait sur son esprit. Pour oublier, ses yeux violets, les faire disparaître pour toujours. Pour oublier la haine que son père avait éveillé en elle et qui la rongerait. Jour après jour, minute après minute, elle sombrait doucement dans les nappes d'alcool et ce jusqu'à ce qu'elle parvienne à estomper les pupilles colorées.



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