Chapitre 3: La rose du crépuscule.

La corde se tendit, le bois craqua. La cible était devant lui. Tête plongée dans le ruisseau, à demi cachée par les frondaisons. Sa peau ambrée remuait à chaque gorgée, elle déglutit. Isenldris ne la lâchait plus des yeux, il la traquait depuis deux jours. Elle esquivait toujours la flèche fatale. S'enfuir, l'un de ses instincts primaires. Inattentive, elle ne prenait pas garde à camoufler ses pas. La poursuivre était comme un devoir pour lui, un lien le reliait à elle, un lien plus puissant que l'amour... Bien que l'arme soit ensorcelé dans le but d'atteindre sa cible, il la ratait chaque fois.

La forêt sentait bon en ce beau jour d'été. Les boutons de fleurs écloraient de toutes parts et se paraient de leurs plus jolies couleurs, l'automne était une brise printanière. Un bruissement retentit dans les buissons. Le chasseur se retourna, sur le qui-vive. Tous ses sens en ébullition, il renifla l'air. Un parfum d'elfe masqué par les odeurs des sous-bois. La biche qui se repaissait d'eau fraîche dans la clairière releva son crâne ruisselant. En apercevant Isenldris, et l'arme, elle s'échappa. Isenldris guetta le moindre mouvement, dépité.

Il allait faire passer un sale quart d'heure à celui ou celle qui l'avait empêché d'en finir avec la bête. Une petite fille émergea derrière un arbre, furieuse, sa sœur. Un magnifique brin de femme, toute de vert vêtue. Le soleil se réfléchissait dans ses yeux azurs. Elle secoua sa crinière blonde qui lui descendait jusqu'à la taille, illuminant les alentours de rayons de lumière étincelants. Elle croisa ses bras blancs.

-Isenldris, Isenldris... se mit-elle à le réprimander, hautaine. Tu dois venir. Tout le monde te cherche. Mère est folle d'inquiétude. Tu pourrais faire un effort, c'est le jour de notre anniversaire, quinze ans et toujours aussi irresponsable... Tu aurais au moins pu te changer, tu es un elfe mûr à présent...

Camallia frotta son visage, ses paumes replètes lui astiquant le nez. Isenldris se dégagea doucement. Puis elle vit l'arc à la main de son frère.

-Que faisais tu ? Ne me dis pas que... tonna-t-elle horrifiée. Tu sais qu'on a pas le droit de chasser ici !

-C'est le seul loisir que j'ai, ronchonna-t-il, mesquin. Camallia, ce n'est pas bien grave, il n'y que toi qui le sait.

Elle le gifla violemment. Elle devint rouge écarlate. Que lui prend elle tout à coup ?

-Tu ne comprends vraiment rien à rien. Maintenant, tu me suis. Voyant l'elfe qui ne bougeait pas, elle cria encore plus fort. C'est un ordre !

Il ne répliquait sous aucun prétexte, il ne ferait jamais de mal à sa sœur. Elle comptait trop pour lui. A part quand elle était dans cet état de pression extrême, elle était la seule à le comprendre. Puis il l'avait cherchée, elle tenait beaucoup aux règles que leur avait donné leurs hôtes.

Les oiseaux s'envolèrent alors en criant dans le ciel. Isenldris perçut des bruits de pas, quelqu'un traînait dans les environs. Une brise lui glaça le dos. Les poils se hérissèrent le long de ses bras. Une longue ombre venait de passer. Qui sait ce que l'on peut trouver dans les Bois Sauvages. On les épiait. Une aura malsaine, de mauvaises attentions se promenaient dans l'air.

-Calme toi, sœurette, susurra-t-il. Allons y. Tout va bien se passer.

On aurait pu les confondre tellement ils se ressemblaient. La carrure, la coiffure; tresses pour l'un et cheveux détachés pour l'autre; la voix à peine les différenciaient. Ils récupèrent le chemin en contrebas. Il faut que je l'éloigne de cette clairière, je dois la protéger.

La biche lança un long appel. Un éclair fusa. Une elfe pâle aux yeux foncés comme un ciel de pluie, se leva et lança un sort dans le silence le plus complet: « Zelius com zelius seriam ». Une marque se dessina sur un tronc d'arbre, l'appel retentit, encore. Un autre animal accourut à la clairière. Lui aussi se métamorphosa en un bel elfe brun, si ce n'était son visage à moitié brûlé. La femme posa une main sur son épaule :

-Tu sais ce qu'il te reste à faire, Rodrick. Il nous faut le prince et la princesse, sains et saufs. Il faut qu'ils nous reviennent tous deux. Veille sur eux, qui sait ce que nous préparent les hommes. Le prince doit ramener ce pour quoi il a été envoyé.

Elle disparut. L'autre s'enfuit, suivant le tracé de la route qui menait droit à la cérémonie d'âge mûr. Il passa devant le frère et la sœur, et les bouscula au passage.

-Vous pourriez vous excusez, savez vous.... Il était déjà trop loin.

-Ce cri, d'où vient-il ? Demanda-t-elle soucieuse.

-Aucune idée. Il se retourna, il ne vit rien.

-Tu sais pourquoi je n'aime pas que tu chasses ? Je connais des elfes qui ont le pouvoir de se transformer en bête à volonté...

-C'est de la magie contraire aux principes de la Nature, la coupa-t-il. Tu ne devrais pas fréquenter ce genre de personne... Ils désobéissent aux lois, ils ne sont plus des nôtres.

-C'est Alphonse qui me les a présenté, ils sont très aimables, continuait-elle sans prêter garde à ce que disait son frère.

Il avait perdu le fil de la conversation, trop occupé à surveiller les alentours, le moindre bourdonnement d'elias volantes provoquait un tremblement. Les rebelles étaient préparés, nombreux et organisés désormais. Ils croisèrent un campement en ruines sur leur chemin, déjà enfoui sous une végétation sauvage et verdoyante. La punition légitime du roi...

Ils marchèrent au moins une heure sur le sentier biscornu. Iseria était une contrée vallonnée, particulièrement lorsqu'on pénétrait les Bois Sauvages, parsemés de ravins. Il était risqué de s'y déplacer sans posséder l'agilité des elfes. Après les derniers mètres qui leur parurent interminables, après un dernier virage alambiqué, ils distinguèrent enfin Fiare suspendu entre de bouillonnantes cascades, le castel de lord Gorguez, le plus fidèle banneret de son père.

Jurn, le roi des elfes lui avait confié la tâche de gouverner le royaume si il advenait qu'il meurt avant que Isenldris ne puisse monter sur le trône. Iseria était toujours restée un pays à part, dans ses anciennes coutumes. Avant la Grande Guerre, le pays était maître de tous les autres. Les temps avaient bien changé. Les elfes du Joyaux Vert, comme on appelait grossièrement leur splendide forêt, ne pouvaient compter que sur eux-même. Ils avaient refusé de prêter allégeance à l'un des trois trônes, malgré les vaines tentatives du Royaume de la Nuit de franchir la muraille du Chêne, arbre ancestrale qui les avait protégé des catapultes, des incendies, infranchissable.

Isenldris repensa à la conversation qu'avait eu son père le roi et Auro Gorguez, la veille, dans la salle du banquet. Il n'avait pu en entendre qu'un bout, Camallia et lui s'amusaient avec les chiens de chasse qui les passionaient. Tout le temps qu'ils avaient passé pour aller du chenil au banquet avait été consacré à une longue conversation sur les licornes. Sa petite sœur croyait en leur existence dur comme fer et elle avait dit qu'un jour où elle avait croisé Ignir le Sage, il avait prophétisé qu'elle serait sauvée par l'une d'elles. Il avait rétorqué qu'Ignir était un vieil homme, aux yeux aveugles, qui passaient le plus clair de son temps à regarder, si l'on peut dire le vide, le feu et la fumée et à prédire l'avenir.

Quand ils étaient entrés dans le salle, leur mère les avait regardés sévèrement. Elle ne voulait pas qu'ils se promènent seuls dans le castel depuis leur arrivée, deçà un mois. Les deux hommes étaient déjà en train de discuter, droits dans les chaises de chêne.

-Nous avons réussi à détruire un camp, avait dit le lord exténué. Plus persévérants chaque jour... Figurez vous que il y a deux semaines, nous en avons surpris un dans le castel... Je ne sais pas combien de temps il nous faudra pour en venir à bout. La faute de votre sœur ça...

-Laissez les morts en dehors de ça, je vous prie, avait répliqué l'elfe couronné. Rien n'est de sa faute, vous le savez bien. Nous y arriverons, j'en suis certain...Espionnez l'atrum dans ses déplacements à l'étranger... Avez vous appris pour Karlos Armena...

-Oui, oui, soupira Auro. Sombres nouvelles que ceci. Prévisibles...

-Une tragédie, vous rendez vous compte, était intervenue sa mère, qui faisait semblant de lire un livre dont les pages étaient censées se retourner d'elles-même, tout comme Isenldris faisait semblant de jouer avec Camallia. Il y a de quoi avoir peur. Nous ne sommes plus en sécurité nul part. Karlos, tué par ses propres gardes sur la tombe de son fils... J'espère que le castel est protégé comme il se le doit, lord. Je n'ai pas l'intention de pleurer mon mari demain. Au quel cas je vous ferais passer au fil de l'épée... Je veillerai personnellement à la porte principale, personne ne rentrera sans mon invitation.

Ses yeux oblongues s'étaient plissés et se sourcils s'étaient levés. Ses lèvres épaisses et pâles formaient un o.

-Bien sûr, assura le lord, pris au dépourvu. Son front scintillait de sueur et ses pupilles de taupe s'étaient rétractées. Le feu crépita dans la vaste cheminée de plâtre blanc.

La reine fit claquer sa langue, et elle reprit sa lecture, ses cheveux noirs comme le nuit retombant sur les pages.

-Je ne m'attendais pas à ce que cela reprenne si vite, enchaîna le roi. Les hommes n'apprendront donc jamais de leurs erreurs.

-Cela a redonné courage aux rebelles, vous savez cette rumeur sur cette relique...

Sa mère avait relevé la tête de l'ouvrage dans lequel elle était plongée. Elle avait alors demandé à son fils et à sa fille de quitter la pièce, sous prétexte qu'il fallait être frais et avoir bien dormi pour le lendemain, la journée la plus importante de leur vie. Leur cousin orphelin et écuyer d'Isenldris les avait alors amenés à leur chambre. Il leur souhaita bonne nuit et repartit d'un pas traînant. Alphonse, ses deux parents étaient morts dans d'étranges circonstances. Isenldris peinait encore à dompter la multitude de mystères qui étouffaient son futur royaume. Le temps est venu que le père prépare son fils.

-Ce sont qui ces rebelles Isenldris? s'était alors empressée de demander sa sœur.

-Des gens qui s'opposent aux décisions de notre famille. Leur maître revendique le droit au trône.

-Nous sommes les héritiers légitimes, non?

-C'est une très longue histoire, dont je ne sais qu'une partie inutile. Nous le saurons au moment venu.

Elle avait passé le reste de la soirée à bouder, marmonnant qu'elle n'avait que deux ans de moins que lui. Isenldris avait essayé de la réconforter, il ne fit qu'empirer les choses. Qu'il était pressé de quitter ces chambres nues et blanches et ses draps verts, pour ses douillets appartements. Le lendemain, à l'aube, il s'était habillé, avait pris son arc, était sorti sur la pointe des pieds...

Les deux elfes arrivèrent dans la foule des invités venus assister à la célébration de la majorité d'Isenldris. Les tours et les fenêtres qui les surplombaient scintillaient de mille feux, le soleil était déjà très haut dans le ciel. Le castel paraissait encore plus haut qu'à l'ordinaire, avec ses grandes tours étroites décorées aux emblèmes de sa famille entre les brumes d'eau scintillantes. Leurs armoiries, la rose et l'épée, avait été placé au dessus des douves. Ils virent des jongleurs à droite, des chanteurs à gauche, tous des gens venus pour leur bon plaisir. Il reconnut, l'espace d'un instant, l'homme qui les avait dépassés dans la forêt, grand et élancé, une partie de son visage brûlé, un pansement lui entourait le ventre...

Il était rare de voir un elfe blessé, il n'y avait presque jamais eu de guerres en Iseria, sauf lors de la montée des Sandaras et au moment de la Grande Guerre. Même si les rebelles parcouraient le pays, il était très rare qu'on eut à recourir à la violence. Les elfes avaient toujours été un peuple pacifique, délaissant les épées pour les traités. La devise de son pays était: « Genesya, Varga, Ilkerz » . L'ancien langage avait été délaissé par son espèce pour des raisons pratiques, seuls les gens de haut rang tels que lui savaient le parler couramment. Une main se posa sur son épaule, sa mère, Jianna.

-Regarde moi dans quel état tu es, clama-t-elle. Suis moi tout de suite, Alphonse, occupe toi des invités...

Il crut entendre la voix mielleuse de sa sœur, agréable et amère à la fois. Elle le prit par le bras et le conduisit dans un nombre incalculable de couloir. L'héritier se laissait faire. Elle avait toujours était douce et bienveillante avec eux. Il se souvint que quand il était plus jeune, elle l'emmenait souvent se promener dans la forêt, lui racontait les histoires de Bryan le Hardi, celui qui avait défait les Sandara ou encore de Gorgos le Taureau qui avait dompté les dragons et scellé le labyrinthe de Vroengard, au grand désarroi de celui-ci. C'était Jianna qui le soignait, le rassurant et le câlinant. Elle lui avait appris l'ancien langage, la musique, quand ils avaient le temps en dehors de son apprentissage auprès de son père. Ses parents avaient toujours étaient à l'opposé l'un de l'autre...

Sa mère alla lui trouver une tenue adaptée, une longue cotte de maille, sous un magnifique veston de velours bleu, des chausses aux couleurs vertes de la famille Orchenxiar, et des bottes de cuir noir. Elle lui essuya le visage, fit les retouches de dernière minute. Tous ses gestes étaient calmes et posées, exempts de précipitations. Elle caressa son visage.

-Mon beau garçon, murmura-t-elle, les larmes pleins les yeux. Tu es un homme à présent. Tourne toi un peu. Je suis si fière d'être votre mère. Rien ne compte plus que toi et Camallia à mes yeux, je n'ai rien réussi d'autre d'aussi extraordinaire que vous. Allez maintenant viens, tout le monde doit t'attendre avec impatience.

Crustor déboula dans la pièce. A peine avait il aperçu sa mère, il s'était mis à aboyer sauvagement, retroussant les babines. Son chien de garde, offert par le lord pour sa majorité. Camillia avait eu le second de la portée, Hustor. Ils étaient à peine âgés d'un an qu'ils avaient tout de l'espèce des coreilster, et surtout une loyauté indéfectible...

-Je pensais que ça lui ferait plaisir de sortir un peu. Sa mère sortit en trombe.

Elle avait une peur absolue des canidés. Crustor était suffisamment pour impressionner les inconnus. Le chien était d'un gris clair, avec d'immenses saphirs d'yeux. Sa queue remuait dans tous les sens, ses fines pattes ne s'arrêtaient plus de tourner en faisant des ronds. Des cris retentirent dans un escalier proche, qui résonnèrent partout...

-Tu n'imagines même pas ce que tu viens de faire, Jurn, hurlait sa mère secouée de sanglots. Tu veux sa mort, c'est ça? L'envoyer là-bas par les temps qui courent pour faire ton sale travail. Espèce de lâche...

On l'entendit descendre à toute vitesse. Crustor avait les oreilles dressées, son museau noir reniflait en direction de la porte d'ébène vernis.

-C'est le seul moyen et tu le sais, la voix de son père se perdit dans le murmure de la forêt au dehors.

Son fils l'entendit finir son ascension et se déplaçait tout droit vers la porte... Le vantaux s'ouvrit à la volée et son paternel surgit dans l'embrasure, ses cheveux blancs en touffe, sa robe verte sur son corps maigre tachée... Le chien se coucha tranquille à l'opposé de la pièce.

-Viens dans mes bras, mon fils, dit son père d'une voix rauque, ses yeux verts pétillant de bonheur.

Il s'y plongea tête la première. Son père lui dit à l'oreille qu'il fallait qui lui parle.

Isenldris s'assit sur un divan à proximité.

-Tu sais que tu es mûr à présent, il est temps que tu apprennes certaines choses qui vont changer ta vision du monde. Ne m'en veux surtout pas pour ne pas t'avoir révéler ça plutôt, si je l'avais pu je l'aurais fait mais... Maintenant que tu es un adulte, il faut que tu apprennes certaines faces de notre société elfique...

Il y a longtemps, quand les hommes ont débarqué, le monde ne ressemblait pas à celui-ci. Non, il était sauvage, resplendissant. A cette époque, certains elfes ont pensé bon de prévenir les humains de la menace qu'ils encouraient s'ils s'approchaient un peu trop près de nos frontières.

Or cette menace, ce pouvoir que les hommes ont redouté pendant des siècles était un immense secret. C'est un secret qui peut changer le monde. Seuls les elfes Ulk, les elfes violets, en avaient connaissance. Le devin qui résidait à la tour de l'Aigle à ce moment fut pris d'une telle colère qu'il bannit tous les Ulk; femmes, enfants, tous.

Isenldris ouvrit grand la bouche, stupéfait. Être banni était et resterait toujours la pire sanction. On n'acceptait plus la personne nulle part dans le pays. Certains avaient essayé, les portes s'étaient refermés à leur nez. Ils étaient délaissés. La Nature leur tournait le dos. L'eau s'enfuyait, les vivres disparaissaient. Personne n'y avait réchappé avant les elfes bannis.

-Vous m'aviez dit que c'était les hommes qui avaient tué les Ulk, s'indigna le prince. Et qu'est ce que ce secret...

-Tout vient à point à qui sait attendre jeune homme. La plus grande partie de la population d'Iseria ignore la véritable raison de la disparition des elfes violets, beaucoup ne savent rien de leur existence. A la naissance du monde, la Nature créa les quatre éléments, leur gardien les Ulk, et les elfes.

-Si c'est pour me réciter mon livre de prière...

-Silence. Il y a un détail que tu ignores, un détail qui en un sens explique tout...

La Nature créa aussi le Sortilège de la Nuit éternelle...

-Le sortilège de la quoi... demanda Isenldris, dubitatif.

-Je croyais t'avoir dit de te taire, répliqua son père, exaspéré. Le Sortilège de la Nuit éternelle est un livre, il ne vaut mieux pas en parler à des gens mal intentionnés.

Il consiste à réunir, pour abréger, les quatre éléments au seuil de la mort et de prononcer un nombre incalculable de formules. Une fois que le livre sera fermé, le monde plongera dans les ténèbres, les plus profondes qu'il soit et toutes formes de vie disparaîtra sur Ergantos. Ce n'est pas à prendre à la légère fils, il existe réellement. Alors il y a trois siècles, quand les hommes sont arrivés et que les Ulk qui étaient censés protéger le livre ont révélé son existence. La Nature les a punis...

-La Nature, notre dieu? murmura le prince, époustouflé. Je croyais qu'elle était pacifique...

-Elle l'est tant qu'on ne lui arrache pas ce qu'elle aime. Ce livre est un sort à utiliser en dernier recours. Les quatre premiers éléments étaient Kaalhin, Nirvea, Ignir et Dianare. Ils représentent chacun le feu, l'air, la terre et l'eau. Ils sont tous morts et leurs descendants sont trop faibles, ils ne servent à rien... Ils sont juste dotés de pouvoirs supérieurs à la moyenne. Mais les Quatre ont laissé des reliques; un anneau, une pierre, un sceptre et un collier. Les humains ont voulu nous prendre le livre pour « éviter la guerre ». Les Sandara ont échoué et cela a causé leur perte.

Nous avons de nouveau refusé, c'est comme cela qu'il y a cinquante ans, les conflits ont éclaté. Une très longue période... Nous avons échoué, été vaincu sur tous les fronts... Le livre nous a glissés des mains, il est perdu... La famille Ostern qui régnait alors sur les royaumes d'Ergantos a été éradiquée...

-Vous vous êtes battus pour un bouquin, un misérable bouquin dont personne n'a jamais réussi à se servir... Isenldris cracha. Vous m'aviez dit que l'humanité était la seule responsable de ce désastre, vous me les avez fait haïr toutes ses années sans raison. Vous vouliez que je vous venge? Vous ne valez pas mieux que les hommes. Vous êtes prêt à tout pour conserver votre peur sur les autres. Car c'est ça qu'il représente ce foutu amas de feuille, c'est ça qui a coûté la vie à ma tante, ce qui a coûté la vie à tous les Ostern. Et les rebelles, eux, ils ont peut-être raison...

-Je t'interdis de me parler sur ce ton, enfant, s'écria son père, furibond. Ses yeux se révulsaient, il frappa un grand coup sur la table. Tu aurais fait quoi toi, tu leur aurais offert. Ce n'est pas un simple bouquin, cette chose peut détruire ce monde. Les hommes nous ont rabaissés à un niveau indigne. Retiens bien cette phrase Isenldris: « L'homme a détrôné la Nature, alors elle causera leur perte et les réduira en cendres. » Les rebelles ne sont pas du tout les pions du Trône des Trois, ceci est la raison officielle.

Ce sont des elfes qui pensent que le plus grand bien qui pourrait nous arriver serait d'oublier le Livre de le Nuit Éternelle, et de passer à autre chose. Mais nous nous devons de protéger le Sortilège, tu n'imagines même pas... Tu ne peux pas comprendre ce qui se déroule en Iseria, la façon dont cela pourrait renverser la tendance. Tu ne peux rien comprendre de ce qui s'est passé il y a cinq décennies, tu n'as que quinze ans. Il est de notre devoir de le garder, ainsi l'équilibre sera rétabli. Sans lui, la magie déserte ces terres, les arbres dépérissent, nous sommes impuissants.

-Et toi, tu en as quarante et pourtant tu m'as menti, hurla Isenldris encore plus fort Tu as le droit de faire ça, à tes enfants? C'est comme ça qu'ils sont morts les parents d'Alphonse, en essayant de le récupérer, ce prodige de livre de la Nature?

Il se leva, hors de lui. Cela faisait un moment maintenant que les disputes arrivaient fréquemment. Jurn ne lui avouait toujours tout qu'à demi mots, et ne prenait pas très à cœur son rôle de père.

-Je m'en doutais. Tu n'étais jamais clair avec moi, tu ignorais mes questions. J'avais le droit de savoir comment sont morts ceux de ma famille. Tu les déshonores...

Il tenta de s'échapper mais son père le plaqua contre le mur. Il avait déjà tellement de ride. Son visage était écarlate, il respirait comme un taureau furieux.

-Non, tu ne vas pas bouger, gronda-t-il. La Grande Guerre ne s'est jamais réellement terminée, il y a eu les conflits de Vroengard, la Révolution de l'Hiver Sombre, l'assassinat de Karlo. Les Hommes aiguisent les épées, préparent des armées, s'apprêtent à nous anéantir pour toujours. Je vais t'expliquer ce que toi tu vas devenir, peu importe ce que tu en penses. J'ai reçu une invitation de la part du Trône des Trois pour te convier au Tournoi de la Nuit. Tu vas y aller. Tu vas y aller et voilà ce que tu vas faire...

Isenldris rejoignit sa petite sœur plus tard, déboussolé, aux bords des larmes.

-Ça va? Demanda Camallia, troublée par son comportement si peu jovial.

Il s'approcha d'elle et la serra dans ses bras, avec tout l'amour qu'il pouvait ressentir à son égard, qu'il pouvait encore lui offrir.

-Je suis désolé de ne pas être heureux le jour de tes treize ans, ma douce, sanglota-t-il, sincèrement désolé.

Elle essuya les larmes de son frère avec un pan de sa splendide robe violette. Elle lui allait à merveille, dessinant en dessous le corps d'une femme naissante. Des fleurs avaient été déposé dans ses cheveux qui embaumaient la rose fraîchement cueillie.

Ils étaient dans le grand escalier de marbre qui donnait sur la salle du banquet. Ils descendirent délicatement les dernières marches. Au-bas se dressaient fièrement deux sculptures représentant la Nature , nue et sage, entourée de lierre. Leur mère les attendait patiemment, vêtue d'un grand vêtement de lin blanc, qui rehaussait le ton de son teint clair et la couleur de ses cheveux. Ils parurent enfin sur l'estrade, surplombant la salle, où tous les invités se levèrent et les acclamèrent. Cet immense rectangle n'était qu'un gigantesque exemplaire de toutes les pièces du castel. Les murs blancs recouverts de tapisseries où s'étalaient toutes les nuances du vert étaient hauts et d'une épaisseur prodigieuse. La salle du banquet était éclairée par les fenêtres ovales et les rosasses. Le sol resplendissait de couleurs. Des portes sur les côtés menaient tout droit à de grands bains d'eau de source et à un jardin caché aux milles saveurs. En son sain , l'on pouvait se pencher sous le plus vieil arbre du monde, un chêne millénaire. Si seulement il pouvait parler, il en aurait des choses à raconter. Des dizaines de garde faisaient la ronde, leur pique relevée.

Deux trônes surplombaient l'assistance, ainsi qu'une autre statue d'Elle, à genoux, les mains levées vers le ciel, le visage rayonnant, deux émeraudes en guise de pupilles. Même les dieux sont vulnérables aux caprices du ciel. Celle-ci avait été peinte, ce qui donnait l'impression qu'elle était là, réelle, parmi eux. On l'avait sortie du Reliquaire pour l'occasion, les symboles des quatre éléments gravées dans ses paumes...

Une table, pleine à craquer de mets plus succulents les uns que les autres les attendaient ainsi que leur père. Au pied de l'estrade de chêne, quatre tables étaient réparties en cercle, pour pouvoir accueillir les artistes venus pour l'occasion. Les cinq piliers qui soutenaient l'ogive du plafond avaient été décorés avec des végétaux de toutes sortes. Une véritable forêt vierge se profilait sous eux...

Peu de visages étaient familiers à Isenldris. Ce qui ne les empêchaient pas de sourire comme si l'on venait de les proclamait roi d'Ergantos. Combien d'eux seulement connaissent la vérité. Il embrassa de gracieuses elfes, autant qu'il serra la main d' elfes carrés, des ambassadeurs pâles, des commandants déjà bien remplis de nectar de raisins, de courtisanes gonflant la poitrine. Le tour des invités lui prit une heure. Que va être la cérémonie des offrandes...

Sa mère le suivait de près, le surveillant attentivement, tout en poussant des « Que vous avez bonne mine... » ou des « Depuis combien de temps ne s'est on pas vu, il faudra que vous veniez plus souvent... ». Il regagna la chaise qui lui était destinée, essoufflé mais ravi d'en être sorti sans encombre. Un grand prêtre s'avança alors, tenant dans sa main la Rose de crépuscule, le sceptre suprême conservait en ce haut lieu. Il était vêtu d'un unique pagne qui partait de son épaule pour atterrir sous ses genoux. Sa sœur et lui s'agenouillèrent devant lui et devant les yeux de la Nature et de l'assistance, Camallia fut honorée par un charabia incompréhensible de prières...

-Que la Nature te soit favorable, qu'elle écarte les ennuis de ton chemin, qu'elle te guide dans l'obscurité...

Il enfonça le sceptre dans la bouche de la statue et en ressortit une magnifique rose rouge, au bout de celle taillée sur le bâton. Camallia se piqua et la remit en place, comme le voulait la tradition. Les gens applaudirent.

Le vieil elfe à la peau jaunâtre se tourna vers Isenldris, il récita de nouveau son baratin. Puis il leva vers lui ses yeux brillants:

-Isenldris de la dynastie des Orchenxiar, promettez vous, du haut de votre majorité, de conserver le trône et d'assurer la succession de votre père? grinça l'elfe de foi.

-Oui je le promets, répondit-il humblement.

-Promettez vous de lui être jusqu'à sa mort son plus fidèle et loyal chevalier et lord?

-Oui je le promets. Il sentit le rouge lui monter aux joues.

-Promettez vous de protéger le royaume, malgré le risque d'y perdre votre vie?

Il lança un regard glacé à son père, celui ci hocha la tête en faisant semblant de ne pas comprendre. Le silence se fit... Toute la cour attendait, fébrile, la réponse cruciale de l'héritier.

-Oui je le promets.

Il dut encore promettre la chasteté avant le mariage, le devoir d'honneur et bien d'autres choses qu'on avait inventé pour faire durer ce genre de cérémonie. Il se piqua comme sa sœur.

-Isenldris je vous nomme dorénavant, devant les dieux et les elfes, majeur et unique héritier du trône d'Iseria. Les dieux vous accordent leur bénédiction, leur miséricorde et leur pardon pour toutes les erreurs qu'il vous arrivera de comettre. Vous possédez désormais le droit de déclarer la guerre, juger et condamner à mort. Le sang de la Nature coule en vous. Relevez vous.

Des clappements de main fusèrent, la fête commença dans la bonne humeur.

-Que c'est pompeux tout ce blabla. Inutile, râla Isenldris, s'adressant à Camallia.

-Tu sais bien que c'est nécessaire, le reprit sa mère, assise à sa droite. Qui te ferait confiance autrement, on ne prête pas allégeance à des impies. Je me souviens, à mon époque, le prêtre royal bégayait. J'étais restée plantée là trois heure...

-Je n'aurais pas supporté, ajouta Isenldris, tout en faisant signe à Alphonse de lui resservir une coupe de vin. Si il savait comment ses parents ont fini et pour quelles raisons.

La boisson était exquise, elle glissait agréablement sur le palais, y plaçant un goût d'alcool doux et de fruits. Puis s'ajoutait un arrière goût musquer...

Un elfe d'une grande envergure s'approcha de lui.

-Excellent, n'est ce pas, le salua son oncle... Il vient tout droit de Menrea. Je l'ai amené exprès pour toi.

C'était Ergos, son oncle, l'Argentier. Depuis son arrivée, on ramassait l'argent à la pelle, comme on cueillait des tulipes. Malheureusement, cela n'avait pas suffi à arrêter la rébellion.

-Oh, je suis si content de vous voir. Venez vous joindre à nous, il y a de la place. On s' ennuie mortellement.

Devant le regard furieux de son père, Ergos ricana:

-Voyons Jurn, ta canaille de fils ne faisait qu'une blague. Pas vrai, Senldris. Bien sûr que je vais rester avec toi.

-Arrête de m'appeler ainsi, je n'ai plus cinq ans, je suis protecteur du royaume désormais...

-Ah oui, tu es un homme à présent, avec les attributs qui vont et tout... Je te provoque en duel pour la peine. Je vais enfin voir de quoi tu es capable avec une arme... Il lui adressa un clin d'œil coquin.

-Quand tu veux... Isenldris ne se souciait même pas de ne pas avoir d'épée.

-Isenldris, non, avait rugi son père.

Trop tard, l'oncle et le neveu étaient déjà au centre de la salle, Ergos avait dégainé son épée. Il en sortit une seconde. Elle était magnifique.

-Joyeux anniversaire Senldris. Je l'ai commandé spécialement pour toi. Un petit bijou de fer rouge. Ne l'agite pas trop, elle pourrait s'enflammer.

Un wouah traversa la foule ébahie et tous les yeux se braquèrent sur le prince. Le fer rouge était une matière que l'on ne puisait qu'en Vroengard, la terre des dragons. On disait aussi l'acier du feu fou. Trois émeraudes étaient incrustées dans le pommeaux et la poignée était adaptée au millimètre près à la paume de l'elfe. Elle était légère, de l'air entre ses doigts. Il fit mine de transpercer un ennemi puis la fit virevolter derrière son dos, pour la rattraper dans son autre main, pour le plus grand plaisir du public. Elle était un prolongement de son corps.

Il n'eut pas le temps de l'admirer plus longtemps, celui qui lui avait offert fonçait. Il tenta une attaque frontale, Isenldris para. Puis ce fut un cercle lumineux et virevoltant d'éclair de fer, de parades et de bottes en tout genre. Isenldris retira sa veste, faisant scintiller les mailles des myriades des vitraux. Le plus vieux avait l'avantage de l'expérience mais rien ne touchait le plus jeune. Il était trop agile. Plusieurs fois il passa entre les jambes d'Ergos. Le prince bondissait, esquivait, frappait, reculait. Le combat dura près d'un quart d'heure sans qu'aucun des deux ne ralentit le rythme. Isenldris arriva alors à le coincer contre un pilier à le retourner. Ergos, à son grand étonnement, se retrouva avec du fer rouge chauffé sous le cou.

-Tu es un homme à présent, Senldris, un vrai. Tu sais bien manier l'épée. Mais te méprends pas, je ne te servirai pas du Votre Majesté à toutes les sauces. Que le banquet commence.

Ils se mirent à manger comme des géants. Ils s'empiffrèrent des saucisses délicieuses, des gigots d'agneau exquis et de succulents morceaux de sangliers. Tout sur la table était épicé à la perfection. Son oncle lui conta ses aventures de marin, ses négociations victorieuses contre des humains véreux, à quel point cette épée était précieuse du fait qu'il l'avait emporté dans un pari contre le prince de Mercos. Au moment du dessert, les artistes arrivèrent. Ils eurent droit aux plus grands classiques paillards; L'elfe de la colline, une petite fille qui adorait les gros messieurs. La truie du marchand, La colombe et le serpent et bien d'autres. Sa tablée se mit à chanter lorsque l'hymne retentit.

Les sons enivrants des harpes et des tambours lui firent plus d'effets que le vin. Une danseuse vint juste devant lui, dévêtue. Elle portait un masque de pierres précieuses en tout genre. Elle le nargua avec son corps, Isenldris en resta bouche bée, pour le plus grand désarroi de Jurn. Il sentit quelque chose tendre ses chausses. Il y eut aussi, des cracheurs de feu, des dresseurs de loup puis des comédiens qui imitèrent la Grande Guerre et les scènes cocasses du mariage. Ergos, Camallia et lui éclatèrent de rire à de nombreuses reprises, sous les regards interloqués du roi. Ensuite les invités voulurent que l'héritier donne un nom à son nouveau cadeau. Il réfléchit, adressa un sourire à son père, puis annonça:

-J'hésite encore entre Mensonge ou Retorse...

-Retorse serait plus approprié, prince, dit Alphonse qui avait bien ri avec lui tout du long du spectacle. Comme si il savait...

Voir Alphonse sourire avait fait grand bien à lui et à sa sœur, cela faisait longtemps que ce n'était pas arrivé. Il y eut une course de renards et de chevaux, des singes savants... Isenldris s'amusait tellement qu'il ne vit pas le temps passer. Or, il faisait déjà presque nuit. On alluma un grand feu de joie pour réchauffer l'atmosphère on ouvrit toutes les fenêtres, les vents de l'automne se déversèrent. Isenldris aperçut de nouveau l'homme qui les avait bousculés, le matin même. Il disparut dans l'ombre d'un pilier. Il ne put l'observer plus longtemps car Dame Sacla l'accaparait avec ses vieilles paroles séniles:

-Vous savez, j'ai une fille de votre âge. Elle vous irait si bien. Elle est si gentille. Il faudrait que vous la rencontriez un jour... Vous feriez un merveilleux couple...

Chaque fois qu'ils se rencontraient, la dame le priait de bien vouloir épouser sa petite fille, ce dont il avait nullement l'envie.

-Voyons, Sacla, l'interrompit tendrement sa mère. Ce n'est pas le jour de discuter mariage. Profitez des festivités...

Elle l'emmena un peu plus loin. Son père lui avait souvent répété que ce serait un très bon parti. Juste pour cela, ce sera non. Une autre femme à la démarche élégante passa, le visage masqué, lui caressa l'épaule. C'était la gracieuse danseuse, elle avait revêtit un longue cape noire, du métal scintilla sous sa manche :

-Tout va bien se passer, susurra-t-elle, je suis là. Il en resta perplexe, elle disparut. Il essaya de le retrouver sans succès, elle s'était volatilisée. Vraiment jolie.

Il eut de nombreux compliments de toute l'assemblée sur sa beauté. Camallia s'était trouvée des amies avec lesquelles elle observait les jeunes hommes. De temps à autre, elle murmurait quelque chose et toutes les autres pouffaient.

Le premier cadeau arriva très vite, puis un second. On offrit à Isenldris un manuel sur tous les rois d'Iseria serti d'une magnifique reliure d'or. Il eut droit à de nombreuses vestes et chausses de hautes qualités, à un très beau heaume bleu, à une armure intégrale sur laquelle était gravée ses armoiries dans lesquelles on pouvait lire I.O. Sa sœur eut des bijoux et des merveilleuses pierres. Les deux s'avancèrent alors l'un vers l'autre pour se donner leur cadeau. Isenldris lui tendit une dague vert émeraude et un arc en saule pleureur réputé incassable. Il l'avait essayé le matin même sans qu'elle ne se doute de rien. Elle poussa des cris de remerciements et d'extase. Deux elfes pénétrèrent alors l'espace vide, tenant par la bride une majestueuse... licorne noire.

-Pour les héros, baissent l'échine les licornes, dit-on, déclara solennellement sa sœur. Frère, héros de mes jours, acceptes tu cet humble présent pour ton âge mûr?

Elle était d'une beauté sans égale, son pelage noir de jais brillait de mille feux. L'animal légendaire le regarda attentivement avec ses grands yeux jaunes hypnotiques. Sa corne était d'un blanc immaculé. Ses fines pattes se mirent en marche, ses sabots gris claquèrent. Une odeur sauvage et entêtante avait remplie la salle du banquet.

-Tu dois la saluer, sinon elle ne t'acceptera pas, s'amusa sa sœur. Penche toi en avant, encore un peu.

La licorne renifla dans sa direction. Elle ouvrit grand ses ailes aussi sombres que le reste de son corps. Le prince eut un moment de panique en voyant que son envergure faisait trois fois la sienne. Elle me renverserait en un clin d'œil. Et je ne suis pas sur de pouvoir me redresser. Mais à son grand étonnement elle se cabra. Sa sœur poussa de nouveau un cri d'extase. Elle s'approcha de lui.

-Maintenant qu'elle veut bien de ta présence à ses côtés, tu vas t'approcher et lui donner un nom, à mon signal...

Isenldris opéra, le cheval ailé lui accordait toute son attention. Il cligna des yeux une fois, se mit à reculer. Camallia hocha la tête.

-Licorne, si tu l'acceptes, je te nomme Rose du Crépuscule. Tu es digne de ces roses aux saveurs inégales, qui ne fleurissent qu'à la nuit tombante...

Elle hennit et se rapprochât de lui. Sans qu'il s'en aperçoive, il la caressait. Ensuite sous l'insistance de sa sœur, il prononça les serments.

-En tant que ton maître, je jure que jamais je ne te forcerais à voler sans que tu y sois consentante, jamais je ne te ferais de mal. Je ne te négligerais. Je te protégerais jusqu'à la mort.

La tension qui avait envahie les spectateurs se dissipa lorsqu'elle se mit donner des coups de tête amicaux à Isenldris, prenant ses cheveux blonds pour de la paille. Elle essaya de les manger, provoquant l'hilarité générale. Camallia fut alors rejoint par une femme, une humaine de petit gabarit et l'elfe blessé que l'héritier cherchait depuis le matin. Ils étaient accompagné par la femme masquée...

-Pour vous, sérénissime, ce modeste présent.

Ils soulevèrent le voile qui recouvrait le cadeau. Trois robes flottaient dans les airs, une rose pâle, parcourue de lignes d'or pur. Une autre noir, sertie d'ailes recouvertes de plume de corbeau et de filaments d'argent. La dernière, celle du milieu, sertie de perles émeraude, était la parfaite représentation de l'emblème Orchexiar, tissé sur du lin d'une extrême souplesse. Elles étaient entourées d'un aura doré... Même les gardes s'approchèrent, éblouis par ce ravissant spectacle.

-Vous avez détruit un de nos villages, tous ici présents, clama l'elfe aux cicatrices. Le sang appelle le sang. Pour chacun des nôtres que vous tuerez, l'un des vôtres sera enlevé et vous découvrirez sa tête sur un piquet... Elle est la première...

-Camallia, ne t'approche pas d'elles, s'écria sa mère...

Trop tard, la petite les tenait déjà, le visage figé d'effroi. Il y eut une retentissante explosion, le vêtement s'éclaira subitement, tous détournèrent le regard. Quand elle disparut, il ne restait ni Camallia, ni la robe, ni les étranges personnages qui l'apportaient. Isenldris vit l'humaine franchir le seuil de la porte en vitesse, elle s'enfuyait par le jardin suivie de près par Hustor, le chien de sa petite sœur. Isenldris saisit l'arc qui était tombé au sol, et se précipita à leur suite, laissant derrière lui les hurlements de l'assemblée et les hennissements stridents de Rose . Des gardes armés surgirent de toutes parts pour tenter de retrouver les fauteurs de trouble.

Isenldris, quant à lui, courait à travers les fleurs, à leur recherche. Il voyait dans la pénombre des lieux, ce qui n'était pas un moindre avantage. Il les poursuivit durant une vingtaine de minutes, suivant l'empreinte de leurs pas. Un moment il crut les perdre, mais les trois fautifs venaient malencontreusement de tomber dans une petite rivière. Il accéléra et les repéra du côté du chêne millénaire, qui scintillait au centre des saules pleureurs et des pins. Il fusa vers eux, percuta de plein fouet l'elfe qui avait abandonné son masque un peu plus tôt. L'elfe blessé, Rodrick, en profita pour prendre de l'avance, Camallia sous son bras. Hustor aboya. Le rebelle marqua un temps d'arrêt.

Trop tard, le chien de sa chère sœur sortait d'un buisson de houx, lui attrapa le mollet, le renversant. La petite femme qui le suivait de près sortit une dague, le vent siffla dans les frondaisons. Elle la planta dans l'animal qui lâcha un hurlement de douleur. Les deux complices qui avaient tenu le cadeau s'enfuirent. Ils laissèrent le chien inerte derrière eux. Il entendait sa sœur en pleurs se débattre. Je ne peux pas la laisser...

Un coup de poing lui écrasa le nez. L'héritier roula au sol pour se dégager. Mais il se figea un instant devant la splendeur qui se dressait au dessus de lui, dans le clair de lune. Jamais il n'aurait imaginé qu'une humaine, car s'en était une de cette espèce qu'il avait détesté depuis tout ce temps, lui fasse pareil effet. Elle secoua ses boucles brunes. Une lame scintilla au bout de son bras. Retorse... La beauté la lâcha, Isenldris la rattrapa. Il oublia alors son image pour repenser à Camallia qui s'éloignait dans les ténèbres. En un geste, il plaqua la femme contre un tronc. Elle ne se débattit même pas. Des bruits de bottes frottaient sur les feuilles mortes.

-Où l'emmènent-ils? Rugit-il

Elle mit un doigt sur ses lèvres rouges, et l'embrassa. Le prince, à son grand étonnement lui rendit son baiser, puis il se dégagea.

-Où l'emmène-t-on? Dit-il troublé. Répondez moi, où j'alerte les gardes, ils se feront un plaisir de vous torturer, cela fait bien longtemps qu'ils n'ont pas eu une humaine aux cachots. Ne vous inquiétez pas, ils ne feront pas que ça...

-Relâchez moi. Elle s'était rendue compte que son baiser avait ses limites. Au royaume de la Nuit. Nous l'amenons à Lucina Dernaz. C'est elle qui nous a envoyés, les rebelles n'y sont pour rien. Si elle savait que je vous le disais... Je ne vous veux aucun mal...

Il ne contrôlait plus ses mouvements, comme si une flèche l'avait frappé en plein cœur. Il enleva son épée. Ce fut sans doute la plus grande erreur de sa vie. Il avait juré le matin même de protéger le royaume. Il ne pouvait se résigner à la tuer de ses mains. Les étoiles illuminaient la scène, un hibou fondit sur une proie. Elle non plus ne fit rien, rien contre lui. Elle partit à reculons, ne le quitta pas des yeux. Isenldris apprit chaque courbe de son corps. Les traits de son visage étaient si fins.

-Mon nom est Cassandra, vous ne devriez pas rester là, il y a des gardes. S'ils vous voyaient avec moi. Méfiez vous des apparences Senldris, surtout des masques, ils savent tromper.

Vu de l'extérieur, on les aurait cru du même camp. Une fois qu'elle eut quitté son champs de vision, il s'affala au sol.

-Je te retrouverais. Je ne m'arrêterais jamais de te chercher, Cassandra. Et ce jour là, tu sauras que c'est ta fin, tu seras que je serais prêt à tout pour te faire sombrer dans le néant.

Il s'effondra lourdement sous le chêne majestueux. Il avait l'impression que mille épées lui transperçaient le ventre. Il entendit les gardes, mais il lui fut impossible des les appeler. Le chêne émit alors une lumière blanche, une sphère lumineuse l'enveloppa. C'est ainsi que Crustor et les gardes le retrouvèrent, le veston déchiré et l'épée par terre.

On l'avait ramené dans ses appartements. Sa mère, à genoux pleurnichait en lui tenant la main. Son père faisait les cent pas.

-Comment ont-ils pu rentrer? Comment ont-ils pu enlever ma fille sous mon nez? Marmonnait-il.

Celui d'Isenldris saignait abondamment. Il était complètement sonné. Il entendait de nombreuses voix, de nombreuses silhouettes entouraient son lit.

-Il s'est réveillé, Jurn, il s'est réveillé.

Ils se penchèrent tout deux au dessus de lui, la paume de sa mère était chaude, son visage ravagé par les pleurs. Le jeune elfe leur raconta tout ce qui s'était passé, déformant un peu la vérité au sujet de la magnifique et cruelle Cassandra. Son père ne fut en rien surpris d'apprendre que l'enlèvement avait été organisé, au détriment des rebelles nommés responsables, par les Dernaz.

-Je tiendrais un discours pour expliquer au peuple d'Iseria qu'il ne faut en rien mettre en cause la rébellion dans cette affaire. La tentative des Dernaz pour déclencher une guerre civile a échoué...

-Que va-t-on faire maintenant? Couina sa mère.

-Le trône des Trois vient de nous déclarer une guerre ouverte. Les rumeurs étaient fondées, ils possèdent l'une des reliques. Ou du moins ils la cherchent. Bouclez le Reliquaire, seuls les sages pourront y pénétrer. Mestre Carol, envoyez des émissaires à l'Iseria du Nord et à l'Oasis du Soir, faites leur part de notre situation. Personne d'autre ne doit être au courant, ils ne savent pas qu' Isenldris sait. Il faut conserver l'effet de surprise. Trouvez tous les animaux sauvages possibles Georgo et essayez de les pousser à notre cause avant que d'autres ne le fassent. Yjir, vous partez tout de suite pour prévenir Lord Demanber à Yohrsen de ce qui se prépare... Il va falloir agir vite, certains nieront les faits, il faut les arrêter.

L'agitation s'arrêta, les elfes savaient ce qu'ils avaient à faire.

-Père, je suis sûr de moi, déclara Isenldris, coupant court à son monologue. Je vais partir dès le début de la nouvelle lune au Tournoi de la Nuit. Je crois qu'il est temps pour moi de vous quitter...

-Oh Nature. Sa mère s'évanouit.

-Tu prendras la statue pour retourner chez nous avec Ergos. Ton voyage nécessite quelques préparations. Nous attendrons que tu sois revenu, d'ici-là comporte toi en garant de la paix.

Isenldris retrouverait Cassandra, Isenldris retrouverait Camallia. Ensuite, il mettrait un terme à la vie de Lucina Dernaz, princesse et héritière du Trône des Trois. Elle lui avait volé ce qu'il avait de plus cher. Ce pour quoi il se battait, ce pour quoi il survivait, ce pour quoi il existait. Elle avait touché, sans en prendre la responsabilité, à son bien le plus précieux. Il vengerait sa famille et trouverait le sceptre d'Ignir.



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