Incident mortel


Quelque chose frappe contre mon volet. Je lance une vague injure au vent qui agite les branches du sapin planté au pied de la fenêtre. Une minute... il n'y a plus de sapin, puisque nous avons déménagé... j'ouvre les yeux en soupirant et me redresse. Le bruit continue et le volet bouge clairement. Je retire mes écouteurs (comment se fait-il que je les aie alors que j'étais persuadée de m'être endormie sans?) et m'approche de la fenêtre. Le battement continue, toujours aussi léger. J'ouvre lentement le volet. Bien évidemment, il n'y a rien de l'autre côté de la fenêtre. Je retiens un juron et referme le volet en retournant me coucher. Je me rendors presqu'instantanément et ne me réveille que lorsque mon réveil se met à sonner, plusieurs heures plus tard. 

Quand je descends prendre mon petit déjeuner, j'ai déjà oublié l'incident de la nuit. Je me dépêche de me préparer et fonce prendre le bus. J'y entre de justesse et réussis à m'asseoir côté vitre, à une place individuelle. Quand j'arrive au lycée, il y a déjà un monde fou. Je me glisse entre les groupes à la recherche d'un lieu assez calme. Je sais que je suis en avance d'une heure, mais j'ai fait exprès de venir plus tôt. Je me dirige vers le CDI et, après m'être perdue deux fois, je réussis à l'atteindre. Le lieu est aussi calme que la bibliothèque et l'odeur des livres a sur moi l'effet que je cherchais: je me calme aussitôt. Il n'y a encore personne, aussi je me glisse dans un coin de la salle et me dirige vers les étagères, recouvertes de livres en tous genres: des encyclopédies, des romans, journaux ou autres magazines s'entassent, soigneusement triés par ordre et par genre. Je passe devant les manuels scolaires, ouvre un recueil de poèmes que j'ai déjà eu en main pour les cours, glisse mon doigt le long des reliures en cuir des encyclopédies... et tombe sur un livre traitant de phénomènes paranormaux. Intriguée, je le prends. Sur la couverture, un pentagramme doré se déploie fièrement sous un titre écrit avec la même teinte dorée. Chose étrange, il ne porte ni cote, ni couverture plastifiée, et aucun tampon à l'intérieur n'indique qu'il appartient au lycée. Stupéfaite, je l'apporte à la documentaliste, qui semble aussi intriguée que moi. Elle fronce les sourcils et me dit:

- Il ne vient pas du CDI. Ce doit être quelqu'un qui l'a rangé par erreur, ou alors c'est une plaisanterie. Vous devriez l'apporter à la CPE.

Je hoche la tête, puis reprends le livre et retourne dans mon coin, avec l'intention de le rapporter à la CPE quand je sortirai. Mais, quand je le pose sur la table où se trouvent mes affaires, une feuille s'en échappe. Je la ramasse. Elle est couverte de dessins étranges, semblables à des runes. Je fronce les sourcils. Plusieurs couleurs sont utilisées: rouge, noir, violet et bleu foncé. Je remarque également des inscriptions à demi effacées au crayon de bois. Les traits des runes de différentes couleurs se coupent par endroits, des motifs crayonnés remplissent certaines runes, et j'ai même l'impression que certaines petites runes, étrangement alignées, en forment d'autres beaucoup plus grandes. j'hésite à la jeter, mais quand mon regard tombe sur le livre, je me fige: au lieu des habituelles créatures paranormales auxquelles je m'attendais à trouver des références, le livre s'est ouvert à une page parlant de métamorphoses. Intriguée par ce phénomène dont je n'avais jamais entendu parler, je m'assois et commence à lire: 

" Certaines personnes possèdent des pouvoirs de métamorphose, qui peuvent être accentués par des objets magiques. Ces personnes sont capables de prendre l'apparence d'animaux quand bon leur semble. Les premières transformations sont les plus dures: apparaissant vers l'adolescence, quand les pouvoirs, qu'il s'agisse d'initiés à l'art de la magie ou non, commencent à se stabiliser et à s'accroître, elles peuvent survenir n'importe quand et commencent souvent de manière incomplète. Au début, ces transformations sont très douloureuses, car le corps de l'enfant doit apprendre à se modifier pour devenir celui de l'animal, d'autant plus que la plupart des animaux ont une anatomie très éloignée de celle de l'homme. Ces transformations finissent toutefois par se faire complètement, et à partir de cet instant les métamorphes peuvent se transformer à volonté. Il existe cependant un cas particulier: la lycanthropie. En effet, suite à une malédiction remontant maintenant à plusieurs millénaires, les lycanthropes ne contrôlent pas leurs transformations et se transforment lors de la pleine lune. Cependant, contrairement à l'idéologie des non-arcaniens, ils se transforment en loup de taille et d'apparence normale et ne sont agressifs qu'envers les autres métamorphes. "

     S'ensuivent des pages de descriptions sur les différents types de métamorphose, comment gérer les premières transformations et la douleur les accompagnant, la façon d'éviter à un métamorphe de se faire repérer et tuer par des lycanthropes ou des arcaniens ténébreux... La plupart des termes employés dans ce livre me laissent perplexe: celui d'arcaniens en particulier. Je cherche la table des matières du livre et tente de trouver une définition de différents termes, sans succès. Il semble que ce livre soit adressé à des personnes connaissant déjà tous ces détails... 

     Un bruit de conversation me fait relever la tête. Je range soigneusement le livre et les runes en me promettant de lire le tout plus tard et tourne la tête dans la direction de la porte. Un groupe de plusieurs élèves entre et se dirige vers les ordinateurs. Je sors mon cahier de maths et tente de me concentrer, sans succès. Cette histoire de métamorphose et d'arcaniens me tourne en boucle dans le crâne...

Quand la sonnerie retentit, je quitte le CDI et me dirige vers la salle de physique. Heureusement, je trouve vite le labo et réussis à entrer dans la salle avant la plupart des élèves. Je m'assois au fond, près de la fenêtre. Les autres s'installent aux autres tables, me laissant complètement seule, jusqu'à ce que la fille étrange arrive. Heleena, si j'en crois ma mère. Elle vient se planter en face de moi, laissant le groupe totalement silencieux. Elle me regarde de façon insistante, d'un air de dire: "dégage", mais je lui réponds en la regardant fixement dans les yeux:

- Les autres places sont prises. Je ne peux aller nulle part ailleurs. 

Elle me foudroie du regard et s'assoit en face, à l'autre bout de la table. Puis le professeur nous distribue le TP et le silence s'installe quelques minutes dans la classe. Je ne peux m'empêcher de soupirer devant la simplicité du TP : j'en avais déjà fait un semblable dans mon ancien lycée... 

Heleena relève la tête et semble absorbée par son cahier. Elle griffonne des espèces de dessins étranges dans la marge, puis commence à noter les réponses aux questions posées dans le TP. Rapidement, le prof vient nous voir et nous demande de travailler ensemble. Ce mot me répugne : la dernière fois que j'ai fait quelque chose avec quelqu'un, je me suis retrouvée à faire tout le travail toute seule et à devoir partager mes réponses avec la personne qui était avec moi... mais c'est également l'occasion pour moi d'en savoir plus sur cette soi-disant sorcière. Je me glisse sur la chaise d'à côté pour me retrouver en face d'elle et lui demande: 

- Tu as une idée pour la question 3? 

Bien évidemment, j'avais moi-même la réponse. Je voulais juste engager la conversation et tenter d'apprendre quelque chose sur elle. Mais elle lève à peine les yeux de son cahier. Je lui demande donc, dans l'espoir d'avoir une petite réponse :

- Tu sais... je ne mords pas... enfin, si, pour boire du sang, mais... 

Elle relève la tête brusquement. Gagné, le vampirisme a marché ! 

- Tu ne devrais pas plaisanter avec ces choses-là. 

Le silence se fait d'un seul coup. Tout le monde nous regarde, Heleena et moi. Cette dernière me fixe toujours de son dérangeant regard d'un noir d'encre, et elle me dit:

- Ne te prends pas pour ce que tu n'es pas. Tu ne sais pas ce que ça fait d'être un monstre assoiffé de sang. 

Sa voix est d'une douceur inégalable. Aussi fluette que son apparence, plus légère que le son d'une flûte... en fait, on dirait presque un hululement. Plus que ses paroles, ce sont les intonations de sa voix qui me laissent pantoise. Mais d'autres, eux, semblent plus attentifs à ses mots, notamment Kevin qui se lève et s'appuie sur notre table, dressé de façon menaçante au-dessus d'Heleena. 

- C'est ce que tu es, toi? 

Il crache presque le dernier mot. Heleena le fixe si intensément que je me demande comment il fait pour ne pas détaler en courant. À cet instant, elle ressemble plus que jamais à un oiseau de proie à l'affût. Je retiens ma respiration, sentant la tension monter autour d'eux. Même le prof n'intervient pas. 

- T'es un vampire, sorcière? 

La voix de Kevin tremble. Il n'est peut-être pas aussi courageux qu'il en a l'air... il détourne rapidement le regard, mais quand il regagne sa place, il se retourne brusquement vers elle et lui lance:

- Je découvrirai ce que tu caches, démone. Je te le jure. 

Heleena hausse à peine les épaules et baisse les yeux vers son cahier. Elle commence à trier méthodiquement le matériel que nous devrons utiliser pour le TP. Elle ne dit plus un mot jusqu'à la fin du cours. Mais quand nous sortons de la salle pour rentrer, un mec de la classe la retient contre le mur par les épaules: 

- Tu t'en sortiras pas comme ça, démone, lui dit-il. Je vais pas laisser un vampire se balader dans les couloirs. 

Et il hurle de manière à ce que tout le monde l'entende:

- Méfiez-vous de Heleena, c'est un vampire! Elle va tous nous tuer! 

La jeune fille ne relève pas et s'éloigne dans l'escalier. Le mec fait alors la chose la plus stupide que j'aie vue: il la pousse violemment. Heleena vole littéralement jusqu'au bas des marche et atterrit lourdement sur le carrelage. Je cours vers elle et m'agenouille devant elle. Je lance au mec:

- T'es malade, espèce d'idiot? 

Personne ne bouge et le silence est pesant. Heleena a la tête baissée, bras tendus pour se tenir à peu près droite, et du sang macule le sol. Je remarque qu'il goutte de son visage. Elle tremble. Le mec descend et lui donne un violent coup de pied.

- Arrête! je lui lance en me jetant sur lui. 

Il me bloque d'une seule main et me dit:

- Toi, la possédée, tu t'éloignes. 

Il me repousse sans problème loin de lui. Heleena se redresse en tremblant. Cette fois, j'en suis sûre: elle saigne du nez et ce dernier semble cassé. Sa bouche est elle aussi en sang et elle semble avoir mal au bras droit et aux jambes. Elle lance un regard chargé de haine et de colère au mec et lui dit d'un ton si glacial que je sens qu'elle ne plaisante pas:

- Tu vas me le payer. 

Sur ce, elle s'éloigne en boitillant. J'ai le temps de remarquer ses yeux briller... 

     Je la suis en courant. Elle sort du lycée à la même allure que moi, bien qu'elle boîte de manière visible. Je l'appelle. Elle ne se retourne pas. Je la suis jusqu'à un parc magnifique où des saules pleureurs donnent de l'ombre à un petit étang sur lequel une famille de canards se dore au soleil. J'arrive à rejoindre Heleena devant ce dernier. Elle se tourne vers moi brusquement et hurle:

- Fous moi la paix, toi! 

Cette fois, j'en suis sûre: elle pleure, j'en mettrais ma main à couper. Je préfère la laisser tranquille et m'arrête sur place, la laissant partir loin sur le chemin...

                                                                            ★★★★★★★★★★★★★

    Le lendemain matin, quand j'arrive au lycée, un spectacle terrifiant nous attend: les pompiers et la police sont présents et la cour du lycée est fermée par des bandes annonçant une scène de crime. Un attroupement est déjà formé derrière celles-ci. J'essaye de m'approcher, sans succès. Puis soudain la foule s'écarte devant moi et j'aperçois un corps étendu, entouré de plusieurs policiers et pompiers. De toute évidence, la personne est morte. Des murmures proviennent de partout autour de moi:

-... elle qui l'aurait tué...

- ... comme ça quand on est arrivés... 

- ... trop flippant... c'était qui?

- Clarysse ! 

Je me retourne. Léa, une fille de la classe, s'approche en courant et me dit:

- Traîne pas trop par ici,ils vont croire que c'est toi... 

- Quoi ? je fais sans rien comprendre.

- C'est Maxime. Tu sais, celui qui a poussé... la...

- Elle s'appelle Heleena. 

Son regard devient fuyant. 

- C'est elle qui a fait ça, chuchote-t-elle. 

- Fait quoi? je demande d'une voix aigue. 

- Elle l'a tué. Maxime. 


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