Attaque lupine
J'émerge du sommeil en entendant mon groupe préféré entonner une de leurs chansons les plus violentes. Un mal de crâne violent me déchire la tête et me donne l'impression d'avoir du plomb dans le cerveau. J'ouvre les yeux péniblement et remarque la fenêtre ouverte. Je marmonne quelques vagues mots incompréhensibles même pour moi en allant la refermer, puis je descends dans la cuisine chercher une boîte de médicaments. J'en déniche une dans un carton qui traine sur la table et avale un cachet en espérant que mon mal de crâne partira rapidement, puis je me prépare un bol de chocolat chaud et une tartine recouverte de pâte à tartiner que j'avale avant que le chat ne me la pique. Je remonte ensuite m'habiller en vitesse et attrape mes cours pour la journée. Je prends aussi le cahier d'anglais d'Heleena pour faire les photocopies des cours qu'il me manque. En cherchant mon agenda au pied de mon lit, j'ai la vague impression qu'il me manque quelque chose... Mais quoi? Tout est là, pourtant... Mes cours, mon emploi du temps, mes livres... Ah oui: il me faut un sweat un peu plus chaud et trois paquets de mouchoirs... J'ai peur d'avoir attrapé un rhume avec le temps que j'ai passé sous la pluie, hier. Et dormir avec la fenêtre ouverte... Je me gronde intérieurement : il fait déjà froid, pourquoi en rajouter? Enfin, maintenant que c'est fait... J'aurai la crève, tant pis...
Dans le bus, je repense à ma soirée de la veille. Heleena a été sympa... Elle m'a expliqué les cours rapidement et clairement... Il faut que je pense à la remercier. Non pas que je sois nulle en anglais... Je peux me vanter d'être pratiquement bilingue, mais il me fallait quand même des indications sur les vidéos et les textes étudiés, quelques trucs dits en cours qu'Heleena n'a pas notés... Le genre d'indications qui peuvent me permettre de gratter quelques points de plus a l'oral ou de gagner l'estime des profs.
Quand j'arrive au lycée, il y a un énorme rassemblement devant la grille, avec plusieurs voitures de police et un camion de pompiers... J'aperçois aussi les lumières d'une ambulance et... Une camionnette du zoo?
Je m'approche. Lisa me saute dessus dès qu'elle me voit. Elle semble paniquée.
- Clarysse! crie-t-elle d'une voix presque hystérique. C'est... Horrible...
- Quoi? je lui demande, autant en quête d'informations que pour la consoler.
Elle hoquette en me tirant par le bras.
- Théo...
Je me crispe en entendant son nom. Une boule d'angoisse vient se glisser dans ma gorge, se rajoutant à mon mal de tête qui bourdonne toujours.
- Il... Que... Qu'est-ce qu'il a? je bégaye.
- Un loup... Il s'est fait attaquer par un loup! sanglote Lisa. Je l'ai vu... Un énorme loup noir, de la taille d'un poney...
Je plaque ma main sur ma bouche en sentant toute couleur quitter mes joues. Je cours vers l'ambulance en apercevant les pompiers et les médecins autour d'une civière. Lisa tente de me suivre dans la foule en s'accrochant à mon bras. La police nous arrête. Je tente d'apercevoir mon ami en espérant qu'il va bien...
- Là, me souffle Lisa en désignant l'ambulance.
Théo y est assis et semble visiblement sonné. Il a un gros pansement sur le visage et quelques bandes de tissus serrées autour de son bras, sa cuisse et son poignet. Même à cette distance, je distingue des vêtements déchirés et le sang qui macule son t-shirt et qui colle ses cheveux contre son front. Il n'est pas seul: à côté de lui se trouvent deux filles de prépa et une civière voilée d'un drap blanc masque un autre corps, qui pourrait être n'importe qui...
Une main se pose sur mon épaule. Je n'avais pas remarqué la place soudaine autour de moi. Et pour cause: la main appartient à Heleena, qui me regarde de ses yeux noirs et calmes.
- Terrifiant, non? me dit-elle dans un murmure en m'entrainant à l'écart. Le lycée est bouclé pour la journée tant que le loup n'aura pas été retrouvé. Tu ferais mieux de rentrer chez toi, Clarysse.
- C'est elle qui a lâché le loup! crie quelqu'un derrière nous.
Shana. Encore et toujours elle... Elle vient vers nous, furieuse.
- Arrêtez la, c'est elle qui a libéré cette bestiole ! hurle-t-elle à la police.
Heleena la regarde toujours aussi calmement. Un agent vient vers nous.
- Vous l'avez vue faire, mademoiselle ?
Shana semble perplexe.
- Heu... Non, mais...
- Elle vous l'a dit? reprend le policier.
- Non plus... Mais c'est une sorcière ! Elle est capable d'attirer les créatures les plus effrayantes à distance !
L'agent lève les yeux au ciel.
- Écoutez, dit-il à Shana, nous ne sommes pas là pour entendre parler de magie et autres imbécilités. Si vous n'avez pas de preuves matérielles de son implication dans cette affaire, nous ne pouvons pas vous croire. Et pour votre gouverne, la sorcellerie n'existe pas.
- Mais... bafouille Shana.
Le policier est déjà reparti s'occuper des blessés. Des chiens aboient, signe qu'ils ont trouvé quelque chose... La piste du loup, probablement.
Je cherche Heleena du regard. Elle a disparu, mais Lisa a pris sa place. Elle me demande d'une voix tremblotante:
- Elle... Elle te voulait quoi?
- Me dire qu'on n'a pas cours de la journée, je réponds. Ou en tout cas, pas tant que le loup n'aura pas été retrouvé.
L'ambulance s'éloigne, sirènes hurlantes. Je la regarde disparaître vers l'hôpital, avec à son bord les blessés et le mort...
- Tu fais quelque chose cet après-midi ? je demande à Lisa.
Elle cligne de yeux, étonnée par ma question.
- Non... Pourquoi?
- Tu pourrais me montrer où se trouve l'hôpital ?
- Bien sûr... Tu ne veux pas attendre que Théo soit sorti? Je ne pense pas qu'il en ait pour des jours...
- S'il te plaît, Lisa... je lui demande.
- Si tu veux... finit elle par craquer. Tu vas faire quoi en attendant?
Je réfléchis quelques secondes, puis hausse les épaules.
- Rentrer chez moi...
★★★★★★★★★★★★★
L'après-midi, je rejoins Lisa devant la bibliothèque. Elle m'entraîne dans un bus, qui gagne le centre ville, puis nous fait changer de ligne pour repartir dans un autre quartier. Au bout d'une demi heure, nous atteignons un immense bâtiment blanc.
- Voilà l'hôpital, me dit Lisa en sortant du bus. Par contre, je ne reste pas longtemps... Vu que nous n'avons pas cours, je vais voir mes grands parents.
- Merci, je lui répond avec un sourire. C'est quoi le nom de Théo?
- Ravenfly, me répond Lisa.
- Merci!
J'entre dans le bâtiment. L'odeur me prend à la gorge dès que je franchis la porte. Je me dirige vers l'accueil et demande la chambre de Théo. La secrétaire me regarde d'un air bizarre avant de me répondre.
- Chambre 411, me dit-elle. Quatrième étage, à droite de l'ascenseur.
- Merci, je réponds avant de me diriger vers ce dernier.
Il n'y a personne dans la cabine quand j'y entre, mais quand je la quitte au quatrième, un nombre incroyable de personnes entrent. Je me dirige vers la chambre et frappe doucement à la porte. Une voix me demande d'entrer.
Assis sur un lit blanc sommaire, Théo semble s'ennuyer ferme. Son visage s'illumine en me voyant entrer.
- Clarysse! me dit-il, ravi. T'es pas en cours?
- Le lycée est fermé tant qu'ils n'ont pas retrouvé le loup, je réponds.
Son visage se referme aussitôt.
- Ils ne risquent pas de le trouver, grommelle-t-il. Assieds toi! me propose-t-il ensuite en désignant une chaise toute simple à côté du lit. Je n'ai pas le droit de me lever pour le moment... J'attends les résultats des analyses, radios et IRM que j'ai dû faire...
- T'as pas l'air en trop mauvais état, pourtant...
- J'ai échappé au pire, rit-il en faisant la grimace. Mais cette bestiole a failli m'arracher un poumon et il m'a déchiré le mollet... Je me suis cogné en tombant, rien de grave, poursuit-il en tapotant le bandage à son front. Et il m'a presque broyé le bras sous son poids.
- Lisa m'a dit qu'il faisait la taille d'un poney...
Théo éclate de rire.
- Elle exagère un peu! Mais ouais, il était gros... Comme un très très gros chien... Genre terre neuve, mais avec dix bons centimètres de plus... Et des crocs de vélociraptor... tu veux voir?
Il remonte sa manche et retire un bandage. Une horrible marque de crocs apparaît en dessous. Des points noirs commencent à danser devant mes yeux.
- Désolé, s'excuse Théo en captant mon malaise. Je pensais pas que tu t'étais déjà fait mordre par un chien.
Je le regarde, surprise.
- Comment tu sais?! je m'exclame en repensant au berger allemand du voisin de mes grands parents qui s'était jeté sur moi quand j'avais cinq ans.
- Ça se voit à ton regard. Je t'ai dit que je devine tout sur ton visage!
- Y à d'autres trucs que tu peux voir juste comme ça ? je lui demande par curiosité.
Il me fixe quelques secondes, un sourire aux lèvres.
- Tu es... Timide, commence-t-il, mais pas avec les gens que tu connais bien. Tu es très méfiante, aussi. Ça se voit à ton regard. Mais quand tu veux quelque chose, tu es prête à tout pour l'obtenir...
Il plonge son regard dans le mien. Je ne vois rien d'autre que ses prunelles sombres...
- Qu'est-ce que tu veux? me demande-t-il doucement.
De près, ses iris sont incroyables... Aussi noirs que l'encre, ils sont piquetés de minuscules points dorés qui dansent dans ses yeux avec la lumière... J'ai l'impression d'être hypnotisée par ces points colorés perdus dans ses yeux comme des étoiles dans le ciel nocturne...
- Clarysse... reprend-il avec la même douceur dans sa voix. Que recherches-tu?
Je repense aux meurtres de ces derniers jours, aux attaques étranges, au mort vivant et à Heleena... La force violente de Kevin, les secrets que la ville semble cacher... Lentement, mon mal de crâne disparaît à mesure que mes souvenirs de la veille reviennent. Le livre, les étranges révélations d'Heleena... Ma question se forme dans mon esprit. Je n'ai pas besoin de la formuler pour que Théo comprenne.
- Nous ne pouvons pas t'en dire beaucoup, Clarysse. Tu nous mettrais tous indirectement en danger... Mais le fait que Maxime ait cherché à te retrouver montre que tu es toi aussi liée à notre monde. Heleena cache quelque chose et Kevin aussi, tu as raison. Je ne peux pas t'en dire plus parce que je n'en sais tout simplement pas plus que toi... Mais ne t'inquiète pas. Tant que tu ignoreras tout de la magie, tu ne craindras rien... Ne cherche pas de réponses à ces questions. Contente toi d'oublier tout ça...
Quelqu'un frappe à la porte. Les étoiles dans les yeux de Théo disparaissent aussi brutalement qu'elles sont apparues dans mon champ de vision et il reprend sur le ton de la plaisanterie :
- En tous cas, je lui ai laissé un cadeau, à ce loup... Une marque de canif profonde dans la patte avant droite. Je crois que je lui ai déchiré tout le haut de la patte...
Les médecins entrent et me demandent de sortir pour qu'ils puissent poser de nouveaux bandages à Théo. Ce dernier me retient encore deux secondes par le bras et me murmure juste avant que je sorte:
- Il avait un oeil crevé: sa paupière gauche était à moitié fermée et des traces de griffes lui barraient la moitié de la tête, du haut du crâne au museau...
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