25. Nostalgie.

- Qu'est-ce que tu fais seule ici ? Je me demandais où tu étais passée.

La voix de Kalidas me ramena dans le présent, loin de toutes les questions et les plans qui tournaient dans ma tête. Je haussai les épaules alors que le Rôdeur s'asseyait sur les marches d'escalier à côté de moi.

- Tu vas bien ?

- Je réfléchissais, c'est tout, le rassurai-je.

- Tes pensées devaient être particulièrement intenses vu ta tête.

Je sentis mon corps se tendre.

- Je pensais à tout ce qui venait de se passer, à Minos, à Hell, à Ange, à toi et à ce qu'on allait bien devenir.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Plus j'y pense et plus je me dis que Minos ne peut pas avoir disparu, cela serait trop facile, et rien n'a jamais été simple jusqu'ici. Minos nous attaque, Hell qui n'ose jamais utiliser son pouvoir du néant le laisse sortir sans le vouloir et hop, on est débarrassé de Minos ? Ce serait bien trop beau et je ne veux pas m'appuyer sur cette éventualité et sous-estimé la confrontation avec les Darknils.

Kalidas lâcha un bref soupir.

- Je ne sais pas quoi penser par rapport à Minos, mais je ne pense pas qu'on puisse dire que sa disparition était facile. Inattendue, oui, mais pas facile.

- Désolée, ce n'est pas cela que je voulais dire... Je sais qu'on a perdu Ange, et toi tes pouvoirs, et qu'on a manqué tous y laisser la vie, mais ce que je veux dire c'est que ce n'était pas comme cela que cela devait se produire. On s'était tous préparés à l'idée qu'on devrait s'occuper de Minos sur le champ de bataille, que tout se jouerait à ce moment-là et que si nous parvenions à l'éliminer, la victoire nous était pratiquement assurée. Les Darknils ont envoyé Minos nous attaquer pile au moment où la Scaremountain était sans défense dans l'espoir de se débarrasser d'Ange avant le grand jour, c'est évident. Mais prendre le risque de perdre Minos dès cet instant, ce n'est pas un peu gros ?

- Minos avait le pouvoir de l'omniscient, il était censé prévoir chaque coup porté à son encontre... que le pouvoir de Hell ait pris le dessus est quelque chose que personne n'avait vu venir et pu prévoir, ni Minos, ni les Darknils, ni même Hell. Je ne sais pas si on peut se reposer sur nos lauriers et se dire qu'on a eu un gros coup de chance au milieu de tout ce chaos, mais on a désormais une piste sur comment s'occuper de lui si jamais il réapparaissait.

- Une piste ?

Je n'étais pas sûre de comprendre.

- Le seul moyen de prendre le dessus sur Minos est de l'attaquer de manière imprévisible. Il nous faudrait trouver le moyen d'attaquer Minos sans que rien ne puisse être deviner par quiconque.

- Je ne veux pas briser tes rêves, mais c'est impossible à accomplir. L'attaque de Hell n'en était pas une, c'était un accident. On ne peut pas l'attaquer par accident, c'est infaisable. Et on ne peut pas partir l'attaquer sans rien planifier, on finira par planifier des actes instinctivement et il les liera. L'idée d'Arachné d'attendre qu'il meure de folie après avoir avaler trop de pouvoirs est bien meilleure. Même s'il y a de grande chance qu'il finisse par en mourir après notre affrontement...

- Attaquer sans intention est difficilement faisable, mais pas impossible. Tu y as déjà eu recours de nombreuses fois.

Je restai interdite face à cette remarque. Il avait raison sur ce point, je m'étais souvent battue à l'aveugle, mes cendres prenant le dessus sur moi et jaillissant contre mon gré pour attaquer selon leur bon vouloir.

- Mes cendres n'ont aucun effet sur Minos, il se regénère, lui rappelai-je. C'est vrai qu'autrefois je ne contrôlais pas du tout ce pouvoir, mais depuis j'ai appris à le dompter, surtout depuis ma cécité. Je doute qu'il soit possible de revenir en arrière et de rendre de nouveau mes cendres sauvages.

Kalidas se massa le visage, pensif. Il avait l'air fatigué. Après tous ces événements qui s'enchaînaient, on était tous épuisés.

- Tu penses qu'on reverra Hell ? demandai-je, la question sortant spontanément hors de ma bouche.

- Je n'en sais rien, j'espère. Circé est partie avec une escorte pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé et de le retrouver.

- Je me demande s'il est simplement coincé dans son propre pouvoir ou s'il en est mort. Cela me parait fou de pouvoir se tuer aussi étrangement avec son pouvoir. Comment cela se fait-il que Hell ait un don individuel aussi incontrôlable ?

- Il n'y a rien d'étrange dans tout cela. Tes cendres l'étaient aussi et Alisa avait peur de son pouvoir du feu. Vos deux pouvoirs sont comme des dons dévoreurs et animées d'une vie propre à eux, vous en aviez peur. Hell vit quelque chose de similaire.

- Peut-être, mais mes cendres viennent de ma race descendant tout droit d'Astéria et Alisa est une descendante d'Astéria, ce qui explique le pouvoir dévoreur. Mais Hell n'a rien à voir là-dedans, et son pouvoir n'a pas de vie propre, non ?

- Non, son pouvoir est plutôt le contraire, c'est la non-vie. Le néant n'est pas la vie, c'est mort, inerte. Le point commun qu'il a avec vous, c'est la peur et le rejet de son pouvoir. Si ses dons sont aussi incontrôlables, c'est parce qu'il tente de les rejeter et les enfouir en lui, mais les pouvoirs, c'est comme les émotions, plus tu les refoules et plus les dégâts sont catastrophiques. A force de tout garder en lui, lorsque ses pouvoirs éclosent, c'est de façon incontrôlable et explosive afin de rattraper tout ce qui a été retenu jusqu'ici. Alimenté par la peur de les voir à l'action, son pouvoir amplifie ses actions. Tout vient finalement que du mental.

Je fus surprise par la vue globale que Kalidas avait sur les choses, mais ses explications étaient logiques et donnaient un sens à ce qui me paraissait absurde jusqu'ici.

- Comment cela se fait que tu en saches autant sur la nature du pouvoir de Hell ?

- J'ai passé pas mal de temps avec lui dernièrement, il m'en a tout simplement parlé.

Encore une explication sensée et logique.

- Si Hell peut survivre dans son néant, tu penses qu'il en est de même pour tous ceux qu'il a avalé avec lui ? Tu penses que Jihane et Ciara ont pu survivre ?

- Aucune idée, j'espère qu'on finira par le découvrir et qu'il s'agira d'une bonne découverte.

- Ils sont peut-être tous morts, Minos a peut-être réussi à se téléporter grâce à ton pouvoir juste à temps et on va peut-être tous mourir face aux Darknils prochainement.

Kalidas me lança un regard perplexe.

- T'es bien pessimiste.

Un nœud se forma dans mon estomac.

- J'ai déjà perdu une fois tous mes proches à cause de Samaël, je ne peux pas rejeter l'idée qui germe dans ma tête comme quoi tout pourrait se reproduire à nouveau. Je crois que ce qui me fait le plus peur dans tout cela, ce n'est pas de mourir, mais d'être une nouvelle fois la seule survivante. Ce serait le pire dénouement possible.

La main chaude du Rôdeur serra la mienne avec douceur. Mes yeux me piquaient et je luttais pour ne pas laisser mes émotions prendre le dessus.

- Tu peux me faire une promesse ? demandai-je, le cœur battant.

- Laquelle ?

- Promets-moi d'abord !

- Je ne peux pas te promettre quelque chose sans savoir de quoi il en retourne.

Je pris une courte inspiration.

- Promets-moi que tu ne viendras pas te battre avec nous.

- Quoi ?

- Tu n'as plus aucun pouvoir, Minos t'a tout pris ! Tu seras démuni sur le champ de batail face à Samaël et ses alliés. Tu seras une proie facile !

- Je ne vais pas me terrer dans un coin jusqu'à la fin des hostilités, pendant que vous risquerez vos vies ! Il est hors de question que je vous tourne le dos maintenant.

- Ce n'est pas une question de nous tourner le dos, mais de protéger ta vie. Tu n'as plus aucun pouvoir désormais, tu es trop vulnérable pour te battre contre des Darknils aux pouvoirs exponentiels !

- Je sais que tu préférerais que je reste à l'abri et je comprends ton ressentis vis-à-vis de la situation, mais il est hors de question que je reste planqué dans mon coin à prier pour que vous reveniez tous vivants ! Kairos non plus n'a plus ses pouvoirs, tu crois vraiment qu'il va aller se planquer pour autant ? Il va se battre comme chacun d'entre nous, parce qu'on est désormais tous impliqués dans ce conflit et qu'on risquera tous notre vie pour l'avenir du royaume.

Je me refermai sur moi, contrariée.

- Je comptais demander à Kairos la même chose que je viens de te demander. C'est inutile d'aller se battre si c'est uniquement pour servir de chair à canon. On va se battre pour triompher des Darknils, pas pour se sacrifier inutilement ou s'offrir telle une offrande.

Je vis que mes mots venaient de blesser Kalidas, mais j'étais trop emportée par mes propres émotions pour revenir sur ce que je venais de dire. Je ne voulais pas qu'il risque sa vie. Je ne voulais pas qu'il meurt !

- Contrairement à ce que tu sembles penser, je suis capable de me défendre même sans mes pouvoirs. Je n'ai jamais pris mes pouvoirs comme quelque chose d'acquis et j'ai toujours cherché à développer mes propres compétences par derrière. C'est pour cette raison que je suis capable de me défaire d'un réducteur, c'est aussi pour cette raison que je suis capable de dérober et m'évader d'une salle, même démuni de mes dons. Je reste un Rôdeur, Minos m'a volé mes pouvoirs, mais pas mes capacités. Les seules choses que j'ai perdus et que je ne peux ramener à moi sont mes dons de téléportation, d'invisibilité et d'Inception. Je saurai m'en sortir et vivre sans, j'ai déjà appris à le faire. Et je ne suis pas sûr que Kairos apprécie non plus d'être qualifié d'offrande et de chair à canon, il n'est pas sans défense. On n'est pas si inutile que tu sembles le penser.

- Je ne pense pas que vous soyez inutiles, rétorquai-je les joues rouges.

- Je sais bien que tu as dit cela parce que tu es inquiète pour nous, se radoucit le Rôdeur, mais il va falloir nous faire confiance et nous laisser faire nos propres choix. Il est inconcevable que l'on reste en retrait dans l'angoisse du dénouement. Puis, personne ne sera inutile dans la bataille, la moindre personne grossissant nos rangs peut faire pencher la balance en notre faveur.

J'acquiesçai, la gorge nouée. Je savais qu'insister ne servait à rien, ni lui ni Kairos n'accepterait d'être tenu à l'écart. La frustration m'enserra la cage thoracique, je me refermai un peu plus sur moi-même. Je savais que ce n'était pas la faute de Kalidas, mais je ne pouvais m'empêcher d'être irritée par la situation. Kalidas me prit doucement la main et m'incita à me lever à sa suite.

- Ne fait pas cette tête, m'intima-t-il.

- Je fais quelle tête d'après toi ? grommelai-je.

- Tu fais la tête de celle qui s'apprête à bouder et à se montrer irritable pendant des heures.

- Peut-être que je vais bouder et être irritable pendant des heures, de toute façon je n'ai rien d'autre à faire.

Kalidas eu un sourire amusé.

- Je suis sûr qu'il y a plein de choses plus intéressantes à faire. On pourrait visiter le château.

Je haussai un sourcil.

- C'est cela que tu me proposes ? Parmi toutes les idées qui pouvaient te venir, c'est me proposer de visiter un château qu'on connait déjà qui t'es venu à l'esprit ?

Kalidas eu un rire qui fit apparaître son unique fossette.

- Pourquoi ? T'avais d'autres idées en tête ?

Je me rapprochai lentement du Rôdeur, ma mauvaise humeur ayant totalement disparu. Je l'embrassai. Le feu me monta aussitôt aux joues, je reculai d'un pas, reprenant une contenance et lui pris la main.

- Ok, visitons le château.

Je l'entrainai derrière moi à travers le couloir, espérant que mes joues retrouvent leur couleur d'origine. Mes sens volèrent de mur en mur, j'avais oublié à quel point ce château était riche en tableau, en gravure et en sculpture. Je m'arrêtai devant un grand tableau représentant une fille aux cheveux doré et aux yeux dorés, des ailes de feu s'élevaient derrière elle. Elle portait un collier que je connaissais bien, un collier que j'avais volé chez Kalidas et porté autour de mon cou à son insu. Un collier qui pouvait se mettre à brûler la chair.

- Je me souviens de ce tableau, il m'avait intrigué lors de ma venue ici.

- Il s'agit d'Astéria, m'apprit Kalidas.

- C'est pour cela qu'elle porte le collier !

- Celui que tu m'as volé ? s'amusa Kalidas.

Je retins un sourire.

- Eudo ! s'exclama une voix derrière nous. Qu'est-ce que vous faite ici ?

Martial arriva près de nous en sautillant, suivis plus calmement par Rox.

- Toi, qu'est-ce que tu fais là ? rétorquai-je, déçue de ne plus être seule avec Kalidas.

- On est retourné dans les chambres qu'on occupait lorsqu'on était ici. On avait laissé pas mal d'objets derrière nous, en même temps, ce n'est pas comme si on avait eu le temps de faire nos valises avant de partir.

Martial ne nous laissa pas le temps de répondre qu'il leva en l'air une bourse pour nous la montrer.

- Regardez ce que j'ai trouvé au fond de l'un de mes sacs ! J'avais complétement oublié que j'en avais.

- Qu'est-ce que c'est ? lui demandai-je, m'attendant déjà au pire.

- Des baies de joie ! s'extasia-t-il. T'en veux ?

J'écarquillai les yeux.

- Hors de question.

Martial éclata de rire et me montra les petites baies brunes zébrées d'or comme pour me soumettre à la tentation.

- Il me semble que tu en as déjà pris avec Alisa, me remémora-t-il avec un grand sourire, parait que Kalidas, Circé et Ronan vous avaient retrouvées complétement pétées.

Je le foudroyai du regard. Il n'avait pas besoin de me rappeler cela, j'en avais encore honte. Les baies de joie avaient pour effet de désinhiber celui qui en consommait. J'en avais mangé avec Alisa dans la Capitale, c'était ce jour-là que nous avions découvert que nos pouvoirs pouvaient entrer en symbiose, c'était aussi ce jour-là que je m'étais rapprochée de la Banshee, et également ce jour-là que j'avais rencontré Hell. Aucun des deux ne se trouvait auprès de nous désormais...

- J'en avais aussi fait manger à Orso, lui rappelai-je pour détourner son attention sur autre chose.

Martial sautilla sur place à ce souvenir.

- J'ai toujours été surpris par le fait qu'il ne t'ait pas étripé, m'avoua-t-il. N'empêche que parfois tu as des idées surprenantes, mais je dois avouer que c'était bien drôle de voir Orso aussi perché. Si on oublie le fait qu'il ait voulu me déplumer la tête...

- Dommage qu'il ne l'ait pas fait, je me demande ce que cela ferait de te voir chauve.

Martial s'étrangla à ma remarque.

- Je perdrais ma beauté, cela serait un blasphème !

- Tu sais que ce jour-là, tu as failli boire les baies à la place d'Orso ? lui appris-je. T'avais voulu lui voler son verre, j'ai cru que j'allais t'étrangler.

Martial me regarda avec des yeux ronds.

- Ok... je ne boirai plus jamais aucun verre qui traine.

- Parce que t'as pour habitude de goûter dans les verres des autres quand tu les vois traîner ? s'étonna Rox.

Martial se tortilla sur lui-même.

- Peut-être que je l'ai déjà fait... une fois ou deux... c'était pour pas me déshydrater.

Le Guerrier prit un air angélique qui me fit lever les yeux au ciel. Il secoua sa bourse de baie.

- Si on sort vivant de toute cette histoire, je propose qu'on fasse une grande fête pour fêter cela et qu'on verse toutes les baies dans les boissons du buffet.

On le regarda tous les trois les yeux ronds.

- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, s'amusa la renarde, ta fête virait vite au n'importe quoi.

L'idée qu'on puisse fêter notre victoire me parut surréaliste. Martial était un éternel optimiste et cette éventualité apporta une dose de légèreté. Cependant, une vérité amère m'enserrait la gorge ; même si nous triomphions, aurions-nous la tête à faire la fête ? Même en cas de victoire, les pertes seraient lourdes. Il n'existait aucune guerre où tout le monde revenait vivant à la fin.

Finalement, notre tour du château se fit à quatre. Bien qu'initialement, j'avais eu le désir de partager ce moment uniquement avec Kalidas, la présence des deux autres Obscuras ne me dérangea pas. Chacun des trois personnes autour de moi avait une grande importance dans mon cœur et j'avais déjà cessé depuis un moment de repousser ceux auquel je tenais. C'est avec plaisir que je suivis Martial jusque dans la grande pièce qui avait servie de trône à Aleth lorsqu'elle s'était faite passer pour la reine auprès de moi. Ironique de se remémorer ce souvenir alors que j'avais fini par utiliser la même supercherie pour tromper le royaume entier. La pièce était spacieuse, et étant vide de personnels, semblait encore plus immense. Martial s'amusa à s'assoir sur le trône.

- C'est étrange de revenir dans cette pièce, avouai-je.

Le Guerrier se mit à rire.

- Les choses ont bien changé depuis.

J'acquiesçai. Lorsque j'étais venue ici pour la première fois, j'avais été entraînée de force par Circé. A mon arrivée, j'avais été immature, essayant d'être la plus insupportable possible. Je regardai le tapis sous mes pieds, autrefois immaculé, il avait pris la poussière. Lors de mon arrivée, Circé m'avait fait atterrir dans une étendue de vase, lorsque j'étais arrivée au château, j'avais pris un malin plaisir à m'essuyer sur le tapis pour tout salir à mon passage. Étonnement, ce souvenir était plutôt agréable. Me souvenir de mes débuts au sein des Clandestins et de nos rapports de l'époque avait quelque chose d'amusant.

- Tu te souviens à quel point tu étais détestable à ton arrivé ? me lança Martial d'un ton moqueur.

Je levai les yeux au ciel.

- Circé m'avait emporté de force, vous vous attendiez à quoi ? Puis lorsque je suis arrivée, tu n'étais même pas là. Je t'ai rencontré plus tard.

- C'est vrai, on avait jugé préférable que tu ne nous rencontre pas tous d'un coup et que les choses se fassent petit à petit. Ceux qui risquaient le plus de se laisser emporter par la situation avaient été envoyés en mission d'espionnage de Zara.

Je haussai un sourcil.

- Une mission d'espionnage ?

- On devait veiller aux actions de la reine pour voir comment la situation évoluait de ce côté et s'assurer que nous n'étions pas repérés et en danger. Je faisais partie de la troupe avec Nérée, la disparition de Rose était trop récente et Circé avait peur qu'on se laisse emporter. Orso menait la troupe, tu connais le caractère d'Orso, on avait jugé qu'il était préférable que ce ne soit pas la première personne que tu rencontres en venant ici. Quant à Alisa, elle était venue avec nous parce qu'elle était trop enthousiaste à l'idée de te rencontrer et qu'on ne savait pas comment tu réagirais face à son engouement. Ceux qui étaient restés étaient les membres les plus calmes et avec le plus de sang froid de notre groupe.

Je me remémorais mes débuts avec Alisa. Dès l'instant où elle m'avait rencontré, elle avait pris ma défense face aux autres sans même me connaître. Son comportement m'avait autant dérouté qu'agacé, j'avais beau être détestable et la repousser loin de moi, elle n'avait jamais perdu de son énergie de vivre et de son envie de sympathiser. Elle était comme cela Alisa, elle se créait son propre avis sur chacun, malgré tout ce qu'elle pouvait entendre sur la personne. Elle allait vers les autres sans apriori et cherchait à les comprendre et les aimer. Parce qu'elle avait le cœur pur. Elle avait tant compté. Mon cœur se serra dans ma poitrine et je cherchai bien vite quelque chose à dire pour me détourner de mes émotions trop mélancoliques.

- Les membres avec le plus de sang-froid ? relevai-je. Shaytan n'avait rien de cela. Il était continuellement en panique.

- Il faisait un peu office d'exception, concéda Rox. On s'était dit que sa force et ses capacités d'Ogre serait un atout et on espérait qu'il apprendrait à s'affirmer.

Les Clandestins à l'époque ignoraient que Shaytan était sous la coupe d'Evilash. Jamais il n'aurait pu s'affirmer. Ma venue n'avait fait qu'empirer les choses pour lui. Il avait dû jouer un double rôle auprès de personnes qu'il semblait apprécier. Il avait dû tuer l'un des leurs. Je n'avais jamais eu d'affection pour Shaytan et je n'avais même jamais cherché à le comprendre, mais avec le recul que j'avais désormais, je savais qu'il n'avait fait que souffrir comme un pantin sous les doigts de mon double. Elle avait profité de son manque d'assurance et de sa grande sensibilité pour l'avoir sous sa coupe. C'est ce que je faisais continuellement sur Terre, c'est ainsi que je choisissais qui serait mes proies. Les personnes hyper sensibles et nerveuses comme lui étaient les meilleures options. J'avais toujours su que mes méthodes et la façon dont je traitais les autres étaient horribles, mais je n'en avais jamais tenu compte jusqu'ici. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point les choses avaient changé jusqu'à cet instant. Je venais tout juste de réaliser qu'il m'était désormais inconcevable de revenir en arrière et de traiter une nouvelle fois mon entourage d'une telle manière. Rien que cette idée me répugnait. J'étais toujours prête à relever les défis et aller loin pour mes objectifs, mais un certain sens moral s'était glissé dans la balance. Mes proches n'étaient pas des pions.

- Pourquoi avoir choisi Aleth pour se faire passer pour reine auprès de moi et non Naïa ou Ronan ? demandai-je.

- C'était la fille de Junon, l'ancienne reine, m'expliqua Rox. C'était symbolique à nos yeux.

- Elle n'avait vraiment pas la carrure d'une reine. Même lorsque je pensais qu'il s'agissait de son vrai titre, je trouvais qu'elle n'avait pas de quoi assumer ce rôle.

Rox se pinça les lèvres et entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt. Il s'agissait de sa sœur adoptive, je m'en rappelai trop tard. J'espérais ne pas l'avoir offensé, seulement, les mots que je venais de sortir, je les pensais vraiment.

- Elle était jeune. On a beau dire, mais personne ne devrait avoir à diriger en étant aussi jeune. Que ce soit elle, ou même Ronan actuellement. C'est mettre un poids trop lourd sur les épaules. Aleth est née Sang Royal mais n'a jamais rêvé de devenir reine, elle voulait être soldat et entrer dans la Sélection des Guerriers. Elle a accepté de jouer ce rôle parce que c'était important pour la lutte et qu'elle voulait poursuivre ce que sa mère avait commencé, elle n'a jamais aspiré à plus.

Je n'avais jamais porté Aleth dans mon cœur et je savais que c'était réciproque. Nos rapports s'étaient empirés à l'arrivé de Cassius, elle avait eu du mal à digérer ma proximité avec le Guérisseur. J'avais cru à tort qu'elle avait tenté de s'en venger en se rapprochant de Maève, dans l'unique but de m'énerver, mais j'avais compris par la suite que ce rapprochement était sincère. Ce qui m'avait doublement plus énervé. Désormais, aucune de ces trois personnes n'était encore de ce monde. Ce constat me donna un sentiment de vertige. Beaucoup d'entre nous n'était plus là. Lors de ma venue, j'avais rencontré les Clandestins ; Aleth, Circé, Naïa, Shaytan, Orso, Martial, Alisa, Rox, Nérée et Ronan. Aujourd'hui, Aleth, Naïa et Alisa n'étaient plus parmi nous, Shaytan et Nérée avaient quant à eux dévoilés un double jeu. Mais d'autres alliés étaient venus grossir les rangs depuis.

- Ce n'est pas ici que t'as rencontré Kalidas pour la première fois ? demanda Martial.

Je cillai à cette remarque. Le Rôdeur eut un sourire.

- Je m'en rappelle bien, Circé t'avait demandé de me tuer.

- Je n'étais même pas là, se lamenta Martial.

- Tu n'as rien manqué, maugréai-je. Je n'ai toujours pas pardonné à Circé cette mise en scène.

- On étudiait Evilash, j'imagine qu'elle voulait tester tes réactions, songea Martial. C'était peut-être un peu extrême.

- Non, tu crois ? ironisai-je.

- De toute façon on s'en fiche maintenant, tu ne l'as pas tué ton Rôdeur, tu t'es mis avec. Tout est bien qui finit bien.

Je le foudroyai du regard alors qu'il se mettait à rire. Martial s'avança vers nous en sautillant.

- Si j'avais su que je deviendrais super proche d'Evilash, j'aurais refusé de manquer ta venue dans ce royaume.

Je levai les yeux au ciel et sortie de la pièce, préférant continuer ma visite du château que de laisser Martial s'étendre sur le sujet. Les autres me suivirent. Dans le couloir Rox désigna une pièce.

- Ici, c'est le placard où Eudora a enfermé Shaytan dans le seul but de lui faire peur, apprit-elle à Martial.

Je lançai un regard surpris à la rouquine alors que le Guerrier s'extasiait déjà de cette nouvelle anecdote. Je me rappelais très bien avoir enfermé l'Ogre nain dans ce placard après lui avoir violemment frappé la nuque.

- T'es quand même une sociopathe Eudo, ricana Martial.

- Ce n'était pas dans le seul but de lui faire peur, avouai-je. J'avais après rebroussé chemin pour espionner la conversation de Circé avec Aleth dans la grande salle.

- Tu restes une sociopathe.

Une nouvelle fois, je décidai d'ignorer le Guerrier et continuai mon chemin dans les couloirs, empruntant les chemins qui me semblaient le plus familier. Je finis par atterrir dans les cachots.

- C'est ici qu'on s'est rencontré pour la deuxième fois, commenta Kalidas, un sourire amusé aux coins des lèvres.

Je n'avais pas besoin qu'il me le rappelle, ce souvenir était inoubliable. Je m'étais réfugiée des Clandestins en me cachant dans ce lieu, un lieu où Kalidas était enfermé. C'est ce jour-là que j'avais appris ce qu'était un Rôdeur et qu'il était tout à fait capable de s'évader de cet endroit. Je l'avais aussitôt dénoncé. Plus tard, je l'avais retrouvé, et nous nous étions évadés ensemble. J'avançai dans le lieu, passant mes doigts sur les barreaux. Je devais avoir un esprit vraiment tordu, parce que c'était ce lieu que je préférais dans ce château. C'était cet endroit que j'étais la plus heureuse de retrouver. Le fait d'avoir eu ma première conversation avec Kalidas ici jouait. Mine de rien, c'est ici que tout avait commencé entre nous. Cependant, je reconnaissais que si je devais choisir un endroit dans ce royaume à élire comme lieu favori, mon choix se portait sur la demeure de Kalidas. Sa ferme était l'endroit où je m'étais sentie le mieux. Où je m'étais sentie le moins sur mes gardes, à l'affut du moindre danger. Et là où je m'étais sentie la plus libre.

- Je crois que ça fait beaucoup de souvenirs tout d'un coup, je deviens nostalgique, déclara Martial d'une voix aigüe, me tirant hors de mes pensées.

- Qu'est-ce que tu racontes ? m'exaspérai-je. En quoi ces cellules peuvent te rendre nostalgique ?

- C'est ce château en général... C'était plutôt amusant en fin de compte de devenir la Garde Royale Clandestine. Du moins, tant qu'on n'était pas repéré. Je me souviens avec Nérée on se planquait parfois ici la nuit pour être tranquille, jouer aux cartes et débriefer sur la situation.

- Vous veniez ici ? m'étonnai-je. Pour être tranquille ?

Martial haussa les épaules.

- La nuit Ronan faisait trop de bruit avec ses cauchemars. Puis, ne le prend pas mal Eudo, mais Nérée voulait se tenir le plus loin possible de toi lorsque tu es arrivée ici, et les chambres étaient trop près de la tienne à son goût pour y faire un débrief.

Je retins un rictus.

- Il ne m'aimait vraiment pas, constatai-je.

Que la Sirène ait pu avoir autant de ressentiment à mon égard ne me peinait pas du tout, au contraire, j'étais plutôt satisfaite. Qu'il m'apprécie aurait été un sentiment plutôt désagréable.

- Non, il te détestait carrément. Pour lui tu étais un monstre qui avait tué Rose et qui nous anéantirait tous. Mais bon, il ne faut pas s'offusquer des sentiments de Nérée, visiblement au fond il détestait tout le monde. Je n'arrive pas à réaliser que durant pratiquement toute ma vie, j'avais un meilleur ami qui me détestait secrètement.

Rox posa une main sur le bras de Martial. Un éclat de colère me prit le cœur. Non seulement Nérée avait piétiné la confiance et l'amour que Martial lui portait, mais il nous avait tous trahis. C'était indirectement sa faute si bon nombre des membres de l'alliance avaient péris. C'était indirectement sa faute si Maève était morte entre les mains de Harmonia. Je détestais cette Sirène pour ce qu'elle était et tout ce qu'elle avait commis.

- T'y es pour rien si Nérée était trop con pour reconnaître que votre amitié avait plus de valeur qu'un stupide rang social, grinçai-je. Sa haine et sa jalousie finiront par le mener à sa perte.

- Je n'ai pas envie qu'il coure à sa perte, marmonna le Guerrier.

Je lui lançai un regard surpris.

- Après tout ce qu'il t'a fait, tu ne veux pas le voir payer ?

Martial secoua la tête.

- Ce n'était peut-être pas authentique de son côté, mais du mien, j'étais sincère. Il comptait pour moi. Je ne veux pas voir quelqu'un qui a eu un aussi grand impact dans ma vie finir aussi mal. Même hors de ma vie, loin de moi, j'aimerais qu'il soit heureux. J'espère un jour qu'il trouvera suffisamment de paix en lui pour arrêter de s'en prendre aux autres comme il l'a fait. Et même s'il devait ne jamais changer, j'espère qu'il ne lui arrivera rien d'horrible. Parce que je l'ai aimé un jour, et je crois que lorsque j'aime quelqu'un, c'est à vie.

J'en tombais des nues. Martial avait une façon de réagir à la trahison qui était totalement à mon opposé. Cela me paraissait lunaire de pouvoir concevoir les choses ainsi. Je voulais Samaël mort, je voulais Harmonia morte, je voulais Nérée mort... La liste n'était pas exhaustive. Je voulais être sûre de ne plus jamais avoir affaire avec eux. Je les détestais. Ils m'avaient trop blessé pour que je puisse décider de leur pardonner.

- Comment c'est possible d'être blessé ainsi par une personne et de lui souhaiter le meilleur pour la suite ? Si tu le revoyais en face de toi, tu n'irais quand même pas lui faire une accolade !

- Bien sûr que non ! s'injuria Martial. Je veux qu'il s'en sorte, mais loin de moi. Je n'ai plus envie de lui dans ma vie, plus jamais. Pas après ce qu'il a fait. Mais je crois en la rédemption et j'espère qu'il ira mieux à l'avenir.

- On n'est vraiment pas pareil tous les deux.

- Tu ne m'apprends rien, souria-t-il.

Je ne pris même pas la peine de demander l'avis de Rox et Kalidas sur le sujet, ils avaient plus le tempérament du pardon de Martial que mes ressentiments éternels.

- De toute façon je préfère me concentrer sur ceux qui sont encore là, ajouta-t-il. On ne peut pas construire son avenir si on s'accroche aux choses du passé.

- T'es devenu philosophe ? me moquai-je.

Martial prit un air outré. Puis, son tempérament jovial reprit le dessus et il passa un bras autour des mes épaules et un autre autour de ceux de Rox avec un sourire en coin.

- C'est pas gentil de se moquer de ce que tu ne comprends pas Eudynou.

- Ne m'appelle pas comme ça ! Puis lâche-moi.

- Je te montre juste mon affection, je me concentre sur les amis qu'il me reste.

Je me dégageai brusquement du bras du Guerrier, Rox en fit de même mais avec plus de douceur que moi.

- Si tu es en manque d'affection, va voir Rose, grommelai-je.

- Je ne peux pas, elle est partie avec Circé et quelques autres pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé avec Hell.

- Ils sont peut-être rentré depuis, parut espérer Rox.

Je remarquai que Kalidas avait une mine soucieuse.

- Je voulais les rejoindre, mais Evilash m'a envoyé balader, se plaignit Martial. Elle a dit qu'il fallait que la troupe ne soit pas trop nombreuse pour pas se faire remarquer et qu'on pouvait se passer de moi. Ta copie n'est pas aimable Eudo.

- Elle a raison d'envoyer qu'une petite troupe, ils passeront plus inaperçus. Avec ce qu'il s'est passé, les Darknils doivent eux aussi occuper les lieux pour essayer de comprendre, commenta Kalidas.

- Justement ! Je n'ai pas envie de perdre Rose. Ni les autres, d'ailleurs.

Je serrai les poings, saisissant ce qui préoccupait réellement le Guerrier.

- C'est une petite troupe, mais ils savent se défendre et Rose a des pouvoirs impressionnants en réserve. Tu la retrouveras, tentai-je de le rassurer.

Mon effort ne passa pas inaperçu aux yeux de Martial. Il fondit sur moi pour me faire un câlin. Je poussai un cri, essayant de le repousser loin de moi.

- Je suis trop heureux que Minos n'ait pas eu ta peau, ni celle de ton copain.

- Lâche-moi !

- Pourquoi tu me repousses tout le temps ? gémit le Guerrier en me libérant.

Il savait très bien pourquoi, l'Obscuras s'amusait avec mes nerfs comme il l'avait toujours fait.

- Je n'aime pas t'avoir trop près, tu pollues mon oxygène.

Martial prit un air offensé et s'attela à tenter une nouvelle accolade. Je le repoussai brutalement, loin de moi, mais malheureusement un peu trop fort. Il percuta Kalidas se trouvant derrière lui et les deux trébuchèrent par terre, dans la cellule qui se trouvait la plus près de nous. La chute de Martial ne me procura aucun plaisir, je n'avais pas voulu que Kalidas devienne un dommage collatéral. Martial profita de la situation.

- Tu me pousses dans les bras de ton copain, c'est trop mignon. Je veux bien lui faire des câlins à lui aussi.

Je sentis le rouge me monter aux joues et je ne savais même pas si c'était dû à la gêne, la colère ou une pique de jalousie. Lorsque je vis le Guerrier passer un bras autour des épaules du Rôdeur alors qu'il se trouvait toujours assis par terre, mon sang ne fit qu'un tour. Dans un élan impulsif, je fis claquer la porte de la cellule.

- Restez-là si ça vous fait tant plaisir, moi j'ai assez vue cet endroit.

Les trois Obscuras me regardèrent avec de grands yeux ahuris. Quoi ? Qu'est-ce qu'ils avaient ?

- T'as fermé les barreaux, remarqua Martial.

- Et alors ? T'as qu'à juste la rouvrir, m'exaspérai-je en tirant la porte.

Elle resta close. Rox se retint de rire, Kalidas s'était passé une main sur le visage, impossible de déceler son expression faciale, Martial quant à lui avait les bras croisés et me jaugeait comme on jauge un enfant qui vient de faire une bêtise.

- Ce genre de cellule se verrouille automatiquement lorsqu'on ferme la porte, c'est pourquoi toutes les cellules lorsqu'elles sont vides sont grandes ouvertes, m'informa Rox.

Oups.

- Je ne savais pas, marmonnai-je, embarrassée d'avoir enfermé Kalidas.

Désormais, il ne pouvait même plus se téléporter pour échapper à sa prison. A vrai dire, il ne semblait même pas chercher à s'évader, je compris bien vite que s'il cachait son visage c'est parce qu'il riait de ma connerie.

- Je vais chercher une amétrine, lança Rox dans un sourire.

***

NDA : Coucou, je suis de retour avec le chapitre suivant ! Il était long et calme, j'espère qu'il vous aura plus ! C'était un chapitre centré sur les souvenirs, et on peut voir qu'Eudora a bien évolué depuis son arrivée 🥰

★ Vous en pensez quoi de l'évolution d'Eudora ?

Je vous dis à la semaine prochaine pour le chapitre suivant ! (Étant donné que c'est la semaine de Noël, si jamais vous ne voyez pas de chapitre venir, c'est que j'en ai pas eu le temps avec les fêtes, mais je vais quand même essayer de m'arranger pour pouvoir poster).

Kissy kissy 🤍 #Nakijo.

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