0. Samaël. Partie 2.
Nita était morte.
Les images tournaient en boucle dans mon esprit, tels des cauchemars qui m'aspiraient l'âme.
Elle était morte.
La fuite perpétuelle s'était avérée mortelle et tout mon monde avait foutu le camp.
Nous nous étions faits prendre, je n'avais même pas assez attiré l'attention des cavaliers pour être emporté avec elle. Ils m'avaient attaché à une grille pour m'empêcher de les suivre, sans autre précaution que de m'assommer au passage. En reprenant conscience, il m'avait suffi de faire fondre les chaînes grâce à mon pouvoir de lave pour m'en déloger. J'avais alors couru pour retrouver Nita. Mais j'étais arrivé trop tard. Elle avait été brûlée vive.
Je n'avais plus de monde, plus d'ancrage, plus d'envie, plus rien, pas même un but auquel m'accrocher. Mais ce rien s'est changé en tout. Le vide qui m'avait envahi, les suffocations, la détresse, la dépression, le manque... tout s'était changé en un ouragan pour faire naître de nouveaux sentiments. Une envie sourde de vengeance s'est logée au fond de mon cœur. Je n'avais pas cherché à la chasser. Je détestais ce monde, ces races quel qu'elles soient. Je détestais cette planète, ces habitants, cette société, ses règlements. Je détestais le fonctionnement de ce royaume, la vie et la fatalité. Je détestais tout. Je n'aimais plus rien.
J'étais resté longtemps, seul, enfermé dans mes propres émotions, dans mes ressentiments qui me mettaient en cage. J'avais suffoqué de colère avant de réapprendre à respirer. J'avais hurlé de rage avant de réapprendre à parler. J'avais haï chaque parcelle de l'univers avant de réapprendre à aimer.
Et un jour, j'en ai eu assez.
Le noir, l'oubli, la souffrance. J'ai tout laissé tomber. Il me fallait un but. La vie ne pouvait pas autant être dénuée de sens, je ne pouvais plus continuer à errer dans les limbes de mes tourments.
La vengeance qui entachait mon cœur depuis tout ce temps est montée à la surface, je l'ai caressée du bout des doigts, ai été tenté, ai voulu succomber. Mais lentement, un but plus grand a pris place dans mon esprit. Il n'était plus question de vengeance. J'aspirai à mieux. J'avais un nouveau but dans ma vie, un nouvel ancrage, et j'étais prêt à tout pour parvenir à mes fins.
Petit à petit, je m'étais réintégré à la société. J'avais rencontré du monde, m'étais fait une place. Je me suis alors découvert des talents innés pour la manipulation. Il m'était aisé de m'intégrer à un cercle social, d'attirer les faveurs de tous et de repartir avec ce que j'étais venu chercher.
Je ne me mettais plus de barrière, je n'avais aucune limite. Je venais prendre ce que j'étais venu chercher sans tenir compte de personne. La rancœur tenace persistait à demeurer en moi et je ne pouvais pardonner au monde ce qui était arrivé. Faire souffrir pour arriver à mes fins me paraissait juste. Il m'arrivait parfois de m'attacher aux personnes que je rencontrais, parfois cet attachement était puissant, mais il me suffisait de repenser à mon but ultime pour effacer toute hésitation. Des sacrifices devaient être faits pour que je puisse arriver à mes fins, mais rien ni personne ne me ferait abandonner. Même si je devais perdre mon âme dans ma quête, j'étais prêt à continuer.
La vengeance n'était qu'un supplément. Et de toute façon, je n'avais même pas eu le loisir de faire payer ses méfaits à ce vieux roi Clodomir. Il était mort. Une crise cardiaque. A un âge aussi avancé, il n'y avait rien d'étonnant. Le roi était mort à quatre-vingt trois ans, ce qui, dans notre monde, était un exploit considérable. L'espérance de vie tournait entre trente et quarante ans. L'injustice me hérissait le poil. Clodomir avait eu une longue vie, était mort naturellement, alors que Nita n'avait pas eu ce loisir. Par sa faute.
Il aurait mérité tous les tourments du monde. Mais le privilège d'être né au bon endroit, d'être celui qui régnait sur le royaume, avait joué en sa faveur jusqu'à la fin. Je détestais ce constat. Mais désormais, tout allait changer. C'était à mon tour de tirer les ficelles de ce royaume et il allait devoir se plier à mes volontés.
La jeune reine Junon, élue pour succéder au roi Clodomir, n'allait pas avoir le même privilège que son prédécesseur. Parce que mon règne arrivait et qu'elle allait devoir me le céder.
J'étais d'une patience à toute épreuve. Je savais qu'il allait falloir des années à agir dans l'ombre pour un jour toucher la lumière. Mais j'étais prêt à tout.
J'avais depuis longtemps pris connaissance de la rumeur concernant l'existence de ceux s'appelant Darknils. Ils existaient depuis la Déesse Astéria. J'avais creusé ce mystère, appris tout ce qu'il y avait à y apprendre. Je connaissais leur but, leur raison d'être, et j'avais réussi à me faire une place dans cette « secte » plutôt étrange aux premiers abords. Petit à petit, j'étais parvenu à me faire une place. A grimper les échelons. A me faire connaître comme un innovateur du mouvement. J'étais devenu l'atout majeur, celui qui ferait avancer les choses, le nouveau membre qui ferait enfin triompher le projet. A la mort du chef des Darknils, j'avais été naturellement élu à la tête du mouvement. Tout allait selon mes plans, et comme convenu, je faisais avancer le projet, je nous faisais gagner dans l'ombre, je prenais possession de ce royaume, dans l'ombre, dans l'ignorance de tous, pour que lorsque j'atteindrai la lumière, il serait déjà trop tard. Ces vulgaires habitants seraient déjà pris entre mes filets et ils ne pourraient plus rien y faire.
Mes collègues Darknils étaient satisfaits. Jamais le triomphe n'avait semblé aussi imminent. Le but paraissait de plus en plus proche. Et cela me faisait doucement rigoler.
Renverser la balance pour que les favorisés deviennent les dénigrés de la société et que les dénigrés deviennent les nouveaux favorisés de ce monde ? Mais pour quoi faire ? Pour créer de nouveaux martyres ? Pour relancer une nouvelle boucle ? A quoi bon, ce projet ne rimait à rien.
Atteindre l'immortalité ? La vie éternelle était-elle si enviable ? Je n'en étais pas si sûr. Ce but était grotesque. Leur peur de la mort aussi.
Mais s'il fallait faire croire que leurs projets étaient mes projets, soit, j'étais prêt à jouer le jeu, à aller dans leur sens. C'est ce que je faisais depuis le début. Je faisais avancer notre petit groupe, les menant par le bout du nez, leur faisant croire que leur rêve approchait et que je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour toucher ce graal. Je les utilisais sans qu'ils ne puissent comprendre que je n'accéderais pas à leur souhait. J'avais autre chose en tête. Et s'il fallait duper tous les habitants du royaume pour triompher de ma quête personnelle, j'étais prêt à le faire. Cela en valait la chandelle.
Mes comparses n'avaient pas la même vision des choses ; ils vivaient dans la haine de ce monde, un point commun, et dans la quête du pouvoir, ce qui n'est pas pour moi. Je touchais au pouvoir seulement pour atteindre mon but, mais je n'y trouvais aucun attrait. Je détestais ce monde, c'était un fait. Il était injuste, inégalitaire, et ce royaume avait tué celle que j'aimais plus que tout. Tous les Darknils avaient une raison de mépriser ce système, c'était même l'un des critères pour faire partie des leurs. Mais mes congénères rêvaient de se venger en retournant la balance. Contrairement à moi.
Nous étions pour la grande majorité, voir la totalité, des races peu appréciées dans notre société et les Darknils rêvaient de changer cette perception, par vengeance. Ils voulaient réécrire les règles du jeu. S'accaparer de la plus grande puissance possible pour courber le royaume à notre volonté et inverser les tendances. Un Sang Royal serait désormais un pestiféré et un Trivial un don des étoiles.
Pourquoi pas...
Cela restait absurde.
Une race ne changeait pas notre nature profonde. Les martyrisés de la société n'étaient pas forcément des saints. S'ils n'avaient pas été ceux qui se faisaient persécutés, nul doute que beaucoup auraient été ceux qui persécutent. Les êtres vivants étaient tous des êtres perfides, hideux, qui piétinaient les autres pour leur propre intérêt. Je n'aimais ni les races favorisées, ni celles défavorisées. Tous, à mes yeux, étaient identiques.
Ils avaient tous contribué à mon malheur, à la mort de Nita. Favorisé ou non. Ils l'avaient tous condamnée.
Je ne voulais pas cueillir plus de pouvoirs et le changer de main, je voulais supprimer toutes traces de pouvoirs, que ce poison qui coule dans nos veines disparaisse une bonne fois pour toute. Un monde sans don surnaturel, voilà ce que je voulais. Paradoxalement, pour y parvenir, j'avais besoin de posséder le maximum de puissance.
Deuxième point qui touchait particulièrement les Darknils ; l'immortalité. Astéria avait usé d'une immortalité sélective et cela n'avait pas plus à tout le monde. Depuis, l'immortalité avait toujours été avidement recherchée. C'était complétement absurde. Garder une rancœur aussi tenace... Vouloir une chose aussi insensée sans penser aux conséquences...
Je ne voulais pas de l'immortalité. Elle me repoussait au plus haut point. Vivre éternellement ? Non merci. Vivre pour l'infini sans Nita ? Plutôt mourir dix fois de suite dans d'atroces souffrances. La vie éternelle n'avait vraiment rien d'enviable. Mon bref passage sur Obscuratium me suffisait amplement, une fois que la fin tendrait ses bras vers moi pour me cueillir, je voulais en finir définitivement. La vie ne m'avait rien apporté qui en valait réellement la peine. Nita avait été mon plus beau soleil, le reste n'était qu'enfer éternel. Vivre était une expérience enrichissante, je le reconnaissais, et à y réfléchir, je ne regrettais pas de l'expérimenter, mais à quoi bon éterniser cela ?
Je n'avais pas peur de mourir, j'avais plutôt peur de vivre, de vivre éternellement sans jamais pouvoir goûter au repos.
Mon but ultime n'était pas d'accéder à une vie sans fin. Loin de là.
Une éternité sans Nita n'avait aucune valeur.
Car mon réel but avait toujours était elle.
Nita.
Utiliser le projet des Darknils pour manipuler la mort. Voilà le réel but. Je voulais ressusciter les morts. Faire revenir Nita à la vie pour lui offrir tout ce qu'elle n'avait pas eu le temps de vivre. Pour la retrouver. Pour ne plus jamais la quitter. Pour enfin retrouver le bonheur de sa présence.
Pour ne plus jamais avoir peur de perdre ceux qui nous sont cher. Pour que la mort ne soit plus un obstacle à la vie. Pour que tout le monde ait la chance de connaître une fin similaire à Clodomir. Les bas d'échelon n'auraient plus à mourir trop tôt d'une stupidité de ce système.
C'était un but ambitieux. Peut-être que la totalité de mes rêves ne seraient pas atteignables, mais tant que je parvenais à ramener Nita d'entre les morts, le reste n'était qu'un bonus.
Et j'étais prêt à tout.
Pour elle, je ne me plierai devant aucun obstacle.
Qu'importe si je devais me salir les mains, tuer des êtres que j'affectionnais, car personne n'avait autant de valeur qu'elle. Personne n'était comme elle. Et elle serait à jamais mon but ultime, ma priorité.
*
NDA : Et me revoilà avec cette deuxième partie du chapitre 0 qui est dans une toute autre ambiance ! J'espère que vous avez aimé !
— Le but de Samaël, vous en pensez quoi ?
— Samaël qui manipule les Darknils pour son propre intérêt, vous validez ? XD
Brefouille, on se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre 1 😏 je vous dis à bientôt ! Kissy kissy 💙
#Nakijo.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top