Je serrai le poing derrière mon dos, m'attelant à cacher au mieux l'objet qu'il contenait. A trop le serrer, j'en venais à avoir peur de le casser, mais je ne pouvais malgré tout empêcher ma prise de se faire plus forte. Mon poing gérait mon stress, régulait le flot de pensée qui submergeait continuellement mon esprit, me calmait. Je m'appuyai contre le mur en bois de la vieille taverne, attendant patiemment. Mon cœur battait vite, dansait, chaloupait dans ma cage thoracique et je ne savais pas si ce sentiment était agréable ou non. Je pense qu'il l'était. Il l'était, assurément.
Après de longues minutes à réguler ma respiration pour éviter de m'évanouir, une silhouette se détacha au loin. Une bouffé d'oxygène m'envahit les poumons et je sus enfin respirer par moi-même sans plus craindre de défaillir. Un sourire s'étira sur mes lèvres et je massai l'objet dans mon poing. Il était ce qui me raccrochait à la réalité. Tout comme elle. Elle était mon ancre. Tout ce qui était lié de près ou de loin à elle me gardait à bon port.
Elle s'arrêta devant moi, sans un mot. Ses yeux bleus, d'un bleu si clair que cela en devenait surréaliste, me détaillèrent lentement, pétillants. Elle était toujours aussi belle, toujours aussi magnétique. Elle m'aimantait à elle. Par mes pensées qui volaient sans cesse en sa direction, par mes yeux qui ne pouvaient s'empêcher de la suivre, par tout mon corps qui réagissait à chacun de ses mouvements, au moindre son de sa voix. Je l'aimais tellement.
Sa peau était si claire, si blanche, si douce au contact d'une paume. Elle possédait de longs cils blancs et épais qui maquillaient son regard. Des lèvres à peine roses. Des sourcils de nacre. Ses cheveux blancs et doux comme de la fourrure se tortillaient en de larges boucles qui venaient caresser son visage et s'arrêtaient à la naissance de son cou. Elle avait vêtu une capuche qui camouflait ses oreilles d'ours polaire. Elle était si belle. Elle était parfaite.
— T'as fini de me reluquer tel un sociopathe ?
Je clignai vivement des yeux pour me ramener à la réalité. Ses iris étaient braquées vers moi. Je penchai la tête sur le côté, un large sourire s'étendant sur mon visage.
— J'en suis peut-être un, j'ai dû omis de te le dire.
Nita me frappa l'épaule de la paume de sa main.
— Arrête de faire l'idiot.
Sans un mot de plus, elle m'agrippa le bras pour m'entraîner à sa suite hors de la taverne. Elle évita habillement la foule naissante et quitta le village pour se réfugier dans les bois. Elle continuait de me traîner, tel un animal en laisse, et je me laissai faire. Usant de ma transformation de Lycanthrope, je fis apparaître ma queue de loup que je remuai vivement dans l'air comme un animal tout content. Le remarquant, Nita s'arrêta d'emblée de marcher et me regarda, interdite.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je balance la queue comme un animal ravi.
— Tu te prends pour un chien ?
— La nature a fait de moi un loup, mais tu es parvenue à le domestiquer. Pour les autres je suis un animal sauvage, mais pour toi, je serai un animal fidèle. Je serai ta Belle et tu seras mon Sébastien.
Nita me frappa une nouvelle fois l'épaule, avec plus de force cette fois-ci.
— Sam ! T'as fini tes conneries ! En plus, je ne comprends jamais rien à tes références Terriennes.
Retenant un rire, je lui fis des yeux de chien battu. Nita leva les yeux au ciel, excédée. Je sentais qu'elle était stressée, tendue, et même mes bêtises ne parvenaient pas à l'apaiser. Je fis disparaître ma queue de loup et la suivie alors qu'elle s'engageait de nouveau entre les arbres. Cette fois, elle ne me tira pas à sa suite, j'étais libre de mes mouvements. Je traînai le pas, inquiet face à son comportement inhabituel. Mon pouce massa l'objet que j'avais toujours, caché dans ma main, et ce geste me calma.
On déboucha enfin sur notre lieu de prédilection. Une simple grotte encadrée de lierres grimpants où trônait, juste à l'entrée, une vieille souche d'arbre. Nita retira sa capuche qu'elle avait gardée sur sa tête tout du long et partie s'assoir sur un rocher non loin de là. Elle poussa un profond soupir et enfouie sa tête entre ses mains. Mon cœur joua les marteaux contre ma cage thoracique qui s'était changée en clou maltraité.
Je m'approchai d'elle, me mis à genoux, et tentai de capter son regard. Les mains couvrant son visage, elle ne semblait pas me voir. Ou faisait mine de ne pas avoir remarqué ma présence. Lentement, je retirai ses mains de son visage. Dans ses yeux se noyait sa détresse.
— On devrait venir vivre dans cette grotte, lâcha-t-elle abruptement, loin de toute cette civilisation malade. On se débrouillerait par nous-même pour subvenir à nos besoins et nous n'aurions plus à fuir, à être sans cesse sur nos gardes.
— S'établir, même dans un lieu désert, c'est être certain d'être un jour débusqué, fis-je remarquer. Tu es beaucoup trop célèbre, Trésor, les paparazzis ne te laisseront pas filer aussi facilement. Ils te rechercheront où qu'on aille.
Elle fronça les sourcils face à ma métaphore trop Terrienne pour qu'elle puisse en comprendre les nuances. Je fis un signe de la main pour lui signifier de ne pas faire attention à mes propos. Des paparazzis... J'aurais pourtant voulu mille fois qu'il s'agisse de ça plutôt qu'avoir affaire à la réalité. Nos paparazzis à nous n'étaient autre que les cavaliers du vieux roi Clodomir, et si Nita était célèbre, ce n'était pas parce qu'elle était une pop star, mais parce qu'elle était activement recherchée.
Je retins mon souffle, me mis à contrôler ma respiration, et massai l'objet dans mes mains pour calmer mon organisme qui réagissait volcaniquement en accord avec mes émotions. Si je m'écoutais, j'irais trouver ce roi, ces membres royaux, et sous ma forme de loup, je me jetterais sur eux pour leur trancher la gorge de mes crocs. Et tant pis si le sang qui venait à gicler me faisait défaillir, tant pis si je devais me confronter à ma pire phobie. Mais je savais que ce comportement ne mènerait nulle part. Simplement à la mort.
Je respirai lentement, effaçant mes rêves de vengeance et ma soif subite de sang. Il fallait que je remette les pieds sur terre. Nita avait posé sa main sur la mienne et l'ancre qui m'amarrait m'aida à ne plus divaguer.
— Qu'est-ce que tu as dans la main ? me demanda-t-elle, remarquant mon poing continuellement fermé.
Mes yeux se rivèrent sur ma main, mon souffle se fit temporairement irrégulier. Lentement, j'ouvris les doigts et lui tendis l'objet qui s'y recueillait. Une figurine en métal, faite de mes propres mains. Elle représentait un hybride de deux animaux. Un loup et un ours. La moitié du corps était celle d'un loup, l'autre celle d'un ours, et deux têtes, représentant chacune notre animal, terminaient le tout.
— C'est très joli, tu es doué, s'émerveilla-t-elle.
Je lui souris.
— Si tu savais tout ce que je peux faire avec mes mains, tu ne t'en remettrais jamais.
Nita se figea, puis brusquement, elle me frappa une nouvelle fois l'épaule. Elle allait finir par me la déboiter. J'éclatai de rire alors qu'elle se mettait à m'incendier verbalement.
— Il est pour toi, finis-je par préciser.
Alors qu'un peu plus tôt, Nita s'attelait à me crier dessus, elle se jeta désormais dans mes bras, manquant me faire tomber, me remerciant pour ce petit cadeau qu'elle affectionnait déjà. Puis, dans un silence paisible, on se mit à contempler l'objet, elle, assise sur mes genoux.
— J'adore les ours, finis-je par lâcher. C'est mon animal favori.
— En soi, ils n'existent pas ici, ce sont des animaux Terriens, me rappela-t-elle.
— Ce n'est qu'un détail. J'aime les ours parce que je t'aime toi, j'aimerai toujours les ours parce que je t'aimerai toujours.
Gênée, Nita poussa ma tête de sa main, éloignant le plus possible mon visage du sien, me faisant taire par la même occasion. Elle n'aimait pas tout ce qui s'apparentait à de la niaiserie ou tout autre sentiment dégoulinant, alors, je prenais un malin plaisir à l'embêter avec ce genre de chose. D'autant plus que j'étais honnête dans mes formulations. Je le pensais vraiment, mais j'aimais trouver les formulations pour l'exprimer qui la ferait le plus rougir.
— On devrait aller vivre sur Terre, au milieu des ours.
— Comment tu peux débiter autant de conneries dans une si brève minute ? s'exaspéra Nita.
— Je suis très sérieux. Si nous vivions sur Terre, nous échapperions au roi, aux cavaliers et à la sentence de mort.
— Pour se rendre sur Terre, il nous faut une pierre de téléportation, et toutes ces pierres sont gardées dans le château. Autant se passer la corde au cou directement.
— Il doit avoir un moy...
Nita posa son doigt sur mes lèvres, le regard réprobateur.
— Nous ne connaissons personne, nous n'avons aucun contact et le chercher de nous-même serait suicidaire. Je ne veux pas que tu commences à prendre des risques pareils. C'est moi qui suis recherchée, pas toi, alors ne commence pas à t'impliquer dans mes histoires, tu risques de te faire ficher à ton tour.
— Je m'en fiche d'être fi...
— Pour moi, ça compte. Je refuse que tu deviennes à ton tour un martyre destiné au bûché. Une mort vaut mieux que deux.
— Tu ne mourras pas !
— J'espère, mais je préfère m'assurer que toi, tu ne me suives pas dans ma chute. Je sais que tu affectionnes particulièrement la Terre et ses richesses et que là-bas, l'idée de se reconstruire une vie paraît plaisante voir utopique, mais ça ne reste qu'un rêve irréalisable.
Son regard se fit plus dur.
— Même si nous parvenions à nous rendre sur Terre, notre physique sera trop différent des natifs de cette planète. Nous ne pourrions nous y intégrer sans devenir de vulgaires sujets de laboratoire. Et il est hors de question qu'on se mette à vivre sous notre forme animale quotidiennement pour échapper aux Terriens.
Je devais reconnaître qu'elle n'avait pas tort. Mais aucune solution ne s'offrait à nous, et plus notre situation tournait dans mon esprit, plus ma respiration devenait compliquée. Tout ce que nous voulions, c'était vivre, vivre libre, mais la société en avait décidé autrement. Je serrai Nita contre moi, m'aidant de sa présence pour empêcher mes pensées de sombrer trop profondément.
Nita était un Animalis de l'ours polaire. Comme tous les Animalis, elle était une richesse aux yeux des membres royaux. Alors qu'elle avait douze ans, le roi lui avait proposé de rejoindre le château et de devenir membre du palais. Enfin... proposé était un bien grand mot. Ce n'est pas comme si elle en avait eu le choix. C'était les rejoindre, ou le roi veillerait à ce qu'elle vive dans la plus grande misère tout le reste de sa vie, elle, et tous ceux qui lui étaient proches. C'était ainsi que marchait le règne du vieux Clodomir ; chantage, violence, harcèlement...
Nita ne s'était jamais intégrée au château, elle n'en avait même pas eu envie. Elle n'avait rien demandé, et ne voulait pas vivre au milieu de cette bourgeoisie indifférente du sort du peuple. Privée de sa liberté par ceux qui se croyaient supérieur à autrui, elle avait alors décidé d'agir pour le peuple, dans l'ombre, en utilisant ses privilèges. Elle avait libéré des condamnés qui, de son propre jugement, ne méritaient pas leur châtiment, elle s'était attelée à faire échouer des guerres qui avaient pour but finale l'enrichissement du royaume au détriment du peuple, elle avait créé un refuge pour les races persécutées... Elle en avait fait des choses... Mais forcément, ces choses ont fini par être découvertes. Le roi l'avait alors condamnée à mort pour trahison envers leur royaume. Nita s'était réfugiée auprès des races persécutées pour qui elle avait bâti un refuge. Le roi avait envoyé toute sa cavalerie à la recherche de Nita et avait annoncé que celui ou celle qui était surpris à la cacher subirait le même sort qu'elle. Ses alliés l'avaient dénoncée pour se couvrir. Nita n'était plus soutenue ni par les races privilégiées, ni par celles persécutées. Elle était seule. Et je haïssais chaque race de ce monde pour ce qu'elles lui avaient fait.
Je connaissais Nita depuis l'enfance. Elle était de deux ans mon ainée. Et depuis aussi loin que je me souvenais, je l'avais toujours aimé. Cela avait toujours été réciproque. Malgré son départ au palais, nous étions toujours parvenus à garder contact, et lorsque j'avais appris ce qu'il se passait, je m'étais promis d'être son plus fidèle allié, quitte à me mettre moi aussi en danger.
Depuis, nous fuyions quotidiennement. Nous ne restions jamais plus de trois jours au même endroit. Mon visage étant inconnu de tous, n'étant pas recherché, je m'occupais de tout ce qui concernait les vivres. Nita, elle, avait pour charge de passer inaperçue. Actuellement, nous nous étions faufilés dans une vieille taverne abandonnée, au bord d'un village. Mais les vagabonds, à rester trop longtemps au même endroit, finissaient par attirer l'attention. Nous devions partir. Car nous étions dans une quête perpétuelle. La quête de la survie. Et notre vie allait se résumer désormais qu'à la fuite, pour toujours. Mais fuir, si c'était à ses côtés, me convenait. J'aurais pu m'en contenter pour l'éternité.
— J'ai récupéré assez de vivre pour une semaine, lui dis-je, ce soir on passera la nuit dans la grotte, ensuite, on continuera notre route.
Nita acquiesça. Elle passa doucement une main sur ma joue, se blottie contre moi. Un instant de répit dans une fuite incessante.
— Si vivre c'est souffrir, s'arrêter de courir c'est mourir, je signe toute suite, tant qu'on est ensemble, lui soufflai-je.
Nita me donna un coup dans l'épaule.
— T'es bête ! sourit-elle.
*
NDA : Hey ! Me revoilà enfin pour débuter ce tome ultime ! Et on commence directement avec le chapitre 0 qui est en deux parties 🤭 (la fin de ce tome ne contiendra pas de chapitre 0, c'est pour ça qu'il se trouve au début cette fois-ci).
La partie 2 devrait arriver ce weekend ; Dimanche au plus tard si tout va bien. Après je compte poster une fois par semaine et j'espère parvenir à être régulière dans mes postes xD
— Ce chapitre, vous en avez pensé quoi ?
— Nita et Samaël, un mot sur leur relation ?
Je vous dis à bientôt et vous souhaite une bonne fin de vacances !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
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