9. La haine pour cacher la peine.

Arachné poussa un cri de rage et tenta de se débattre, mais les cendres de feu lui brûlèrent la peau sous ses gestes brusques et l'araignée s'immobilisa dans un cri, comprenant qu'elle ne parviendrait à rien de cette manière.

- Tu crois sérieusement que tu es capable de me faire dire tout ce que tu veux ? s'énerva-t-elle. Tu auras beau vouloir me délier la langue, jamais je ne parlerai.

- Mais tu n'auras pas le choix, me moquai-je. Aleth à le pouvoir de te faire cracher la vérité et même sans elle, je serai parvenue à mon objectif. Il me suffit de menacer tes frères de mort, et alors, je suis convaincue que j'aurais eu toutes les réponses à mes questions.

Arachné me foudroya du regard, et vu son expression faciale, elle devait probablement me haïr plus que tout au monde.

Je fis signe à Aleth de nous rejoindre, cette dernière hésita quelques minutes avant de s'avancer timidement en notre direction. Elle se méfiait tout autant de moi que de l'Animalis immobilisée contre le mur.

- Pourrais-tu utiliser ton pouvoir sur cette adorable araignée afin que je puisse lui poser quelques questions ? lui demandai-je.

L'Obscuras aux cheveux rouge sang me contempla longuement, suspicieuse.

- Qu'est-ce que tu as derrière la tête ? me demanda-t-elle, ne voulant visiblement pas participer à mes combines sans connaître le fin fond de mes intentions.

- Tu n'as pas besoin de le savoir, m'agaçai-je, si tu ne le fais pas, je passe au plan B et tu auras la mort de ces deux autres araignées sur la conscience.

Aleth s'empourpra de colère. Elle serra les lèvres mais ne répliqua rien. Sage décision. Inspirant profondément, elle finit par regarder Arachné et se concentra. Les sourcils foncés sous la concentration, l'Obscuras finit par hocher la tête.

- C'est bon, elle est sous mon emprise. Tu peux lui demander ce que tu veux.

Je n'avais pas eu à me battre pour obtenir ce que je désirais.

Je posai mon attention sur l'araignée retenue contre le mur. En réalité, j'avais plusieurs questions à lui poser et je ne savais pas vraiment par où commencer.

- Alisa m'a dit qu'elle a trouvé les Dédales, j'imagine qu'il s'agit de ce lieu ou celui qui se trouve derrière cette cavité, finis-je par lâcher, j'ai raison ?

Arachné serra les lèvres avec force, voulant retenir le flot de mots qui voulait s'échapper hors de sa bouche. Mais le pouvoir d'Aleth était plus puissant, il eut raison d'elle.

- Oui, on est dans l'entrée des Dédales, finit-elle par articuler péniblement.

J'affichai un sourire satisfait. Elle n'était pas au bout de ses peines.

- Qu'est-ce que les Dédales au juste ?

Arachné tenta une nouvelle fois de résister, se mordant les lèvres jusqu'au sang. Elle avait beau lutter, se mordre férocement les lèvres, mettre toute sa volonté pour garder les informations secrètes, rien n'y fit.

- Les Dédales sont une pièce secrète du château, très peu de monde la connaisse, et parce fait, très peu de monde y ont accès. Les membres du palais ne savaient même pas où la reine se trouvait aujourd'hui. L'ensemble pensait qu'elle était réellement sortie du château.

- Quand tu affirmes que très peu de monde connaissent ce lieu, tu vises qui ? Les Sangs Royaux et leurs plus fidèles alliés ? lui demandai-je.

Arachné serra ses lèvres avec force. Elles étaient en sang, les yeux de l'Animalis étaient écarquillés. Elle ne voulait pas dévoiler la vérité, et le fait qu'elle y soit contrainte malgré elle, semblait être un pur cauchemar.

- Non, les Sangs Royaux ne savent rien pour la plupart, seuls un nombre très limité de personne ont connaissance de cet endroit.

- Pourtant, le château est vide. Où sont les autres ? l'interrogeai-je, ne pouvant oublier la surprise de découvrir un château aussi désert.

Il n'y avait que des gardes avant l'arrivée de la reine.

- La reine Zara les a envoyés en mission, ils n'ont pas eu le choix.

Je fronçai les sourcils. Qu'est-ce qu'elle entendait par là ?

- Quel genre de mission ? Une mission peu réjouissante, n'est-ce pas ?

Arachné poussa un cri étranglé, ne supportant plus l'afflux de mots s'évadant à travers ses lèvres. Elle se crispait, luttait, en vain.

- Il n'y avait aucun volontaire, on est entouré de lâche, cracha-t-elle, mais la reine n'en avait rien à faire de leurs avis. Ils y sont presque tous allés sous peine de lourdes représailles. C'était une mission selon eux qui manquait cruellement de morale, ils ne voulaient pas être complices ou même coupables d'un tel massacre.

- D'un massacre ? relevai-je.

- Oui, d'un massacre. C'est le début du grand ménage aujourd'hui, le grand nettoyage. L'éradication. La reine a jugé, à juste titre, que c'était le jour parfait pour commencer le tri. Très peu de monde mérite de vivre sur ces terres, il faut bien faire la sélection vue que mère nature n'a pas su s'en charger.

Aleth chancela, écarquillant les yeux d'horreur. Sa réaction était à l'opposé de la mienne ; je n'avais pas bougé d'un iota, le visage indéchiffrable. L'Obscuras aux cheveux rouges avait les mains tremblantes et le visage empourpré. Elle s'approcha face à Arachné, les yeux brillants, mais une colère perceptible au fond de ses prunelles.

- Vous allez tuer impunément des innocents ? s'étrangla-t-elle.

Arachné grinça des dents.

- Ils ne sont pas innocents, se justifia-t-elle, personne n'est tout blanc dans ce fichu royaume. En réalité, ce royaume n'est empli que d'êtres perfides, noirs, des monstres sans cœur. La mort de tous ne serait qu'un doux rendu des choses. Il est temps de changer ce monde, de donner un nouveau penchant à la grande balance des destins.

- Tout n'est jamais ni tout blanc ni tout noir ! protesta Aleth. Vous ne pouvez pas tuer les habitants d'un village sous ce vulgaire prétexte ! Qui êtes-vous pour juger qui doit vivre ou mourir, bordel ? Qui êtes-vous pour juger qui est le méchant et qui est le justicier de ce monde ? Vous n'êtes qu'une bande de meurtriers qui déguise ses actions sous des prétextes aberrants !

L'Animalis grinça à nouveau des dents, ses joues s'empourprèrent de rage.

- Ce monde est empli de meurtriers, d'assassins, de monstres, de violeurs, d'harceleurs, de tout ce que tu veux et ce depuis des siècles ! hurla-t-elle. Depuis des siècles, les habitants se livrent à toutes sortes de méfaits abjectes et personne n'est foutu de les arrêter ! Depuis des siècles, ce monde est habité par des êtres pourris jusqu'à la moelle ! Il est temps de changer les choses, de raser la population pour créer un monde obéissant à nos règles et nos lois. Nous allons construire un monde meilleur, un monde où plus personne n'aura à souffrir, un monde où les personnes brisées pourront enfin se reconstruire et s'élever pour prendre la tête de ce royaume, au lieu de se faire écraser par autrui se croyant à tort supérieur. Nous allons inverser les rôles.

- Donc votre plan c'est de changer les bourreaux par de nouveaux bourreaux et les anciennes victimes par des nouvelles, résuma Aleth. Ce n'est que relancer le problème, c'est une boucle sans fin ! Parmi les habitants du royaume, c'est vrai, beaucoup ne sont pas des anges, mais beaucoup d'autres n'ont rien fait pour mériter de souffrir, de mourir, vous ne faîtes que créer de nouveaux martyres !

- On doit bien faire quelques sacrifices pour un monde à notre image. C'est dommage pour ces personnes-là, mais il ne s'agit que d'une poignée de sable dans une vaste plage, rétorqua l'araignée d'un ton dépourvu de toute émotion.

Aleth eut un mouvement de recul, écœurée par les propos d'Arachné, prononcés sans le moindre sentiment. J'étais restée immobile pendant tout ce temps, mon visage était vide de toutes expressions. Je finis par pencher la tête sur le côté, gardant mon visage inexpressif.

- Dans ce grand tri, qui est destiné à mourir et qui comptez-vous garder en vie ? demandai-je d'une voix égale, me demandant d'après eux, qui méritait de vivre ou de mourir.

Arachné posa son regard hostile sur moi, me détaillant avec un mépris non dissimulé.

- Si tu espères faire partie des épargnés, tu peux toujours courir, se moqua-t-elle. Ta race aurait déjà dû être éradiquée ! Ce n'est pas pour rien que tu sembles être la seule avec des yeux pareils, si ta race a disparu, c'est par ce qu'on s'est déjà occupé de son cas. Tu n'es qu'une des derniers membres survivants encore. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que tu ne t'éteignes à ton tour, cracha-t-elle d'une voix emplie de venin.

Aleth tourna la tête en ma direction, surprise par les propos de l'araignée. Mon visage était toujours autant dépourvu d'expression. Arachné avait voulu me déstabiliser, mais ce qu'elle ignorait, c'est que la reine Zara m'avait déjà dévoilé cette vérité. J'étais déjà au courant. Je finis par lâcher un soupir d'ennui.

- Je ne t'ai pas demandé qui ne serait pas épargné, mais qui le serait, lui fis-je remarquer. Mais puisque tu abordes le sujet, tu pourrais me dire de quelle race je fais partie ? On a beau me bassiner avec ma race, me dire qu'elle n'aurait jamais dû exister, pendant ce temps, moi, j'ignore toujours de quoi il s'agit. Et tu pourrais aussi m'expliquer pourquoi la reine voulait tant la connaître lorsqu'elle m'avait en captivité ? Si elle la connaissait déjà, quel était l'intérêt de me torturer pour avoir ce renseignement ?

- J'ignore à quelle race tu appartiens, la reine n'a pas voulu me le dire, m'avoua Arachné, mais j'imagine que ça doit être un truc abject pour susciter tant de haine, ricana-t-elle. Si la reine te demandait si souvent ta race lors de ta captivité, c'est parce qu'elle voulait être sûre à cent pourcent que tu ignorais tout de tes origines. Il fallait que l'on soit convaincu que tes chers parents ne t'avaient bel et bien rien révélé. C'est mieux ainsi.

Je serrai et desserrai les poings, canalisant ma colère constamment présente.

- Mieux ainsi ? m'agaçai-je.

L'Animalis m'envoya un sourire radieux.

- Exactement, c'est mieux ainsi, répéta-t-elle.

Je toisai l'araignée, refoulant ma colère, j'avais du mal à rester de marbre. J'avais l'impression d'avoir la vérité sur ma nature, sur mon passé, à porter de doigts, et pourtant complétement inaccessible. Comme un morceau de viande pendu au-dessus de ma tête sans que je ne puisse l'atteindre, trop petite pour m'en emparer.

- Si la reine est alliée avec les Darknils, pourquoi ne pas m'avoir livré à eux lorsqu'elle m'avait entre les mains ? demandai-je, préférant changer de sujet. Et pourquoi ignorait-elle mon nom ?

- On savait qui tu étais, mais le chef des Darknils ne nous a jamais divulgué ton identité. La reine a voulu se charger elle-même de ton cas à ta venue. Elle n'a même pas prévenu les Darknils de la venue d'un double d'Evilash sur ces terres, ils l'ont découvert par eux-mêmes lorsque l'un d'entre eux t'a croisé dans le Sundry.

- Elle a dû entendre parler du pays lorsqu'ils ont su qu'elle avait gardé le silence, me moquai-je, j'espère qu'elle s'en est remise. Je suis la mieux placé pour savoir que leurs sentences peuvent être traumatisantes.

Arachné me foudroya du regard.

- La reine va parfaitement bien, cracha-t-elle.

Je haussai les épaules, un sourire narquois sur les lèvres.

- Si tu le dis, on va dire que c'est vrai, me résignai-je, après tout, nous avons d'autres questions bien plus importantes à aborder. Tu ne m'as toujours pas dit qui devait être éradiqué, fis-je remarquer. J'attends une réponse.

Arachné se contorsionna pour lutter contre le pouvoir d'Aleth, son souffle était saccadé, mais elle ne pouvait vaincre la vérité qui fusait entre ses lèvres à son insu.

- Les races privilégiés, finit-elle par lâcher dans un grincement. Hormis les alliés de la cause, ce monde n'aura plus un seul Animalis en son sein, ni de Sangs Royaux. On prévoit de tous les éliminer tout comme les Guerrier, les Prophètes, les Fées, les Télépathes, les Sirènes, les Gaïas, les Voyageurs, les Feu-follets, les Sorcières, les Gardiens, les Inventeurs et les Dompteurs. Et peut-être encore quelques autres races trop bien mises en avant. Tous ceux suscitant un privilège dans cette société se verront disparaître pour laisser place à ceux tapis dans l'ombre, à ceux ayant subi leur race contre leur gré. Il est temps que les choses changent.

Aleth s'était raidit. Ses yeux étaient écarquillés d'horreur.

- Vous allez tuer des races entières pour supprimer temporairement des races dites favorisées ? lâcha Aleth avec dégoût. T'es au courant que même si vous parvenez à tuer une race entière, elle finira par revenir dans les générations suivantes ? Les races ne se transmettent pas seulement génétiquement, il y aussi une grosse dose de hasard.

- Bien sûr que je le sais ! pesta Arachné, autrement votre chère Eudora ne serait pas là avec ses yeux affreux, puisqu'on a supprimé ses ancêtres de race comme des vulgaires animaux ! Tout ce qu'ils méritent d'ailleurs.

Mon poing s'écrasa de lui-même dans le visage de l'Animalis. Arachné poussa un cri furieux, le nez et la bouche en sang. Elle me foudroya du regard avant de cracher à mes pieds, mélange de sang et de salive.

- Pauvre idiote ! s'énerva-t-elle. Si tu ne veux pas entendre ce que j'ai à dire, arrêtez d'utiliser ce foutu pouvoir sur moi ! Les mots sont sortis tout seul sous sa mainmise.

Je serrai les poings, vibrant de colère. Je m'approchai face à l'Animalis, le regard sombre.

- Je n'en ai rien à faire de tes justifications, grinçai-je, tu parles ouvertement du massacre de ma race et tu t'attends à ce que je ne bronche pas ? Mes parents ont été sauvagement assassinés sous mes yeux par toi et tes semblables ! hurlai-je, sentant la rage augmenter l'adrénaline qui parcourait mes veines. J'ai vu ma mère se faire égorger sous mes yeux, alors que je n'avais que sept ans, et pour quoi ? Pour la seule raison qu'elle ne possédait pas une race que vous appréciez ? Mais va te faire foutre !

Mon poing vola une nouvelle fois dans son visage. Arachné poussa un grognement de douleur sous l'impact, mais cette fois-ci, n'émit pas la moindre protestation.

Je tremblai de la tête au pied, j'avais un nœud dans la gorge et la rage dans l'estomac. Il fallait que je me contrôle. Que je garde mon calme. Les cendres de feu vibraient dans la pièce avec plus d'intensité, allant au rythme de mes humeurs.

Aleth avait poussé un petit couinement de surprise à l'entente de mes mots. J'avais complétement oublié sa présence. Mais au fond, qu'importe qu'elle en sache plus sur mon compte, je n'en avais désormais plus rien à faire. Les meurtriers de ma famille étaient de nouveau lâchés en liberté, prêts à frapper de nouveau, à faire subir le même sort que le mien à des milliers d'autres personnes. J'avais autrefois dit que le sort des autres m'importait peu, mais tout avait pris une tournure bien différente. Je ne pouvais pas laisser les choses continuer sur cette voie. Il était hors de question que les Darknils triomphent, qu'ils continuent leur massacre. Ils m'avaient brisée lorsqu'ils avaient réduit ma vie à néant, je ne pouvais pas les laisser recommencer avec d'autres. Je savais trop bien ce que cela faisait.

Empoignant Arachné par le col, je braquai mon regard dans le sien. L'Animalis fit bonne figure et me rendit son regard, mais je vis bien vite que son masque de marbre n'était qu'un leurre, qu'une comédie. Elle était ébranlée.

- Tu as de la chance, lui soufflai-je, je vais te laisser vivre. Mais seulement pour cette fois-ci. Quand j'en aurai fini avec toi, je vais te relâcher et tu retrouveras les tiens. Tu transmettras alors un message de ma part à Samaël.

Arachné déglutit difficilement alors que je resserrai ma prise sur son col. Mes poings étaient si serrés que mes jointures avaient viré au blanc.

- Tu lui diras qu'il a désormais un sérieux problème et qu'il ferait bien d'être sur ses gardes. Tu lui diras que même s'il se croit plus fort, même si Evilash n'est pas parvenue à le stopper, même s'il croit que personne ne pourra entraver ses plans, il ferait mieux de se méfier. Car qu'importe ce qu'il doit m'arriver par la suite, qu'importe si je dois perdre le peu qu'il me reste, qu'importe si je dois en mourir, je le traquerai. Où qu'il soit. Je le traquerai, je le trouverai et je lui briserai la nuque.

Je relâchai brutalement l'Animalis, me reculant de quelques pas, le regard flamboyant. Un incendie régnait dans mon estomac. La colère avait animé des flammes dévastatrices et je peinais à calmer le feu qui me brûlait et me consumait petit à petit. Evilash avait raison, je n'étais pas prête à refaire face à Samaël, à mes démons, mes pires cauchemars. Je n'étais pas prête à le revoir, à replonger dans tout cela, mais je n'avais pas le choix. Et cette fois-ci, il était hors de question que je me cache, que je fuis la réalité. S'il le fallait, j'allais attaquer la première.

Je ne serai jamais en paix tant que lui et les siens vivront. Je devais alors les éliminer. Pour pouvoir enfin respirer.

Arachné était de nouveau clouée au mur, mes cendres enveloppant ses bras, ses jambes, pour l'empêcher de remuer et de s'enfuir. Elle était immobile, dans la même position qu'un peu plus tôt, mais quelque chose dans son regard avait changé. Elle n'essayait plus de me faire face, elle avait la tête penchée en avant, le regard rivé sur le carrelage noir, les yeux indéchiffrables. Pourtant, je vis bien vite qu'elle avait perdu sa fougue. Mais impossible de percer ses réelles émotions, ce qu'elle contenait au fond d'elle.

Je n'avais pas le temps de me préoccuper de ses états d'âme. Peu importe qu'elle semblât subitement ailleurs, perdue, sans plus aucun regard venimeux dans ses prunelles toujours chargées de haine. Elle déguisait ses peines par un masque de haine, je commençais à le comprendre. Mais je n'avais pas le temps de m'attarder dessus.

- Quand tu parles d'éradication, repris-je d'un ton moins enflammé qu'un peu plus tôt, tu veux dire que les races favorisées sont actuellement tous en train d'y passer ? demandai-je, les poings serrés.

Arachné contracta la mâchoire, relevant lentement la tête. Ses yeux brillaient de colère, mais elle semblait vide de toute énergie. Comme si on venait d'éteindre la flamme qui se consumait quotidiennement au fond d'elle.

- Non, ce n'est que le début, marmonna-t-elle dans un ton faiblement agacé. Pour l'instant, c'est un nettoyage en masse, on ne vise personne en particulier. On se contente de diminuer la population. Eliminer ceux qui méritent de disparaître. Par la suite, on s'attaquera aux ethnies, on éliminera les races trop mises en avant en commençant par les plus populaires ; les Sangs Royaux et les Animalis. Petit à petit, on ne visera plus une population globale, mais des personnes spécifiques, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que ceux méritant de survivre.

Aleth s'empourpra de nouveau à l'entente de ces mots.

- Qui mérite de survivre ? répéta-t-elle. Mais qui...

Je levai la main en sa direction, lui faisant signe de se taire. Surprise par mon geste brusque, l'Obscuras aux cheveux de sang se tue dans un mouvement de recul. Mes yeux n'avaient pas quitté Arachné. Mon attention était focalisée sur elle.

- Tu es une Animalis, fis-je remarquer, tu fais partie de la race la plus mise en valeur après les Sangs Royaux et pourtant, tu sembles prête à aider les Darknils afin d'éradiquer les tiens. Pourquoi ? Pourquoi souhaiterais-tu la perte de ton Clan, de ta propre race ? Ne fais-tu pas désormais partie de la Triade ? N'es-tu pas à la tête d'un Clan ? Malgré ça, tu souhaites leur mort ? Il faut que tu m'expliques ta logique, car je ne comprends pas.

Arachné serra les lèvres, luttant contre le pouvoir d'Aleth. Elle luttait comme elle n'avait encore jamais lutté jusqu'ici. Elle se mordait les lèvres, enfonçait ses ongles dans ses mains, contractait la mâchoire, poussait des cris de rage, mais elle ne pouvait résister au pouvoir de la vérité. Ses yeux s'embuèrent de larmes et sa vision fut subitement troublée. Dans un hoquet, elle finit par ouvrir les lèvres malgré elle. C'est dans un cri qu'elle finit par me répondre ;

- Je fais peut-être partie de la race la plus privilégiée, mais je n'ai reçu aucune exclusivité moi ! hurla-t-elle. J'ai beau avoir du sang d'Animalis qui coule dans mes veines, c'est comme si j'étais l'être le plus perfide que le royaume n'est connu ! Pendant que les miens recevaient des présents, je recevais des couteaux plantés dans les côtes. Pendant que les miens se voyaient attitrés de titre glorieux, je me voyais jetée comme une malpropre, insultée. J'ai plus souvent vu les semelles s'écraser contre mon nez que des richesses se déposer autour de mon cou !

Arachné avala difficilement une goulée d'air, quelques larmes glissant le long de ses joues.

- J'ai peut-être les yeux d'un Animalis, mais je ne me sens pas comme faisant partie des leurs ! Si je suis à la tête de la Triade, c'est entièrement grâce à la reine Zara ! Personne d'autre qu'elle n'a voulu me donner ma chance, personne d'autre qu'elle n'a cru en moi, personne d'autre qu'elle n'a su me traiter comme un être vivant et non comme un monstre ! Alors si ceux partageant ma race doivent mourir, j'en suis complétement indifférente. Je ne me sens en rien liée à leur sort.

Ses mots emplis de douleurs et de rancœurs m'avaient clouée sur place. Arachné souffrait. Elle se déguisait, revêtait un masque de rage et de haine pour cacher ses déchirures intérieures. C'était la haine pour cacher la peine. La rage pour cacher le carnage que les autres avaient causé dans son cœur. Je me rendis alors compte qu'on se ressemblait.

La première fois que l'on s'était vu, je l'avais haï. Pourtant, on avait un gros point commun. Et je ne m'en rendais compte que maintenant. Toutes deux, on déchainait notre colère, on se comportait comme des endiablées, on ne laissait que la rage transparaître pour camoufler la profonde déchirure qui creusait notre âme.

Inspirant lentement, c'est avec une voix plus calme que je poursuivis mon interrogatoire ;

- Je peux savoir pourquoi tu n'es pas traitée comme un Animalis à part entière ? lui demandai-je.

Aleth trahit une grimace à l'entente de ma question. Je compris alors qu'elle était déjà au courant. Et vue sa tête, il y avait quelque chose dans la réponse qui la dérangeait. Ce constat m'étonna. Ma curiosité s'accentua.

- Je suis née dans de mauvaises conditions, grinça Arachné le visage crispé de douleur, mes origines son un malheur. Découlent d'un désastre. Ma lignée est maudite.

Je haussai un sourcil. Maudite ? Qu'est-ce qu'elle entendait par là ? Je m'immobilisai, me rendant peu à peu compte du sens de ses propos. Sa lignée était maudite... La première fois que je l'avais rencontrée, j'avais senti autour d'elle une étrange atmosphère, comme l'ombre d'une malédiction. Evilash m'avait ensuite appris que les auras que je sentais autour de de moi était en réalité ce qu'elle savait déjà sur des Obscuras que je croisais. Arachné était maudite et Evilash était au courant.

Je me reconcentrai sur Arachné, virant mes pensées hors de mon esprit. Mais au lieu d'enchaîner mon interrogatoire sur la malédiction d'Arachné, c'est une toute autre question qui franchit mes lèvres.

- Comment as-tu rencontré la reine Zara ? lui demandai-je.

Arachné grinça des dents, réticente à répondre. Mais sous le pouvoir d'Aleth, elle n'avait pas vraiment le choix.

- Elle m'a trouvée alors que je m'étais enfuie de chez moi. Elle m'a alors sauvée, moi et mes frères, de l'enfer dans lequel on était empêtré. Elle nous a adopté. Elle nous a offert une nouvelle chance loin de la souffrance qu'on a dû endurer au début de notre existence.

Je clignai vivement des yeux. Arachné avait été adoptée par la reine Zara ? Je ne m'y attendais absolument pas. Il fallait dire que j'avais du mal à imaginer Zara venir au secours de quelqu'un, le sauver et lui donner une chance. Je la voyais comme un monstre et non comme un sauveur. C'était une meurtrière. Un glaçon sans la moindre émotion.

- Raconte-moi ce que tu as enduré avant que la reine ne te trouve, demandai-je alors à l'araignée.

Arachné laissa ses cheveux retomber devant son visage, cachant son expression faciale. Elle serrait les poings, essayait de contenir les mots à l'intérieur d'elle, en vain.

- Mes parents ne nous aimaient pas. Ils auraient préféré ne jamais nous avoir, commença-t-elle difficilement. Lorsque l'on est né, ils n'ont même pas pris la peine de nous choisir un prénom. On était sans identité. Ils nous ont délaissés, rejetés, malmenés. Le début de mon existence, je l'ai passé dans une cave humide, sombre, sans jamais en sortir. Nos parents nous avaient enfermés dans une cave froide comme de vulgaires animaux destinés à crever. Ils ne venaient pratiquement jamais nous rendre visite. On a grandi en étant coupé du monde, avec seulement des dorarts pour nous tenir compagnie.

- Dorart ? répétai-je, ne voyant absolument pas de quoi il pouvait s'agir.

Arachné poussa un profond soupir d'agacement.

- C'est vrai que tu viens de la Terre toi... remarqua-t-elle. Des dorarts sont des animaux qui ressemblent... à des rats ! Les dorarts ressemblent à des rats mais avec des ailes.

Arachné poussa un grognement agacé et d'un geste de la tête, elle fit valser ses cheveux vers l'arrière, dégageant son visage. Ses yeux étaient humides de larmes mais une lueur farouche illuminait ses prunelles.

- Moi et mes frères avons grandi avec des dorarts comme unique compagnie, reprit-elle. Je n'ai que mes frères au monde. Notre misère nous a soudé d'une façon inconcevable. Nos parents nous ont laissé croupir dans cette cave, pensant qu'on allait finir par y crever. Crever de faim, de soif, de maladie ou je ne sais quoi d'autre. Mais ils n'ont pas eu cette chance. Ils n'ont pas eu la chance de nous voir crever entre quatre murs. Petits, on a rapidement su apprendre à survivre, à lutter pour vivre. Précocement, on a su utiliser nos pouvoirs pour chasser. On chassait les dorarts présents avec nous et on les tuait afin de pouvoir manger. C'est le seul repas que j'ai connu au début de mon existence et durant des années. La chair infecte de ces bêtes hideuses.

Arachné inspira lentement, le visage déformé par la colère.

- On a survécu en mangeant des animaux crus et en buvant l'humidité des murs. Nos parents désespéraient de ne pas nous voir mourir, malgré tout ce qu'ils entreprenaient pour qu'on rende notre dernier soupir. Ils n'avaient pas le cran de nous tuer de leurs propres mains et espéraient que la famine, la déshydratation ou encore la maladie vienne nous cueillir. Quand leur rage était trop grande, qu'ils ne supportaient plus le fait de nous savoir en vie, survivant sous leurs planchers, ils descendaient brièvement et nous déboitaient les os.

Arachné poussa un cri de rage à ce souvenir. Elle cligna vivement des yeux, laissant couler quelques larmes, le visage enragé.

- Peux-tu seulement imaginer la douleur d'une telle torture ? hurla-t-elle. Quand on criait, ces imbéciles souriaient. Notre douleur leur faisait plaisir. Ils ne cessaient de nous dire qu'on était des monstres, qu'on ne méritait pas de vivre, qu'on était inférieur à tout être vivant sur ce royaume comme sur toutes planètes de l'univers. Ils s'attelaient à nous détruire physiquement et mentalement. Et je n'en pouvais plus ! hurla-t-elle tout en sanglotant. J'avais tellement peur. Peur de voir cette porte s'ouvrir. Peur de les voir descendre pour nous torturer. Peur de voir mes frères hurler de douleur. Je voulais que tout s'arrête. Je voulais mourir autant que mes parents souhaitaient me voir morte. J'aurais voulu me trancher la gorge, laisser la faim m'emporter, m'enfoncer la tête dans le mur jusqu'à ce que les os de mon crâne cèdent. Qu'importe la manière, tant que la mort pouvait me sortir de cet insupportable enfer.

Arachné serra les lèvres pour étouffer un nouveau sanglot. Des larmes s'étaient mises à rouler sur ses joues, mais ses yeux brillaient toujours de la même rage.

- Mais je ne pouvais pas mourir, réussit-elle à articuler. Je ne pouvais pas laisser mes frères avec cette douleur supplémentaire à endosser. Titus à tout fait pour me faciliter la vie, il savait que mon état moral était fragile, il a tout fait pour nous préserver. Lorsque nos parents descendaient, il se mettait devant nous pour être torturé le premier. Il tentait tant bien que mal de nous remonter le moral. Il nous protégeait et sans lui, je ne suis même pas sûre que l'on aurait survécu. Mais malgré ça, je peinais à tenir le coup. Un jour, j'ai pété un câble. Alors que mes parents descendaient dans la cave, j'ai foncé vers eux en hurlant et j'ai miraculeusement réussi à forcer le passage. J'ai réussi à m'enfuir hors de chez moi sans même qu'ils ne parviennent à me rattraper. J'ai couru dehors, dans un monde que je n'avais encore jamais vu, dont je ne connaissais rien. Et tu sais ce qu'il m'est arrivée ? me demanda-t-elle dans un gloussement.

Arachné dut s'interrompre. Elle se mit à rire, les larmes inondant désormais son visage. Elle riait et haletait tout en même temps, semblant manquer d'air. Elle finit par réussir à se calmer et reprit d'une voix tremblante ;

- J'ai crié à l'aide une fois dehors, je voulais qu'on vole à mon secours, qu'on vienne en aide à mes frères. J'ai eu espoir. J'espérais que mes parents se trompaient, que le monde ne voudrait pas notre mort rien qu'en nous voyant, mais ils avaient raison. Personne ne voulait de nous. La première réaction que j'ai eue lorsque j'ai crié au secours, c'est une pierre s'écrasant en plein dans ma mâchoire. On m'a hurlé de déguerpir, on m'a insulté de monstre, de maudite, on m'a frappée, on a souhaité me voir crever. Des Obscuras que je ne connaissais pas, que je voyais pour la première fois, se sont rués sur moi pour me battre. On m'a poignardé à plusieurs reprises dans les côtes. Je n'étais encore qu'une enfant. Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait. Je croyais qu'on pouvait m'aider, que quelqu'un allait avoir pitié de moi. Mais j'avais tort. Alors qu'on me frappait, qu'on s'apprêtait à me tuer, j'ai compris que mes parents avaient raison. Le monde ne voulait pas de nous.

L'Animalis poussa un cri de rage et de douleur.

- Ce monde est noir et cruel. C'est un enfer et le seul moyen de s'en sortir, c'est d'écraser les autres, de les piétiner avant qu'ils ne nous piétinent, ragea-t-elle. J'ai cru enfin mourir ce jour-là, et le pire, c'est que l'idée était affreusement plaisante ! Mais quelqu'un a mis fin aux coups. Parmi des centaines et des centaines de personnes, une seule m'est venue en aide. Zara a volé à mon secours, m'a emmené voir un Guérisseur, m'a promis que tout irait désormais bien. Qu'elle était là. Que personne ne me toucherait plus jamais. Je lui ai alors parlé de mes frères, encore enfermé dans la cave, et elle m'a affirmée qu'elle partirait les chercher, qu'on ne les abandonnerait pas. Elle nous a sortie de notre enfer, elle nous a adopté, nous a fait rejoindre le château, nous a donné une identité, nous a traité comme des êtres vivants et non comme des parasites. C'est la seule personne dans ce royaume qui a eu de la compassion à notre égard. C'est la seule personne qui nous a donné une chance, malgré nos origines, termina-t-elle dans un souffle.

Je restai muette d'étonnement. Incapable du moindre mot. Jamais je n'avais envisagé le fait que l'araignée puisse avoir un passé aussi atroce. J'étais désormais prise au dépourvu. Inspirant lentement, je fis de mon mieux pour retrouver une certaine contenance. Je me forçai à sourire, comme si ses propos n'avaient eu aucun impact sur moi.

D'un geste bref de la main, je relâchai les cendres de feu qui maintenaient l'Animalis contre le mur sombre. Arachné retomba au sol, à quatre pattes. Ses cheveux de jais tombant devant son visage. Les mains tremblantes.

- Comme je te l'ai dit, lui lançai-je, cette fois-ci, je ne compte pas te tuer. Mais ce n'est qu'une question de temps. Aujourd'hui, tu n'es simplement pas ma priorité, mais recroise encore une fois mon chemin et j'arracherai ton cœur à main nue.

Arachné releva la tête vers moi, les yeux brillants d'une haine intense. Je ne fis pas attention à elle, mes yeux se rivant vers la cavité sombre qui menait aux Dédales. Cette pièce qui m'était tout à fait inconnue. Mon sujet de discussion avait complétement dévié, alors que je comptais découvrir de quoi il s'agissait, voilà qu'à la place, j'avais découvert le passé de l'araignée. Arachné suivit mon regard et un sourire en coin apparut sur sa bouche.

- Honnêtement, commença-t-elle, je te veux morte. C'est un désir qui me consume entièrement. Alors, je te donnerai le conseil de rentrer dans cette cavité, de suivre le couloir jusqu'aux Dédales, de découvrir ce qui se cache à l'intérieur. Mais bizarrement, je trouve que ta mort serait prématurée. J'ai envie que tu souffres avant de rendre ton dernier soupir. Ce n'est pas le moment de mourir Eudora, ce n'est pas non plus la manière. Alors si tu veux un véritable conseil, tu ferais mieux de rebrousser chemin et de décamper d'ici avant qu'il ne soit trop tard. Et crois-moi, il ne te reste désormais plus qu'une poignée de minutes à disposition.

Aleth écarquilla les yeux à l'entente des mots de l'araignée et se tourna vers moi dans un son muet, attendant de voir ce que je comptais faire. Mon cœur avait raté un battement. Mais comment puis-je me fier aux propos de l'Animalis ?

- Qui me dit que tu dis vrai et que ce n'est pas un plan tordu pour m'empêcher de découvrir ce que cache les Dédales ? demandai-je d'un ton transpirant la méfiance.

- Elle ne ment pas Eudora, intervint Aleth, crois-en mon pouvoir. Je peux détecter les mensonges.

Je fronçai les sourcils à cette remarque. Mon attention fut de nouveau focalisée sur l'araignée qui n'avait toujours pas bougé.

- Que va-t-il se passer dans quelques minutes ? la questionnai-je. Pourquoi devrais-je décamper au plus vite ?

L'Animalis se mit à rire, secouant la tête de droite à gauche.

- Tu perds du temps, petite idiote ! ricana-t-elle. Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans ; le temps est compté ? Les Darknils sont en chemin. Si tu trouves la reine Zara puissante et intouchable, dis-toi que les Darknils regroupent des êtres aux pouvoirs rares et exceptionnels qui te feront pâlir de frayeur. Quand ils seront là, ce sera un carnage, un bain de sang. Tu ferais mieux de prendre tes jambes à ton cou parce que fuir ne sera bientôt plus possible.

Aleth, les yeux écarquillés de frayeur, recula. Sa réaction m'apprit que l'Animalis n'avait pas menti. Elle disait vrai. Mon estomac s'était noué à cette annonce. Je reculai à mon tour, faisant gonfler les flammes cendrées autour de moi comme si appeler et faire grossir mon pouvoir avait le don de me rassurer. Il fallait que l'on se tire d'ici. Il fallait fuir pendant qu'on le pouvait encore. Arachné avait raison.

Brusquement, mes cendres éclatèrent à mon propre insu, me propulsant en arrière. Je dus mettre toute ma force mentale pour lutter contre l'explosion et ne pas tomber à la renverse. Un mal de crâne m'éreinta. Un bruit sourd empli mes oreilles. Je ne comprenais pas ce qu'il était en train de se passer. Mon pouvoir était hors de contrôle. Le feu crépitait follement, mais non pour attaquer autrui. Il se contorsionnait dans tous les sens, semblait souffrir. Les cendres, affolées, volaient dans la pièce, ricochaient sur les murs. C'était un gros chambard.

Subitement, sans que je ne puisse rien faire, le feu disparut. Mes cendres retombèrent contre le sol, rampant lentement vers moi. En moi résonnait désormais un vide atroce. Une plainte. Une lamentation. Les cendres me criaient dans les tympans. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose n'allait pas du tout.

- Il semblerait qu'il soit trop tard, constata Arachné devant mon air hébété.

Je ne répliquai rien. Je ne la regardai même pas. Mon cœur battait au ralenti. Les cendres rampaient le long de mes jambes. Elles semblaient chercher du réconfort. J'étais perdue. Perdue dans mon incompréhension. Que se passait-il ? Pourquoi mes cendres semblaient autant chamboulées ? Pourquoi le feu avait subitement disparu sans que je ne puisse le rappeler à moi ? Pourquoi me sentais-je atrocement vide ?

Puis, je compris.

''Alisa ?'' demandai-je, le cœur battant la chamade.

Mais seulement le silence me répondit.

Et je savais que mes pensées n'avaient pas pu atteindre les siennes.

Elle était injoignable.

Notre connexion s'était rompue.

Il n'y avait plus que du vide. Du froid. Un manque infâme dans les organes.

Il lui était arrivé quelque chose. Il était arrivé quelque chose à Alisa. Quelque chose d'assez puissant pour couper notre lien. D'assez fort pour que je ne ressente plus son pouvoir. D'assez grave pour que je sente désormais un vide béant dans les entrailles.

Je pris peur. Le cœur piétiné par la terreur, les mains tremblantes.

- Alisa ! hurlai-je.

Sans attendre, je courus. Je ne fis pas attention aux supplications d'Aleth. Je fis la sourde oreille aux rires d'Arachné. Je n'avais plus qu'une idée en tête. Retrouver Alisa. Alisa. Alisa.

Je déboulai dans la pièce où se trouvait le reste des fugitifs. Mon cœur se fissura en deux. Le nombre d'ennemi avait triplé, nous étions en infériorité numérique, facilement métrisés par l'ennemi en surnombre. Martial se débattait comme un beau diable, maintenu au sol de force par cinq cavaliers. Son visage était couvert de sang, mais il tenait bon, la mâchoire serrée, les yeux emplis de détermination. Cassius se battait du mieux qu'il pouvait contre l'ennemi, essayant de les retenir, les contenir loin de lui. Il utilisait un pouvoir que je n'avais encore jamais vu chez lui. Il claquait des doigts et les yeux de ses adversaires viraient au noir temporairement. Ces derniers semblaient alors aveugles. Plongés en plein obscurité. Ils tombaient contre le sol dans un cri, cherchant la lumière du jour, tâtonnant le sol autour d'eux pour se repérer. Sanjana se battait en protégeant Maève de son corps. Je cherchai Alisa des yeux, mais impossible de la trouver dans la cohue d'adversaire se ruant dans la pièce.

Mes cendres continuaient de cavaler sur mon corps, mes veines palpitaient d'énergie, mon estomac était un nœud se tordant dans tous les sens. Je courus, fonçant tête baissée dans la bataille. Mon cœur était enfermé dans un étau se resserrant à chaque seconde. Je ne comprenais pas ma réaction. Je ne comprenais pas la peur qui me comprimait les organes. Mais tout ce que je savais, c'est qu'il fallait que je retrouve Alisa.

Les cavaliers étaient trop nombreux. Les attaques fusaient de tous les côtés. Je ne savais plus où donner de la tête. Une énergie fusa dans mes veines. Ma tête me tournait. Un vide atroce avait remplacé mon cœur. Ma peau crépitait d'énergie.

Les adversaires se jetèrent autour de moi. J'esquivai une lance par pur reflexe, ne réfléchissant même plus à mes mouvements. Je ne trouvais toujours pas la Banshee. Je rejoignis Martial, toujours aux prises contre ses cinq adversaires et sans même comprendre comment, je brandis mes mains droit devant moi et un jet de cendres propulsa les ennemis en arrière, loin du Guerrier. Martial se releva dans un cri de surprise et je le rejoignis sans perdre de temps.

- Où est Alisa ? demandai-je aussitôt.

Les yeux vert sombre de Martial brillèrent de tracas.

- Elle s'est évanouie, son pouvoir a disparu d'un coup et les cavaliers en ont profité pour prendre l'avantage. Depuis, je ne l'ai plus revu.

Evanouie ? Je clignai vivement des yeux, ahurie par une telle réponse. Je regardai autour de moi, cherchant sa silhouette échouée sur le sol. Mais il y avait trop de monde. Trop de bruit. Trop d'action. Mes nerfs lâchèrent d'un coup. Une rafale de cendres s'abattit autour de moi et tous les cavaliers m'entourant volèrent dans le ciel dans des cris et des brisements d'os. Mes cendres en eurent des frétillements de contentement.

Je pus enfin apercevoir la Banshee, étalée sur le sol, un halo de sang l'encerclant. Je me ruai vers elle, m'agenouillant à son côté. Je fus soulagée de constater qu'elle respirait. Elle était en vie et la blessure qu'elle abordait au ventre ne semblait pas grave. Elle s'en remettrait.

Martial s'accroupit à mon côté, se quettant lui aussi de l'état de sa camarade. Ses yeux étaient emprunts de la même inquiétude que les miens.

- Il faut qu'on se tire d'ici, Eudo, me souffla-t-il, les cavaliers ne cessent de rappliquer en surnombre. Les renforts ne vont pas tarder à rappliquer.

J'acquiesçai. Les paroles d'Arachné m'étaient restées en tête. Si on ne partait pas très bientôt, il serait trop tard. Il fallait fuir. Sans perdre une minute.

Martial prit délicatement le corps inconscient de la Banshee dans ses bras et se releva à ma suite. Je regardai autour de moi, en quête des autres fugitifs. Il fallait que l'on se regroupe. Je ne tardai pas à trouver Maève et Sanjana, Cassius et Aleth nous rejoignirent d'eux même, complétant le groupe.

Mais alors qu'on s'attelait à trouver un moyen de fuir hors de ce château de malheur, alors que je faisais gonfler mes cendres, tournoyant autour de moi, étrangement facilement manipulable, une explosion fit trembler le sol sous nos pieds.

On tomba à la renverse. Mes cendres disparurent instantanément, ainsi que l'adrénaline qui parcourait mes veines depuis que j'étais entrer en symbiose avec Alisa. Des renforts débarquèrent et un jet de pouvoir traversa la pièce, se ruant droit vers nous. Sanjana se redressa d'un bond et fit barrage de son corps afin que le jet ne touche qu'elle et personne d'autre. Je poussai un cri d'horreur tandis que son corps vola contre la grande vitre de la pièce qui explosa sous la force du corps échoué. Les morceaux de verres volèrent autour de nous et des éclats s'enfoncèrent dans la chair de la Sirène. Paniquée, je me ruai vers Sanjana, voyant une tache de sang sombre l'encercler. Je n'eus pas le temps de la rejoindre qu'un nouveau jet de pouvoir fendit l'air et me percuta de tout mon long. Je fus à mon tour propulsée en arrière. Je heurtai un pilier de marbre dans une douleur aigüe et tombai lourdement contre le sol. Les cavaliers nous encerclèrent. Je serrai les poings, voulant faire appel de mon pouvoir, repousser nos adversaires, mais mon pouvoir refusa de m'obéir.

Forcément... mon pourvoir refusait systématiquement d'obéir à ma volonté, jaillissant quand bon lui semblait... Maintenant que la symbiose avec Alisa était rompue, je n'avais de nouveau plus aucun contrôle sur les cendres.

Nous étions finis.

- Emprisonnez-les, tonna une voix, il est temps de s'occuper définitivement de leur cas.

Les cavaliers n'attendirent pas une minute de plus avant d'obéir aux ordres. On me saisit par les poignets et j'eus beau me débattre, donner des coups de pieds dans les tibias, la prise solide ne faiblit pas. Je tentai d'user de mes illusions pour me sortir de cette situation, de manipuler mon agresseur, mais le choc que je venais de recevoir avec ce jet de pouvoir m'avait affaibli. Je me sentais vide. Incapable d'user de mes dons pour me sortir de là.

Les cavaliers n'eurent aucun mal à nous maitriser. On s'était tous fait prendre, sans exception. Un cavalier s'approcha avec des réducteurs et le désespoir emplis mon cœur.

J'avais échoué.

J'avais littéralement échoué.

Je n'avais sauvé personne.

J'étais venue dans le but de sauver les otages, mais au lieu de les sauver, j'avais condamné à leur tour Maève et Sanjana. Je savais que je n'aurais pas dû les amener avec moi. Mais il était trop tard pour les regrets.

On allait être livré aux Darknils.

Tués.

Et il n'y avait rien que je puisse y faire.

Alors que les cavaliers allaient nous mettre les réducteurs autour du cou, le sol se fendit en deux et un tremblement de terre nous secoua. Mes agresseurs me lâchèrent sous le coup de la surprise et tombèrent en arrière. Des racines firent irruptions autour de nous et enrobèrent nos ennemis, les emprisonnèrent, les ligotèrent.

Je me redressai, ébahie par ce à quoi j'étais en train d'assister.

Des plantes coriaces venaient de pousser partout dans la pièce, nous séparant de nos ennemis, les emprisonnant, les maintenant loin de nous. Le carrelage s'était fendu et des jets de terre éclaboussait les lieux, des ronces poussèrent, créant une barrière entre nous et les cavaliers. En une fraction de seconde on était passé d'en danger de mort à tous sains et saufs et je n'y comprenais rien.

Sous ma grande surprise, Rose apparut au milieu des jets de terre et courut en notre direction. Elle aida Aleth à se relever, ignorant superbement nos visages défigurés par la surprise. Martial avait la bouche grande ouverte d'ébahissement, les yeux brillants à la fois de surprise et de fierté.

- Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna Cassius.

- Je suis venue vous sortir de là, s'empressa-t-elle de répondre. J'ai profité du chaos qu'a créé Eudora pour m'introduire à mon tour dans le château.

Martial se mit à sourire.

- Je...

- On n'a pas le temps de bavarder, le coupa-t-elle. Il est temps de se barrer d'ici.

Et sur ces belles paroles, Rose brandit les mains et fit exploser le mur du château en millier de particules de terres, nous donnant un accès direct hors du château.

***

NDA : Hey Hey me voilà avec un long chapitre 😱 vous en avez pensé quoi ?

- L'histoire d'Arachné votre avis ? Vous la comprenez mieux désormais ?

- Zara qui est la seule à avoir volé au secours des triplés, qui l'eût cru ? Vous en pensez quoi de ça ?

- Que cache les Dédales ?

- Rose qui vole au secours des fugitifs, badass ?

En tout cas ce tome ne va pas manquer d'action ... 🙄 On se retrouve la fois prochaine pour un nouveau chapitre !

Kissy kissy 💙

#Nakijo.

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