6. Nuit boréale.

J'étais allongée dans mon lit, mon regard focalisé sur le plafond de la chambre, les poings serrés. Mon escapade avec Kalidas avait tourné court. A peine étions-nous sortis du volcan qu'un Lycanthrope nous avait localisé à l'aide de ses pouvoirs individuels. Ne voulant pas que Zahir revienne sur sa décision de nous inclure dans ses missions, je n'avais eu d'autre choix que d'obéir et de rentrer. Je m'étais enfermée dans la chambre qui m'avait été donnée, les nerfs à vif, et je n'en étais plus ressortie. J'étais de si mauvaise humeur que les cendres ne cessaient d'affluer autour de moi. Je n'arrivais pas à les contrôler.

Pour ne rien arranger, Bleizian était venu nous interdire de sortir de notre chambre jusqu'au lendemain matin. Cet ordre ne m'avait donnée qu'une seule envie ; celle de désobéir. Pourquoi, soudainement, ils se permettaient de nous défendre de sortir de cette maudite pièce, sans même se donner la peine de fournir une explication ? Mes cendres s'en étaient faites que plus nombreuses.

Rox, assise en tailleur sur son lit, me lança un regard tout en haussant un sourcil. Je savais que je ne pouvais rien lui cacher, j'avais beau essayer de la refouler, la rouquine sentait ma colère comme si c'était la sienne.

- J'ai parlé de tes pertes de contrôle avec Ronan, annonça la renarde. Il a fini par accepter de t'aider.

Je clignai des yeux.

- Ce n'était pas la peine, grimaçai-je.

- Tu ne peux pas rester avec un pouvoir qui n'en fait qu'à sa tête, se buta Rox, puis, c'est bénéfique pour Ronan. Il ne peut pas continuer à s'isoler du monde.

Je soupirai.

- Et il prévoit de m'entraîner quand ?

- Ce soir, répondit la rouquine, il devrait arriver d'un moment à l'autre.

Je manquai m'étrangler de surprise.

- Ce soir ? répétai-je, peu sûre d'avoir réellement envie de me bouger. Mais on a eu interdiction de quitter nos chambres.

Un sourire amusé s'étira sur le visage de la rouquine.

- Je ne pense pas que Ronan s'arrêtera à ça, tout comme je sais qu'au fond, tu ne comptais pas suivre cette restriction.

Elle n'avait pas tort...

- Très bien... soupirai-je.

- Je préfère te prévenir à l'avance, mais Martial vous accompagnera. Il nous a entendu discuter et a tenu à être de la partie.

- Super ! m'exaspérai-je. Fallait que ce boulet en rajoute une couche.

Rox lâcha un rire amusé.

- Je sais qu'au fond, tu l'aimes bien, répliqua-t-elle.

- Même si c'était vrai, il reste un boulet.

Je me redressai lentement, m'assaillant en tailleur. Je constatai que les cendres avaient cessé de jaillir de mes mains. La conversation avait détourné mon attention de ce pouvoir incontrôlable.

- Tu ne viens pas, toi ? demandai-je.

La rouquine secoua la tête.

- Je ne préfère pas. Si je viens, Ronan risque de passer son temps à mes côtés et je préférerais qu'il se concentre vraiment sur autre chose que moi ou sa solitude.

Je hochai la tête dans un soupir. Cette soirée allait être plus mouvementée que prévue. Mes yeux volèrent dans la pièce, s'arrêtant sur des objets anodins telle que la commode au coin de la pièce, l'armoire en face, pour se poser sur le lit désormais vide d'Alisa. Les cendres qui s'étaient tues, revinrent en force. Je serrai les poings, retenant un râle d'agacement.

J'avais envie de tout détruire. J'en avais tellement envie que ma cage thoracique me brûlât de l'intérieur. Mais je ne pouvais pas me laisser aller à cette humeur, je risquais de carboniser les lieux.

Ce lit vide, tout ce que j'avais perdu, tout ce qui partait à vaut l'eau ne faisait qu'accroitre mon pouvoir incontrôlable et son envie d'emmagasiner l'énergie autour de lui. Je n'avais plus qu'un vide à la place du cœur, un vide que les cendres voulaient combler en volant l'énergie tout autour. Je les sentais déjà s'échapper de moi pour aller chercher leur future proie. Elles avaient faim. Elles voulaient ronger. Avaler. Ingérer. Engloutir...

On toqua à la porte. Je sursautai, sortant brutalement de l'emprise de mes cendres. Rox me regardait d'un œil inquiet. Serrant les poings pour garder contenance, je me tournai vers la porte au moment même où elle s'ouvrait. Ronan y passa la tête.

- Tu viens ? chuchota-t-il afin de n'alerter personne.

- Allez Eudo, on va s'éclater ! s'emporta Martial.

- Ferme-là le benêt, on n'est pas censé avoir quitté nos chambres, le rabroua la voix de Rose.

Visiblement, Martial n'était pas le seul à s'être incrusté. Dans un soupir las, je finis par les suivre. Le couloir était plongé dans la pénombre, les lanternes habituellement allumées ne l'étaient pas. Le lieu possédait désormais une ambiance bien étrange. Comme s'il était inhabité. Pas un bruit. On ne croisait personne.

- On va rejoindre la salle d'entraînement où sont exposées les armes, m'expliqua Martial dans un chuchotement, elle est assez loin des chambres. On ne nous entendra pas.

Je haussai les épaules, les laissant choisir la destination. Lorsqu'on approcha de la salle en question, on s'échangea des regards, surpris d'entendre des sons de voix en émaner.

- ...bouge ton cul ! Tu me fatigues ! s'emporta une voix que je reconnus aussitôt.

Je me dirigeai vers l'entrée de la pièce, désireuse de découvrir ce que pouvait bien faire Sanjana à une heure pareille. La Sirène me tournait le dos et semblait s'adresser à quelqu'un que je ne pouvais distinguer. Ronan, Rose et Martial vinrent me rejoindre. Le Guerrier voulut prendre la parole mais je lui fis signe de se taire. Ce n'était pas tous les jours que je pouvais espionner Sanjana sans qu'elle ne me prenne illico la main dans le sac. Son attention était tellement focalisée sur son interlocuteur qu'elle ne nous avait même pas senti venir.

- T'en as pas marre de jouer à la larve végétative ? grinça Sanjana. J'attends toujours de te voir en action ! Je te rappelle que tu ne m'as toujours pas mis à terre et que je ne te laisserai pas tranquille tant que tu n'y seras pas parvenu.

Sanjana se décala de quelques centimètres et je pus voir Orso, assis au sol, dos contre le mur. L'Animalis ne daignait même pas regarder la Sirène, rivant son regard sur le sol, l'ignorant royalement. Ses pensées ne devaient pas non plus être au goût de la Sirène, car son agacement ne fut que plus grand.

- Tu vas me faire disjoncter ! s'écria Sanjana en se détournant de lui afin de ne pas s'emporter.

Elle inspira lentement, contemplant les bacs regorgeant d'armes. Elle s'empara d'une lance.

- Je te jure que je vais te décoller le cul du sol, siffla-t-elle sans même un regard envers Orso.

Ce dernier avait cessé de contempler le sol. Depuis que la Sirène lui avait tourné le dos, il la suivait du regard. Je crus même discerner un léger sourire sur son visage. Je manquai m'étouffer.

J'ignorais que Sanjana avait continué à provoquer Orso pour qu'il se bouge. C'est vrai que désormais, il ne se laissait plus aller comme autrefois. Il ne parlait toujours à personne et se terrait dans des recoins isolés, mais il ne dormait plus n'importe où, manger de nouveau convenablement et se lavait régulièrement. Visiblement, bien qu'il sache le cacher, Sanjana avait eu de l'influence sur lui. Et je commençais à comprendre que ce petit jeu durait déjà depuis un temps. Sanjana venait-elle ici tous les soirs afin d'essayer de faire en sorte que l'Animalis s'entraîne avec elle ?

- Je comprends mieux pourquoi Orso s'éclipse de notre chambre la nuit, chuchota Martial, je croyais qu'il avait recommencé à dormir sur les tables moi.

Sanjana se retourna vers Orso qui s'était empressé de rediriger son regard vers le sol.

- Debout grosse larve ! lui cria-t-elle.

Orso ne broncha pas.

- Bouge ton cul, c'est un ordre ! continua Sanjana.

Orso resta immobile mais j'eus l'impression qu'il retenait un sourire. Sanjana se crispa et d'un coup sec, elle lui asséna un coup derrière la nuque à l'aide la lance qu'elle tenait.

- Aïe ! protesta Orso en la foudroyant du regard.

- T'avais qu'à réfléchir avant de penser à un tas de conneries ! railla la Sirène. Puis ne va pas me dire que tu as eu mal. Si le Grand Orso a mal pour si peu, c'est qu'il s'est vachement ramolli.

- Je ne contrôle pas mes pensées, répliqua-t-il, et je n'ai...

Orso garda sa phrase en suspend lorsqu'il nous aperçut en train de les espionner. Martial marmonna un petit « oups » et fit coucou à Orso de la main. L'Animalis se rembrunit et se referma sur lui-même, reprenant ses vieilles manies de se couper de la réalité. Sanjana suivit son regard et nous contempla, surprise.

- Qu'est-ce que vous foutez-là ? lâcha-t-elle. Vous êtes au courant qu'on n'a pas le droit de quitter nos chambres ?

- T'as l'air vachement d'obéir à cet ordre, relevai-je.

Sanjana leva les yeux au ciel, tout en s'approchant.

- Je peux savoir pourquoi je surprends quatre guignols en train de nous mater ?

Martial poussa un cri de protestation. Je lui filai un coup de coude dans les côtes pour qu'il la boucle.

- On est venu s'entraîner, expliquai-je, pour que je puisse contrôler mes cendres.

- Chouette, j'ai hâte de te voir galérer, ricana la Sirène.

Je la foudroyai du regard.

- Au lieu de vouloir jouer les spectatrices, va t'occuper de ton ourson grognon que je puisse avoir la paix, maugréai-je.

Sanjana lâcha un rire et me signe d'entrer, d'un geste exagéré de la main. Retenant un soupir, je finis par obtempérer. Cette soirée allait être bien plus longue et épuisante que je ne l'aurais cru.

Je me retrouvai au centre de la pièce. Sanjana s'était appuyée contre le mur, non loin d'Orso, et m'étudiait du regard. Rose et Martial s'étaient posés près du bac d'armes. Le Guerrier était enthousiaste, on aurait dit un enfant devant un spectacle de marionnettes. Ronan vint me rejoindre. J'avais déjà les nerfs à vif et hâte que ce cirque se termine. L'Obscuras aux cheveux électriques fronça les sourcils en étudiant mes mains. Quelques cendres s'étaient échappées.

- On va démarrer par les informations de bases, commença-t-il. Ton énergie incontrôlée a un déclencheur, une émotion. Si tu veux maîtriser ton pouvoir, tu vas devoir dompter tes émotions.

- Faut pas être devin pour le comprendre, grinçai-je.

Ronan ignora ma remarque.

- Tous ceux que je connais ayant un pouvoir incontrôlable ont une émotion déclencheur qui leur est propre. Celle d'Alisa était le manque de confiance en elle, la mienne c'est la peur, la tienne semble être la colère.

- Et t'en connais beaucoup des personnes avec un pouvoir incontrôlable ? demandai-je avec un ton d'agacement.

- Avant de te connaître et d'apprendre que ta race avait cette particularité, je ne connaissais que les membres de ma famille. Ce n'est pas courant de ne pas parvenir à gérer son propre pouvoir, mais désormais, on sait que c'est lié à Astéria.

- Et donc, toi, lorsque tu as peur, tu fais tout péter ? me moquai-je.

Ronan me toisa d'un air étrange.

- Mine de rien, c'est ce qui m'a sauvé la vie. Si mon déclencheur n'était pas la peur, je n'aurais jamais réussi à lutter contre les Inceptions et me réveiller d'une décharge avant qu'ils ne me tuent.

Je levai les yeux au ciel.

- On va commencer par essayer d'appeler ton pouvoir, décida-t-il, provoque l'arrivée des cendres.

Je soupirai bruyamment.

- T'es marrant toi. Mon problème, justement, c'est que je ne peux pas les appeler. Soit mon pouvoir vient quand il en a envie, soit il refuse de venir quand je le réclame.

- Je viens de te dire que tes cendres étaient rythmées par ta colère, sert-en pour les appeler tout en gardant le contrôle de tes émotions.

Je poussai un nouveau soupir.

- C'est nul comme méthode.

La patience de Ronan céda. Il s'avança face à moi, une lueur agacée dans les prunelles.

- Ecoute, je n'ai pas accepté de t'aider parce que j'en mourrais d'envie, OK ? Je le fais parce que je sais ce que c'est que de lutter contre son propre pouvoir. Je le fais parce que Rox me l'a demandé et parce que tu étais particulièrement proche d'Alisa. Je n'ai pas envie de te laisser en plan par égard pour elle. Par contre, si tu n'en as rien à faire et que tu préfères rester dans ta galère, dis-le-moi tout de suite, que j'évite de gaspiller mon énergie.

- Ok, c'est bon, capitulai-je avec mauvaise grâce. Je vais les appeler tes fichues cendres.

Je reculai de quelques pas, me concentrant sur mon pouvoir. Des flocons de cendre s'échappaient déjà de mes mains, rythmés par mon agacement. Appeler un jet était une autre paire de manche. Je me concentrai sur ma colère, sur mon ras-le-bol des jours derniers, essayant de rechercher cette énergie si particulière qui vivait au fond de moi. Le sol sous mes pieds ressemblait désormais à un tapis cendré mais aucun jet ne voulait s'échapper de mes mains.

- Si tu n'arrives pas à te mettre spontanément en colère, je peux t'aider, proposa Martial dans un petit sourire. J'ai un talent particulier pour agacer les gens.

- Non, je n'avais pas remarqué, ironisai-je.

Martial vint me rejoindre et me fila une tape sur l'épaule.

- Allez Eudynou, fait comme si tu voulais me mettre une raclée, s'enthousiasma-t-il. Sinon je risque de piailler dans tes oreilles pendant encore de longues minutes.

Je grinçai des dents à l'entente de ce surnom affreux. Mais ce que Martial ne semblait pas saisir, c'est que je n'avais aucune envie de lui faire du mal, malgré que j'aime lui dire le contraire.

- T'en mets du temps, autrefois, tu m'aurais déjà envoyé un coup de poings par simple plaisir, continua le Guerrier, tu n'es quand même pas en train de te ramollir ? Tu passes peut-être trop de temps avec le Rôdeur, ton cœur en devient tout mou.

Je le foudroyai du regard. Il n'y avait pas à dire, à présent, j'avais envie de lui foutre une raclée.

- C'est l'amour qui te rend aussi docile ? continua Martial avec un sourire ravie face à mon énervement grandissant.

- Mais ferme-là, m'agaçai-je.

- Quoi ? C'est vrai ! se justifia-t-il. Ces derniers temps, on te voit même plus dans les parages. J'imagine qu'Eudynou doit passer du temps en douce avec son petit Rôdeur. Je n'ose pas imaginer ce que vous faites à deux.

Mais qu'est-ce qu'il était en train de raconter ? J'étais désormais rouge avec une envie folle de le faire taire par la force. Ou de me tirer d'ici pour échapper à tous ces paires de yeux qui me fixaient sans relâche.

- T'es complétement à côté de la plaque, mon benêt, intervint Rose. Tu crois vraiment qu'Eudora a la tête à roucouler avec les circonstances actuelles ? Elle vient de perdre une amie avec qui elle entretenait une relation spéciale de symbiose, elle s'est faite récemment torturer par des personnes qui avaient déjà foutu le bordel dans sa vie et elle est incapable de les empêcher de recommencer. Je ne crois pas que la romance soit la priorité dans sa vie en ce moment.

Une boule se logea dans mon estomac.

- Franchement, t'imagines l'horreur que c'est que de lutter depuis des années contre le souvenir d'une personne qui t'as fait vivre l'enfer ? Et en plus, il revient comme une fleur, prêt à tout anéantir une nouvelle fois, alors qu'elle est incapable de l'en empêcher. Je n'aimerais pas être à la place d'Eudora et de me sentir impuissante face à la mort de ceux qui m'entourent, de me sentir trop faible pour faire cesser ce manège, tout en sachant qu'au final, tout ce qui va m'arriver, c'est de mourir entre leur main car je n'aurai pas su me défendre. A mon avis, ce qui lui préoccupe l'esprit actuellement, ce n'est pas de passer du temps avec son Rôdeur, mais c'est la peur que ce soit lui le prochain sur la liste des Darknils et qu'il finisse comme Alisa.

La boule qui s'était logée dans mon estomac éclata. Mes nerfs lâchèrent face aux souvenirs des actes de Samaël, à ce qu'il pouvait encore faire pour me briser définitivement. Le jet de cendres partit de lui-même hors de mon corps et percuta le mur face à moi qui se mit à trembler. Rose m'envoya un regard satisfait. Elle avait réussi son coup. Mais désormais, je n'arrivais plus à faire taire mes émotions, à maîtriser mon pouvoir. Ronan se glissa à mon côté, évitant soigneusement les cendres brûlantes.

- Notre pouvoir est vicieux, m'expliqua-t-il. Il surgit d'un coup, contre notre volonté, et plus on essaye de le faire taire, de le refouler et le maîtriser, plus il se déchaine. Il faut que tu lâches prise.

- Quoi ? m'étranglai-je.

- Laisse-le aller, cesse de focaliser ton attention sur ton incapacité à le contrôler. Concentre-toi sur ce que tu ressens, sur tes émotions.

- Tu veux que je me concentre sur ma colère alors que c'est elle qui alimente les cendres ? m'écriai-je. Ce sera pire que mieux.

- Ne te concentre pas à alimenter ta colère, concentre-toi à transformer ton émotion en une autre qui te permettra d'avoir le plein contrôle sur toi-même.

- Qu'est-ce que tu racontes ? sifflai-je, ayant du mal à le suivre.

- Trouve l'origine de ta colère. Tu es en colère parce que tu ne supportes plus ta situation, que tu veux que les Darknils disparaissent une bonne fois pour toute ? Change cette colère en détermination, tu les feras disparaître. Tu vas les détruire. Tu ne souffriras plus, parce que tu auras mis fin à ce bordel. Fait de ta colère une force.

Ses paroles firent échos. Je suivis ses directives, me concentrant sur la colère qui me consumait depuis si longtemps. Cette rage qui me rongeait le sang. Cette fureur de ne pas pouvoir mettre Samaël hors d'état de nuire. De le voir me briser encore et encore. Je serrai les poings. J'allais le détruire à mon tour. Je me l'étais promis. Je me concentrai sur cette envie, ne l'alimentant plus par la colère, mais par une sourde détermination. J'avais envie d'en découdre. Je luttai contre mes propres sentiments. Je me concentrai sur l'envie qui m'inondait le corps. Je sentis les jets de cendres se tarir. Mes cendres ne disparurent pas, mais je réussis à faire taire le plus gros. J'avais désormais l'ascendant sur la plus grosse partie de mon pouvoir. Ce n'était pas les cendres qui devaient me posséder, c'est moi qui devais posséder les cendres. Je m'accrochai à cette idée.

Mes yeux se posèrent sur les flocons de cendre qui continuaient de pleuvoir de mes mains. J'avais fait disparaître les jets, mais les flocons ne semblaient pas vouloir s'en aller.

- Plus tu t'entraîneras et plus tu auras de résultats, commenta Ronan qui avait suivis mon regard.

Je relevai la tête vers lui.

- Tu te concentres sur la même chose que moi, toi aussi ? demandai-je. Tu gères ton pouvoir en espérant abattre ceux qui te torturent la nuit ?

- La détermination est à mon sens le moteur de toute réussite. Alors oui, je m'appuie sur cette détermination pour un jour, pouvoir renverser la balance.

Je haussai un sourcil.

- Si t'es si déterminé, demande à venir dans la prochaine mission des Lycanthropes, tu te sentiras peut-être davantage utile qu'en étant coincé ici.

Un sourire s'étira sur le visage de Ronan.

- C'était prévu, avoua-t-il.

- D'ailleurs Eudo, s'incrusta Martial, c'était comment cette mission dans laquelle tu t'étais incrustée ?

Je me tournai vers lui.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dises ? m'exaspérai-je.

- Apparemment tu t'es tirée de ton côté et tu n'en as fait qu'à ta tête, s'amusa le Guerrier. A nous, tu peux nous dire ce que t'as foutu seule, dans ton coin.

Je soupirai.

- J'ai suivis l'un des leurs et j'ai trouvé les parchemins que les Lycanthropes recherchaient, n'y a rien à dire de plus, grinçai-je.

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire de parchemins au juste ? demanda Sanjana, toujours appuyée contre le mur.

- Ils contiennent des informations cruciales, mais le texte est écrit dans une langue inconnue. Tout ce que je sais, c'est qu'ils veulent éviter que la reine et les Darknils mettent la main dessus et percer le contenu de ces vieux rouleaux.

- Si ces parchemins sont si cruciaux, ce n'est pas risqué de les garder ici, tous réunis ? remarqua la Sirène. On ne sait jamais que les cavaliers débarquent et les emportent.

- Ce lieu est un repaire secret, ils ne sont pas censés savoir où on se terre, fit remarquer Martial.

- On n'est jamais trop prudent, répliqua Sanjana. Si j'étais eux, je garderais une copie de ces machins et je planquerais les vrais exemplaires là où je serais la seule à connaître la position.

- Et tu ferais quoi de tes exemplaires ? me moquai-je. Eux aussi pourraient tomber entre leurs mains.

Sanjana prit une mine songeuse. Son regard s'illumina.

- Pas s'ils ne sont accessibles qu'à une seule personne ! argua-t-elle.

- Qu'est-ce que tu as en tête ? l'interrogeai-je, suspicieuse.

Sanjana se tourna vers Orso, un sourire au bord des lèvres.

- On pourrait aller chercher les parchemins et se charger d'en créer un exemplaire secret en cas de secours, proposa-t-elle sans quitter Orso des yeux.

- Et tu comptes créer comment ton double exemplaire ? m'exaspérai-je.

- Orso pourrait...

- Non ! la coupa-t-il. Hors de question.

- Et pourquoi pas ? s'exaspéra la Sirène. Ce n'est pas comme si ça te demandait beaucoup d'effort.

Je fronçai les sourcils, essayant de comprendre le fil de leur conversation. Je n'étais pas la seule à ne pas saisir. Orso s'était crispé. Il décida d'ignorer la Sirène qui en roula des yeux.

- Je prends ton silence pour un oui ! Allons trouver ces parchemins ! s'entêta-t-elle en frappant l'arrière de la tête de l'Animalis pour qu'il se bouge.

Orso ne remua même pas le petit doigt. Il se contenta de pousser un grognement.

- Tu comptes faire quoi au juste ? demanda Martial.

Sanjana sourit à pleine dent.

- Le pouvoir individuel d'Orso consiste à...

- Ne le dis pas ! s'énerva l'Animalis.

Il y avait longtemps qu'il n'avait pas élevé autant la voix.

- Orso a une mémoire photographique, expliqua Sanjana en lançant un regard provocateur à l'Animalis.

Orso contracta la mâchoire mais se mura de nouveau dans le silence. Sanjana le toisa, les poings sur les hanches.

- Faut que t'arrêtes de faire un secret avec tout, lui lança-t-elle. Tes goûts, tes passions, tes préférences et ce que tu es ne devrait pas être un mystère.

Orso décida de l'ignorer, se complaisant dans le mutisme. Sanjana le toisa longuement avant de lever les yeux au ciel.

- Si tu préfères faire de tes goûts des secrets, ok, c'est ton problème. Je trouve simplement dommage que tu refuses de parler de ce que tu aimes par peur d'être vulnérable et de t'exposer à l'avis d'autrui. Franchement, avouer que t'aimes boire le sirop d'érable à même la bouteille ne va rien changer à ta vie.

Orso la foudroya du regard. Sanjana retint un rire et le poussa de la main.

- Allez, bouge ton cul, qu'on aille trouver les parchemins et que tu puisses les photographier dans ton esprit !

Orso poussa un grondement d'agacement. Martial se retenait de rire, il en avait plaqué sa main sur sa bouche.

- Je peux savoir ce que vous faites ici ? retentit une voix qui nous saisit.

On se tourna vers Bleizian qui se tenait à l'encadrement de la porte.

- Il me semble qu'il vous a été demandé de ne pas quitter vos chambres, fit-il remarquer.

- C'est un ordre complétement stupide, m'agaçai-je, on a quand même le droit d'aller où on le désire. C'est quoi votre problème ?

Bleizian passa une main sur son visage, tentant de garder son sang-froid. Il semblait fatigué et sur les nerfs.

- On ne vous confine pas pour notre plaisir, expliqua-t-il calmement, on a une raison.

- Très bien, donne-la ta raison, répliquai-je. On est en droit de savoir.

Bleizian se crispa, puis, après de longues secondes, il finit par capituler.

- Cette nuit, c'est la nuit boréale.

- Merde ! jura Sanjana.

Martial tira une grimace. Rose serra les lèvres. Ronan cligna vivement des yeux. J'étais la seule à ne pas avoir réagi, si on ne comptait pas Orso qui ne réagissait plus à rien.

- Qu'est-ce que c'est que la nuit boréale ? finis-je par demander, agacée d'avoir un train de retard.

Bleizian me contempla, surpris.

- Elle a vécu sur Terre pour rappel, l'éclaira Sanjana, elle a du retard à rattraper.

Bleizian se passa une nouvelle fois la main au visage. Ses traits étaient tirés.

- La nuit boréale est spéciale pour les Lycanthropes. Lors de cette nuit, des ondes traversent notre monde. Ces ondes permettent de recharger notre terre en énergie magique, expliqua-t-il. Les Lycanthropes sont les seuls à sentir les ondes et à savoir quand la nuit boréale se déroule. Mais ces ondes ont une influence sur notre système. Notre loup devient alors incontrôlable. Généralement, on se transforme en animal sans le vouloir et on perd toute lucidité. C'est comme si nous devenions fous. On pourrait tuer sans même s'en rendre compte.

J'écarquillai les yeux de surprise.

- C'est pour cette raison qu'on vous a consigné dans vos chambres, continua Bleizian, afin d'être sûr qu'aucun accident ne survienne. Tous les Lycanthropes du volcan sont enfermés ou enchaînés, voir les deux, mais on n'est jamais à l'abris d'une évasion.

Je comprenais mieux pourquoi on qualifiait les Lycanthropes de race qui ne savait pas se contrôler. Leur mauvaise réputation leur venait donc de là.

- Et pourquoi, toi, tu n'es pas attaché comme les autres ? demandai-je.

- Je suis celui qui maîtrise le mieux mon loup, expliqua-t-il. J'arrive à lutter contre les ondes. C'est fatiguant et j'ai les nerfs tendus, mais je n'ai plus eu de dérapages depuis des années. Je patrouille dans le volcan pour m'assurer qu'aucun accident ne survienne. Vous feriez mieux de rejoindre vos chambres désormais, ce n'est pas la meilleure nuit pour désobéir aux ordres.

- Je ne suis pas fatigué, marmonna Martial, tel un enfant.

Bleizian le toisa, un sourcil haussé.

- Tu n'es pas le type qui a brisé la table de Zahir ? releva-t-il. Tu ferais mieux de l'éviter pendant un moment, il est furax contre toi.

Martial écarquilla les yeux.

- Ok ! Je vais dormir ! Bonne nuit ! cria-t-il en s'élançant dans les couloirs.

Rose éclata de rire et lui emboita le pas.

- Vous aussi, insista Bleizian en nous regardant tour à tour.

On finit par sortir de la pièce, le Lycanthrope à nos talons. Sanjana se glissa à mon côté, tirant Orso à sa suite, qui ne faisait que grommeler.

- Distrait Bleizian, me demanda-t-elle.

Je lui lançai un regard ahuri.

- Pour quoi faire ? m'étonnai-je.

- Pour qu'on puisse se défiler et chercher les parchemins afin qu'Orso les mémorise. Je n'irai pas dormir tant que ça ne sera pas fait.

Orso lui lança un regard désapprobateur.

- Je te l'ai dit, tant que tu ne m'auras pas mis à terre, tu m'auras dans les pattes, lui souffla-t-elle.

Je soupirai. Quand Sanjana avait une idée en tête, on ne pouvait pas la lui enlever. Je me dirigeai vers Bleizian, maudissant la Sirène pour ses requêtes stupides. Si je le faisais, c'est bien parce que c'était elle qui me le demandait.

- Ce n'est pas censé être à Zahir de patrouiller dans le volcan ? lui demandai-je. C'est lui le maître des lieux, l'Alpha.

- On se partage les tâches, c'est comme ça que cela fonctionne ici. Puis, je suis le plus habilité à accomplir cette tâche. Zahir fait partie de ceux qui contrôlent le moins son loup. Lors des nuits boréales, il devient ingérable, complétement fou. Le laisser vagabonder dans les couloirs serait irresponsable.

- Comment tu fais pour gérer ton loup ? Visiblement, ce n'est pas chose aisée.

- C'est une histoire de caractère et de génétique, expliqua-t-il. J'ai une transformation plutôt calme comparé à la plupart des Lycanthropes. Je le dois à ma mère qui avait la même particularité. Les parents de Zahir et Larentia se transformaient en vrai bête assoiffée de sang, ils ont hérité de ce mauvais côté.

- Larentia et Zahir sont frère et sœur ? me surpris-je.

- Tu l'ignorais ? Ce n'est pas vraiment un secret, ils se ressemblent beaucoup.

On arriva devant nos chambres. Ronan partit rejoindre la sienne sans demander son reste. Bleizian fronça les sourcils.

- Où sont passés l'Animalis et la Sirène ? demanda-t-il.

- Dans leur chambre, répondis-je du tac au tac, ils viennent d'y entrer.

Bleizian parut perplexe. Il fit demi-tour. Sanjana avait intérêt à faire vite car il semblait vouloir vérifier qu'il ne restait plus personne dans les couloirs... Regardant le Lycanthrope du coin de l'œil, je fis mine d'entrer dans ma chambre et lorsque Bleizian disparut dans les couloirs, je rebroussai chemin.

Si Sanjana était partie chercher les parchemins, je voulais la rejoindre. Le contenu me titillait. Si ce qu'il contenait était si vitale pour gagner la lutte, je voulais comprendre de quoi il en retournait.

Après quelques minutes à vagabonder au hasard dans l'immense volcan, je me rendis compte que je ne savais même pas où je me trouvais. Où est-ce qu'ils pouvaient bien ranger un parchemin ? Je n'en avais aucune idée.

Alors que je passais devant une porte, j'entendis des bruits de chaînes ainsi que de féroces grondement animal. Je me figeai. J'entendis des sons de voix. Les chaînes continuaient de violemment s'entrechoquer. Je voulus ouvrir la porte pour voir de mes propres yeux ce qu'était réellement une influence de la nuit boréale sur un Lycanthrope, mais je me rendis vite compte qu'elle était verrouillée. Frustrée de ne pas pouvoir fouiner, je serrai les poings. Des flocons de cendre s'y échappèrent.

Je me concentrai sur ma colère, posant les mains sur la porte, essayant d'alimenter mes émotions pour que les cendres afflux. Je changeai peu à peu ma colère en détermination. Je voulais ouvrir cette porte. J'allais ouvrir cette porte. Au fond, j'avais conscience que ce que je faisais était complétement stupide, mais j'avais besoin de comprendre. J'en avais marre d'avoir un train de retard sur ce monde et ses phénomènes. Les cendres affluèrent d'un coup et la porte vola en éclat.

Merde.

- Eudora ! Qu'est-ce que tu fous ! s'étrangla Circé.

L'Animalis de l'aigle était présente dans la pièce et m'étudiait, les yeux écarquillés. Au centre de la salle se trouvait Zahir, transformé en loup, enchaîné contre le sol, se tordant dans tous les sens pour se défaire des liens.

- Et toi ? Pourquoi t'es enfermée dans une pièce avec lui ? Je croyais que c'était dangereux de rester avec ceux de leur race cette nuit ?

Circé arqua un sourcil.

- Donc tu es au courant du danger, mais tu décides tout de même de venir y mettre ton nez ? Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas ? soupira l'Obscuras.

Je levai les yeux au ciel avant de reporter mon attention sur Zahir. Les loups devaient avoir une force surpuissante, car d'un mouvement brusque, il réussit à briser l'une des chaînes. Le loup gris réussit à se défaire des autres liens dans un craquement sonore. Il se jeta droit sur moi, la gueule grande ouverte.

Circé me poussa violemment sur le côté et saisit la chaîne cassée qui pendouillait au cou de l'animal avant de le tirer d'un geste brusque pour garder le loup dans la salle. Le Lycanthrope, fou de rage, tenta de s'en prendre à la blonde qui s'envola pour être hors d'atteinte. Le loup se mit à bondir, sa gueule béante prête à détruire la chair. Circé s'empara d'une autre chaîne et rattacha le loup qui parvint à lui griffer le bras. L'aigle recula vivement.

Je restai figée, contemplant l'Animalis qui se tenait face au loup, prête à l'empêcher de s'évader de nouveau. Mes yeux se posèrent sur son bras ensanglanté. D'anciennes traces de griffures étaient visibles, ainsi que plusieurs bleus. Lorsque Circé suivit mon regard, elle baissa sa manche pour camoufler les marques.

- C'est de là que vienne tes blessures au bras, compris-je. Tu joues souvent à ce petit jeu ? A garder des loups hystériques prêts à te déchiqueter ?

Je me souvenais avoir déjà perçu des blessures sur les bras de Circé, l'Obscuras s'était empressée de les cacher et n'avait pas voulu aborder le sujet. Je comprenais désormais mieux d'où venaient les marques.

- Eudora, ce n'est pas le moment...

Circé s'interrompit au moment où Zahir bondit. Les chaînes se mirent à crisser. Le loup se rua violemment en ma direction, les chaînes de métal ne furent pas assez solides. 

***

NDA : Hey, je ne suis pas en retard, youpi !

Vous avez pensé quoi de ce chapitre ? ^^

- Sanjana qui continue de vouloir entraîner Orso, votre avis ?

- L'idée de Sanjana de faire mémoriser les parchemins vous adhérez ?

- La nuit boréale, vous en pensez quoi de ce phénomène ? X)

Voilà voilà, c'est tout pour cette semaine ! À la semaine prochaine pour le chapitre suivant !

Kissy kissy 💙

#Nakijo.

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