29. Armée endormie.
- Je peux changer ton physique pour que tu ais des yeux, mais cela ne te rendra pas la vue.
- Je sais. Juste fait le, je ne veux pas vivre avec des affreuses orbites vides, grinçai-je.
Circé acquiesça.
- Tu veux que je te donne quelle race ? Je peux toujours te donner des yeux bleu foncé comme ceux des Nymphes pour que tu n'ais plus affaire aux regards ahuris des passants face à tes yeux si atypiques.
- Donne-moi mes yeux de Phénix, je me suis cachée durant toute ma vie, il est peut-être temps d'affirmer ma vraie nature.
Circé posa ses mains sur moi, j'inspirai lentement, attendant que la transformation se fasse.
Nous étions dans la Scaremountain. Evilash nous y avait emmené avant de nous laisser dans une salle près de ce qu'elle appelait le Cimetière, qui n'était autre que l'endroit où elle gardait ses Obscuras statufiés.
Pouvoir enfin se poser, et surtout se remettre de ce qu'on avait vécu, n'était pas aussi simple. A mon arrivée, je m'étais rapidement isolée des autres et j'avais fini par laisser mes nerfs exploser. Je contenais trop de douleur et de colère, j'avais eu besoin de les extérioriser. Maève, ma cécité, Samaël, tous ceux qu'on avait perdu... J'avais un creux dans la poitrine que plus rien ne pouvait combler. J'avais un vide dans le cœur qui ne partirait jamais. Et désormais, ce qui me permettait de tenir debout et d'avancer, c'était la pensée de tuer tous ces monstres. Je ne pourrai jamais reposer en paix tant qu'ils séviront.
Une fois que Circé eut fini de modifier mes yeux, je partis m'isoler de nouveau. J'arpentai les statues du Cimetière, plongée dans mes projets de vengeance. Dès que je le pouvais, j'exerçais mon pouvoir pour comprendre jusqu'à quel point je pouvais contrer ma cécité. J'avais parfaitement compris que tout résultait de mes pouvoirs, si on venait à me mettre un réducteur, je perdais toutes mes capacités et je devenais vulnérable. Mais munie de mes pouvoirs, ma vue pouvait s'étendre bien plus loin que d'ordinaire. Je pouvais voir derrière mon dos, derrière les objets, déceler des détails imperceptibles à l'œil nu... Samaël m'avait malgré lui rendu encore plus puissante, et je comptais bien utiliser cette puissance pour l'éliminer. Ce serait le retour du bâton.
- Tu m'espionnes ? lançai-je sans me retourner, sentant la présence de Kalidas non loin de moi.
Un rire retentit derrière mon dos.
- Ce n'est pas mon genre.
- Dit le Rôdeur.
Je sentis ses doigts frôler ma nuque, jouer avec une mèche de mes cheveux cendrés. Un frisson de bien-être me parcourut l'échine.
- Tu sais que désormais, je peux te voir lorsque tu es invisible ? lui demandai-je face à son invisibilité persistante.
- Je l'ai constaté.
Je me tournai vers lui.
- Alors qu'est-ce que tu attends pour redevenir visible ? J'ai l'air de quoi moi, à parler au vide ?
Le Rôdeur se mit à rire.
- Je t'ai rejoint parce que je m'inquiétais pour toi, je voulais voir comment tu allais.
Je détournai le regard.
- Toi comment tu vas ? Je ne suis pas la seule à en avoir baver, ne t'oublie pas à trop te soucier des autres.
Le Rôdeur se passa une main dans ses cheveux de néant, se pinçant les lèvres. Mon attention resta focaliser sur sa main plongeant dans le noir profond et je fis rejouer ce passage en boucle dans mon esprit, jouant avec mes illusions pour faire durer la scène. Un sourire se dessina sur mon visage.
- ...dora ?
Je revins à la réalité quand je compris que Kalidas tentait en vain d'engager la conversation.
- Quoi ?
- Tu m'écoutes ?
- Non, désolée. Tu disais quoi ?
- Et toi, à quoi tu pensais ? Tu avais un grand sourire.
Je sentis le rouge me monter aux joues.
- Euh... rien... je pensas à... Evilash qui avait accepté de tous nous accueillir ici ! mentis-je.
- Et c'est Evilash qui te rend si heureuse ? s'amusa Kalidas.
Je me crispai avant de prendre un air boudeur.
- Bon ok, je pensais à toi, t'es content ? râlai-je.
Un sourire taquin illumina son visage. Je fis disparaître mes pouvoirs pour ne plus le voir. Le noir complet valait mille fois mieux qu'un sourire qui m'embraserait de la tête au pied.
- Je rêve où tu as volontairement décidé de ne plus me voir ?
Je me figeai.
- Comment tu le sais ?
- Je suis redevenu visible et tu n'as eu aucune réaction, j'ai alors passé ma main devant tes yeux.
Je retins un rire. Je reconnectai mes pouvoirs pour voir de nouveau autour de moi, abordant un sourire moqueur.
- Tu ne m'as pas répondu, lui fis-je remarquer, comment tu vas ?
- Tu n'y as pas répondu non plus, contra-t-il, mais je vais bien. Enfin, aussi bien qu'on peut aller dans ce genre de situation.
- Je suis désolée.
Je ne savais même pas quoi lui dire, comment adoucir ses tourments. Je n'étais pas douée pour ce genre de choses. Et pourtant, j'aurais voulu faire tout mon possible pour que rien ne puisse le toucher.
Kalidas soupira et détourna le regard.
- Ne t'en fait pas, je m'en remettrai. Mon père était un monstre, et j'ai appris à faire avec, je dois maintenant assimiler le fait que ma mère est encore pire que lui. Que l'image que j'avais d'elle n'est qu'un fantasme de gosse rêvant de la mère idéale pour combler un vide.
- T'es quelqu'un d'extraordinaire !
Kalidas me regarda, surpris. Je me sentis rougir.
- Extraordinaire ? s'amusa-t-il.
J'acquiesçai.
- Tu as grandi seul, tu t'es construit seul, tu avais un père toxique, une mère absente et qui se révèle monstrueuse et pourtant, tu es attentionné, bienveillant, à l'opposé de ce qu'ils sont. Tu t'en es très bien tiré ! Moi, j'ai eu des parents aimants, bons et je suis devenue la terreur d'un royaume tout entier... Comme quoi, la phrase « les chiens ne font pas des chats » est complétement stupide !
Un petit sourire s'étira sur ses lèvres, mais il n'émit aucun mot. Je me rapprochai de lui, posant mes mains sur ses avants bras, caressant les écailles de sa veste fétiche. Et timidement, je lui fis un baiser sur la joue. Je sentis le regard du Rôdeur peser sur moi. Je m'empourprai.
- Je n'ai pas aimé les attentions de Chany à ton égard, il faut bien que je te rappelle qui a le droit d'être aussi intime avec toi !
Ma jalousie venait de s'exprimer d'elle-même, rythmée avec l'envie d'être auprès de lui, mais la gêne me rattrapa bien trop vite. Kalidas éclata de rire. Il passa une main derrière ma nuque et m'attira encore plus près de lui avant de m'embrasser. Mon corps se crispa. Mon cœur partit au galop. Et j'étais en train de fondre sur place. Puis, il me chuchota des mots à l'oreille ;
- Je n'ai pas non plus aimé son attitude, il n'y a que toi qui puisse être aussi intime avec moi.
Il allait me faire faire un arrêt cardiaque. C'était plutôt agréable.
- Beurk, épargnez-nous vos ébats, retentit une voix plus loin.
Je me figeai, les joues rouge pivoine. Ekaterini s'avança en tirant diverses grimaces exagérées.
- Ramène ton derrière la copie d'Evilash, la vraie Eudora à deux mots à vous dire.
Et elle partit aussi vite qu'elle était arrivée.
- Un jour je l'étriperai, maugréai-je, je la déteste.
- Je ne l'aime pas non plus lorsqu'elle nous interrompt dans un moment pareil, me taquina Kalidas.
Je lui envoyai un coup de coude dans les côtes.
- Tu vas devoir retenir tes pulsions hormonales, on nous attend.
Kalidas se mit à rire alors que je partais sans l'attendre. Mon visage ne voulait pas se décolorer.
Tous les rescapés étaient déjà regroupés dans une pièce voisine. Evilash, Ekaterini, Ange, Shaytan et une petite fille aux oreilles de lièvre se tenaient un peu plus loin. L'enfant jouait avec les cheveux d'Ange, sagement assise sur ses genoux et nous regardait timidement.
- Qu'est-ce que tu me veux ? lançai-je d'emblée à mon double.
- Bonjour la politesse, railla Ekaterini.
- Le reste de votre petit groupe emmené auprès de la reine n'a pas encore été exécuté.
Direct. Net. Sans détour. Evilash venait de lâcher l'information et tous mes organes furent comprimé d'un seul coup.
- Ils ne sont pas morts, réalisai-je.
Je n'avais jusqu'ici plus voulu penser à eux, convaincue qu'il était trop tard. Je n'étais pas la seule à en prendre un coup, les Lycanthropes commençaient à s'agiter.
- Non, ils ne sont pas morts, mais ils le seront dans trois jours. La reine a organisé une exécution publique qui aurait dû avoir lieu dans une semaine, mais ils ont précipité les choses depuis votre évasion pour parer les éventuels contre-temps.
- Trois jours ? s'étrangla un Lycanthrope, on ne peut pas trouver le moyen de les sauver en si peu de temps ! Et on est trop peu nombreux !
- C'est son but.
- Zara compte faire une exécution publique ? relevai-je.
Evilash acquiesça.
- Ils viennent de mettre la main sur les fugitifs les plus recherchés du royaume, elle ne va pas passer à côté. Faire une exécution publique des anciens loyaux de Junon, des rebelles les plus connus, mettra un frein à toute futur rébellion. Mais ce sera aussi le symbole de son plein pouvoir. Ils comptent profiter de l'exécution des rebelles pour faire sortir les Darknils de l'ombre. La fin des rebelles sonnera le début de leur ère.
- Tu veux dire que dans trois jours, les Darknils sortiront au grand jour ?
Mon ventre venait de se nouer à cette idée. Elle acquiesça.
- Ils sortiront au grand jour, trieront la population et choisiront qui à le droit de vivre et qui doit mourir. Ils passeront à l'action une bonne fois pour toute. Ce sera le grand chaos.
Un cauchemar. On courait vers le désastre.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ? demandai-je à mon double.
Je savais qu'elle ne me racontait pas tout cela pour rien, elle avait quelque chose en tête.
- Et toi ? qu'est-ce que tu veux ?
Je fronçai les sourcils, surprise par sa question.
- La même chose que toi, leur fin.
Evilash haussa un sourcil, me contemplant avec intensité.
- Je veux aussi secourir les nôtres, finis-je par ajouter.
Ekaterini se mit à rire dans son coin.
- Tu es toujours coincée entre deux camps, finit-elle par siffler.
- On est désormais dans le même camp, répliquai-je, et on ne peut pas cracher sur des alliés supplémentaires.
- Tes alliés sont entre les mains de la reine, contra Ekaterini, ils ne sont pas vraiment accessibles. On ne peut pas se mettre en danger pour sauver leur peau.
- Les sauver reviendrait à contrer les Darknils, m'entêtai-je, à casser leur précieuse symbolique.
- Tu...
Evilash leva une main pour faire taire sa comparse.
- Tu es donc prête à te battre ? me lança-t-elle.
J'acquiesçai. Je l'étais plus que jamais. Il était temps de lui faire payer toutes ses horreurs. Il était temps d'attaquer la première. Je ne voulais pas attendre son prochain coup, ses futurs méfaits, je voulais agir.
- J'ai déjà réussi plusieurs fois à libérer les otages de la reine, fis-je remarquer, les sauver ne sera pas un problème.
- Ce ne sera pas comme les fois précédentes, m'avertit Evilash. C'est une exécution publique qui va servir à exprimer leur pleine puissance. Ce n'est pas en petit comité qu'on parviendra à quoique ce soit. Si on agit, on y va pour se battre. Je ne suis pas venue te parler de sauvetage Eudora, mais de bataille. Ils comptent faire du jour d'exécution leur jour de gloire, le symbole de leur plein pouvoir et de la soumission du peuple envers eux. Mais moi, je compte faire de ce jour une déclaration de guerre. Ouvertement.
- Quoi ? s'étrangla une Lycanthrope. Pour faire la guerre, il faut avoir une armée.
Elle nous désigna tous d'un geste de la main.
- Une vingtaine de personnes, ce n'est pas ce que j'appelle une armée, continua-t-elle. On n'est pas assez nombreux pour se battre. Surtout si ce jour est si spécial pour eux, ils seront nombreux. S'ils veulent soumettre la population, ils vont sortir l'artillerie lourde. Il y aura les cavaliers, plus tous les Darknils qui se tapissent dans l'ombre depuis de nombreuses années. Ils seront bien trop nombreux, bien trop forts. On ne fait clairement pas le poids. Ce serait du suicide.
- Donc tu préfères abandonner ? raillai-je, je croyais que votre meute ne reculait devant rien.
- Ce n'est pas ce que je dis, s'énerva la louve, mais il y a une différence entre riposter et se jeter droit dans les bras de la mort. On n'est pas de taille ! Une vingtaine de personne ne peut pas venir à bout d'une armée !
- Nous ne sommes pas qu'une vingtaine ! répliquai-je.
La louve me lança un regard interrogateur. Je me sentis galvaniser par la détermination.
- Nous sommes bien plus qu'une vingtaine, repris-je. Nous n'avons pas d'armée ? Il suffit d'en créer une. Combien d'Obscuras vivent dans la misère sur ce royaume ? Combien subissent les lois de ce royaume, sans même y adhérer ? Les Darknils ont beau être nombreux, ils ne sont rien face à un peuple qui se soulève.
- Tu veux créer un soulèvement ? s'ahurit la Lycanthrope. Tu n'es même pas sûre que le peuple aura le cran de te suivre. Beaucoup sont des esclaves inconscients de cette société.
- Le Sundry est empli de personnes s'y réfugiant pour échapper à la réalité de ce monde, ce lieu regorge de rebelles endormis, affirmai-je.
- Il y a également les Centaures, renchérit Circé. Ils se font chasser de leurs terres depuis des décennies, la royauté est en perpétuelle conflit avec eux, leur enlevant toujours un peu plus de liberté. Ils n'attendent déjà qu'une chose, le renversement de la royauté, mais n'ont jamais été assez nombreux pour toucher la victoire.
- Les Centaures ? répéta un Lycanthrope. Ils ne se mélangent pas aux autres races, ils ont trop souffert à vouloir s'intégrer. Tu penses vraiment qu'ils pourraient faire alliance ?
- Avec Zahir, on avait déjà commencé à créer des relations avec leur clan. Ils ne seront pas faciles à convaincre, mais ils me connaissent déjà, et ils ont conscience qu'ils ne parviendront pas à renverser la royauté seuls. On doit tenter.
Les Lycanthropes s'échangèrent des regards avant de reposer leurs regards sur Circé. Ils ne me faisaient pas confiance, ils ne se fiaient pas non plus à Evilash, mais Circé, elle, avait toute leur confiance.
- On te suit, décidèrent-ils.
- Même avec tout ce monde, vous pensez vraiment qu'on fera le poids ? demanda tout de même la louve.
- Nous ne sommes pas les seuls à pouvoir rallier des troupes, n'est-ce pas ? lançai-je à Evilash d'un air suspicieux.
Mon double m'envoya un grand sourire.
- Ravie que tu abordes enfin le sujet, déclara-t-elle. Le Cimetière regorge d'alliés endormis. Je ne les ai pas statufiés pour mon plaisir, mais en prévision de ce grand jour. Il y a encore deux autres salles identiques à celle-ci dans la Scaremountain. Sans oublier la Bête.
- La Bête ? s'éberlua un loup. Tu es en possession de la Bête légendaire ?
- Elle est actuellement en train de faire une petite sieste dans une salle voisine, s'amusa Ekaterini, elle n'attend qu'une seule chose, c'est qu'on la fasse sortir d'ici pour créer le plus grand barbecue de Darknils qu'on ait jamais vu.
Cette annonce sembla donner un regain d'énergie aux rescapés. Evilash claqua dans ses mains attirer l'attention sur elle.
- Nous avons moins de trois jours pour nous préparer et être prêts à lancer l'assaut. C'est peu. Il va falloir éviter de perdre notre temps et commencer dès maintenant à regrouper les troupes. Alors action ! Une guerre nous attend.
*
NDA :
Hey Hey ! Me voilà avec la suite ! Ça sent la fin du tome 🙄 j'espère que le chapitre vous aura plu !
Je n'ai qu'une question en réserve ;
- Eudora et compagnie vont passer à l'action, vous en pensez quoi ? Des prédictions ?
Voilà voilà, la suite arrive ce weekend !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top