28. Performance décuplée.
Des bruits assourdissants pleuvaient autour de moi. J'entendais des fracas, des cris, des bruits que je ne pouvais même pas définir. Mais je ne voyais rien. Et la douleur me consumait toujours. Il n'y avait que le noir et la souffrance.
Des mains se posèrent sur ma peau. Je les sentis à peine à travers le mal et l'engourdissement qui m'étreignaient.
Une décharge de chaleur et de picotements envahit mon corps. La douleur disparut. Je me sentis reprendre des forces. Je retrouvai toute l'énergie que j'avais perdu. Mais ma vision demeura noire. Je ne voyais rien. Rien d'autre que le néant. Et même lorsque la chaleur quitta mon corps et que l'individu, sans nul doute un Guérisseur, recula, le noir demeura. Je sentis une autre présence à mes côtés. Les liens qui me retenaient cédèrent. Le réducteur me fut retiré. Je fus enfin libre.
- Je suis désolée, il est impossible de faire repousser des yeux, retentit une voix douce à mon côté.
J'avais l'impression d'avoir des couteaux plantés en plein cœur. J'étais silencieuse, immobile, peinant à tout assimiler. J'étais aveugle. C'était irréversible. Maève était morte. C'était irréversible. Les Darknils avaient mes yeux, un nouvel atout de luxe dans leurs plans. C'était irréversible.
- Ange, faut se bouger, on n'a pas le loisir de prendre tout notre temps, retentit une autre voix un peu plus loin. Si la Eudora miniature veut pas remuer, je veux bien me charger de lui mettre des coups de pied au cul.
J'essayai de me focaliser sur les bruits autour de moi, de discerner le cours des événements, mais le chaos et la cacophonie m'empêchaient de saisir tous les évènements.
- Il faut bouger, recommença la voix douce d'Ange, on doit vous faire sortir d'ici. Tu te sens capable de marcher ? On te guidera comme il faut, hors de cet enfer.
Je me crispai.
- Je n'ai pas besoin d'aide. Où sont les autres ?
- Ils ont été libérés et notre Guérisseur est en train de les guérir. On les fera sortir en même temps que toi.
- Vous avez un timing parfait, ricanai-je, mais vous n'aurez pas pu arriver plus tôt ? Par exemple, avant que je ne perde la vue ou que Maève ne se fasse tuer ? A moins que nous voir souffrir était plus intéressant que débarquer en temps et en heure.
La colère était venue au galop, j'avais trop d'émotions qui se bousculaient et il fallait que tout s'évacue. J'avais besoin de passer mes nerfs. Sur n'importe qui. Mais une gifle calma mes ardeurs.
- Eka ! s'injuria Ange.
- Qu'elle apprenne la politesse si elle veut éviter les claques, se défendit la seconde d'un ton cinglant. Pour ta gouverne, si personne n'est venu plus tôt, c'est parce que c'était impossible. Fallait que nous nous trouvions sur une autre planète pour que tu te décides à te fourrer dans la merde ! On vient à peine de rentrer et nous n'avons même pas encore eu le temps de souffler, alors tes remarques, tu te les mets là où je pense.
Je serrai les poings. L'envie de lui en mettre une en réponse à son coup me brûlait la peau, mais pour cela, fallait-il encore que je puisse voir ma cible.
- Il faut se bouger maintenant, reprit Ange, avec Evi on se charge des Darknils, du moins autant que l'on pourra. Pendant ce temps, il faut que vous sortiez d'ici.
Je retins un frémissement. Je ne voyais rien. Il m'était impossible de me débrouiller seule. J'étais vulnérable et complétement à la merci de l'ennemi, je détestais cette situation. Mais il m'était aussi inconcevable d'accepter la moindre aide. Je ne pouvais digérer d'être aussi faible et dépendante des autres.
Je me renfermai sur moi-même, me focalisant sur les bruits autour de moi, sur ce que je percevais, mais la cacophonie ambiante m'empêcha une nouvelle fois de saisir pleinement les évènements. On voulut me lever de force et me faire marcher, je me débattis et tentai d'avancer seule, mais rapidement, je buttai contre quelque chose d'inidentifiable. Le rebord de la table ? Un accessoire de torture ?
Je m'entêtai, refusant toutes les aides que l'on me proposait.
- On devrait la laisser là, ricana cette Eka, c'est plutôt marrant de la voir peiner. Elle va finir par s'empaler toute seule sur une arme. Futée la petite.
Je me crispai à l'entente de ses mots. Des doigts me frôlèrent. Je sentis une présence à côté de moi. Même plongée dans le noir, je le reconnus. Et mon cœur martela ma poitrine. Il allait bien.
- Cool, le prince charmant est là ! s'écria cette voix infernale. Bon on la laisse à tes bons soins, vu qu'elle ne veut pas de notre aide. Maintenant profitez-en pour vous tirer d'ici avant que notre intervention n'ait servi à rien.
Kalidas ne répondit rien, puis lentement, me tira contre lui. Je me blottis contre son torse. Le savoir là pansait les béantes déchirures qui me criblaient le cœur.
- Tu te sens comment ? me souffla-t-il. Si je te guide, tu arriveras à me suivre ?
Sur ces mots, il me tira vers lui, me faisant avancer. Je me laissai faire, mais mon cœur se serra.
- Je ne suis pas impotente et c'est insupportable de me sentir comme telle, lâchai-je sèchement.
- Je n'ai jamais pensé que tu l'étais, mais parfois, on a tous besoin d'un petit coup de pouce. Il n'y a rien de mal à cela.
Je poussai un grognement en guise de réponse. Le noir m'envahissait et je n'arrivais pas à le supporter. J'allais disjoncter. Je me sentais faible, fragile, autant physiquement qu'émotionnellement. Je voulais quitter ce lieu digne des enfers. Quitter mes souvenirs qui revenaient me hanter. Quitter la vision glaçante du corps de Maève. L'énergie brûla mes veines. Tous les sentiments se bousculaient en moi. Kalidas me lâcha brusquement les mains.
- Tu fais jaillir des cendres, m'apprit-il.
Je ne m'en étais même pas rendue compte. Maintenant qu'il me le faisait remarquer, je sentais les voiles de cendres me glisser des mains, je sentais l'énergie si familière couler dans mes veines. Les cendres s'écoulaient au rythme de mes humeurs. Les cendres s'écoulaient pour que je puisse évacuer le surplus qui m'inondait. Les cendres s'écoulaient pour chasser ma vulnérabilité. Pour que je puisse me protéger.
L'énergie vola autour de moi, je la sentis grésiller, frétiller, crépiter. Privée de la vue, j'avais l'impression d'être plus encrée dans mon pouvoir, de mieux le ressentir. De mieux le capter. Je ne les voyais pas, mais je pouvais sentir chaque flocon de cendres voler autour de moi, indépendamment des autres. Mon pouvoir voletait, affamé, en quête d'une proie. Et alors, une sensation se dessina dans le creux de ma poitrine.
Les cendres, qui n'avaient jamais été dotées de la vue, localisaient leurs proies. Elles les localisaient par des sensations. Par un sentiment intense et indescriptible. Et désormais, à travers mes cendres, je pouvais faire de même. Je sentis les proies qu'elles localisaient, les lieux. L'énergie vitale des Obscuras autour de moi m'envahit, m'appelait, et je pouvais les sentir, compter la distance qui me séparait d'eux. J'étais aveugle mais subitement, je pouvais connaître la position de tout le monde autour de moi, sans exception. Je ne les différenciais pas les uns des autres, mais je pouvais sans peine les dénombrer.
- Eudora, me souffla le Rôdeur, contrôle tes cendres. Je dois te faire sortir d'ici et je ne le peux pas si tu fais jaillir ton pouvoir.
Je secouai la tête. Si mon pouvoir me permettait de retrouver un semblant de visibilité, il était hors de question que je le fasse disparaître. Je me concentrai un peu plus sur mon pouvoir, inondant mon organisme de cette énergie. Je voulais sentir ce flux inonder mes veines. Cette fois-ci, je ne voulais pas la refouler, mais la faire exploser au grand jour. Mes cendres jaillirent et mon pouvoir m'inonda toute entière. Je me sentis plus forte, plus puissante. Et je continuais de puiser dans mes ressources jusqu'ici insoupçonnées, découvrant des sensations nouvelles. Par sensations, les murs se dessinèrent autour de moi, les objets, je pus sentir chaque être et chaque composant matériel autour de moi.
J'étais aveugle, mais finalement, je ne l'étais pas tant que cela.
Je fis signe à Kalidas que tout allait bien, que je le suivais, que j'y parviendrais. Je me laissai guider par le pouvoir des cendres et l'énergie qu'elles détectaient tout autour.
Evilash et ses sbires se chargeaient de retenir les Darknils, de nous donner la possibilité de fuir. Je détestais l'idée de fuir encore, sans mettre fin à cette situation une bonne fois pour toute, mais j'avais conscience que ce n'était pas le bon moment. Il n'y avait pas de victoire dans la précipitation. Alors, frustrée, je me résolue à faire ce que l'on me demandait. Je quittais les lieux en compagnie des autres rescapés. Mais le repaire des Darknils semblait être conçu comme un labyrinthe. D'innombrable couloirs, menant à un nombre incalculable de pièces, et on avait l'impression de revenir sans cesse à la case départ.
Mes mains frôlaient la paroi autour de moi, je laissai l'énergie me guider, je ressentais mon environnement grâce à mon pouvoir. Je laissai les cendres faire guide d'aveugle, les envoyant au-devant pour découvrir les horizons. Mais la sortie semblait être inaccessible. Ressentir ce qui m'entourait était un soulagement, je n'étais pas si impotente que cela. Mais ne pas voir, constater par les yeux, était horripilant. A défaut de pouvoir voire les murs autour de moi, j'y passais fréquemment mes mains pour sentir le contact, pour rendre mon univers un peu plus réel.
Et j'aurais voulu oublier ce qu'il venait de se produire. Que tout soit comme avant. Car j'avais beau penser que ma situation ne pouvait jamais être pire, je perdais toujours quelque chose de plus.
Ma tête se mit à vrombir. J'eus brièvement le tournis. Les souvenirs rejaillirent dans mon esprit, indépendant de ma volonté. Je me revis enfermée dans mes illusions, désireuse d'échapper de la réalité. Et l'envie de m'y plonger une nouvelle fois pour échapper aux nouveaux événements m'étreignit. Et mes illusions volèrent à mon secours sans que je ne les appelle.
Je sentis mon pouvoir s'activer sans que je ne comprenne ce qui était en train de m'arriver. Perdre la vue semblait donner carte blanche à mes pouvoirs. A moins qu'il les rendît plus saisissable.
Mais alors que je marchais, sentant mes pouvoirs vibrer dans tous les sens pour palier ma cécité, les murs que je touchais du bout des doigts prirent vies.
Du moins, c'est la première impression que j'eus.
Je ne pus retenir un sursaut lorsque je sentis les parois bouger sous mes doigts avant de se stabiliser. Puis, les formes et les couleurs se dessinèrent d'eux-mêmes.
- Eudora ? Tout va bien ? s'inquiéta Kalidas.
Les autres s'étaient arrêtés, soucieux de mon arrêt brutal. Mais je ne pus répondre, paralysée par l'étonnement.
Les couleurs envahirent mon esprit et j'étais stupéfaite. Mon cerveau semblait avoir été mis sur pause. Je pus voir mes pieds, mes chaussures couvertes de sang, le sol grisâtre. Quelques taches noires persistaient encore. Je ne pouvais voir les visages autour de moi, seulement des silhouettes noires.
Je n'avais plus de yeux, mais j'arrivais à voir. Partiellement.
C'était incompréhensible.
Impossible.
Les silhouettes perdirent leur noirceur et je pus mieux discerner qui m'entourait. Reconnaître les personnes autour de moi. Circé. Les Lycanthropes. Je savais être entourée de tous ceux ayant été faits captifs, mais jusqu'ici, je n'avais même pas réussi à différencier les alliés des Darknils.
Le déclic se fit. Je compris ce qui m'arrivait. Je n'avais pas retrouvé la vue.
Non, je n'avais pas miraculeusement retrouvé mes facultés, mais je venais de découvrir un autre aspect de mes pouvoirs. Un aspect qu'il m'était impossible de découvrir en tant que voyante. Mes pouvoirs pouvaient parer ma cécité. Mes cendres pouvaient localiser les alentours, comprendre l'environnement dans lequel j'évoluais, me donnant la possibilité de ressentir l'univers autour de moi. Et mon pouvoir d'illusion venait compléter le travail. Il mettait des couleurs, des formes et des visages à ce que je ressentais. Mes illusions me donnaient des images fictives directement dans mon esprit pour palier l'obscurité qui m'avait cueilli.
En utilisant mes illusions, j'avais toujours pu sentir mon environnement différemment, deviner les couleurs et les expressions en contact avec mon pouvoir. Inconsciemment, mon pouvoir venait de faire le travail, de retranscrire mon environnement pour que je puisse le saisir.
Et tout semblait réel. Tout était réel. Je voyais comme si j'étais encore dotée de yeux et pourtant, il me suffisait de chasser mes pouvoirs pour retomber de nouveau dans le noir complet. Ou de vouloir voir la réalité différemment pour changer les couleurs et les retranscriptions autour de moi. Mais bien trop soulagée de pouvoir voire les choses telles qu'elles étaient, je ne cherchai pas à utiliser mes dons pour peindre les couloirs en rose bonbon.
Sans fournir aucune explication, je repris ma marche, sonnant le départ. On continuait de suivre les couloirs, de traverser les pièces, mais la sortie demeurait introuvable. Même dotée de l'illusion de la vue, je ne savais quel chemin emprunter. C'était comme si les lieux étaient conçus pour que l'on s'y perde.
- On n'était pas déjà venu dans cette salle ? demanda un Lycanthrope alors qu'on déboulait dans ce qui semblait être un entrepôt.
- On tourne en rond depuis le début, s'agaça une louve.
Un cri retentit derrière nous et un Lycanthrope fut tirer vers le plafond avant de retomber inerte contre le sol, la nuque brisée. Des cris effrayés s'échappèrent. On perdait le contrôle de la situation.
Des bruits retentirent autour de nous sans que rien ne soit visible. Je me concentrai sur mes pouvoirs pour sentir les présences autour de nous. Des ombres se dessinèrent dans mon esprit. Mais elles ne paraissaient pas réelles, comme s'il s'agissait de simples ombres humaines, dépourvues du corps qui allait avec.
Un autre Lycanthrope fut tiré vers le plafond avant de retomber inerte, dans une position improbable, tel un pantin désarticulé. Face une menace invisible, la seule chose que l'on puisse faire fut fuir. Mais alors qu'on s'élançait vers le bout de l'entrepôt qui menait à une porte en bois, la salle s'étira. Plus on avançait vers la porte et plus elle s'étirait, comme si nos mouvements se résumaient à du surplace. Et l'ombre rôdait toujours. Imperceptible. Voletant dans l'obscurité des lieux.
Les Darknils avaient dû veiller à leurs arrières en se munissant d'un chasseur qui se lancerait à la poursuite de tous les captifs tentant de fuir. Et ce chasseur était doué dans l'art de la discrétion, il attrapait ses proies dans le plus grand silence avant de disparaître parmi les ombres. Il était indécelable.
Nous étions censés sortir de ce lieu digne de l'enfer, pendant qu'Evilash et ses alliés s'occupaient des Darknils, et voilà qu'on n'arrivait même pas à jouer les lâches et quitter le repaire tranquillement.
Nous étions coincés dans un entrepôt lugubre qui n'avait pas de fin. Les lieux semblaient piégés. Impossible d'échapper à l'enfer. J'avais la sensation oppressante que Samaël me tirait toujours vers lui, comme si nous étions reliés l'un et l'autre par des ficelles et qu'il en avait les commandes. Impossible de lui échapper.
Faute de parvenir à fuir, chacun dégaina ses pouvoirs pour riposter comme il le pouvait. L'ombre eut plus de mal à perpétrer ses méfaits face à une résistance solide et solidaire, mais ce chasseur nocturne semblait avoir plus d'un tour dans son sac. L'un des nôtres manqua se faire emporter par l'ombre mouvante, mais Circé fut plus rapide et voletant rapidement, elle le ramena auprès de nous. Mais l'ombre profita de cette diversion pour emporter un autre derrière lui. Un nouveau corps désarticulé. Sans laisser de répit, l'ombre réapparue une nouvelle fois. Mes cendres ne pouvaient rien contre cette ombre immatérielle. L'ombre n'avait aucun composant pouvant nourrir mon pouvoir. Ce n'était qu'une ombre. Je ne pouvais pas l'attaquer. Et je n'étais pas la seule.
Contre toute attente, c'est Kalidas qui parvint à faire battre l'ombre en retraite. Invisible, le Rôdeur était parvenu à suivre l'ennemi et à l'aide de son pouvoir de déséquilibre avait réussi à le propulser contre le sol. La chute de l'ombre fit jaillir des petits jets de lumière dans la pièce, éclairant les lieux si lugubres. Je compris alors que l'obscurité n'était pas normale, c'est cet Obscuras qui la produisait. L'ombre se réfugia dans un coin de la pièce et se fondit dans la pénombre.
Kalidas reprit sa forme visible. Désormais visible où invisible, je pouvais le sentir et le suivre à la trace. Ce changement était loin de me déplaire. J'avais perdu la vue, mais je voyais encore mieux qu'avant et j'étais convaincue que c'était une chose que Samaël n'avait pas prévu.
L'ombre se déroba du coin où elle s'était recluse, déjà prête à se lancer une nouvelle fois dans la mêlée. Mais cette fois-ci, son corps immatériel prit de la consistance. Nous n'allons plus avoir affaire à une ombre, mais à un Obscuras de chair et d'os. Touchable et plus vulnérable. Mais si l'ennemi se dévoilait, c'est qu'il avait encore plusieurs tours dans son sac. Je me mis aussitôt sur mes gardes.
Alors que l'ennemi allait se jeter sur nous, il se stoppa brutalement en voyant Kalidas. Soudainement, toute l'hostilité de la pièce s'estompa. Sans qu'on ne comprenne ce qu'il était en train de se produire, l'Obscuras qui nous attaquait un instant plus tôt baissa toutes ses défenses et apparue à la lueur du jour avant de s'élancer vers le Rôdeur et de se jeter à son cou.
Elle l'embrassa.
Mon sang ne fit qu'un tour et seule la présence trop rapprochée de Kalidas m'empêcha de lui jeter un amas de cendre en pleine face.
Mais l'échange fut de brève durée. Kalidas la repoussa aussitôt avant de reculer brutalement. Cela ne sembla pas calmer les ardeurs de cette inconnue qui sautilla sur place, ignorant la surprise générale, dévorant Kalidas du regard.
C'était une Rôdeuse. Mon pouvoir de l'illusion pouvait me retranscrire les couleurs et son apparence dans les moindres détails alors même qu'elle me tournait le dos. Elle avait des yeux rouges de la même nuance que ceux de Kalidas. Des cheveux fins, noirs et parfaitement lisse qui s'arrêtaient au niveau de sa mâchoire. Sa peau était de la même couleur que les vieux parchemins et possédait des textes retranscrits dans une écriture qui m'était inconnue.
- Kalidas, ça fait longtemps ! s'extasia cette fille, j'ignorais que tu étais ici. Autrement, je ne vous aurais certainement pas attaqué !
- Chany ? s'étonna-t-il, mais qu'est-ce que tu fiches ici ?
Un sourire crispé apparue sur le visage de cette Chany.
Chany... Kalidas m'avait parlé d'elle. C'était la fille du Yama qui avait inspiré les rêves d'Inception de Kalidas. Cette fille qui s'était alors mis en tête de déceler tous les secrets de l'après mort. Cette fille qui avait subitement disparue de la circulation. L'évidence me frappa d'un coup. J'eus encore plus envie de lui envoyer toutes les cendres que j'avais dans ma réserve.
Les trahisons ne finissaient-elles jamais ? Après avoir découvrir que sa mère était une Darknil, Kalidas allait devoir endurer une nouvelle révélation dure à digérer ?
- Qu'est-ce que je fiche ici ? répéta Chany en détournant le regard. Je travaille ici.
- Tu travailles ici ? répéta Kalidas.
Je pouvais sentir tous les muscles de son corps se contracter. Et j'aurais voulu réduire cette garce à l'état de cendres. Mais la tuer n'arrangerait rien des états d'âme du Rôdeur, bien au contraire.
- A force de fouiner pour découvrir les secrets de la vie après la mort, j'ai fini par tomber dans des histoires bizarres, expliqua-t-elle, et c'était les servir ou être réduite au silence. Je ne pouvais pas laisser l'opportunité d'avoir des réponses sur la mort m'échapper ! J'ai accepté de devenir l'un des leurs. Je suis leur chasseur de prime.
Voyant que Kalidas ne pipait mot, trop interloqué, elle poussa un long soupir.
- De toute façon je n'ai pas besoin que tu juges mes décisions de vie, ce qui est fait est fait. Je n'avais pas envie de me faire tuer et j'avais besoin de réponses. Bref, maintenant je ferais mieux de vous faire sortir d'ici avant que vous ne soyez coupés en rondelles.
- Tu vas nous sortir d'ici ? Après avoir tué plusieurs des nôtres ? grinça une Lycanthrope.
- Poupée, je ne faisais qu'obéir aux ordres, riposta Chany, mais là c'est différent. Je ne toucherai jamais à mes proches, ni aux proches de mes proches.
Elle s'avança vers Kalidas, un petit sourire sur les lèvres.
- Alors beau gosse, tu me suis, ou bien tu préfères pourrir ici ?
Mes envies de meurtre ne faisaient que s'accentuer. Je venais peut-être à peine de la rencontrer, mais je n'aimais pas cette fille. Je m'avançai vers Kalidas, lui prenant la main. Je n'en avais rien à faire de me donner en spectacle, tout ce que je voulais c'est que cette fille comprenne qu'elle n'avait pas à l'approcher. Chany contempla nos mains liées, comprenant mon petit jeu, et éclata de rire.
- Miss-Orbite-Vide, tu ne crois pas que le moment est peu approprié pour nous faire une petite crise de jalousie ?
- Tu viens de nous dire que tu connaissais le moyen de quitter les lieux, répliquai-je, qu'est-ce que tu attends pour mener le pas ?
Chany hésita.
- Tu sais comment sortir d'ici, non ? l'interrogea Kalidas, suspicieux.
Chany leva les yeux au ciel.
- Bien sûr que je sais comment sortir d'ici, tu sais très bien que je suis claustrophobe, alors hors de question de m'enfermer dans ce genre d'endroit sans connaître le moyen de m'échapper. Surtout qu'on est à l'étroit dans ce repaire. C'est juste qu'il faudra que j'explique votre fuite au grand manitou. En vrai il est plutôt marrant et sympa quand on est de son côté et que l'on va dans son sens, mais là, je n'ai pas trop envie de me faire tuer. Ce serait le comble de mourir entre les mains d'un type qui idolâtre Winnie l'Ourson. D'ailleurs je ne sais même pas qui c'est Winnie l'Ourson exactement, mais sa tête est affreuse !
- T'as fini tes bavardages ? m'exaspérai-je, tu nous as dit que tu nous sortirais d'ici.
- Je sais, jalouse-woman, mais personnellement, je réfléchis quand même un minimum avant d'agir. Il faut que je trouve une bonne excuse pour vous avoir laisser filer et mon cerveau carbure beaucoup trop vite, je n'arrive pas à trouver quelque chose de plausible. Hé... mais attend une minute ! T'es Eudora toi ? Comment j'ai fait pour ne pas le comprendre tout de suite. Samaël est obsédé par toi, ça rend dingue Harmonia. Oh, d'ailleurs Kalichou, je suis désolée pour ta mère, ça m'a fait un choc d'apprendre qui elle était réellement !
- Bon Chany, je sais que tu es une grande bavarde, intervint Kalidas, mais là, on n'a pas vraiment le temps pour tes longs discours. Sors-nous d'ici s'il-te-plait. Tu peux toujours venir avec nous et échapper à l'emprise des Darknils.
- Hors de question ! grinçai-je aussitôt.
- Ta proposition est trop mignonne, s'extasia Chany en contemplant Kalidas avec adoration, mais je vais devoir décliner. Qu'est-ce que je deviendrais si je quittais cet endroit ? Je n'ai pas envie de devenir une nomade en fuite qui doit lutter pour ne pas se faire guillotiner. Je suis bien ici de toute façon, et c'est le meilleur endroit pour connaître toutes les facettes du monde des morts. Tu ne peux pas savoir tout ce que j'ai appris de fascinant dernièrement ! Mais bon, ce n'est pas le moment tergiverser, comme tu l'as dit, il faut que je vous sorte d'ici. D'ailleurs Kali, juste pour que tu ne te fasses pas du mouron, ce n'est pas parce que je travaille pour les Darknils que je ne suis plus moi-même. L'ancienne moi est toujours présente, et sache que même si je reste ici, si j'ai la possibilité de vous trouver des informations qui pourront jouer en votre faveur lors de votre lutte, je viendrai vous les donner. C'est un risque, je sais, mais qu'est-ce que je ne ferais pas pour toi mon K...
- Cha...
- Bon c'est bon je sais, je parle trop, le coupa-t-elle. Allez venez, je vous mène dehors. Soyez discrets, faudrait pas qu'on nous prenne la main dans le sac. Alors pas un bruit, ni un mot, la discrétion est primordiale.
- C'est elle qui parle de discrétion, ironisa Circé.
- Je veux bien lui coudre la bouche, ça nous ferait des vacances, grinçai-je.
- Je te passerai les ustensiles.
C'était bien la première fois que je m'entendais sur un sujet avec Circé. D'un coup, ce constat m'irrita.
- ... c'est normal que vous ne trouviez pas la sortie, continuait de raconter Chany, ces lieux sont conçus comme des labyrinthes. Seuls ceux sachant exactement à quoi ressemble l'issue peuvent y accéder. Bon, hormis Evilash je pense. Elle est arrivée en défonçant tout sur son passage et je suis convaincue qu'elle sortira de la même manière...
- Kalidas a très mauvais goût en termes d'amis, fis-je remarquer, lançant une pique à Circé par la même occasion.
- Je ne suis pas sûre qu'il en ait de meilleurs en termes de petite amie.
Je serrai les dents, me retenant de riposter. Et les bavardages incessants de Chany ne faisaient que remonter toute ma mauvaise humeur.
- ...Nous sommes bientôt arrivés, une fois que vous serez dehors, vous devrez vous débrouiller sans moi, je...
- Tu ne peux pas la fermer, m'énervais-je, t'es censée nous servir de guide, pas de moulin à parole.
- Qu'est-ce que tu me veux le cendrier ? Je vous aide, tu devrais me remercier.
- Chany, c'est toi qui parlais de discrétion, mais tu fais un boucan du diable, intervint Kalidas.
La remarque du Rôdeur eut don de la faire taire, du moins, pendant les cinq minutes qui suivirent.
Comme promis, Chany nous guida vers la sortie. Je ne savais pas ce qui me procurait le plus de satisfaction, retrouver enfin l'air extérieur ou savoir qu'on allait enfin pouvoir se débarrasser de ce moulin à parole qui collait le Rôdeur d'un peu trop prêt.
- Bon on y est, je vous souhaite bonne chance ! s'écria Chany avant de s'approcher de Kalidas. Au revoir Kalidas !
Elle s'élança vers lui pour l'embrasser, mais cette fois-ci, Kalidas la vit venir et la repoussa brutalement avec un regard froid. Je ressentis une intense satisfaction alors que Chany affichait un air boudeur.
Après encore deux longs récits d'adieu, l'intruse indésirable finit enfin par nous laisser en paix.
Désormais hors des griffes des Darknils, la pression retomba peu à peu, mais les horreurs persistaient à se mélanger sans cesse dans ma tête. Telle une automate, je me laissai entraîner par l'effet de groupe, suivant leurs décisions et leur pas sans me poser de question. Et après un temps interminable, on fut de retour au volcan. C'était temporaire. Les Lycanthropes, soutenus par Circé, avaient tenu à y revenir pour y chercher des survivants.
Le volcan était désert. Il n'y avait plus personne, même les cadavres avaient disparu. Une partie du volcan avait explosé. Il y avait du sang partout, seul vestige du passé.
- Il n'y a personne ici. Il n'y a plus personne, constata une Lycanthrope. Nous sommes les derniers, on les a tous perdus.
- C'est faux, la contredit Circé, s'il n'y avait eu aucun rescapé, les cadavres pourriraient à l'air libre, mais ils ne sont plus là. Les cavaliers n'auraient jamais pris la peine de s'occuper des morts.
Et elle avait raison. Quelqu'un était passé. Et ce n'était probablement pas un sujet de la reine. Et les rescapés ne tardèrent pas à arriver, s'étant aperçu de notre présence.
Une petite troupe de Lycanthrope, qui n'avait rien à voir avec la meute d'autrefois, déboula. Aucun visage familier. Je ne connaissais aucun des rescapés. Je ne m'étais même pas rendue compte de l'espoir qui me serrait le cœur jusqu'à ce que la déception, la rage et la peur viennent la remplacer. J'avais tout perdu. Encore. A cause des Darknils. Je n'avais plus que Kalidas.
J'avais une nouvelle fois tout perdu.
- Je n'y crois pas ! s'ébahi l'un des rescapés, mais d'où est-ce que vous venez ? On croyait être les seuls.
- Il n'y a personne d'autre que vous ? les interrogea Circé, partagée entre espoir et désolation.
Ils secouèrent la tête.
- Non... c'était un carnage, il y a eu beaucoup de morts, mais la plupart se sont faits emporter chez la reine. Ils ont dû être exécutés depuis le temps... Si nous sommes parvenus à fuir, c'est grâce à Zahir et Larentia. Larentia s'est tuée en faisant exploser les lieux, on a profité du chaos. Zahir est resté derrière retenir les cavaliers. Soit il s'est fait tuer, soit il s'est fait emporter, mais cela revient au même. Vous étiez où pendant tout ce temps ?
- Retenus par les Darknils, expliqua Circé, mais grâce à Evilash, on a pu fuir. On espérait retrouver plus de survivants ici.
Les Lycanthropes s'échangèrent des regards dépités.
- Faut pas se leurrer, la rébellion est éteinte, nous ne sommes plus rien désormais. On ne sait même plus où aller. Nous n'avons plus de chez nous, plus aucun objectif...
Je serrai les poings à l'entente de ces mots. Je refusais que tout se termine ainsi. J'étais vivante, et tant que je respirais encore, je refusais de baisser les bras. Plus que jamais, la vengeance hurlait dans mes tympans. La rage m'embrasait et je m'y raccrochais avec force pour ne pas céder à la douleur et l'épuisement de ces derniers jours.
Un brouillard de cendre s'éleva autour de nous avant qu'Evilash fasse irruption dans les lieux, entourée de ses acolytes. Les Lycanthropes eurent un mouvement de recul.
- Qu'est-ce qu'elle fait ici ? grogna l'un d'eux.
Evilash l'ignora royalement, se tournant vers moi.
- Je ne t'ai pas libéré pour que tu recommences à vagabonder n'importe où, me lança-t-elle, il serait peut-être temps que tu viennes vivre sous le même toit avant que tu te fasses tuer.
Un silence accueillit ses propos, tout le monde semblait attendre ma réaction.
- Je t'ai dit que j'étais à ta disposition.
Un sourire s'étira sur ses lèvres.
- Très bien, alors suis-nous.
- Et eux ? Ils peuvent venir ?
Les fidèles d'Evilash se figèrent alors que les Lycanthropes se mettaient déjà à protester.
- S'ils viennent, ils seront sous ta responsabilité. Et s'ils commencent à faire des siennes et à me gêner dans mes projets, je m'en débarrasserai.
- Je suis d'accord.
Circé m'agrippa le bras pour me tourner vers elle.
- Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu ne crois pas qu'il faudrait peut-être qu'on en parle entre nous avant ?
- La menace actuelle, ce n'est pas Evilash, mais les Darknils. Il faudrait cesser de s'attacher aux anciennes rancœurs si on souhaite s'en sortir. Le seul moyen qu'on a de gagner, c'est de cesser de se battre entre nous et d'unir nos forces contre la véritable menace.
Voyant que les protestations allaient commencer à fuser, je levai une main pour les faire taire.
- Vous n'avez plus nulle part où aller, repris-je, et vous n'êtes plus assez nombreux pour lutter. Vous l'avez dit vous-même. Il serait stupide de cracher sur l'opportunité qui s'offre à vous par fierté.
Je focalisai mon attention sur Circé.
- Tu m'as emmené de force dans ce royaume et j'ai fini par vous suivre de moi-même, je me suis efforcée de vous faire confiance et de rester auprès de vous dans une lutte commune. Mais votre rébellion est morte. Le combat, lui, n'est pas fini. C'est à votre tour de me faire confiance. On a encore une chance de changer ce monde et de détruire les menaces qui pèsent sur ce royaume. Et cette fois, on fera les choses à ma manière. Mais c'est à vous de voir ce que vous préférez faire, rester au milieu des ruines du passé ou me suivre et avancer.
Circé me contempla silencieusement durant quelques minutes avant de hocher la tête.
- C'est d'accord.
*
NDA : Hey ! Me voici de retour après une semaine de retard ! J'ai eu du mal avec ce chapitre, il était pas évident
J'espère qu'il vous aura plus !
- Eudora qui arrive à voir grâce à ses pouvoirs, cool ?
- Vous en pensez quoi de Chany ?
- Les rescapés qui rejoignent les rangs d'Evilash , pour ou contre ?
Voilà voilà ! On se dit à lundi/mardi pour le chapitre suivant (si j'ai pas de retard)
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
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