27. Abîme.

- Plus tard je veux être éleveuse d'éléphants ! Et leurs trompes me serviront de douche !

- Tu dis n'importe quoi ! maugréa Marin alors que Sanjana continuait de s'exciter sur ses plans d'avenir.

Maève s'amusait à mettre des fleurs violettes dans les cheveux de ses poupées en rigolant aux récits de Sanjana.

- ...et je leur mettrai une maison sur le dos, et je vivrai à l'intérieur, continuait la Sirène, autour du lit, il y aura une moustiquaire arc-en-ciel avec des crapauds attachés dessus et je leur apprendrai à chanter.

- Tu dis vraiment n'importe quoi, grinça Marin. En plus, pour leur apprendre à chanter, faudrait déjà que tu saches toi-même le faire sans briser nos tympans.

- T'es qu'un nul, lui répondit Sanjana avant de se tourner vers moi.

J'étais restée silencieuse, les genoux serrés contre mon torse, mes bras les entourant.

- E., tu veux être quoi toi ? demanda-t-elle, les yeux brillants.

Je pris quelques secondes pour réfléchir.

- Je veux être un espion ! m'enchantai-je.

- Un espion ? répéta mon frère.

- Oui ! Pour Samaël. La dernière fois, il a dit qu'il y avait trop de mystères dans le monde et qu'il lui manquait une petite souris pour débusquer les mystères de la vie. Je veux être cette souris !

- T'es bête, commenta Marin.

Je pris la poupée de Maève pour la balancer à la figure de Marin avec force. Il se la prit dans le front et poussa un cri de douleur avant de me foudroyer du regard.

- En plus d'être bête, t'es complétement folle !

- Vous n'allez pas recommencer ! gémit Maève.

Je croisai les bras d'un air boudeur.

- De toute façon, t'aimes pas Samaël, reprochai-je à mon frère.

- Je n'ai jamais dit ça ! riposta-t-il, mais parfois il a des idées trop bizarres. Et je n'aime pas ses idées bizarres.

- Il n'est pas bizarre, il a une façon de voir les choses inédites et c'est cool.

- T'es toujours en train de prendre sa défense, se renfrogna Marin.

- T'es jaloux.

- C'est faux.

- Si tu l'es ! Parce que Samaël a dit qu'un jour il m'emmènerait dans notre planète d'origine et que toi, il ne te l'a jamais proposé.

- Il a dit quoi ? s'effara Marin.

- Il a dit qu'il le ferait quand tout sera fini.

- Il ne peut pas ! s'écria marin.

- Pourquoi il ne pourrait pas ?

- Parce que ce n'est pas un monde pour n... Parce qu'on vit ici et qu'on y est bien !

Je rigolai ouvertement.

- Je suis sûre que t'as peur ! T'as peur de voir comment est notre vrai chez nous.

- Moi j'aimerais bien voir ! s'extasia Maève.

- Tu ne peux pas, t'es une Terrienne, rétorqua Marin.

- Vous êtes bien sur Terre alors que vous êtes des extraterrestres, alors pourquoi pas ?

Je rigolai au mot « extraterrestre ». J'aimais beaucoup cette appellation. Une appellation que Maève aimait utiliser. Marin, lui, ne l'aimait pas. Il aimait être un Terrien.

- Ce n'est pas un monde pour les Terriens, se buta Marin.

- Toi qui l'as déjà vu, tu pourrais peut-être au moins nous décrire comment c'est là-bas ! s'exclama Sanjana.

Marin se renfrogna.

- J'étais un bébé lorsqu'on a quitté les lieux, tout comme vous, je ne m'en souviens pas.

- T'avais trois ans ! démentit Sanjana, E., n'avait que quelques mois et moi, j'étais encore dans le ventre de ma mère. T'es le plus à même de t'en souvenir. Et tu t'en souviens.

- Non.

- Menteur ! Avec ton pouvoir de mémoire éternelle tu n'oublies jamais rien !

- Je n'ai rien à raconter ! s'entêta Marin, puis je m'ennuie, je m'en vais.

Marin se redressa et quitta le parc sans un regard en arrière. On se contempla dans un haussement d'épaule. Ce n'était pas la première fois. Chaque fois que l'on abordait le sujet de l'autre monde, Marin se refermait sur lui-même. Il n'aimait pas parler du passé. Tout comme nos parents. D'après Sanjana, il avait promis aux adultes de garder le silence. Et Marin était fort pour garder les secrets des grands.

Je soupirai d'agacement avant de me résigner à chasser mon frère de mon esprit. Reprenant du poil de la bête, je m'approchai de Maève et de Sanjana, leur passant un bras autour de leurs épaules.

- Un jour, on ira toutes les trois dans l'autre monde, juste pour des vacances. Puisque personne ne veut nous en parler, on apprendra par nous-même.

Sanjana leva le pouce en l'air comme une approbation. Maève me regarda avec de grands yeux.

- Tu le promets ? me demanda-t-elle avec envie.

- Promis !

Et Maève ravit, nous envoya le plus grand et le plus lumineux des sourires.

Des bruits de lames s'entrechoquant juste à côté de mes oreilles me firent sursauter. Je rouvris péniblement les yeux, sortant peu à peu hors de mes souvenirs. Un souvenir lambda qui désormais, me paraissait extrêmement douloureux.

- Enfin ! retentit la voix juste à côté de moi, j'ai cru que tu étais devenue un légume à force de ne plus du tout réagir.

Harmonia était accroupie à mon côté, ses bras sous forme de lames. Elle tentait d'attirer mon attention, un sourire mauvais sur le visage. Je me contentai de fixer le vide, le visage inexpressif. Je n'avais plus la force de rien. De parler. De soutenir leurs regards. Rien.

Les derniers évènements ne voulaient plus sortir de mon esprit. Cauchemars. Abîme. Infernal enfer.

Harmonia me saisit par le col pour me forcer à me redresser. Je me laissai faire, tel un vulgaire pantin. A quoi bon se débattre ? Je n'avais même pas assez d'énergie pour lui jeter une volée d'insultes. Je voulais juste sombrer dans le sommeil. Pour toujours.

Samaël entra dans la pièce avec, dans les mains, un bocal de verre vide. Harmonia sembla en être ravie. Samaël posa le bocal sur une table et s'approcha doucement vers moi, une grimace traversa son visage lorsqu'il vit le sang qui tapissait le sol. Le sang de Maève.

Le corps n'était plus là, mais les traces de ce qu'il s'était produit persistait.

- Tu as très mauvaise mine, constata Samaël en me saisissant le visage.

Je ne bronchai pas.

- Je n'aime pas lorsque tu es aussi passive, continua-t-il.

Je ne répondis pas. Je crus percevoir un éclat d'inquiétude briller au fond de ses yeux.

- J'aurais préféré que tu n'endures pas tout ça, m'avoua-t-il.

Je n'en avais rien à faire.

Samaël poussa un profond soupir et relâcha mon visage.

- Ne t'en fais pas Diablesse, aujourd'hui, ton calvaire va définitivement prendre fin. J'aurais préféré que tu partes doucement, histoire de finir sur de bonnes bases, mais ça ne va pas être possible.

Je gardai le silence. Qu'importe ce qu'il pouvait m'arriver, plus rien ne semblait avoir de réelle importance. J'avais l'impression de ne plus rien ressentir. D'avoir retrouvé le vide grandissant de mon corps qui venait lentement m'engloutir. J'étais le vide. Et pourtant, paradoxalement, j'avais l'impression d'être toutes les émotions à la fois, pleine à craquer. Je me sentais si mal que j'avais l'impression qu'on me déchirait le ventre de l'intérieur.

- Avant de te laisser partir de l'autre côté, reprit Samaël, nous avons besoin de nous emparer de tes yeux. J'imagine que tu t'en doutais. On n'allait pas te laisser filer sans saisir l'opportunité de nous emparer de tes yeux de Phénix bien trop précieux !

Il me caressa le haut du crâne d'un geste se voulant doux.

- Je veux tes yeux Diablesse, les deux.

Une boule se noua dans mon estomac. Je fermai les paupières pour faire abstraction à la réalité. Je sentis les chaînes se desserrer. Je rouvris précipitamment les yeux alors qu'Harmonia enlevait les liens qui me retenaient. Je voulus me redresser avec hâte, mais un vertige me saisit le corps et Harmonia me projeta, d'un coup de pied, contre la paroi.

- Crois pas que tu peux réussir à t'enfuir, se moqua-t-elle. Tu es trop faible et nous sommes trop nombreux.

La Darknil m'empoigna violemment par les cheveux et me tira derrière elle en direction de la table encore poisseuse de sang. Son sang...

Je n'avais même plus la force de me débattre, la peur semblait s'envoler. J'étais une machine vide, qui avait du mal à rester connectée à la réalité. Peut-être que ce n'était pas plus mal ainsi. Que tout se finisse. Mourir ou se sentir morte... c'était au final, du pareil au même. Pourtant, au fond de moi, une voix hurlait de se défendre, au moins une dernière fois. De ne pas partir aussi facilement. Et j'avais tellement de rage, tellement de haine, tellement de colère et de tristesse que je ne savais plus du tout comment gérer mes émotions. Je ne l'avais jamais su. Et c'était de pire en pire.

Alors que l'on me trainait vers la table, telle une poupée de chiffon, mon regard dévia vers les murs et les captifs y étant retenus. Kalidas. Toujours dans un état pitoyable. Il renforça la douleur qui perforait déjà mon cœur. Pourtant, alors qu'il semblait être à bout de force, il avait les yeux ouverts et tentait de se redresser. Les chaînes le retenaient, il était trop faible pour lutter, mais il bougeait malgré tout. Il m'envoya un regard terrifié. Mon mal de cœur ne fut que plus grand. Il avait peur pour moi. Il bougeait en vain pour moi. Et j'aurais voulu n'avoir jamais existé.

Harmonia me jeta sur la table sans ménagement. J'avais le souffle coupé. Je clignai vivement des yeux. Je n'arrivais plus à réfléchir correctement. Ni à prendre conscience de ce qui était en train de m'arriver. Tout allait trop vite. Tout était trop dur. Harmonia me saisit les poignets, enfonça ses ongles dans ma chair et un sourire victorieux éclaira son visage. Avec fermeté, elle m'attacha les poings, puis les chevilles. Mon cerveau n'était plus opérationnel, il se vidait, s'échappait de la réalité. Et cette voix au fond de moi continuait de crier, de m'ordonner de me battre. Mais à quoi bon ? Se battre était inutile. Je perdais toujours. Et le goût de l'abandon me parut âcre.

« L'abandon ne fait pas partie de mon vocabulaire. » J'étais une menteuse. J'abandonnais. J'avais toujours tout abandonné. Tout fui.

Samaël s'approcha de moi, me caressa lentement les cheveux, contempla mes yeux avec un mélange d'émerveillement et de regret. Il tapota doucement ma joue, la mine songeuse.

- Tes yeux nous seront très précieux, je te remercie, me chuchota-t-il à l'oreille.

Et lentement, il sortit un foulard carmin de sa poche, il recula, s'appuya contre le mur et se banda les yeux. Puis, d'un geste de la main, il autorisa ses acolytes à commencer. Harmonia changea sa main en une arme plate et tranchante et s'approcha de mon visage.

Alors que je pensais être dépourvue de la moindre émotion, emplie de vide, la peur me rattrapa au galop et mon cerveau, comme frappé d'un coup de tonnerre, assimila enfin ce qui était en train de se passer.

J'allais perdre mes yeux.

Le corps engourdi de terreur, je compris que je ne pouvais rien faire pour y échapper. J'étais attachée et sans pouvoir. Je fis donc la seule chose dont j'étais capable. Je fermai les yeux, tout en sachant que cela ne changerait pas l'issue finale.

Je secouai la tête dans tous les sens, comme si ce mouvement avait le don de pouvoir changer quelque chose. Harmonia jura et me gifla violemment pour me calmer. Mais à ce stade, les gifles ne me faisaient plus aucun effet. Seulement un effleurement sur la peau qui me laissa indifférente. Un autre Darknil s'approcha et m'immobilisa la tête pour facilité la tâche à son collègue. Et sans que je ne puisse rien y faire, la lame s'enfonça dans mon orbite. Sous l'œil.

Et la douleur était atroce. Elle me coupait le souffle, m'empêchant de hurler. Je n'étais plus capable de rien. Je ne savais que me crisper. J'étais paralysée par l'horreur et la douleur. Ma tête se mit à me tourner. Je crus sombrer. Et je perdis mon œil gauche.

Je n'avais plus de souffle. J'avais l'impression de brûler. J'avais mal. Tellement mal que je ne ressentais plus grand-chose. Comme enveloppée dans un voile de coton. Comme si plus rien n'existait. Comme si moi-même, je n'existais plus. Et la lame s'enfonça sous mon deuxième œil. Mon corps se souleva sous l'impact, réagi comme on réagit face à une douleur insoutenable. Mais j'avais l'impression de ne plus rien ressentir. Sauf le froid. Il faisait froid. J'avais froid. Et c'est tout ce qui me parvenait. Le froid et le noir. Et je perdis mon œil droit.

Et j'étais sûre d'être morte. Comment pouvais-je encore être en vie après toutes ces horreurs ? Et j'aurais voulu être morte. Pourquoi vouloir vivre après tout ce chaos ? Pourtant, une flamme s'éveilla au fond de moi. Refusa de partir. Se battu pour ne pas s'enfoncer dans l'abîme. L'instinct de survie ? L'entêtement ?

- Il est temps d'en finir définitivement, clama Harmonia.

Mais sa voix me paraissait venir de loin. De très loin.

- Non.

Une voix. Un soufflement. Presque indistinct. Et pourtant tout mon corps réagi au son de sa voix. Kalidas. Kalidas. Kalidas.

J'entendis des froissements de vêtement, des pas, j'en déduisis qu'Harmonia venait de se détourner en direction de son fils. Un cri d'étonnement. Un grondement de colère.

- Il est parvenu à se libérer ! vociféra-t-elle, tuez-le.

Cette phrase eut l'effet d'un électrochoc. Le voile de coton disparut. La réalité m'ensevelit lentement. Et je peinais à hurler. Du sang coulait dans ma bouche, m'étouffait, j'avais mal. Mais la peur était bien plus grande.

Je voulais qu'il survive.

Il fallait qu'il vive. Parce que je ne pouvais pas tout perdre. J'avais déjà tant perdu. J'avais perdu tant des miens, je m'étais perdue moi-même... Pas lui. Mais privé de la vue, sans force, ligotée, j'étais capable de rien. Et je me surpris à souhaiter un miracle. A croire qu'une telle chose puisse être possible.

Mais Kalidas était trop faible pour s'échapper, trop faible pour se téléporter. Et je le savais. J'entendis Harmonia mettre la main sur lui, l'attraper. Un cri de douleur. Le bruit d'une lame.

Puis, un tremblement de terre.

Les cris surpris et angoissés des Darknils m'apprirent que ce n'était pas de leur fait. Harmonia lâcha sa prise, recula vivement. Et j'entendis le Rôdeur pousser un râle de douleur. Il était en vie.

La terre continuait de trembler. De la poussière et de la roche nous tombaient dessus. Une alarme d'alerte retentit dans tous les recoins. Samaël fut évacué. Une armée de Darknils fit irruption dans les lieux et une explosion retentit.

- Un Voyageur ? s'étonna une voix métallique. Com...

Une autre explosion. Des bruits de pas. Des cris. Et la voix colérique de Harmonia ;

- Evilash.

*

NDA : Heyy ! Me revoilà avec la suite !
J'ai eu du mal avec une chose pour écrire ce chapitre ; Harmonia. Mon cerveau voulait toujours écrire Harmonica...
Bref vous faites ce que vous voulez de cette info... 🙄

Sinon ce chapitre ? Ça a été ?

- Eudo qui perd ses yeux, votre réaction ? On en parle de son état ?

- Evilash qui débarque, content.e ?

- Prédictions pour la suite ?

Voilà je vais pas m'éterniser x) on se dit à bientôt pour la suite !

Kissy kissy 💙

#Nakijo.

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