26. Jamais d'adieu.
Samaël était dans la pièce. Il était habillé tout en blanc, un nœud papillon, avec pour motif des petites têtes d'ours, était le seul élément coloré qu'il portait sur lui. Il souriait comme un enfant, levant le regard vers le toit pour ne pas voir les roses de sang qui recouvraient les lieux.
Cette journée puait le chaos. Quelque chose se profilait, je pouvais le lire dans l'éclat de ses yeux de lave. Et j'avais peur. Peur. Peur de voir la suite des événements. D'être encore une fois son pantin. Les cris ne finissaient plus. On vivait dans les hurlements, la douleur, le sang...
Rares étaient les prisonniers qui n'étaient pas encore gravement blessés. La veille, la Darknil, mère de Kalidas, avait continué ses tortures. Elle avait déboité les os d'un Lycanthrope, brisé les articulations d'un autre, tué un troisième.
J'étais la seule à m'en tirer plutôt bien. Ils ne m'avaient pas encore touché. Et c'était étrange. Je ne comprenais pas leur manège. Mais je savais que tout était calculé. Puis, petit à petit, j'avais compris que si je passais en dernière, c'était dans l'ultime but de me toucher d'abord psychologiquement. Samaël attendait que je craque avant de m'achever physiquement. Ou peut-être était-ce l'idée de cette Darknil aux mains de lame.
Et j'avais peur de flancher.
Je savais que si j'avais été seule, je n'aurais jamais laissé ces monstres me briser psychologiquement. J'aurais tenu bon jusqu'au bout. Je n'avais aucun doute là-dessus. Mais il y avait Kalidas. Il y avait Maève. Les toucher revenait à me briser de l'intérieur. Les voir souffrir me déchirait les entrailles. Les perdre m'enlèverait mon mental, me priverait de toute raison. J'allais devenir folle.
Samaël connaissait mes faiblesses. Il savait où appuyer pour me faire mal. Et son acolyte avait déjà commencé le travail. Maève n'avait pas subi grand-chose, mais Kalidas, lui, c'était une autre histoire. Les révélations sur ses origines avaient été difficiles à digérer. Un coup de massue s'était abattu. Physiquement, il n'était pas non plus en forme. Les Darknils veillaient attentivement à ce qu'il se trouve dans un état trop pitoyable pour pouvoir user de ses talents et préparer une évasion.
Je me sentais impuissante. Impuissante face à sa souffrance. Impuissante.
Je n'avais plus revue ses yeux rouges, leurs éclats pétillants. Je ne voyais plus son visage, je n'entendais plus le son de sa voix. Et j'aurais préféré endurer les pires supplices que d'être spectatrice de sa souffrance. Le Rôdeur n'était plus qu'une ombre enchaînée au mur. Il ne bougeait plus. Se contentait de respirer péniblement. Et mon cœur se faisait déchiqueter à chaque instant.
Samaël fit craquer ses doigts avant de s'étirer, me ramenant à l'instant présent. Il s'avança lentement, piétinant les roses sanglantes sans y jeter un regard.
- Il serait peut-être temps de passer aux choses sérieuses.
Sa voix emplie la pièce alors que ses yeux étaient braqués en ma direction. Je haïssais la couleur de la lave, cette lave en fusion qui coulait dans ses iris. J'aurais voulu enfoncer mes doigts dans ses orbites pour que plus jamais il ne puisse me regarder.
- Harmonia ! appela Samaël.
La mère de Kalidas s'avança. Elle ne se cachait plus sous un masque noir et des yeux de diamants, seule une large capuche reposait sur sa tête. Elle avait changé une seule de ses mains en lame fine et tranchante. Ses yeux brillaient d'un éclat satisfait. Samaël me saisit le menton entre ses doigts, m'arrachant à ma contemplation. Je fronçai le nez de dégoût au contact de ses doigts froids contre ma peau. Il s'en amusa. Caressa lentement le bas de ma joue. Me contempla avec une tendresse que je savais fausse, puis leva ma tête pour que je le contemple droit dans les yeux.
- Durant toutes ces années, tu t'es admirablement bien battue. Je ne peux t'en vouloir de t'être défendue, d'avoir était un frein dans mes projets. A ta place, j'aurais probablement fait la même chose. Mais le temps de lutter est terminé. Tu peux enfin souffler, partir loin de ce chaos. Rejoindre ceux que tu as tant aimé et que tu retrouveras une fois que tu auras lâché ton dernier souffle.
Il caressa une nouvelle fois mon visage. Son regard était étrange, empreint de nostalgie et d'un autre sentiment que je ne comprenais pas.
- Tu salueras ta mère pour moi, m'intima-t-il.
Un sourire carnassier se dessina sur son visage, contrastant avec son regard se voulant particulièrement doux.
- Tu sais Diablesse, reprit-il, tu ne mesures pas la chance que tu as d'être éternelle. Tu vas pouvoir rejoindre tes parents, ton frère, et vivre éternellement à leur côté. En fin de compte, tu n'es pas tant à plaindre que cela.
Il lâcha un faible rire.
- Il n'y a jamais eu d'adieu, juste un aurevoir. Tu es une sacrée veinarde.
Lentement, Samaël me relâcha. Je lui envoyai dans un simple regard, toute la haine qu'il m'inspirait. Mais le Lycanthrope n'en fut pas affecté. Il me sourit, comme si nous étions encore à l'époque où nous nous faisions confiance.
- L'ère des Darknils a sonné, m'annonça-t-il. Cela fait déjà des années que nous régnons dans l'ombre, mais désormais, nous allons faire respecter nos lois à la lueur du jour. Ce n'est plus qu'une question de temps. Bientôt, ce à quoi j'aspire se réalisera enfin, et il est préférable que tu n'assistes pas à cela. Ton cœur sensible ne supporterait pas le choc.
J'avais envie de lui vomir tous mes ressentiments, de l'ébranler à la seule force de ma rage, mais je gardai le silence. Je savais que je ne pouvais plus rien faire pour me défendre, pour garder la face. Riposter attirerait des ennuies aux personnes qui mettaient chers.
- L'idéal aurait été d'en finir maintenant, notifia-t-il, mais j'ai encore quelque chose à accomplir avant. J'ai un message à faire passer à ta version originale.
Samaël toqua contre mon front, avant de saisir mon visage pour le diriger bien vers lui, l'ajustant comme on voudrait ajuster une caméra.
- Salut ma petite Evi ! Je sais que tu te crois maligne et que malgré nos projets atteignant bientôt leur terme, tu crois encore avoir des cartes en main pour tout arrêter, ou du moins freiner. Mais je pense que tu commences à comprendre que malgré tous les bâtons que tu pourras nous mettre dans les roues, jamais tu ne pourras définitivement nous arrêter.
Il bascula théâtralement la tête sur le côté, poussant un profond soupir.
- Tu te crois intouchable, hors de ma portée, mais sache que même ça, je peux te l'enlever. Tu n'es pas aussi intouchable que tu le crois. Tu n'es pas autant un cœur de pierre que tu veux le faire entendre. Et je sais très bien comment te toucher. Alors regarde bien ce qu'il va se produire, car ça t'ait dédié.
Il relâcha mon visage, un sourire mauvais accroché au visage.
- Si je peux te toucher à travers Eudora, ne crois pas que je vais m'en priver. Je n'aime pas qu'on me gêne dans mes projets, je ne fais que te prévenir de ce qu'il t'attend. Lorsqu'on m'énerve trop à fouiller dans mes affaires, on perd tout ce que l'on possède.
Il s'appuya contre la Darknil aux mains de lame comme si elle était sa béquille, un rictus aux lèvres.
- Je sais qu'il existe dans cette pièce quelqu'un que tu aimes. Que tu aimes toujours. Je sais que la voir mourir te crèverait le cœur, te toucherait bien plus que tu ne voudrais l'avouer. Tu l'as perdue une fois, tu la perdras une seconde fois, définitivement. Encore une fois entre mes mains.
Samaël claque des doigts comme unique ordre. Avec horreur, je vis sa fidèle Darknil, la dénommée Harmonia, s'approcher de Maève. Un autre Darknil entra dans la pièce et seconda Harmonia, l'aidant à détacher la Terrienne.
Mon cœur ne battait plus correctement. Les mots tournaient en boucle dans mon esprit, sans que je ne veuille admettre l'issue. Mais elle s'imposa à moi. Ils allaient tuer Maève pour le simple plaisir de faire souffrir Evilash. Je me mis à crier.
Harmonia m'asséna un violent coup dans la mâchoire pour me faire taire.
- Ferme-la, pesta-t-elle, et regarde. Elle va souffrir et seule ton existence en est responsable.
Les chaînes tombèrent contre le mur alors que Maève en était retirée. Elle était muette de stupeur, les yeux grands écarquillés.
- Non ! hurlai-je. Relâchez-la ! Ne la touchez pas ! Elle n'a rien fait ! Elle n'a rien à voir avec nos histoires. Elle est innocente. Elle n'aurait jamais dû être impliquée !
Harmonia saisit Maève par les cheveux, la forçant à avancer. J'avais du mal à respirer. Mes yeux croisèrent ceux apeurés de Maève. Mon monde s'effritait lentement, s'effondrait brusquement, encore et encore.
Elle n'avait rien fait pour mériter ça. Elle n'avait rien fait pour endurer tout ce qu'elle avait enduré. Elle était douce, fragile, sensible et ouverte aux autres, elle n'avait jamais mérité le moindre mal. Et pourtant, elle allait mourir parce qu'elle avait eu le malheur de croiser un jour ma route. Moi. L'oiseau de mauvais augure. Le chat noir des mauvais présages.
Ma famille, Alisa et maintenant Maève. Chacun succombait. Et je ne pouvais enlever le poids des regrets qui pesait de plus en plus lourd sur mes épaules. Je ne pouvais chasser l'envie irrépressible de saisir les pages du livre du passé pour tout arracher et tout réécrire. Pour que tout soit bien plus beau. Pour que les cauchemars ne soit qu'un mythe. Pour supprimer mon existence. Et ainsi, jamais rien ne se serait produit. Aurevoir monde chaotique, oublie-moi. Adieu existence infernale, je ne veux plus exister. Adieu la vie, adieu la souffrance, j'aurais voulu ne jamais être née. Adieu.
Mais dans ma réalité, cet adieu n'arriverait jamais.
J'avais le poids de la vie éternelle qui m'écrasait telle une malédiction. Et mes cauchemars me hanteraient jusqu'à la fin des temps.
Alors, je me remis à hurler.
Je me débattais avec force, comme si cela allait pouvoir changer quelque chose. Les chaînes me retenaient trop fermement. Je ne pouvais rien faire. Rien sauf crier. Hurler. M'époumoner en vain.
Maève était tirée de force vers une table. Elle était terrorisée. Des larmes roulaient sur ses joues. Et je criais de la lâcher, je menaçais de faire exploser le monde entier, je promettais de les conduire droit en enfer. Mes mots ne firent aucun effet. Et je sentis les larmes chaudes de rage se déverser sur ma peau, me piquer les yeux. La frustration. La peur. La douleur. Tant de douleur. Et je ne pouvais chasser les larmes qui s'invitaient sur mon visage. Ma gorge me faisait mal à force de crier. Je me tus petit à petit. J'eus du mal à respirer. Et lorsque Maève passa devant moi, ce ne fut que de faibles mots qui s'échappèrent de mes lèvres ;
- Pardon. Je suis tellement, tellement désolée. Je te demande pardon.
Maève croisa mon regard. Ses yeux noirs étaient noyés sous les larmes, mais malgré les pleurs, malgré la peur qui défigurait ses traits, elle tentait de garder la tête haute. Elle puisait dans le courage qu'elle avait pour ne pas flancher. Et elle m'apprenait le vrai sens du mot être courageux. Être tétanisé par la peur, au pied du mur, les émotions submergeant, mais malgré tout, tout faire pour ne pas fléchir.
Et elle me sourit.
- Tu n'as rien à te reprocher. Si je pouvais revenir en arrière et changer les choix que j'ai pu faire, je ne modifierais rien. Je serais ton amie. Encore et encore. Encore et à jamais.
J'eus le souffle coupé. Des larmes cavalaient sur ses joues, mais elle se bornait à sourire, malgré la peur, malgré sa mort imminente.
- De toute façon, j'étais condamnée à mourir d'ici peu, on le savait tous, reprit-elle. J'allais mourir dans tous les cas. Et tu n'y es pour rien.
Je me mis à trembler.
- Mais pas comme ça. Tu ne mérites pas une mort aussi violente. Tu...
Ma gorge se serra, je ne pus terminer ma phrase. Mon cœur allait exploser. C'était trop. Je ne pouvais le supporter.
- J'étais déjà condamnée, s'entêta-t-elle. Alors, ce n'est pas si grave. Ne t'en veux pas. Jamais. Ne te reproche jamais de m'avoir amenée dans ce monde, vers une seconde mort, car vivre temporairement ici était un cadeau.
- Un cadeau ? hoquetai-je.
Elle n'avait connu que le désastre et le chaos en ces terres, comment pouvait-elle parvenir à y voir du positif ?
- Je me suis découverte une sœur, j'ai découvert le monde d'où tu viens. Merci, Eudora, pour toutes ces années.
Alors qu'Harmonia la tirait de force vers son lieu de supplice, Maève m'envoya un dernier regard embué de larmes et de peur, et du bout des lèvres, elle mima une phrase. Courte. Qui m'arracha les entrailles.
« Je t'aime. »
Elle fut projetée contre la table. Samaël s'était bandé les yeux alors qu'Harmonia changeait son corps en arme tranchante.
- Connais-tu la torture de l'aigle de sang ? me lança Harmonia, désireuse de me torturer jusqu'au bout. C'est une méthode de torture lointaine qui consiste à retirer la peau du dos, briser les côtes de la colonne vertébrale et enfin arracher les poumons et les placer sur les côtés pour former les ailes déployées d'un aigle. Mais au fond, il pourrait s'agir d'un aigle comme d'un tout autre oiseau. Et si les ailes que je lui faisais étaient celle d'un phénix ? En ton hommage, Eudora. Tu en dis quoi ?
Et sans attendre de réponse, la Darknil commença son œuvre. Dans un gémissement, je fermai les yeux, mes mains plaquées contre mes oreilles, le crâne contre le sol. Les cris résonnaient dans la pièce, j'entendais le crissement des lames. J'aurais voulu m'enfoncer dans les abymes.
On me saisit les poings, on me redressa de force. On me plaque contre le mur et on m'obligea à ouvrir les yeux. Des doigts me tirèrent les paupières, me forcèrent à contempler la scène.
- Non, non, m'intima une voix métallique, regarde. Tu n'as pas le droit de louper ça. Regarde.
Et je n'avais même pas le choix. J'essayai de me débattre, mais le Darknil à mes côtés me maintint avec force. J'avais envie de mourir. D'échapper à cet enfer. De mourir maintenant. Mais à la place, je voyais quelqu'un d'autre mourir sous mes yeux de la pire manière qui soit.
Et les secondes prirent des heures à s'écouler. Les minutes devinrent interminables.
Je revivais sans cesse mes cauchemars.
La nuit comme le jour.
Mes proches mourraient sous mes yeux.
Dans mes rêves comme dans la réalité.
Je ne pouvais y échapper.
Et après un temps qui me parut infini, Harmonia s'écarta. Son œuvre accompli. Le corps de Maève gisait sans vie face à moi. Et Harmonia tâcha de me le mettre bien en face, pour que je puisse contempler son travail dans les moindres détails. Maève était morte. Harmonia me força à toucher son corps inerte. La chair encore chaude d'un mort me caressa l'épiderme. Maève était morte. Et je n'étais plus tout à fait sûre d'être encore en vie.
*
NDA : Hey !
Me revoilà avec un chapitre assez... dur ? J'espère que vous avez aimé la lecture ... malgré les évènements ... ?
- La mort de Maève, c'était comment ?
- L'état d'Eudora, un mot ?
Il ne reste plus que 10 chapitres avant la fin de ce tome 🥺 puis on entamera le dernier tome d'Obscuras ! (C'est étrange ce constat olalaaa)
Je vous souhaite une bonne semaine !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
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