21. Dardière.
Je serrai les dents, tentant de chasser la douleur. Me massant les tempes, je me redressai, le regard incendié.
- J'y suis allé un peu fort.
- Non, tu crois ? raillai-je, j'ai le crâne en compote à cause de toi !
Martial se massa la nuque, un sourire désolé sur le visage.
- C'est toi qui m'as demandé de me battre sans retenu, me rappela-t-il.
- Je ne pensais pas que tu mettrais toute ta force dans les coups !
- Bah tu t'attendais à quoi alors ?
Pour toute réponse, j'émis un grognement agacé qui le fit plus rire qu'autre chose. Avec Martial, on s'entraînait depuis l'aube. Kalidas n'était toujours pas revenu de sa patrouille nocturne, bien qu'il n'allât plus tarder, et j'avais fini errante dans les couloirs, ne parvenant pas à dormir à cause de ce que m'avait raconté Kairos. J'avais décidé d'attendre le Rôdeur dans les couloirs, mais Martial était passé par là. Voyant qu'il fallait me changer les idées, il avait voulu m'emmener faire une orgie de bouffe, mais me voyant refuser avec entêtement, il avait fini par me tirer dans le centre du volcan pour qu'on s'entraîne, admettant que j'avais plus la tête de quelqu'un voulant donner des coups que voulant se remplir le ventre. Ce que je ne lui avais pas dit, c'est que j'avais plutôt envie de recevoir des coups et non l'inverse. J'avais envie qu'on me réveille violemment pour me tirer hors de mes pensées qui m'enfonçaient plus bas que terre. J'étais du genre à sombrer dans mon propre esprit quand quelque chose me contrariait et Martial avait vu juste en supposant que me battre me ferait du bien. Je pouvais enfin évacuer les poids lourds demeurant sur mes épaules.
Au début, étant donné qu'il était encore tôt, nous étions les seuls présents dans les lieux, si on faisait exception des Lycanthropes, plus loin, montant la garde. Martial m'avait alors fait lâcher tout ce que je contenais. Frappant de mes poings dans un sac que tenait le Guerrier, il m'avait encouragé à hurler tout ce que j'avais envie. J'avais alors déballé tous les propos de Kairos et mon ras-le-bol des mystères s'empilant sans jamais s'épuiser. Martial s'était figé avant de s'étrangler sous mes mots. Il avait alors avoué qu'il avait vécu quelque chose de vraiment étrange lorsque j'avais transformé Alisa, sans jamais comprendre ce qui lui était arrivé. Visiblement, il avait été l'une de mes victimes.
Notre conversation avait pris fin quand d'autres étaient venus s'entraîner. Désormais les lieux étaient loin d'être déserts. Des Lycanthropes cavalaient le long des parois, guettaient le moindre geste suspect, ou bavardaient au sujet des derniers événements. Beaucoup d'autres membres du volcan étaient venus s'entraîner non loin de nous.
Parmi cet amas de visages, je pus en voir des familiers. Nérée était venu s'entraîner avec Ronan et Rose. En me voyant me battre avec Martial, il m'avait envoyé un regard froid. Nérée ne semblait toujours pas accepter ma présence parmi eux. Il ne me faisait pas confiance. Je ne pouvais pas lui en vouloir, je n'avais rien fait pour gagner sa confiance, mais je commençais à me demander s'il n'était pas un peu jaloux. L'attention que me portait Martial et notre rapprochement mutuel ne semblait pas lui plaire. Quelque chose le contrariait de plus en plus et il cherchait de moins en moins à le cacher.
Non loin, Sanjana était, elle aussi, venue s'entraîner, accompagnée d'Orso. Pour la première fois, l'Animalis ne semblait pas réticent. Il paraissait même vouloir cet entraînement. A vrai dire, depuis notre retour de notre mission foireuse, quelque chose en Orso avait changé. Comme si le déclic s'était enfin fait dans son esprit. Aller dans le feu de l'action, sauver Sanjana des Ogres, paraissait lui avoir fait prendre conscience que sa présence pouvait avoir un impacte sur les évènements. Sans lui, Sanjana se serait prise l'assaut de l'ennemi et personne ne pouvait savoir si elle aurait réussi à s'en tirer.
Tout le monde semblait déjà s'activer de bon matin. Pourtant, une atmosphère étrange venait m'enserrer la gorge, me prenait les tripes, les retournait dans tous les sens jusqu'à m'en donner le tournis. J'avais un mauvais pressentiment. Quelque chose n'allait pas. Mais ce sentiment était peut-être tout ce qu'il y avait de normal en vu des circonstances. Un traître séjournait parmi nous, mettant tout le monde à cran et cette angoisse de ne pas le démasquer rendait l'atmosphère suffocante. A cela, s'ajoutait le fait que les Darknils étaient toujours libres de laisser court à leurs monstruosités. Je savais que le temps était compté avant qu'ils ne passent définitivement à l'action. Je le ressentais au fond de mon estomac. Cette conviction était un poison qui obscurcissait mes journées.
Cette certitude me provenait probablement d'Evilash. Si j'étais autant convaincue que les Darknils allaient passer une bonne fois pour toute à l'action, cela provenait forcément d'elle et de ce qu'elle savait sur le sujet. Notre lien me transmettait indirectement l'information. Mais je ne pouvais même pas questionner mon double sur le sujet. Elle s'était volatilisée. Elle avait disparu de la circulation depuis des semaines. J'avais aucune idée de ce qu'elle faisait, d'où elle était passée. Aucun village réduit en cendre, aucun nuage cendré à l'horizon, rien. Elle était absente. Les villageois s'en réjouissaient, mais personnellement, cela m'inquiétait plus qu'autre chose et renforçait ma conviction qu'un drame s'élevait dans l'horizon.
- A quoi tu penses ? me questionna Martial, m'extirpant hors de mes réflexions.
Je haussai les épaules, me concentrant sur la réalité.
- Je cherchais une tactique pour te foutre une raclée, lui répondis-je avec un regard provocateur.
Martial sautilla sur place.
- J'ai hâte de te voir à l'œuvre !
Levant les yeux au ciel, je fis aller la lance d'entraînement que j'avais entre les mains, sans même réfléchir à une stratégie, essayant de lui faucher les jambes. Le Guerrier n'eut aucun mal à m'esquiver et deux secondes plus tard, c'est moi qui me retrouvais les fesses contre le sol avec la promesse d'un bleu à venir.
- T'as encore du chemin à faire avant de parvenir à me faire mordre la poussière, se moqua Martial.
Je le foudroyai du regard.
- Je n'étais pas concentrée.
- Tu ne l'es jamais, c'est un désastre.
Je le foudroyai une nouvelle fois du regard.
Me redressant sur mes jambes, j'empoignai avec force la lance entre mes mains et attendis que Martial face le premier pas, afin de contrer ses attaques. Lorsque je me battais pour m'entraîner, j'avais du mal à rester concentrer. Je ne ressentais pas l'urgence palpiter dans mes veines, forçant mon organisme à se battre pour sa propre survie. Je savais que tout était fictif et j'avais du mal à prendre les entraînements assez longtemps au sérieux.
Martial fit voler son arme au niveau de mes genoux et d'un saut, j'esquivai l'attaque, mais le Guerrier fit aller son arme dans le sens inverse, me prenant au dépourvu. Mon derrière vint une nouvelle fois embrasser le sol. Une vraie histoire d'amour entre ces deux-là...
Serrant les dents, je me remis en action, motivée à le faire tomber à son tour. Je n'étais pas si mauvaise en combat, seulement distraite. Il fallait simplement que je me concentre. Mais malgré mes bonnes intentions, les chutes s'enchainèrent les unes après les autres. Les Guerriers avaient le combat dans le sang. C'étaient de redoutables adversaires et Martial le démontrait avec brio.
Je ne m'avouai pas vaincu. Plus les coups s'enchaînaient, et mieux je me défendais. Martial ne cachait pas sa fierté face à ma progression. A croire que j'étais sa réussite... Mais il ne me ménageait pas pour autant. Un coup dans le visage. A terre. Un coup dans le ventre, puis dans les genoux. A terre. Un coup dans le dos suivis d'un tacle. A terre.
J'avais tellement rencontré le sol que je me sentais plus proche de lui que de n'importe qui.
Déterminée à ne pas le laisser triompher, je me relevai. Le regard farouche, la peau moite et collante à cause de la sueur, je poussai un cri étouffé en chargeant le Guerrier. Martial esquiva le bâton qui volait à hauteur de son visage et répliqua, prêt à me faire tomber à l'aide de son arme. Esquivant adroitement son attaque, je ne lui laissai pas le temps de préparer un deuxième coup avant d'envoyer mon arme voler vers ses jambes. Martial avait prévu mon coup et saisit l'arme au vol. Il tira d'un coup sec, désireux de me faire perdre l'équilibre. Ne voulant pas lui donner ce plaisir, je lâchai mon bâton. J'étais désormais désarmée. Il était pourtant hors de question que je me laisse avoir aussi facilement. Si je n'avais plus d'armes, il me restait mes poings.
Je chargeai sans prévenir, le prenant par surprise. Martial ne se laissa pas longtemps aller par l'étonnement et n'eut aucun mal à esquiver mon poing avant de saisir mon bras et de l'immobiliser contre mon dos d'une poigne ferme. Il me plaqua contre son torse, me privant de tout mouvement. Dans un grognement rageur, qui ressemblait plus à un couinement d'animal, je fis voler ma tête en arrière, espérant lui heurter assez violemment le nez pour qu'il me relâche. J'étais trop prévisible, Martial n'eut aucun mal à décoder mes intentions. Il para mon coup sans aucun problème. Je me débattis avec force, refusant de perdre aussi piètrement. Martial était fort, très fort, il arrivait sans mal à me maîtriser. Je sentais ses muscles se contracter à chacun de mes mouvements. Ses pieds étaient parfaitement encrés dans le sol, lui fournissant un équilibre impeccable. Puis, l'ouverture que j'attendais désespérément arriva comme par magie.
Martial se déconcentra.
Le regard rivé en direction des tunnels menant hors du volcan, il semblait désormais accaparé par autre chose que notre duel. Je sentis sa prise se desserrer légèrement alors que ses pieds perdaient de leur encrage.
Je n'attendis pas de comprendre ce qui avait fait perdre toute sa concentration, j'en profitai pour me dégager de son emprise, tout en lui envoyant un coup de coude bien sentis dans le ventre, puis un coup de tête dans les dents. Enfin je lui fauchai les jambes, l'envoyant voler contre le sol. Un sentiment de satisfaction me picota la chair.
Martial avait les yeux écarquillés de surprise. Toujours par terre, il me contempla, hébété.
- Tu vas te relever ou tu comptes faire la sieste ? m'impatientai-je.
Martial se massa la nuque, clignant vivement des yeux, et se releva lentement, sans un mot. Etrange. Il ne se remit pas en position de combat. A la place, il fixa une nouvelle fois l'accès menant hors du volcan.
Je laissai un long soupir franchir mes lèvres, prête à lui faire remarquer que cette fois ci, c'est lui qui n'était pas concentré, mais je me ravisai. Son attitude était bien trop anormale pour ne pas y prêter attention.
- Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je, fixant à mon tour les tunnels, sans rien y voir de spécial.
- Je ne sais pas... marmonna-t-il, je ne vois pas très bien, il fait sombre. Mais on dirait du sang. Beaucoup de sang.
Je me figeai.
- Du sang ? répétai-je.
Martial plissa les yeux, continuant d'utiliser sa vue extensible pour comprendre ce qu'il voyait réellement.
- Je crois qu'il y a un corps pas loin de l'entrée, me chuchota-t-il, les yeux élargis par l'horreur.
Un hurlement retentit.
Des bruits de pas.
Quelqu'un courait. Il se ruait dans le volcan, le souffle court. Alerté par ce qui était en train de se produire, l'ensemble des membres du volcan était désormais présent dans les lieux. Un Lycanthrope franchit le tunnel. Zahir se précipita en sa direction.
Le nouvel arrivant était ensanglanté. Il se tenait le ventre alors que ses habits étaient immaculés d'un liquide sombre, goutant contre le sol et laissant une traîné derrière lui. Son visage était tailladé de part en part, son bras, d'où cascadait le sang, laissait voir l'os. Je ne comprenais même pas comment il pouvait encore tenir sur ses jambes.
- Benjamin ? s'inquiéta Zahir.
- Léandre est mort, réussit-il à articuler.
L'Alpha, soutenant le nouveau venu, se crispa à cette annonce.
- Les cavaliers de la reine l'ont tué, continua le dénommé Benjamin.
Le Lycanthrope se mit à tousser avec une violence sidérante. Il se mit à cracher du sang, le visage d'un blanc cadavérique. Dans un hoquet douloureux, il se força à poursuivre ;
- Les cavaliers, ils arrivent. On a voulu les devancer. Vous prévenir. Mais ils nous ont eu.
La tête de Benjamin dodelinait sur le côté, il avait le regard vitreux. Parler lui demandait une force considérable. Il semblait à bout et puisait dans ses dernières forces pour parler.
- Ils savent où nous localiser. Ils arrivent. Ils vont nous prendre d'assaut. Ils nous ont déjà encerclés. On va tous y passer.
La panique tira les traits de Benjamin. Il fut pris d'une nouvelle quinte de toux, encore plus violente que la précédente. Son corps fut pris de spasmes. Il se mit à cracher du sang, encore et encore. Il était dans un si piteux état qu'on ne pouvait même plus rien faire pour l'aider. Aucun Guérisseur n'aurait pu le sauver. Il était déjà pâle comme la mort, ayant puiser ses dernières forces pour nous prévenir de l'attaque imminente. Dans une nouvelle toux, d'une violence inouïe, Benjamin rendit son dernier souffle, s'étouffant dans son propre sang.
- Les cavaliers de la reine arrivent ? répéta Larentia avec effroi. Mais comment ont-ils pu parvenir à nous localiser ?
A peine ses mots raisonnèrent que la réponse frappa chaque esprit avec une évidence horrifiante. Le traitre. Il avait encore frappé. Et cette fois-ci, on allait le payer cher.
- Nous sommes encerclés ? paniqua un autre Lycanthrope. Qu'est-ce qu'on fait ?
Zahir était calme. Il était d'un calme à glacer le sang. Lentement, il délaissa le corps inanimé de Benjamin pour s'occuper de sa meute qui commençait à succomber à la panique.
- Nous sommes faits comme des rats, glapit un Lycanthrope aux oreilles pointues.
- Certainement pas, s'agaça Zahir.
Toutes les paires de yeux se braquèrent en sa direction. L'espoir animait les regards des Lycanthropes. Ils misaient tout sur leur meneur. Zahir, le regard glacial, retint une grimace d'agacement face à la perte de sang froid des siens.
- Avec l'aide de Bleizian et de ses bombes, nous avons créé, dans le plus grand secret, une galerie faisant office de sortie de secours pour parer à ce genre de cas de figure, annonça-t-il en se dirigeant vivement vers la paroi de roches volcaniques.
D'un puissant coup de pied, Zahir dégagea des roches entassées le long de la paroi, laissant entrevoir une corde se perdant dans les lézardes des roches. L'Alpha s'en empara et tira d'un coup sec. Une partie du mur s'écroula, laissant apercevoir l'entrée d'une galerie qui se creusait sous la roche. Nous avions une issue de secours. Tout n'était pas encore perdu.
- Taniel ! appela vivement Zahir.
Un Lycanthrope plutôt maigrichon et au teint cireux s'approcha de l'Alpha dans un signe de soumission. D'un geste de la tête, Zahir lui fit signe de passer à l'action. Taniel frotta ses mains l'une contre l'autre et une intense lueur jaune éclaira ses paumes. Il plaqua ses mains sur la roche et la lueur se répandit dans toute la galerie, éclairant le passage.
Nous n'avions plus de temps à perdre, il fallait quitter les lieux avant qu'il ne soit trop tard. Mais alors que l'évacuation allait commencer, quelqu'un vint bloquer le seul accès nous permettant de nous échapper.
- Mais qu'est-ce que tu fais ? s'étrangla Martial.
Nérée ne lui répondit pas. Il avait le regard fermé de toutes expressions. Larentia, dans un grincement de rage, voulu forcer le passage, mais Nérée fit apparaître son bouclier, la propulsant loin de lui. Son bouclier s'étendit sur toute la largeur de la cavité menant à la galerie. L'issu était désormais inaccessible.
- A quoi tu joues ? s'écria Martial, complétement perdu face au comportement de son meilleur ami.
Nérée se mura dans le silence. Il ne lança aucun regard au Guerrier, ne lui prêta pas la moindre attention. Zahir, fulminant de rage, regardait la Sirène avec une colère colossale.
- C'est pourtant évident, pesta-t-il, le traitre qui dénonce tous nos faits et gestes, c'est lui. Et il va tous nous faire tuer !
Martial hoqueta. Il secoua vivement la tête, n'arrivant pas à croire une telle chose. Mais les faits parlaient d'eux-mêmes. Et nous étions désormais tous coincés au cœur du volcan.
Une flèche enflammée fendit l'air et se logea en plein entre les deux yeux de Taniel. Le Lycanthrope chancela avant de tomber raide contre le sol. Mort.
Des cris de peur s'élevèrent.
Nous étions faits comme des rats.
Les cavaliers surgirent de tous les côtés, armés jusqu'aux dents.
*
NDA :
Hey ! Bon j'ai un peu de retard, mais ça devient une habitude, oups x)
J'espère que ce chapitre vous aura plu !
Et merci Emma pour m'avoir donné le nom d'une des victimes du chapitre (rip Benjamin) 😏 (je remercierais bien aussi deux autres acolytes pour les deux autres noms des victimes mais comme elles ne passeront pas par ici, c'est inutile xD)
Bref
Parlons du chapitre
- On en parle de Nérée ? Vous vous attendiez à ce que ce soit lui derrière tout ça ? Une idée de pourquoi il fait ça ?
- Nos rebelles sont dans une fâcheuse posture... Une idée de ce qu'il va se passer par la suite ?
Voilà voilà ! Je vous dis à bientôt pour la suite des aventures d'Eudora !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top