20. Cachotteries.

Sur une table, pour être vu de tous, Zahir contemplait chaque membre du volcan d'un œil froid et dur. Nous étions à peine rentrés de notre mission foireuse. L'Alpha n'avait pas perdu de temps avant de convoquer tout le monde dans une grande salle. Le regard animé par la colère, il ne cherchait même pas à cacher ses ressentiments et une tension palpable se créa au sein de la meute.

- Aujourd'hui, dans la plus grande discrétion, certains d'entre vous ont pris part à une mission dans le but de faire sauter le repaire principal des Darknils. Malgré la discrétion dont nous avons fait preuve, le traitre qui séjourne depuis un moment dans notre horde est parvenu à faucher l'information pour la donner à l'ennemi. On nous attendait.

Des chuchotements inquiets s'élevèrent dans l'attroupement. Zahir, d'un simple geste de la main, fit taire l'auditoire avant que le brouhaha n'éclate.

- J'ai retourné plusieurs fois le problème dans mon esprit, et je ne vois que très peu d'explications à cette fuite d'informations. Soit nous avons affaire à un Télépathe ou à un individu capable de sonder les intentions d'autrui, soit le traitre faisait partie de la mission.

Les chuchotements reprirent avec plus d'intensité. Zahir, cette fois-ci, ne chercha pas à faire taire la cacophonie naissante. Il contemplait chaque individu avec attention, cherchant à déceler la moindre mimique suspecte. Mais ce n'était pas chose aisée face à toutes cette cohue. Comment dénicher le traitre dans cet amas d'Obscuras ? Comment éviter que la paranoïa s'installe entre tous, quand un ennemi était caché non loin ? Et peut-être que la méfiance était une solution au problème, peut-être que se méfier de son prochain était la seule solution pour s'en sortir dans ce monde complétement ravagé.

Quand le brouhaha disparut de par lui-même, Zahir lança un regard circulaire à l'assemblée, le visage imperturbable. D'une voix forte, il reprit la parole ;

- On ne peut pas laisser la situation se poursuivre sans broncher. Ce traitre ne fait que nuire et va nous mener au chaos. Dès aujourd'hui, personne n'aura plus l'autorisation de se balader seul. Chacune de vos actions, chacun de vos faits et gestes devra être rapporté. Personne n'aura le droit de sortir d'ici sans mon approbation et mes recommandations. Tout comportement suspect devra être dénoncé. Tout le monde se trouvera sous étroite surveillance jusqu'à ce que l'on débusque l'intru.

Des murmures de désapprobation me parvinrent, mais personne n'émit vivement son désaccord. La plupart semblait même adhérer aux propos de Zahir. Je n'aimais pas l'idée d'être épiée au moindre de mes faits et gestes, de ne plus pouvoir me balader seule. Je gardai ma frustration pour moi, attendant patiemment que l'assemblée se dissoute. Après des dizaines de longues minutes où je n'écoutais même plus réellement ce qu'il se disait, Zahir mit fin à son intervention.

La salle se vida rapidement, mais comme l'avait décidé Zahir, personne n'eut le loisir de partir seul. Dans un soupir las, je m'éloignai pour me laisser tomber sur un canapé, en retrait de la foule. Kalidas vint me rejoindre et s'assit à mon côté, alors que je demeurais sans grâce, étalée telle une étoile de mer.

- Où est-ce que tu crois que tout cela va nous mener ? lui-demandai-je.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je pris une lente inspiration, contemplant le plafond de roche au-dessus de moi.

- Tout ce cinéma va mal finir, lâchai-je. Toutes les actions des Lycanthropes fuitent et ce, depuis je ne sais combien de temps. Ce n'est pas nouveau, les Darknils sont partout, ont des yeux partout. S'ils ne sont pas capables de dénicher l'intru qui nous met tous en péril, on est foutu.

- C'est bien sombre comme façon de penser, fit constater le Rôdeur.

Je me redressai pour pouvoir le contempler de face.

- Pourtant, c'est réel, m'entêtai-je. Plus tu côtoies des personnes, plus tu prends le risque d'être trahi. Zahir a énormément de personnes à ses côtés et même s'ils semblent tous loyaux, ce n'est visiblement pas le cas. Si je pouvais découvrir celui qui vend tous nos faits et gestes aux Darknils, crois-moi que je l'attraperais et lui briserais la nuque. Mais je ne connais pas ces loups et je ne sais pas qui peut bien nous foutre dans la merde. J'espère juste que leur Alpha parviendra à le trouver... terminai-je avec mauvaise humeur.

- Tu n'as jamais pensé à l'éventualité que le traitre puisse ne pas être un Lycanthrope ?

Intriguée, je posai mon regard sur le Rôdeur.

- Tu penses qu'il s'agit de l'un des nôtres ?

- Ce n'est pas ce que j'ai dit, se justifia-t-il, mais lorsqu'on sait qu'un traitre se balade parmi nous, je trouve plus sûr de n'omettre aucune possibilité.

Kalidas passa une main dans ses cheveux d'un noir sans fond.

- En plus, lors de la mission, seul trois Lycanthropes nous ont accompagné, fit-il remarquer, dont Zahir. Mais je sais qu'il existe aussi d'autres possibilités ; le traitre ne faisait peut-être pas partie de la mission, mais possédait un pouvoir qui lui a permis d'être tenu au courant.

Je soupirai. Il y avait trop de possibilités. Et j'avais conscience que l'Alpha faisait déjà son possible pour débusquer ce traitre qui savait visiblement très bien se cacher. Mais il n'y avait pas de résultats. Et je ne supportais pas cette sensation constante d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

- On devrait peut-être se tirer d'ici.

Kalidas me lança un regard surpris.

- Tu veux partir ?

- La situation va dégénérer, je préfèrerais quitter les lieux que d'attendre d'être emportée dans la tempête, juste à cause d'un dégénéré qui nous balance à l'ennemi.

- Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure idée, rétorqua Kalidas. Tu veux affronter Samaël seule ? Sans personne ? Je sais que tu n'aimes pas cet endroit, que tu n'aimes pas vivre aux côtés d'autant de monde, mais ce n'est pas seule que tu pourras faire le poids. Ici, nous sommes nombreux. Nombreux à nous soulever contre ce fléau. C'est ensemble que nous avons une chance de triompher.

Je me rembrunis.

- On est nombreux aujourd'hui, mais si on ne débusque pas rapidement ce traitre, ce ne sera peut-être plus le cas la semaine prochaine.

- Alors débusquons-le, coûte que coûte. C'est toujours mieux que de fuir encore une fois.

Je m'installai en tailleur, les coudes sur les genoux et la tête entre mes mains, contemplant le Rôdeur avec attention.

- Tu as des suggestions ? l'interrogeai-je. Après tout, encore personne n'est parvenu à mettre la main sur lui, alors comment veux-tu t'y prendre ?

Kalidas prit un temps de réflexion.

- J'imagine qu'on peut toujours user de nos pouvoirs, émit-il à voix basse.

- C'est vrai qu'avec tes dons de Rôdeur, tu peux autant voler les informations que les objets. Tu n'es pas maître de l'espionnage ? Va falloir prouver ta réputation.

Kalidas ria, amusé, laissa son unique fossette creuser sa joue.

- Vu qu'on ne peut plus vagabonder seul, tu vas devoir couvrir mes absences, me chuchota-t-il.

Je levai les yeux au ciel.

- J'enquêterai de mon côté, tu crois quoi ? Je ne vais pas m'assoir sur une chaise et attendre ton rapport en te transmettant ce que tu as manqué durant ton petit tour. On ne m'a pas élu secrétaire.

Kalidas éclata de rire.

- Le contraire m'aurait étonné, s'amusa-t-il.

Je levai une nouvelle fois les yeux au ciel, ayant du mal à dissimuler le sourire qui voulait germer sur mes lèvres.

- Faut qu'on monte un plan ! m'enthousiasmai-je.

J'aimais passer à l'action et l'idée d'agir, en douce et sans l'accord d'autrui, me plaisait fortement. Mais avant qu'on ne puisse poursuivre notre conspiration, Circé vint nous trouver, accompagnée d'un Lycanthrope que je n'avais encore jamais vu. Elle fit signe à Kalidas de la suivre.

- Si tu es toujours ok pour participer aux patrouilles de la meute, viens, on a besoin de toi, lui intima-t-elle.

Je me retins de l'envoyer balader, agacée qu'elle nous ait interrompus. Kalidas, après une brève hésitation, se releva. Il m'envoya un regard.

- On en reparlera à mon retour, me lança-t-il avant de suivre Circé hors de la pièce.

Je ravalai ma frustration, me résignant à attendre. Si Kalidas partait maintenant pour une patrouille, c'est qu'il allait participer à celle de nuit. Il serait de retour qu'au lendemain matin.

Me laissant de nouveau tomber en position d'étoile de mer, je contemplai le vide, essayant de faire taire mon irritation. Peut-être que si je dormais, le temps passerait plus vite et Kalidas reviendrait plus rapidement ? Je battis vivement des paupières, me rendant compte de l'absurdité de mes pensées. Je pouvais survivre sans lui, il était idiot de l'attendre à ne rien faire. Puis, il était beaucoup trop tôt pour partir dormir.

Je sentis une présence s'approcher de moi et je me redressai sur les coudes alors que Kairos me rejoignait, un sourcil haussé.

- Tu vas bien ? me questionna-t-il.

- Ouais, je m'amusais juste à regarder dans le vide, répliquai-je en m'installant correctement.

Il avait fallu peu de temps avant que j'aie de nouveau de la compagnie... Mais la présence de Kairos ne me dérangeait pas. Je rangeai tous les regards d'hostilité que j'avais dans ma panoplie, décidant d'être un tantinet agréable. Mes bonnes résolutions partirent rapidement à la dérive lorsqu'une idée me vint en tête.

- Je sais bien que contrairement à Sanjana, tu n'aimes pas lire dans les pensées des autres sans réelles raisons, commençai-je d'emblée, mais est-ce que tu l'as fait récemment sur la meute ? Peut-être qu'il faudrait veiller à se connecter fréquemment aux pensées des autres pour que tu puisses débusquer le merdeux qui nous dénonce.

- Eudy, ton langage ! me reprit Kairos.

- On s'en fout, ce n'est pas le sujet, grinçai-je.

Kairos soupira.

- J'en ai déjà parlé avec Sanjana, m'apprit-il. Elle, qui est continuellement dans les pensées des autres, n'a rien découvert à ce sujet. Cependant, elle m'a informé qu'elle avait découvert que l'idée du Télépathe a déjà été employé pour dénicher le traitre et que cela n'avait rien donné. Qui que ce soit, il sait camoufler ses pensées avec brio.

- Si cette personne se retint de penser pour ne pas se faire griller, elle va bien finir par se louper à un moment donné, marmonnai-je.

- Crois pas qu'on n'est pas fréquemment écouté par les Télépathes de Zahir, me lança Kairos. Ce n'est pas le genre de personne à laisser les choses aller au hasard. Si les pensées du traitre ne l'ont toujours pas trahi, c'est qu'il est doué, ou qu'il a un atout en sa faveur.

Je me renfrognai.

- Quand on le trouvera, je lui ferai la peau.

- Ne commence pas à faire des conneries, me rabroua Kairos.

Je haussai les épaules.

- Ce n'est pas mon genre.

Kairos me lança un regard, franchement pas convaincu par mes propos. Un silence s'installa entre nous, avant que je ne finisse par le briser ;

- Tu étais venue me voir pour me dire quelque chose ? lui demandai-je.

- Je voulais simplement vérifier que tu allais bien.

Je lui lançai un regard, pas vraiment convaincue. Je connaissais assez Kairos pour savoir que sa venue n'était pas anodine. Il était plus tendu que d'habitude, je le voyais à ses épaules crispées. Il voulait me parler d'un truc, sans savoir comment aborder le sujet.

- Vas-y, balance-moi ce que tu voulais me dire, qu'on en finisse.

Kairos détourna le regard dans un soupir avant de se reprendre. Il me contempla, hésitant.

- Tu te souviens lorsque tu as transformé des Darknils en Obscuriums par mégarde ?

- Evidemment que je m'en souviens, répliquai-je, ne voyant pas où il voulait en venir.

- On avait tenté de dompter ce nouveau pouvoir en faisant un essai, continua-t-il doucement, cherchant ses mots.

Je fronçai les sourcils, à la fois intriguée et inquiète face à ce qu'il cherchait à me dire.

- Oui, j'avais changé Alisa avant de la refaire revenir à son état d'origine, confirmai-je. On avait pensé à creuser davantage ce mystère, mais avec la mort d'Alisa et tout ce qu'il s'est enchainé par la suite, on ne s'est plus penché sur ce sujet. Mais tu étais là, tu le sais déjà. Qu'est-ce que t'essayes de me dire au juste ? m'impatientai-je.

- On aurait probablement dû te le dire plus tôt, j'aurais dû te le dire plus tôt, mais nous avons été pris au dépourvu...

Kairos prit une pause. Je m'étais figée des pieds à la tête.

- Tu peux poursuivre ? Je vais me désintégrer à force d'attendre, articulai-je, redoutant déjà la suite.

- Lorsque tu as fait aller ton pouvoir sur Alisa, tu n'étais pas seule dans la pièce, bon nombre d'entre nous avait tenu à rester.

- C'est vrai, et alors ? demandai-je, une boule dans la gorge.

Kairos hésita, puis se lança.

- Je ne sais pas ce que tu te souviens de ce jour-là, de comment tu as vécu la chose, mais tu n'as pas su maîtriser ton don Eudy. Tu as fait la même chose que lorsque nous étions sur le champ de bataille.

Je clignai vivement des yeux. Je ne voulais pas croire l'immense vérité qui se présentait à moi, prête à m'engloutir.

- Tu es en train de me dire que j'ai transformé toutes les personnes dans la pièce en Obscurium ? réussis-je à articuler, ne me sentant plus très bien.

- A quelques exceptions, oui, confirma Kairos.

J'en restai coi. Je dus laisser quelques minutes s'écouler avant de parvenir à retrouver la parole.

- Mais pourquoi est-ce qu'on me le dit que maintenant ? m'énervai-je. Et comment se fait-il que je ne me sois rendue compte de rien ?

- Tout s'est passé très vite, m'expliqua le Télépathe. Tu étais focalisée sur Alisa, sur ce que tu devais faire, mais Alisa a été la dernière à être changée et la dernière à revenir. Ton pouvoir a volé dans la pièce avant de la toucher, elle. Il y a eu comme un flottement, où toutes les deux, vous étiez comme déconnectées de la réalité avant que vous ne reveniez parmi nous. Vous avez été les dernières à revenir.

- Et personne n'a pensé à m'en parler ?

- La plupart ne comprenaient pas ce qu'il venait de se passer, ils ont compris plus tard, après coup. Certains, ne sont même pas au courant de ce qu'il s'est réellement passé cette fois-là. Pour beaucoup, c'est flou.

- Et toi, tu te souviens de tout ?

- Je n'ai pas été transformé, j'ai assisté à la scène en tant que spectateur.

Je me pris la tête entre les mains. J'avais du mal à assimiler.

- Si on ne t'en a pas parlé avant, c'est parce que c'était difficile à avaler. Il fallait qu'on ait les idées plus claires. La situation était déjà suffisamment étrange comme ça. Puis après, comme tu l'as dit, les événements se sont enchainés. C'était délicat de revenir sur le sujet.

Je relevai la tête, toisant Kairos droit dans les yeux.

- Et il y a autre chose que je devrais savoir ? demandai-je d'une voix cinglante, déjà parée à encaisser de nouveaux coups de massue.

Kairos hésita, se releva, hésita encore.

- Non, finit-il par lâcher, je pense que je vais te laisser digérer tout ça.

Et alors qu'il partait, j'aurais voulu lui hurler un mot. Un seul.

Menteur.

*

NDA : Hey me revoilà avec le chapitre suivant. J'ai galéré à l'écrire à cause de mon pc qui s'est mis à ramer 😭😂

J'espère qu'il vous aura plu.

- La conversation entre Eudo et Kalidas vous en pensez quoi ?

- Eudo qui a transformé plusieurs personnes en Obscuriums sans même le vouloir, un mot ?

Voilà voilà ! Il ne reste plus que 16 chapitres avant la fin de ce tome (je crois) ! Mais après, il y aura un tome 4, ce sera le dernier tome.

On se dit à la prochaine ! Kissy kissy 💙

#Nakijo.

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