2. Décombre.
On hurlait autour de moi. On criait. J'entendais l'écho des voix, des cris, mais mes oreilles n'arrivaient pas à donner un sens aux propos. J'avais la tête qui tournait, des bourdonnements dans le crâne, une nausée atroce dans l'estomac et mes blessures au corps me brûlaient de toute part. J'agrippai les débris autour de moi, serrant des morceaux de roche entre mes mains pour me raccrocher à quelque chose. Pour me sentir présente. Pour vérifier que j'étais bel et bien là, alors même que je ne me sentais plus vivante. Beaucoup trop perdue pour exister.
J'étais à quatre pattes dans l'énorme trous qu'avait laissé la disparition de la grotte. Je serrai les roches avec force, luttant contre mon mal de crâne qui me frappait avec force. Luttant contre les révélations qui ne faisaient que danser dans mon esprit. J'avais l'esprit en ébullition. Un goût de cauchemar dans la bouche.
Il fallait que je me ressaisisse.
Me laissant tomber sur les débris, m'adossant sur un reste de roche, je clignai vivement des yeux pour chasser le voile trouble qui m'empêchait de voir nettement.
Après plusieurs tentatives, un paysage se dessina devant mes yeux. Un cratère profond, des débris renversés partout, de la poussière volant dans l'air, furent les premières choses que je vis. Puis, je remarquai les Clandestins, du moins, ce qui en restait. Ils étaient blessés, J'entendis des cris, ils se disputaient, peut-être. Mes oreilles finir par se réadapter au monde et les bruits des alentours me vinrent plus nettement aux oreilles.
- ...si je rattrape cet Ogre, je le tue ! hurla Nérée. Il a tué Naïa, a manqué tous nous faire tuer entre les mains d'Evilash ! Il a intérêt à bien se cacher car si jamais il recroise ma route, je l'étrangle sur place !
Je clignai vivement des yeux à l'entente de ses propos.
Shaytan avait tué Naïa. Shaytan avait saisi Naïa par la nuque et l'avait violemment projetée contre la roche, lui brisant la nuque. Ce souvenir me donna la nausée. Jamais je n'aurais cru l'Ogre capable de tuer quelqu'un. Jamais je n'aurais imaginé l'Ogre tuer l'un des Clandestins. Mais Shaytan travaillait pour Evilash. Il nous avait tous bien eu.
Mes yeux volèrent rapidement dans l'étendu des décombres me faisant face. Non loin de moi, j'aperçu Orso. Il était allongé sur les débris, les yeux grands ouverts, contemplant un monticule de débris, là où le corps de Naïa se trouvait plus tôt. Là où le corps de Naïa reposait désormais. Sous les décombres.
Orso avait le regard viré en cette direction, il ne bougeait pas, semblait perdu dans un endroit que seul lui pouvait voir. Il ne réagissait pas aux bruits, ne parlait pas, ne se mêlait pas aux conversations, ne faisait pas éclater sa colère envers Shaytan. Orso était vide, immobile, le visage sans aucune expression. Le voir ainsi était étrange, horrible. J'aurais préféré qu'il se mette à crier, à faire comme Nérée et laisser sa colère éclater. Mais Orso semblait être mort en même temps que Naïa.
Je détournai le regard, pensant subitement à Kalidas. Kalidas qui avait été kidnappé par Evilash. Kalidas qui se trouvait dans la grotte, blessé, à peine conscient. Kalidas.
Subitement paniquée à l'idée que la grotte ait pu s'écrouler sur lui, qu'il ait pu succomber à ses blessures, je me redressai. Je m'écroulai aussitôt sur les décombres, un vertige me frappant violemment. Mes blessures vinrent me brûler le corps. Je serrai les dents, me remettant debout, lentement cette fois-ci. Je regardai autour de moi, le cœur battant tellement fort que ma poitrine allait se déchirer.
Je finis par apercevoir un corps inerte près d'un monticule de débris. Kalidas. Mon cœur sauta dans un trou à la vue du Rôdeur, me donnant un vertige. Je me dirigeai difficilement en sa direction, m'aidant des roches pour ne pas m'écrouler sur place. Je tombai à genoux, face au Rôdeur.
Il respirait. Il n'était pas mort.
Mais il ne semblait pas conscient. Il avait les paupières closes, le tee-shirt déchiré, le ventre brûlé, les bras emplis de sang séché. Son visage était couturé de bleus et d'hématomes. On l'avait battu. La colère m'engourdit l'estomac. On avait battu Kalidas. Jusqu'au sang. Jusqu'à ce qu'il peine à garder conscience. Jusqu'à ce que sa vie se retrouve en jeu.
Je savais pourquoi il avait été battu à ce point. Pas seulement par ce que c'était un Rôdeur, qu'il risquait de s'évader à tout moment, rendant sa prise en otage inutile, mais aussi par ce qu'il était proche de moi. C'était de ma faute. Evilash l'avait mis dans cet état pour me toucher. Je serrai les lèvres, le corps tremblant.
Je ne voulais pas le perdre.
Et le voir ainsi était insupportable.
J'avais envie qu'il ouvre les yeux, qu'il me regarde de ses yeux rouges si atypique, qu'il me parle, qu'il plonge sa main dans sa chevelure noire. Mais Kalidas était toujours étendu contre le sol, les paupières closes, la respiration douloureuse, perdant encore du sang par endroit.
Le cœur en débris, je frôlai sa main du bout des doigts, attendant désespérément qu'il ouvre les yeux. En vain. Ses paupières étaient toujours closes et j'avais envie de hurler mon désarroi.
Lentement, je sentis ses doigts chercher les miens, les serrer dans sa main. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Kalidas était conscient. Il n'ouvrait pas les yeux mais était conscient. Et il s'avait que j'étais à côté de lui. Je refermai à mon tour ma main, serrant la sienne contre le mienne. Pour la première fois, j'avais envie de retirer mes gants, de sentir sa peau contre la mienne et non son contact à travers un tissu.
Kalidas poussa un léger grincement de douleur, la respiration irrégulière. Je ne pus m'empêcher de retirer mon gant et de passer une main dans sa chevelure noire, sur son front. Il était chaud. Trop chaud. Il lui fallait un Guérisseur.
Mais les Guérisseurs étaient en voie d'extinction et Cassius avait été emmené par la reine. Nous n'avions aucun Guérisseur sous la main. Personne pour guérir les blessés.
Je continuai de passer ma main dans ses cheveux, d'un geste lent et doux que je ne me connaissais même pas et étrangement, la respiration de Kalidas semblait devenir plus régulière. Je relevai lentement la tête, regardant autour de moi. Y avait-il d'autres blessés graves ? Y avait-il eu des morts lors de l'effondrement ?
Je vis Circé et Rose, toutes deux conscientes, blessées, mais pas gravement. Sanjana était assise aux côtés de Kairos, semblant inquiète. Mon cœur rata un battement en voyant Kairos, les jambes ensanglantées, une grimace de douleur sur le visage.
Nérée continuait de laisser libre court à sa colère, évacuant la pression des derniers évènements.
Tenshi se massait le crâne, du sang s'écoulant sur son front.
Rox était penchée sur Ronan, le regard emplis de larmes.
Je me figeai à ce constat.
Ronan était étendu sur le sol, couvert de sang. Je me rappelai avoir vu une roche s'écrouler sur lui, lui arrachant la peau au passage, écrasant son bras. Et il perdait beaucoup de sang. Trop de sang. Rox faisait pression sur son épaule pour arrêter l'hémorragie. Ronan ne semblait même pas conscient. Il était livide.
Un creux béant se forma dans mon estomac. Lentement, je me reculai, rompant le contact physique que j'avais avec le Rôdeur. Si la situation avait dégénéré, c'est parce qu'Evilash savait tous nos faits et gestes. Il lui était facile de nous tendre un piège, il lui était trop simple de nous anéantir, parce qu'elle savait tout. Parce qu'elle voyait tout ce que je voyais. Parce qu'elle entendait tout ce que j'entendais. Parce que j'étais son espion. J'étais son espion à mon propre insu.
Cassius, Alisa, Aleth, Martial et une réplique de Sanjana se retrouvaient désormais entre les mains de Zara.
Entre les mains de cette reine de glace, cette imposture, qui comptait tous les livrer aux Darknils.
Shaytan était un allié d'Evilash. Il nous avait trahi.
Ronan et Kalidas étaient gravement blessés.
Kairos avait les jambes ensanglantées et ne prenait même pas la peine de se relever.
Evilash avait fait exploser le repaire de Kairos et je n'avais aucune idée de ce qu'il était arrivé de Maève, Adam et Ciara.
Maève allait mourir parce qu'elle était morte dans notre présent et qu'elle ne pouvait vivre sans sa version actuelle.
Naïa était morte.
Orso n'était plus qu'un être vide.
Nous étions sans foyers, détruits, blessés. C'était un cauchemar. J'avais un goût cauchemardesque en bouche. Je ne pouvais même pas tuer Evilash, même pas lui faire payer, au risque de mourir à mon tour.
Et les Darknils étaient de retour. Allaient surgir à la lumière du jour. Evilash me l'avait annoncé et je savais qu'elle ne mentait pas. Pas sur un sujet pareil. Ils allaient revenir alors même que l'on était des plus vulnérables.
On n'allait pas survivre.
On était destiné à mourir.
On était destiné à la mort, la souffrance, parce que j'avais fait l'erreur de mettre mon autre version en colère.
Je ne savais absolument pas quoi faire pour arranger la situation. Il n'y avait rien à faire. Je serrai les poings, un nœud dans la gorge.
Aucun de nous n'en était sortie indemne. Ni physiquement, ni mentalement. Chacun avait le regard, triste, vide, emplie de confusion. Tout s'était déroulait bien trop rapidement. Tout s'était produit d'un coup. La bataille, la mort, les révélations... Nérée continuait de crier, de lâcher sa rage, de rejouer les derniers événements à haute voix et j'avais envie qu'il se taise. J'avais envie qu'il la boucle, qu'il se laisse tomber contre le sol et qu'il garde le silence comme tous les autres. Je ne supportais plus d'entendre ses hurlements, de l'entendre résumer le dérouler des derniers événements.
- La reine Zara n'est qu'une imposture ! Elle a tué la reine Junon ! continua-t-il de hurler.
Ce détail me fit serrer les poings avec plus de force. Oui, la reine Zara n'était pas la véritable reine du royaume, personne ne le savait, on n'avait aucun moyen de le prouver, et même si on voulait la faire descendre de son trône, la tuer, elle était bien trop puissante. Elle était invulnérable. Elle était intouchable.
- La reine Zara est la mère d'Orso ! cria Nérée. Mais vous entendez ? C'est sa mère ! hurla-t-il en désignant Orso, toujours immobile. Qui était au courant ? Qui savait un truc aussi ahurissant ? La reine Zara à un fils ! se mit à rire Nérée, complétement dépassé par les événements. Mais y a-t-il une personne ici qui ne cache aucun secret ? Ou va-t-on découvrir sans cesse de nouvelles choses sur chacun d'entre nous ?
- Nérée, ferme-là ! lâcha Rose, passant une main sur son crâne dans une grimace douloureuse.
Nérée ferma la bouche avant de la rouvrir pour protester, mais il se stoppa net en voyant Orso bouger. Tous se figèrent. Tous le contemplèrent. Comme si, mine de rien, l'immobilité de l'Animalis avait alerté tout le monde.
Lentement, Orso se redressa, n'affichant aucune grimace de douleur alors qu'il saignait au niveau du genou. Il avait toujours le regard perdu dans les vagues. Il se mit silencieusement debout, ne prit même pas la peine de regarder autour de lui, comme s'il était seul, comme si nous n'étions pas là. Puis, il escalada les débris. Il sortit de l'énorme trou où nous nous trouvions et partit sans dire un mot, sans même un regard en arrière. Il partit en direction des bois.
- Orso ? l'appela Nérée. Où tu vas ?
Mais l'Animalis ne lui répondit pas et rapidement, il disparut de notre champ de vision.
- Orso s'est tiré, lâcha Nérée, sous le choc. Il nous abandonne.
Tous semblaient stupéfaits par la réaction du grizzly. Mes yeux étaient rivés vers le chemin qu'avait pris l'Animalis, une étrange sensation dans la poitrine.
Il était parti sans même un regard, comme si nous avions peu d'importance. Il était parti sans un mot et étrangement, sa réaction sonna en moi comme une évidence.
Je devais partir.
Je devais partir, ne plus rester avec les Clandestins, je devais partir et ne jamais revenir.
J'étais un danger pour ceux m'entourant, je les mettais en danger et je ne pouvais pas rester en sachant une telle chose. Tout ce que je voyais, Evilash le voyait. Tout ce que j'entendais, elle l'entendait. J'étais un espion, je ne pouvais vivre sans que mon double soit informé de mes moindres faits et gestes et je ne pouvais rien y faire. Je ne pouvais pas empêcher une telle chose. Si la situation avait dégénéré, si la tournure des événements avait été si dramatique, c'est parce qu'Evilash avait pu prévoir notre arrivée, notre plan, mes réactions, chaque chose se produisant de mon côté.
Je devais partir pour empêcher Evilash de toucher aux Clandestins par mon biais. Je devais partir pour empêcher Evilash d'acquérir des informations sur les Clandestins à travers moi.
Alors, à mon tour, je me relevai. Lentement, je me mis sur mes pieds, attendant que mes jambes cessent de trembler, attendant de trouver mon équilibre. Ravalant un couinement de douleur, je fis un pas, puis un autre, mécaniquement, comme une machine. Lentement, je me mis à escalader les débris pour sortir des décombres, pour fuir.
- Eudora, où est-ce que tu vas ?
Je me figeai à l'entente de la voix de Sanjana. Elle s'était relevée, étant toujours au côté de Kairos, et me regardait d'un air étrange.
Je serrai les roches dans mes mains, focalisant mon regard sur les débris à escalader. Je voulais partir sans dire un mot, prendre l'exemple sur Orso, mais je ne pouvais m'empêcher de me figer, le cœur battant lourdement.
Il était difficile de partir pour toujours, sans même dire un mot, sans un regard en arrière. C'était beaucoup plus difficile que je ne me l'étais imaginé.
Je me fis violence pour continuer d'escalader les débris, pour sortir de mon immobilité. A peine fus-je arrivée en haut des derniers débris que j'entendis quelqu'un me suivre. Je me retournai lentement, découvrant sans surprise, Sanjana, qui s'apprêtait elle-aussi à escalader les décombres pour me rejoindre.
- Où est-ce que tu vas ? me redemanda-t-elle quand elle vit que je la regardais.
- Je pars, ne me suis pas, répondis-je telle une automate, ravalant les frémissements qui voulaient me saisir le corps.
- Quoi ? lâcha Sanjana d'un ton aigüe. Tu pars et tu voudrais que je reste là, sagement ? Je t'ai dit que j'étais partante pour toutes tes aventures, je t'interdis de me mettre de côté.
Je serrai les poings, un étrange sentiment m'enserra le cœur, me coupant le souffle.
- Evilash peut tout voir à travers moi, il est hors de question que je reste, que je joue les espions à mon insu. Je ne peux pas rester, et tu ne peux pas venir avec moi.
Sanjana ouvrit la bouche dans une protestation muette, mais au lieu de reculer, de rejoindre son père, toujours au sol, incapable de se lever, elle se dirigea vers moi, prête à escalader les décombres et me rejoindre.
- Je t'ai dit que je partais seule, m'agaçai-je.
Pourquoi fallait-il toujours que les choses se compliques ?
- Je ne veux pas te laisser seule, tu ne connais même pas ce monde Eudora ! Tu veux arpenter seule un monde dont tu ne connais pratiquement rien ? Tu vas être complétement larguée !
- Je m'en fiche, m'entêtai-je, il est hors de question que tu me suives, je t'en empêcherai.
Sanjana m'envoya un regard empli de défit, presque provocateur, et se mit à escalader les débris.
Je sentis ma patience céder. Je ne voulais pas qu'elle me suive, je voulais être seule. Je voulais être seule afin qu'Evilash ne puisse tirer aucune ficelle, qu'elle ne puisse toucher personne à part moi.
Il était hors de question que Sanjana m'accompagne. Je ne le tolérerai pas. Mon agacement se changea en une étrange énergie, une énergie qui commençait à m'être familière, qui avait tendance à surgir aléatoirement sans que je ne parvienne à la contrôler.
Je vis Sanjana faire un autre pas et je sentis cette énergie parcourir mes veines et surgir. Braquant mes yeux sur Sanjana, je braquai mes cendres d'un air robotique, les faisant s'abattre sur sa jambe. La Sirène tomba à la renverse dans un cri. Elle me regarda, les yeux écarquillés, effarée. Je lui rendis un regard, haussant un sourcil, puis me détournai.
Je partis, sans un mot, sans plus un seul regard en arrière. Cette fois, personne ne me suivit.
***
NDA : Hey ! Me voilà avec le chapitre 2 ! On retrouve le PDV d'Eudora !
Ce petit chapitre, vous en avez pensé quoi ?
- L'état d'Orso, étonnant ? Inquiétant ? Comment réagissez-vous au fait qu'il quitte les Clandestins de cette manière là ?
- Eudora qui part à son tour, vous comprenez son choix ? Vous êtes d'accord avec elle ou vous seriez resté à sa place ?
Voilà c'est tout ! :3 on se retrouve la fois prochaine pour la suite !
Kissy kissy !💙
#Nakijo.
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