19. Longue agonie.
Des chaines, des cordages... J'étais assise par terre, attachée, prisonnière. A bout de force. Les tortures ne s'étaient pas arrêtées. J'avais perdu beaucoup de sang, de chair, d'énergie. Rox et Aleth avaient subi les mêmes douleurs. Les mêmes supplices.
Je ne savais même plus depuis combien de temps je me retrouvais en ces lieux, depuis combien de jours, j'en avais perdu la notion. J'avais peur de devenir folle. Je n'avais aucun répit. Torture, chaque jour, dialogues avec Samaël qui se comportait comme si tout n'était qu'un jeu. Même la nuit, je ne pouvais souffler. Les Inceptions venaient même jusque dans nos rêves pour nous hanter. Pour faire durer le supplice. Ils étaient tordus !
J'avais du mal à respirer. J'avais froid. J'étais épuisée. Blessée. Trop faible pour être encore paniquée par tout ce qui se produisait. Mais la panique était une compagne qui restait constamment tapis en nous. Je savais qu'il suffisait que Samaël surgisse de nouveau pour être de nouveau en étau. J'avais beau vouloir faire bonne figure... le revoir, le côtoyer de nouveau, était mon pire cauchemar.
J'entendis des bruits de pas. Je vis des silhouettes se dessiner dans le couloir de terre. Entrer. Ils étaient de retour. Le cauchemar reprenait. Une nouvelle fois. Dans un engrenage interminable. L'un des Darknils, celui aux mains de lame, se dirigea immédiatement en notre direction. La résignation prit possession de mon corps. Subir. Encore. Je n'avais pas le choix. Mon cœur rata un battement lorsque je vis que je n'étais pas la première à subir ses supplices aujourd'hui. C'est Rox que le Darknil détacha. Je me figeai d'épouvante. Qu'est-ce qu'ils lui voulaient ?
Samaël me fixait, attendant visiblement ma réaction. Mais j'étais figée sur place, incapable de réagir. Voyant que je n'étais pas prête à lui hurler dessus, à scander ma haine à son égard, il s'approcha, un air faussement soucieux au visage.
- Tu ne m'as toujours pas montré tes yeux Diablesse, je juge avoir été assez patient.
Je serrai les poings, rassemblant le peu d'énergie qui me restait.
- Tu nous tueras dans tous les cas, fis-je remarquer d'une voix aigre, si je peux au moins te priver de ce petit plaisir, je ne vais pas me gêner.
Samaël claqua sa langue contre son palet, un sourcil levé.
- Tu finiras par me donner ce que je désir, crois-moi sur parole, se contenta-t-il de répondre avant de se rapprocher de Rox dans un regard provocateur.
Aleth, attachée non loin, se mit à trembler de peur pour sa sœur d'adoption. Mon corps, lui, avait décidé de faire grève. Il refusait de réagir. J'étais figée sur place.
- Puisque tu refuses de coopérer, nous allons nous charger de ta copine, trancha Samaël. D'autant plus qu'on a un petit quelque chose à régler tous les deux. Vois-tu, charmante renarde, à cause de toi, le meurtre de Junon a failli échouer. C'était un contretemps qui m'a assez agacé. Toi et Alisa, complotant pour découvrir qui voulait attenter à la vie de la reine... Franchement, vous avez vraiment cru qu'une orpheline et une Banshee en quarantaine pourraient faire la différence ? C'était tout bonnement énervant !
Le Lycanthrope toisa la renarde d'un regard indéchiffrable.
- Dis-moi, renarde, qu'est-ce que tu as ressenti devant ton incapacité à sauver ta mère d'adoption ? Quelle sensation c'est, d'être de nouveau orpheline, une deuxième fois ?
Mon sang ne fit qu'un tour.
- A quoi tu joues ? m'énervai-je. T'es encore plus malsain que je ne l'aurais cru !
Samaël me lança un regard, avant de me sourire, faisant ressortir ses canines aiguisées.
- Je tiens simplement à rappeler à ta chère amie où est sa place, avant qu'elle ne lâche son dernier soupir.
Il haussa les épaules, lançant un regard négligeant à la rouquine.
- Cette fille n'a pas de famille, elle ne saura jamais ce que c'est qu'être entourée, chérit. Parce qu'elle n'a même pas su sauver celle qui l'a pris sous son aile. Je n'y peux rien si elle est complétement incapable de garder ceux qui l'entourent intactes.
Samaël se tourna de nouveau vers l'Animalis, la regardant droit dans les yeux.
- Tu ne peux imaginer toute la haine que m'influe ceux de ta race. Entre nous deux, il n'y a pas de grandes différences. Les Lycanthropes peuvent se changer en loup, les Animalis en un animal présent sur Terre. Pourtant, malgré cette simple nuance, l'une de ces deux races est persécutée tandis que l'autre est choyée. Franchement, tu ne trouves pas que c'est injuste ?
- Rox n'y est pour rien, riposta Aleth d'une voix larmoyante. Ce qui est injuste, c'est de reporter la faute sur elle. Elle n'a même pas connu tous les privilèges qu'on offre à sa race à cause de ses origines.
- Elle n'a pas reçu de privilèges ? s'étrangla Samaël laissant un rire moqueur s'échapper. Bien sûr qu'elle a reçu des privilèges ! Tu crois que si elle avait été une Lycanthrope, la reine Junon l'aurait sauvé de la noyade ? Non, elle l'aurait laissé mourir dans cette rivière. Vous, les Sangs Royaux, les Animalis, vous n'êtes que des petits bourgeois trop gâtés. On vous offre tout sans que vous n'ayez à bouger le petit doigt pendant que nous, on meure à petit feu.
Samaël poussa un cri rageur.
- Les races riches survivent, les races discriminées meurent et s'effacent à tout jamais. Vous jouez les bons samaritains, vous jouez les moralisateurs du monde, les petits gentils, mais vous êtes nés avec une cuillère en diamant enfoncé dans le derrière ! Vous avez tous les privilèges, bien sûr que vous n'allez pas vous plaindre du monde, le trouver injuste, et ceux se rebellant pour une vie meilleure seront alors les méchants. Parce qu'ils menacent votre bel équilibre basé sur le malheur d'autrui.
Samaël ricana.
- C'est avec intense plaisir que je vous annonce que ce temps est révolu. Vous trois, vous allez mourir dans les jours à venir et le reste ne tarderont pas à vous suivre. Il est temps de changer les projets d'Astéria. Vous étiez peut-être ses petits chouchous du temps de Luméatium et cela a eu de l'influence dans Obscuratium, mais dans le monde que l'on créera, vous ne serez plus que de la vermine. Et nous, nous serons enfin tout près du but.
Samaël sortit un foulard de sa poche et se bandit les yeux avant de s'appuyer contre le mur de terre brune et de roche aux reflets de jaspe qui constituait les pourtours de la pièce.
- Diablesse, sache que tu as raison, dans tous les cas, vous allez mourir, m'annonça-t-il. Mais à toi de voir. Ta renarde mourra dans d'atroce douleur, on lui prépare un départ des plus pénibles, une longue agonie. Mais elle pourrait partir en douceur si tu acceptais de montrer tes yeux.
Je serrai les dents, un nœud dans la gorge. Samaël laissa un sourire apparaître sur son visage, visiblement fier de son ultimatum.
- Je te montrerai mes yeux si tu l'épargnes et la laisse sortir de cet endroit, sauve, tentai-je.
Le Lycanthrope éclata de rire.
- Désolé Diablesse, je ne passe aucun compromis. Ma position ne bougera pas.
Je ne fus pas surprise par sa réponse. C'était évident... Il ne lâcherait pas l'affaire. Et je me sentais démunie.
- Pourquoi mes yeux t'intéressent-ils à ce point ? Je croyais que les meilleurs restaient les yeux dorés, raillai-je, rappelant ces mots qu'il m'avait sorti à mon enfance.
Samaël soupira.
- Diablesse, mes projets ne te regardent pas. Cesse de poser des questions, tu m'ennuies.
Il fit signe à ses Darknils de commencer. Ces derniers s'approchèrent de Rox, prêts à lui faire subir toutes les tortures qu'ils avaient dans leur panoplie. Comme si ceux de la veille n'avaient pas suffi. Comme si nous couper des membres, nous prélever des litres de sang, nous arracher la chair n'avait pas déjà assouvie leur besoin malsain. Comme si nous traquer même lors de nos songes n'était pas assez. Ils nous torturaient jusqu'au bout. Jusqu'au dernier souffle.
D'autres Darknils surgirent et me détachèrent moi, puis Aleth. Visiblement, nous n'allions pas être simples spectateurs, notre tour de torture n'allait pas tarder. Je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais plus de cette traque à la faille, de cette douleur persistante, de leur peau touchant ma peau avant de planter leurs lames dans ma chair.
Le Darknil me balança contre une table sans aucune douceur, me coupant le souffle à l'atterrissage.
- Si tu nous montres tes yeux, ce sera moins douloureux. On mettra fin à cette interminable souffrance, me souffla le Darknil aux mains de lames de sa voix de contrefaçon. Franchement Eudora, tu n'en as pas marre de te battre ? Tu n'en as pas marre de souffrir le martyre ? Tu as déjà tout perdu. Tu perdras tout une nouvelle fois. Tu ne fais que souffrir dans ce monde, sans que personne ne puisse te comprendre, comprendre l'intense douleur que tu ressens au plus profond de toi. Tu es brisée, meurtrie, anéantie. Il est temps de cesser de se battre en vain. Donne-nous ce que l'on désire et tu pourras enfin te reposer définitivement, sans plus jamais rien ressentir. Ce sera ton répit.
Je serrai les lèvres, les yeux me brûlant tant les larmes tentaient de couler. J'étais fatiguée. J'avais peur. J'étais encolère. Mais je ne voulais plus fuir. Il était hors de question que j'accède à leur demande pour accéder au repos. Je préférais encore souffrir que de les aider d'une quelconque façon.
Le Darknil, probablement connecté au fil de mes pensées, changea sa main en une fine lame luisante. Lentement, il perça la peau de mon bras, glissa la lame sous ma chair, faisant ruisseler le sang. Puis, d'un geste brusque, il m'arracha un morceau de peau et de chair tandis que je poussai un cri. Un cri qui se noya parmi les autres cris des deux autres torturées.
Le supplice ne faisait que commencer. Le Darknil continua à me susurrer ses mots semblables au poison, torturant ma chair de ses lames. Le feu, l'acide, l'électricité, vinrent s'inviter à la fête. Les cris d'Aleth et de Rox allaient me rendre folle. Cette torture, la voix de Samaël, allaient me rendre folle.
- Tu sais, reprit la voix du Darknil qui avait décidé de me torturer jusqu'au bout, j'ai adoré enfoncer ma lame dans le corps de ton père. Le voir s'effondrer comme une vermine contre le sol, c'était un délice. Mais ce que j'ai préféré par-dessus tout, c'est égorger ta mère. Je ne l'ai jamais aimé celle-là.
Ce Darknil, complétement fêlé, se mit à éclater de rire.
- J'en mourrais d'envie depuis si longtemps, s'extasia-t-il. Pouvoir lui trancher la gorge, voir son sang se déverser, son regard perdre tout éclat de vie, c'était magnifique. Pour toi, ce jour dramatique était peut-être le pire de ton existence, mais pour moi, c'était le plus beau jour de ma vie.
J'avais envie d'exploser de rage, d'étranger cet être à main nue, de lui faire endurer ce qu'avaient enduré les miens, mais le sang que j'avais perdu, la douleur, me faisait tourner de l'œil. J'avais la vision floue, j'étais bien trop faible pour lui faire payer. Et surtout, j'étais attachée. Le Darknil prenait grand plaisir à profiter de mon état de faiblesse. Il continuait de me susurrer son poison à l'oreille, me racontant sa haine pour ma mère, son plaisir face aux massacres alors que les souvenirs de ce jour traumatisant ne cessaient de tourner en boucle dans mon esprit.
Du fer chauffé à blanc parcourut mon ventre tandis que ce Darknil continuait ses récits macabres. Je hurlai jusqu'à m'en casser la voix. Je haletais. Je subissais. Encore et toujours. Et pourtant, le plus douloureux n'était pas cette souffrance perpétuelle, cette culpabilité sans nom qui m'assaillait de nouveau, mais ce sentiment d'impuissance. Je ne pouvais rien faire.
Je ne pouvais pas me sortir de cet enfer. Je ne pouvais pas sauver Rox et Aleth. Aucune issue ne s'offrait à moi. Mon regard se posa sur les parois de la salle de torture dans laquelle nous nous trouvions. C'était probablement le dernier lieu que je verrais avant de rendre mon dernier souffle. Je préférais me concentrer sur ce mur de terre que sur les mots acides de cet être répugnant qui charcutait mon corps sans relâche.
Ce mur de terre brune. Cette terre si claire. Ces étranges reflets de jaspe. Je n'avais encore, jusqu'ici, jamais vu une terre de la sorte. Une terre avec de tel reflet. Une terre possédant des reflets.
Des doigts m'agrippèrent le menton et me forcèrent à rediriger mon regard sur mon tortionnaire.
- Ne fuis pas la réalité Eudora, me siffla le Darknil. Fait face à ton sort. Je croyais que tu en avais fini de fuir comme une lâche. Regarde ton sang couler, regarde ta chair se déchirer, regarde tes camarades souffrir, mourir à petit feu.
Le Darknil me força à regarder Aleth et Rox, dans un état aussi lamentable que moi. Je voulus fermer les yeux, mais le Darknil me tira les paupières pour les rouvrir de force, me décochant un cri de douleur.
- N'oublie pas que sans toi, elles ne seraient pas ici, me chuchota-t-il à l'oreille. N'oublie jamais que sans toi, les gens ne souffriraient pas autant. C'est parce que tu les as côtoyées qu'elles sont désormais dans une telle posture. Tu ne sais qu'attirer la souffrance autour de toi.
Je manquais d'air. Je manquais cruellement d'air. Je n'en pouvais plus de l'entendre. Mais le Darknil ne semblait pas en avoir fini.
- Tu n'as même pas su respecter les souhaits de tes parents, siffla-t-il. Eux, qui voulaient que tu suives une vie d'enfant sage, d'adulte responsable, loin de ce royaume, regarde où tu en es aujourd'hui. Tu n'as même pas su leur faire honneur à leur mort. Au lieu de te prendre en main, tu n'as fait que te lamenter pendant dix ans, te coinçant dans une routine abjecte comme si tu pouvais figer le temps. C'est pitoyable. Tes parents seraient loin d'être fiers de toi. Franchement, regarde ce que tu es devenue. Tu es tout ce qu'ils ont toujours détesté.
Je me contentai de serrer les dents, n'ayant même plus la force de répliquer. Les coups volèrent, mon corps subit. Je n'avais presque plus assez d'énergie pour crier. Ils avaient réussi. Ces maudits Darknils avaient réussi à m'atteindre autant mentalement que physiquement. Je n'avais même plus assez de force pour riposter. Tout ce que je pouvais faire, c'était refuser d'accéder à leur requête étrange.
Mais Rox en payait les frais.
C'était un fait insupportable.
Un nouveau cri de Rox me retourna l'estomac.
Elle souffrait par ma faute.
Ce Darknil avait raison. Elle était ici par ma faute. J'attirais la souffrance autour de moi. Tous ceux auquel je m'attachais finissait par y rester.
Ma vue se brouilla, des taches noires emplirent ma vision. Ma tête me tournait douloureusement. J'étais fatiguée. Beaucoup trop fatiguée. J'avais perdu trop de sang, toute mon énergie.
- Ne crois pas que tu peux te défiler aussi facilement, me souffla le Darknil alors que mes paupières se fermaient. Le sommeil ne te sauvera pas de mes tortures. Même dans tes songes, je te trouverai, et je te ferai vivre les pires cauchemars de ton existence. Ce n'est que le début d'une longue agonie.
***
NDA : Hey, me revoilà avec un chapitre très joyeux *tousse* ... J'espère qu'il a été à votre goût
- Ce que subit Eudo, horrible ?
En vrai j'ai pas vraiment de questions cette fois-ci 😂 du coup je vous dit à ce weekend !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
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