18. Hamza.
Je poussai un gémissement, la tête douloureuse. Un pic vert devait frapper mon crâne comme s'il s'agissait d'un tronc d'arbre. C'était atroce.
Difficilement, j'ouvris les yeux. Les souvenirs de ce qu'il s'était passé se bousculèrent dans mon esprit. J'avais frappé mon crâne contre le mur derrière-moi pour m'empêcher de sortir les informations que désiraient tant les Darknils. Pour ne plus voir les autres souffrir à cause de moi. J'avais frappé mon crâne avec tant de force que j'en avais perdu connaissance. Mais avec trop peu de force pour y rester. Qu'était devenue Rox ? Avaient-ils renoncé à la torturer après ma perte de conscience ?
Je fronçai les sourcils en constatant que je n'étais plus dans la même pièce. Je n'étais plus suspendue contre un mur. J'étais dans une salle lugubre, froide, où planait une odeur métallique. J'étais allongée sur une table d'acier glaciale, les poings et les chevilles attachés à des sangles de métal. Et je n'étais pas seule. J'entendais des voix tout autour de moi, mais encore trop dans les vapes, j'avais du mal à discerner les échanges.
Peu à peu, le brouillard qui m'enveloppait s'estompa. Mon mal de tête persistait mais j'avais désormais retrouvé toute ma lucidité. Des bruits de pas retentirent autour de moi. Des bruits de chaînes. Le crépitement du feu. Une odeur désagréable. De la poussière. Un relent métallique.
- Tiens, Diablesse est revenue à elle, constata Samaël, se rapprochant de là où j'étais allongée, me souriant à pleine dent.
Il posa sa main sur ma jambe, enfonçant légèrement ses ongles, semblables à des griffes, dans ma chair. Ses yeux de lave brillaient d'intensité.
- Ce que tu as fait était autant stupide qu'inutile, me sermonna-t-il. Franchement, quitte à devoir mourir, laisse-moi le privilège de mettre fin à tes jours.
Je toisai mon adversaire avec haine. J'avais la gorge trop nouée pour prononcer le moindre mot. La langue trop pâteuse. L'estomac trop retourné. J'aurais voulu lui cracher toute ma rage, ma colère, toutes ces années de détresse qu'il m'avait offert dans son sillage.
- Si cette annonce peut te réconforter, reprit Samaël, nous n'avons finalement pas touché à ta charmante amie renarde. Mais ce n'est pas grâce à toi. La fille de la reine Junon est visiblement bien plus coopérative que toi, grâce à elle, je sais enfin où se trouve ce que je convoite. Le fait qu'il soit tombé entre les mains d'Evilash est cependant bien embêtant...
Je serrai les poings de colère. Le Lycanthrope m'envoya un sourire satisfait. Il s'avança jusqu'à être à côté de mon visage et passa une main dans mes cheveux. Son geste me provoqua un frisson de dégoût.
- Maintenant que tu es de nouveau de retour parmi nous, on va pouvoir reprendre nos petites discussions, s'enchanta-t-il avant de se détourner.
Je vis alors qu'Aleth et Rox étaient-elles aussi allongées sur des tables de métal, exactement comme moi. Je déglutis, me forçant à parler, malgré ma gorge nouée.
- Pourquoi as-tu besoin d'elles ? demandai-je d'une voix enrouée. Ce n'est pas moi qui t'intéresse ? Relâche-les, elles n'ont rien à voir avec tout ça.
Samaël ricana.
- Je ne te connaissais pas un si grand cœur, se moqua-t-il. Te préoccuperais-tu de leur sort ? Malheureusement, je ne vais pas pouvoir accéder à ta requête. Contrairement à ce que tu sembles penser, depuis que tu les côtoies, tes petits camarades m'intéressent également. Ils sont trop impliqués. Ils en savent trop. J'ai besoin de percer toutes leurs connaissances. Ensuite, je les tuerai.
Je contractai la mâchoire à ces mots. Samaël voulait la mort de ceux m'entourant parce qu'ils m'avaient côtoyé. Involontairement, je les avais entraînés avec moi dans une aventure où nous allions tous finir par y passer. Je me sentis démunie. Incapable de contrer Samaël et les siens. Incapable de protéger mon entourage. De les protéger des Darknils, de mon passé et de moi-même.
- Ne tire pas une tête pareille, susurra Samaël. Tu n'es pas jolie quand tu fais la moue.
Je me crispai, mettant toute mon énergie pour rester impassible face à ses piques, ne voulant pas lui offrir le plaisir de me voir réagir. Samaël me lança un regard pétillant et s'installa nonchalamment dans un fauteuil. Il posa ses coudes sur les accoudoirs et s'avança légèrement en avant, m'étudiant, un sourire carnassier sur les lèvres.
- Tu sais Diablesse, tu m'impressionnes. Je croyais t'avoir tué lorsque j'ai mis le feu à ta barraque, m'expliqua-t-il. Lorsque ton domicile a été réduit à l'état de poussière, j'étais convaincu que toi, vous, mes années passées à vivre sur Terre, n'étaient plus que de l'histoire ancienne.
Le Darknil soupira en se passant une main dans ses cheveux blancs étincelants.
- Mais voilà qu'un jour, alors que je me rendais sur Terre pour des petites affaires personnelles, je décide de me remémorer le bon vieux temps en me rendant sur les lieux où nous avions vécu. Tu ne peux imaginer ma surprise lorsque j'ai découvert une Eudora bien vivante, séjournant dans sa maison délabrée, qu'elle avait rebâti à l'aide de ses illusions. J'ai cru halluciner.
Il ricana.
- Tu te doutes bien qu'il était juste inconcevable de faire comme si je n'avais rien vu. Je ne pouvais pas te laisser là, à continuer de vivre tranquillement dans un quotidien façonné de mensonges. Je suis revenu te chercher, un soir, sans prévenir. Tu devrais me remercier, j'ai été courtois. J'aurais très bien pu passer par ta fenêtre pour t'enlever lors de ton sommeil comme le marchand de sable...
Samaël prit une pause, l'air songeur.
- Je ne suis pas sûr que ce soit le marchand de sable qui enlève les enfants durant leur sommeil... réfléchit-il tout haut avant de hausser les épaules. Peu importe. J'aurai pu t'enlever pendant ton sommeil, mais j'ai préféré toquer à ta porte comme une personne civilisée.
Un sourire traversa son visage.
- Tu aurais dû voir ta tête, s'amusa-t-il. On aurait dit que le croque-mitaine venait de débarquer chez toi pour te dévorer toute crue. Et peut-être que tu n'étais pas loin de la vérité... mais rassure-toi, je ne fais pas dans le cannibalisme. Du moins... pas encore.
Un sourire rayonnant éclaira le visage du Lycanthrope, fier de sa remarque qu'il trouvait visiblement forte amusante. J'avais envie de le faire taire, de lui envoyer mon poing dans la tête avec une telle violence que tous ses os du crâne se briseraient dans une exaltation sonore. Malheureusement, attachée sur cette table, je ne pouvais rien faire.
- L'effet de surprise était là, et désarçonnée, il m'a été d'une simplicité enfantine de te neutraliser et de t'emporter avec moi sur Obscuratium, poursuivit Samaël. Je t'ai alors offert le plus beau lieu de vie que tu puisses mériter sur ce royaume ; mon cachot et mes salles de torture. Et tu as désormais retrouvé ta place en ce saint lieu.
Samaël tapa dans ses mains avant de désigner les lieux autour de lui, les yeux brillants d'émerveillement. Il était complétement cinglé !
-Bien évidemment, tu ne peux pas t'en souvenir. Il s'agit d'un passé que tu n'as jamais eu. Mais ces aléas se rattrapent fort aisément. Ce que tu n'as pas vécu autrefois, je peux te le faire vivre dès aujourd'hui, à une différence près ; cette fois-ci, tu ne m'échapperas pas !
Le Lycanthrope fit un signe de tête à son fidèle Darknil aux mains de lame qui s'avança à son côté. Je me crispai à son approche. Sa venue ne présageait rien de bon. Samaël, lui, semblait être dans sa salle de jeu. Ses yeux brillaient comme s'il s'apprêtait à jouer à son jeu préféré en compagnie de ses plus chers amis. Le Darknil aux bras changés en lame aiguisée, s'avança près de mon corps allongé. Il posa ses lames sur la table de métal qui supportait mon poids et ses yeux de contrefaçon, deux énormes diamants, me fixèrent intensément. J'avais envie de lui cracher au visage pour lui insuffler toute la haine et le dégoût qu'il me procurait.
Samaël s'arrêta près de mon visage et passa une main sur mon front, dans mes cheveux bruns. Ce geste me répugnait. Je voulais qu'il retire ses doigts de ma peau, qu'il cesse de me toucher. Son contact me donnait la nausée. Mais le Lycanthrope prenait un malin plaisir à effleurer ma tête avec lenteur, attendant ma réaction. Je serrai les dents pour ne pas lui offrir ce plaisir.
- Diablesse, je tiens à te préciser que je ne laisse jamais rien au hasard, me confia-t-il. Tu vas être torturée, mais ce n'est pas par plaisir. Je dois vérifier quelque chose.
Sur ces mots, Samaël recula, laissant son Darknil favori prendre sa place face à moi. Le Lycanthrope sortit un foulard noir de la poche de sa veste et se banda les yeux. Ce lâche n'avait même pas assez de cran pour regarder le résultat de ses méfaits. Il préférait se voiler la face. Littéralement.
Le Darknil aux mains de lame fit crisser ses armes entre elles avant de les changer en lames plus fines, plus petites, semblable à des aiguilles. Mais des aiguilles extrêmement coupantes. Je serrai la mâchoire avec force, à m'en péter les dents, m'attendant déjà au pire. J'entendis des bruits de pas. Quelqu'un d'autre venait de s'approcher de moi. D'un regard, je vis un deuxième Darknil s'avancer près de la table métallique qui me retenait, des fioles vides dans les mains. Un Darknil ne suffisait pas, ils allaient me torturer à deux.
Celui aux mains de lames enfonça brutalement ses fines lames dans ma gorge. Un bruit étouffé s'échappa de ma bouche sous le coup de la douleur, mais la violence de l'impact m'empêcha de crier, me coupant le souffle. Ce fut un cri muet qui franchit mes lèvres. La douleur vint m'irradier la nuque, le crâne, montant jusqu'à mon cerveau comme des millions d'électrochoc. Ma vision devint trouble tandis que le Darknil retirait l'une des lames de ma gorge avant de la planter de nouveau dans la chair de mon cou. La douleur était insoutenable. Indescriptible. Je peinais à respirer. Je cherchais désespérément une goulée d'air, luttant contre la douleur, contre ma vision se tachant de rond noir. Mon torse s'élevait violemment, de lui-même, mon corps suffoquait, je brûlais de douleur. Le deuxième Darknil se pencha vers moi et se mit à récolter mon sang qui s'étalait autour de moi comme un halo.
Il remplit cinq fioles de mon sang, machinalement, comme s'il l'avait fait toute sa vie. Sans éprouver la moindre émotion. Puis, lorsqu'il eut fini sa tâche, le deuxième Darknil sortit un flacon de la poche de sa cape bleu nuit.
Le flacon contenait un liquide argenté qui tourbillonnait dans le récipient telle une minuscule tornade où s'échappait des flocons arc-en-ciel. Ou peut-être que je commençais à avoir des hallucinations. La douleur ne faisait que croitre et il me paraissait désormais plausible que j'en vienne à délirer. Ma tête me tournait. Je commençais à ne plus avoir pleinement conscience de ce qui m'entourait. Alors que mes paupières se fermaient, que ma tête vacillait sur le côté, je sentis des mains gantées me maintenir la tête et me presser les joues, me forçant à ouvrir la bouche. Je n'eus pas la force de protester. Un liquide glissa dans ma gorge. Un liquide glacial. Avec un goût étrange. J'avais l'impression que je venais d'ingurgiter des éclats de verre.
Ma tête cessa de tourner. Mes forces semblèrent me revenir sans pour autant que j'en vienne à me sentir pleine d'énergie. La douleur était toujours affreusement présente, mais étonnement, elle était désormais assez supportable pour que je n'en vienne pas à tourner de l'œil. Qu'est-ce qu'ils m'avaient fait avaler ? Un liquide de guérison ?
- On ne t'a pas guéri, me répondit le Darknil aux mains de lames qui était Télépathe. Tu pisses toujours le sang. Mais on t'empêche de mourir ou de tourner de l'œil, on a encore besoin de toi pour le moment.
- Charmant, réussis-je à articuler à ma plus grande surprise.
La douleur semblait faire partie d'un monde parallèle. Je la ressentais, mais comme derrière un voile de coton.
- Evite de parler, tu fais gicler du sang sur la table, grommela le second Darknil de sa voix robotique qui camouflait son vrai timbre.
- Arrêtez de parler tout haut de ce sang, rien que l'idée me donne la nausée ! se plaignit Samaël, adossé contre un mur, les yeux toujours bandés.
Je serrai les poings.
- Pourquoi ? le provoquai-je. Tu ne veux pas assister au spectacle ? Tu as tort, cette piscine pourpre qui m'entoure est tout à fait glamour. Un bain de sang visqueux où il me serait plaisant de t'y noyer.
Un violente gifle accueillit mes propos. Le fidèle Darknil aux mains de lame n'avait visiblement pas apprécié ma petite provocation. Son collègue non plus, car il me donna à son tour une violente claque qui me fit un mal de chien.
- Je vois que tu es d'humeur à discuter, se contenta de me répondre Samaël après une petite grimace. Si tu as envie de papoter, pourquoi pas. Le temps nous paraîtra moins long.
Samaël croisa les bras contre son torse, l'air pensif.
- En espérant qu'on puisse s'entendre... ajouta-t-il enfin. On doit aussi récolter le sang de tes deux petites coéquipières. On n'est jamais à l'abris des hurlements. Et je te suis d'ailleurs reconnaissant d'avoir souffert en silence. Je déteste entendre quelqu'un crier à s'en écorcher la voix.
D'un coup, je regrettais de n'avoir pas réussi à émettre un hurlement.
Je vis de nouveaux Darknils émerger de la pénombre pour s'emparer du sang de Rox et Aleth. Mon cœur en rata un battement. Que comptaient-ils faire de notre sang au juste ? Je ne comprenais pas où tout ce cirque allait nous mener.
Le Darknil aux mains de lames revint vers moi avec une boite en acier et un flacon où miroitait un liquide aigue marine remuant comme si des vagues y séjournaient. Des bulles de feu semblaient vivre au fond du liquide. Je clignai vivement des yeux à cette vue.
Le deuxième Darknil me pressa une nouvelle fois les joues et m'ouvrit la bouche de force.
- Avant de discuter, il va falloir que tu avales notre petite recette, m'annonça-t-il de sa voix démunie d'empathie.
Le Darknil aux mains de lame me versa le liquide étrange dans la bouche et d'une pression, me força à déglutir. Un goût affreusement acide me traversa la gorge tandis qu'il me semblait voir de la fumée s'échapper de ma bouche. Qu'est-ce qu'il se passait encore ? Je fis un effort surhumain pour calmer mon cœur qui tentait de s'emballer sous le coup de la panique.
- On va te couper des membres du corps, m'expliqua alors l'un des Darknils. Mais il repoussera grâce à ce liquide de notre invention. Nous avons encore besoin de toi entière.
Mon cœur cessa momentanément de battre. Ils allaient me découper en morceaux ? Et ils annonçaient la chose comme si c'était tout à fait normal ?
- Vous êtes malades ! m'étranglai-je d'une voix voulant faire ressurgir toute la haine que j'avais à leur égard.
- Oh Diablesse, je t'en prie, intervint Samaël. Ne crois pas qu'on fasse ce genre de chose parce qu'on aime découper les gens comme des poulets.
- T'es un grand malade ! me braquai-je. C'est toi qui aurais dû crever dans ma cuisine, découpé comme un vulgaire rat de laboratoire !
Samaël lâcha un rire irrité.
- Marin m'avait énervé, il a osé me voler mon globe ! s'agaça-t-il. Il méritait de finir comme un vieux rongeur de labo. Puis, ne vas pas jouer les petites prudes offensées, tu avais déjà un esprit assez tordu étant petite. Ce n'est pas toi qui as voulu noyer Hamza dans la cuvette ? ricana-t-il.
Je déglutis.
- Peut-être, reconnus-je. Peut-être que je suis aussi tordue que toi. Que je suis aussi atteinte. Peut-être que je suis folle. Dérangée. Détraquée. Mais tu devrais alors te méfier, parce que si par malheur, j'arrive à me dérober de ton emprise, je te jure que je viendrai moi-même t'égorger vif. Je te ferai vivre le plus atroce des supplices. Je te viderai de ton sang, t'obligeant à regarder le liquide s'écouler hors de ton corps, à contempler tes boyaux suinter jusqu'à ce que t'en vomisse d'horreur. Et pendant que tu hurleras de douleur, agonisant, je rirai. Parce que ce sera le plus beau jour de ma vie. Parce que te tuer sera d'une simplicité enfantine. Parce que je n'ai aucun scrupule à ôter la vie d'un être vivant.
Samaël éclata de rire à l'entente de mes menaces, contrairement à ses alliés qui semblaient très mal prendre mes propos. J'étais surprise de ne pas avoir eu de nouvelles paires de claque.
- Diablesse, je te connais sur le bout des doigts. Tu ne trompes personne. Tu parles trop, tu utilises les menaces et la provocation comme ultime moyen de défense parce que tu es prise au piège, vulnérable, et qu'il ne te reste plus que ça pour te défendre. Mais tu veux savoir ce qui te décrédibilises le plus ? me susurra-t-il. Hamza.
Je clignai vivement des yeux à l'entente de ce prénom. Samaël, loin de se démonter, se décolla lentement du mur. Bien qu'il eût toujours les yeux bandés, il tourna la tête vers nous tous, présents dans la pièce, comme s'il s'apprêtait à donner une conférence. Ou plutôt, se donner en spectacle.
- Voyez-vous, commença-t-il, notre cher Hamza n'était autre que le hamster de Marin, le frère d'Eudora. Marin l'avait reçu à son anniversaire et en était fou de joie. Il passait tout son temps à s'occuper de cette vulgaire boule de poil. Eudora, qui a toujours eu un tempérament difficile, fut alors jalouse de l'intérêt que portait Marin pour son nouvel ami. Hamza lui avait volé son frère, qui désormais, ne voulait même plus jouer avec elle. Après une dispute, notre petite Eudora voulu se venger de son frère et s'empara de Hamza pour l'emmener dans les toilettes. Elle l'a alors suspendu au-dessus de la cuvette et s'est mise à hurler que si Marin ne renonçait pas tout de suite à son hamster, elle le jetterait dans l'eau et tirerait la chasse d'eau.
Samaël dut arrêter son récit, prit d'un fou rire. Il prit plusieurs inspirations afin de se calmer.
- Fort heureusement, reprit enfin le Lycanthrope, ses cris alertèrent ses parents qui l'empêchèrent de commettre son acte. Ils lui passèrent alors un savon et lui expliquèrent l'importance de respecter tout être vivant, de la plus petite bête à la plus grosse. Marin, raisonnablement, décida alors de partager la garde de Hamza avec sa sœur qui au début scandait qu'elle n'en avait rien à faire de ce vulgaire rongeur. Ce que je peux entièrement comprendre.
Un sourire en coin éclaira le visage de Samaël.
- Mais Eudora changea vite d'avis. Elle se prit d'affection pour Hamza et en vint même à vouloir le garder rien que pour elle. Elle le laissait faire tout ce qu'il voulait ; manger ses livres, courir sur son lit, gambader dans sa chambre. Mais comme on s'en doute, avec Eudora, les happy ends n'existent pas. Alors qu'elle se disputait avec son frère, comme de coutume, Eudora a laissé la colère prendre le dessus et a donné un violent coup de pied dans une pile de livre qu'elle avait entassé à côté de son bureau. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que Hamza, qu'elle laissait gambader librement dans sa chambre, se trouvait juste derrière cette pile. Les livres lui tombèrent dessus et lui brisèrent la nuque.
Je serrai les poings à l'entente de ces mots. Je ne comprenais pas où il voulait en venir, mais il m'agaçait sérieusement.
- Après ce terrible accident, Eudora a été inconsolable. Tuer ce pauvre hamster l'a beaucoup affecté, car mine de rien, cette pimbêche à un cœur d'artichaud qu'elle s'attèle à camoufler.
Samaël lâcha un rire avant de baisser la tête vers le sol.
- Diablesse, comprends-tu pourquoi tes menaces balancées plus tôt n'ont rien de crédible ? Parce que, peut-être que tu es assez tordue pour tuer un inconnu sans remord, que la vie t'a assez détraquée pour que tu en viennes à des violences pareilles, mais dès que tu commences à apprendre à connaître une personne, animal ou non, que tu l'apprécies ou non, les choses se compliques aussitôt. Et je sais que tu n'as pas changé sur ce point. Je sais que tu aurais eu aucun scrupule à jeter cet hamster dans les toilettes si tes parents ne t'avaient pas arrêté. Mais je sais aussi que tu en aurais été incapable par la suite, parce que tu avais appris à connaître cet animal, qu'il t'était familier. Même si tu l'avais détesté, tu n'aurais pas réussi à le noyer.
Samaël ricana.
- Je te connais Diablesse. Tu me menaces, mais si tu devais réellement me tuer, tu n'en aurais pas le cran. Je n'ai aucun doute sur tes envies de meurtre, je suis convaincu que tu pourrais me sauter à la gorge si l'occasion se présentait, mais me la trancher, c'est une autre paire de manche. Tu serais tellement accaparée par tes démons que j'aurais amplement le temps de renverser la balance. Parce que même si désormais tu me hais du plus profond de ton âme, que tu souhaites ma mort plus que tout, je suis un visage familier. Un visage qui t'a accompagné depuis le berceau. Quelqu'un que tu as connu. Que tu as côtoyé. Que tu as aimé. Ce n'est pas simple de passer outre tous ces sentiments et de retirer définitivement la vie à quelqu'un. Tout en faisant abstraction aux souvenirs.
Je serrai les poings de rage tandis qu'un sourire fier venait orner son visage.
- Tu sous-estime ma haine à ton égard, grondai-je.
- Je ne ferai plus l'erreur de te sous-estimer, crois-moi, me contredit-il. Mais sais-tu pourquoi je suis aussi sûr sur le fait que tu ne peux me tuer ? Parce que tu en as déjà eu l'occasion, ton autre toi en a déjà eu l'occasion, et elle a échoué. Lorsque je la retenais ici, après l'avoir arraché à la Terre, je l'ai sous-estimé.
Samaël se passa une main dans sa tignasse blanche et argentée, l'air agacé.
- Je ne lui ai pas mis de réducteur, pensant à tort qu'elle ne saurait pas utiliser ses dons, qu'ils étaient encore inhibés. J'ai pensé qu'elle n'avait pas l'étoffe pour se rebeller, pour utiliser ses dons et qu'elle était complétement vulnérable. A ma merci. Mais j'avais tort. Evilash a réussi à utiliser son pouvoir de cendre lors de l'une de nos séances de torture. Elle a littéralement explosé et réduit la pièce en état de cendres. Elle qui était à ma merci quelques minutes plus tôt, avait inversé la balance. C'était désormais moi qui étais à sa merci. Evilash s'est dressée droit face à moi, elle m'a fait subir le supplice des cendres. Au dernier moment, alors qu'elle était sous l'emprise euphorique de son pouvoir qui voulait tuer tout être vivant, elle a lutté contre ce dernier. Elle a reculé, incapable de me donner le coup de grâce. Tu es comme elle à son arrivée. Trop sensible. Trop prise par tes tourments. Tu ne peux me vaincre.
Je serrai les dents de rage. Je ne voulais plus l'entendre. Je n'en avais rien à faire de ses discours et des anecdotes. Qu'importe ce qu'il pouvait raconter, je le voulais mort. Je voulais mettre fin à ma douleur, à ce passé qui me hantait, à cette boucle sans fin vers les ténèbres, et la seule solution était de le tuer. Je voulais qu'il meure. Je voulus l'insulter, lui hurler à la figure ma rage, ma haine, ma colère, mais n'en eus pas l'occasion. Avant que je ne puisse laisser échapper un flot de parole, le Darknil aux mains de lame me trancha la main.
Je hurlai de douleur tandis que ce monstre amassait mon membre pour le mettre dans sa boite de métal. Le liquide aigue marine qu'il m'avait fait ingurgiter un peu plus tôt fit effet et je sentis mes os repousser dans une douleur atroce. Mes os me tirèrent, craquèrent, se disloquèrent. Ma chair devint élastique et s'étira tandis que je lâchai un nouveau cri. Mes os crissèrent de plus bel dans leur repousse, mes veines poussèrent dans une douleur cisaillant, comme s'ils se frottaient à du papier de verre. Je n'eus pas le temps de me remettre de mes émotions que le Darknil me coupa la deuxième main.
Je poussai un nouveau cri de douleur tandis que le même processus se mettait en place. Le Darknil aux mains de lame en profita pour changer l'une de ses mains en ciseaux et récolta quelques mèches de mes cheveux. Puis, il se tourna vers le chef des Darknils.
- Pour ses yeux, un détail pose problème, lui apprit-il. Il nous faut sa véritable apparence.
Samaël claqua sa langue contre son palet.
- Diablesse, aurais-tu l'amabilité de reprendre ton aspect d'origine ? demanda-t-il d'une voix impatiente.
- Tu peux toujours courir, grinçai-je d'une voix étranglée par la douleur.
Samaël claqua une nouvelle fois sa langue contre son palet.
- Ne joue pas les difficiles, les conséquences risquent d'être désastreuses.
Je gardai le silence, refusant d'obtempérer, mais trop faible pour me lancer dans une confrontation verbale. La repousse de mes membres était la pire douleur qu'il m'ait donné d'avoir. Samaël, toujours les yeux bandés, s'avança à tâtons vers ma table.
- Diablesse, si tu n'obéis pas immédiatement, c'est ta copine renarde qui en paiera les frais.
Mon sang ne fit qu'un tour.
- Tu la touches, je te tue, le menaçai-je, mettant tout le reste de mes forces dans ma menace.
Samaël éclata de rire. Il se tapota le menton du doigt, prenant un air exagérément songeur.
- Attends... Laisse-moi me souvenir... Qu'est-ce que tu avais dit la dernière fois ? Ah oui, je me souviens ! s'exclama-t-il avant de prendre une voix exagérément efféminée. Transmets un message à Samaël. Dis lui qu'il a désormais un sérieux problème et qu'il ferait bien d'être sur ses gardes. Même s'il se croit plus fort, même si Evilash n'est pas parvenue à le stopper, même s'il croit que personne ne pourra entraver ses plans, il ferait mieux de se méfier. Qu'importe si je dois mourir, qu'importe patati et patata je le traquerai où qu'il soit et je lui briserai la nuque...
Un sourire s'étira sur le visage du Lycanthrope.
- Ce n'est pas ce que tu as dit à Arachné ? me demanda-t-il. Franchement Diablesse, tu n'en as pas marre de faire des menaces que tu ne peux tenir ? Achète-toi un peu de crédibilité, je t'en prie !
Puis, il éclata de rire. Lentement, il approcha son visage du mien, comme pour me confier un secret.
- Montre-moi tes jolis yeux étoilés ou ta renarde découvrira l'effet que procure les os broyés.
Tout mon être se figea. Glacé. Horrifié. Prêt à suffoquer de panique. Je refusais qu'ils touchent à Rox. Je préférais encore subir les pires tortures. Qu'ils me retirent les yeux sans jamais me les faire repousser. Qu'ils m'arrachent le cœur à main nue. Qu'ils fassent tout ce qu'ils veulent. Mais je ne pouvais pas non plus reprendre mon aspect d'origine. C'était une défaite. Je ne savais pas pourquoi ils tenaient tant à ce que j'ai mes yeux, pourquoi ils voulaient tant récolter des morceaux de moi, mais j'avais peur que leur donner ce qu'ils réclameraient sonnerait une fin bien pire que celle actuelle. Je déglutis. Je ne savais pas quoi faire. Dans tous les cas, ils s'en prendraient à Rox. Dans tous les cas, ils nous tueraient. Je ne savais pas quoi faire.
Samaël poussa un soupir d'impatience.
- Diablesse, tu as dix secondes. Après, ce sera broyage d'os à gogo. Tu verras ta chère amie crever sous tes yeux et tu en seras la seule responsable. Tu veux encore perdre un proche à cause de tes mauvaises décisions ? me souffla-t-il. C'est ce que tu veux ? Être une nouvelle fois coupable de la mort d'un membre de ton entourage...
- Ne l'écoute pas, intervint Rox, retenue à une table. Le seul responsable ici, c'est lui, pas toi. Quoi qu'il puisse m'arriver par la suite, même si j'en viens à mourir, tu n'auras rien à te reprocher.
Un Darknil la gifla violemment pour la faire taire. La rouquine étouffa un cri de douleur. Je sentais la panique enfler dans ma cage thoracique. Cette panique si familière. Ce sentiment atroce que j'avais l'habitude de ressentir lorsque je m'infligeais le revisionnage du drame. Je déglutis une nouvelle fois, essayant d'étouffer ce sentiment. Le coupable c'était Samaël. Je me le répétais en boucle. C'était le seul coupable. Mais la peur de perdre encore l'un des miens me comprimait tout le corps.
- Diablesse, les dix secondes sont écoulés.
Je me figeai. La haine et la panique se battait en duel pour savoir laquelle triompherait.
- Tu trouves que mes menaces ne sont pas crédibles ? relevai-je, prise d'un étrange sentiment.
La résignation ?
Samaël haussa un sourcil.
- Je te l'ai dit, n'essaye pas de gagner du temps. Tes menaces ne valent rien.
Non. Ce n'était pas de la résignation. C'était tout autre chose.
- Tu ferais bien de m'écouter cette fois-ci, déclarai-je, d'une voix forte et limpide. Parce que je suis des plus sérieuse. Ne prends pas mes mots à la légère.
Ce n'était pas de la résignation, mais une prise de recul. Je ne pouvais pas gagner face à tous mes ennemis. Il était temps que je rende les armes. Que je laisse triompher l'un de mes adversaires pour pouvoir mieux tuer le pire d'entre tous.
- A quoi tu joues ? s'agaça Samaël.
Evilash pouvait voir et entendre à travers moi ? Très bien. Il était temps d'en tirer profit. J'avais quelques mots à lui dire.
- J'ai fait une erreur, commençai-je. Je me suis trompée de lutte, trompée d'ennemis. J'ai commencé à me combattre moi-même, à rentrer en guerre avec mon autre moi, mais j'ai eu tort. J'ai voulu en faire qu'à ma tête, tout faire de mon côté, je n'ai pas réfléchi. Mais je me suis trompée. On ne peut pas gagner toutes les batailles, on ne peut pas triompher de toutes les luttes, surtout quand on affronte tous ses ennemis en même temps alors que certains ont un adversaire en commun.
La détermination prit possession de chacune de mes cellules.
- Evilash voulait qu'on s'allie, qu'on lutte côte à côte et je me rends désormais compte que c'était la meilleure chose à faire. J'ai eu tort. J'aurais dû accepter, qu'importe ce que j'avais à y perdre. J'aurais dû combiner mes forces aux siennes. Mais je n'étais pas prête à assimiler cette vérité. Je le suis désormais.
Mon regard était fixe. Je ne m'adressais pas à Samaël, mais à Evilash. Notre guerre devait cesser.
- Je suis prête à m'allier à Evilash. Je ne sais pas si elle est prête, de son côté, à oublier nos désaccords, mais j'attendrai. J'attendrai le temps qu'il faut. Dès qu'elle le sera, dès qu'elle le voudra, je serai là. Je serai prête à faire ce qu'il faut pour vous détruire, pour tous vous éliminer. Quand Evilash viendra me chercher, je vous anéantirai, quoi qu'il m'en coûte.
Car j'étais désormais prête à prendre les mesures nécessaires pour supprimer ces monstres, définitivement. Quitte à m'allier à mon double. Elle pouvait venir, m'allier à elle dès qu'elle le voudrait. Je l'attendais.
***
NDA : Hey me revoilà avec la suite 😏 avant de passer aux questions du chapitre, pour ceux qui n'auraient pas eu la notif, j'ai posté un bonus dans le tome 2 durant la semaine. Voilà voilà.
Sinon, comment ça va ? Vos impressions sur le chapitre ?
- L'histoire de l'hamster du frère d'Eudora et de son sort sinistre, un ressentis ?
- La torture que subit Eudora... A quoi ça sert de lui prélever des membres d'après vous ?
- L'alliance potentiel entre Evilash et Eudora, vous en pensez quoi ?
Brefouille, passez une bonne fin de semaine et on se dit à la prochaine ☺️ kissy kissy 💙
#Nakijo.
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