14. Les Furies de l'Ombre.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc affreux ? m'écriai-je en laissant tomber le légume gluant sur le plan de travail devant moi.

Hell m'avait demandé, à moi et Alisa, de préparer le repas pour tout le monde. Contre toute attente, j'avais accepté. Pas par plaisir mais pour fuir Martial qui ne cessait de me taquiner à longueur de temps. Je commençais déjà à regretter mon choix.

- C'est une coumalgua, me répondit Hell qui épluchait un aliment douteux, c'est un peu comme une courgette et une algue combinée. On les trouve en bord de mer.

J'avais beau chercher, je ne voyais pas la ressemblance qu'avait cet aliment avec une courgette. Une algue à la rigueur... La pelure avait le même aspect, mais le légume possédant la forme d'une méduse ne semblait avoir aucun point commun avec une courge. Et toucher cette chose me répugnait. C'était gluant, j'avais un liquide visqueux qui me restait dans les doigts, un liquide que j'aurais vaguement pu comparer à celui du gel de l'aloe vera.

- Arrête de grimacer, tu vas devenir toute ridée, me lança Alisa dans un rire lorsqu'une énième grimace franchit mes lèvres.

Je la foudroyai du regard.

- Comment veux-tu que je cesse de grimacer quand on me demande de couper en morceau un légume aussi écœurant ?

Alisa roula des yeux.

- Tu n'as encore rien fait depuis une demi-heure, remarqua-t-elle, je croyais que tu étais venue aider et non te plaindre.

Je soufflai bruyamment. Elle voulait que je découpe ce coulmalgua ? Très bien, elle allait être servie. D'un geste brusque, je m'emparai d'un couteau de cuisine et le fis voler vers le légume.

- Eudora, en douceur ! s'écria Alisa.

Trop tard, je venais d'enfoncer le couteau de toutes mes forces au cœur du légume. Aussitôt, un jus me gicla en plein visage. Je poussai un cri tandis qu'une odeur désagréable vint me titiller le nez. J'éternuai plusieurs fois. Ce légume affreux avait l'odeur de l'oignon en décuplé et j'avais désormais les larmes aux yeux sous les effluences du coumalgua.

Alisa et Hell éclatèrent de rire et je me sentis ridicule. Agacée, je reposai brutalement le couteau sur le plan de travail, reculant.

- Débrouillez-vous tous seuls, j'en ai marre, maugréai-je.

- C'est qu'Evilash est susceptible, s'amusa Hell.

Je levai les yeux au ciel, m'adossant au mur, décidant de ne pas lui répondre. Hell semblait prendre plaisir à m'appeler Evilash, malgré qu'il connaisse mon prénom. Après m'avoir demandé si cette appellation ne me dérangeait pas, il avait avoué qu'il aimait l'idée de côtoyer la version passée de la menace redoutée du royaume. M'appeler ainsi donnait à sa réalité un goût étrange. Je l'avais laissé dans son délire, m'en fichant complétement de la façon dont il voulait m'appeler.

Croisant les bras et me refermant sur moi-même, je me contentai d'observer les deux Obscuras en action, ne voulant plus toucher à un ustensile de cuisine. Je détestais cuisiner. Hell et Alisa ne firent pas attention à mes humeurs et continuèrent leur occupation tout en se taquinant. J'avais pu remarquer que les deux Obscuras s'entendaient bien. Ils se connaissaient depuis peu, mais se comportaient déjà comme de bons amis. Je me sentis rapidement de trop.

- Vous êtes vachement fort pour être parvenu à échapper à la reine autant de fois, lâcha Hell.

Alisa laissa échapper un petit rire.

- Lorsqu'on a formé la Garde Royale Clandestine, c'était simple de filer, nous n'étions pas tous sous surveillance et avec l'élection d'une nouvelle reine, c'était déjà un peu le désordre. Pour la suite, j'imagine qu'on peut remercier Eudora d'être encore en vie.

Deux paires de yeux se tournèrent vers moi. Je levai les yeux au ciel.

- C'est grâce à Rose si nous sommes ici, lui rappelai-je.

- La première fois, si tu n'avais pas décidé de nous sauver, pas sûr qu'on en serait ressorti sauf, rétorqua Alisa.

- Je n'ai rien décidé du tout, c'est Circé qui a tenu à vous libérer, la contredis-je.

La Banshee poussa un profond soupir.

- Pourquoi refuses-tu qu'on t'attribue le mérite du sauvetage ? Tu as sauvé Circé, tu n'en étais pas obligée.

Je serrai les poings. Si j'avais sauvé Circé, c'est parce que Kalidas tenait à elle, il n'y avait pas d'autres raisons à mes actions.

- Si je l'ai sauvée, ce n'était pas pour vous. J'avais besoin de réponses, je ne pouvais pas me permettre de vous voir tous mourir sans jamais avoir d'éclaircissement. Puis, je te rappelle que par la suite, j'ai voulu la tuer. Tu as même prédit sa mort.

Alisa riva son regard sur le sol, se dandinant d'un pied.

- J'ai prédit sa mort, mais pas qui allait la tuer. Je n'ai senti qu'une menace venant de notre groupe et non deux. Shaytan devait se charger de la tuer si tu refusais de le faire. Ma prédiction concernait l'un de vous deux et non les deux. L'un d'entre vous ne l'aurait jamais tué, quoi qu'il se serait passé par la suite.

Je fronçai les sourcils.

- Shaytan est bien trop flippé pour un rien. Moi, je l'avais déjà menacé de mort à mainte reprise, dès mon arrivée. La conclusion est évidente.

Alisa secoua vivement la tête.

- Ma prédiction concernait Shaytan, me contredit-elle. Depuis que Naïa est morte, que Shaytan a officiellement dévoilé son double jeu, le poids que je ressentais dans mes entrailles me prévenant de la mort de Circé s'est envolé. Le danger a disparu et j'ai pu alors identifier la source.

- Tu n'avais pas prédit la mort de Naïa ?

Alisa fit non de la tête.

- Je n'étais pas là avant qu'elle meure, je me trouvais bien trop loin pour pouvoir ressentir quoi que ce soit. Circé, j'ai senti le danger planner plus nettement car il s'agissait d'un meurtre planifié. Naïa, sa mort semblait être inattendue.

J'étais désormais confuse.

- J'ai pourtant réellement voulu la tuer, avouai-je.

- Visiblement pas assez pour déclencher mes prédictions.

Alisa passa une main dans ses cheveux d'étoiles, le regard désormais brillant.

- Je n'arrive pas à croire que Shay soit un traitre. Qu'il ait tué Naïa, avoua-t-elle. Ils s'entendaient si bien ensemble, ils étaient même amis. Comment a-t-il pu faire une chose pareille ? Comment a-t-il pu rester auprès de nous aussi longtemps avec pour seule idée en tête de retourner sa veste ? Comment a-t-il pu tuer son amie la plus proche après avoir passé autant de temps en sa compagnie ?

- J'ignorais que Shaytan et Naïa étaient proches, avouai-je.

- Shaytan passait plus de temps avec Naïa qu'avec les autres, m'expliqua la Banshee d'une voix triste. Il a toujours été d'une nature craintive, il était continuellement stressé et la douceur de Naïa l'aidait à canaliser son angoisse. Ils s'entendaient bien. Enfin, c'est ce que je croyais...

Alisa essuya des larmes qui roulaient sur ses joues, mais elle avait beau les essuyer, de nouvelles réapparaissaient.

- Tu étais proche de Naïa ? la questionnai-je.

Je m'étais figée lorsque j'avais vu les premières larmes couler sur ses joues. Je ne savais jamais comment réagir lorsque quelqu'un se mettait à pleurer.

- J'ai vécu isolé de tout le monde, j'ai grandi avec des êtres malades, sans jamais nouer de lien avec d'autres Obscuras. C'est la première fois que je fais réellement partie de quelque chose, que j'intègre un groupe, que je noue des liens avec d'autres personnes que les meilleurs amis de mon frère. Alors, peut-être que je me suis trop vite attachée à chaque personne, à cette troupe et ce qu'on avait créé, mais j'ai du mal à supporter cette nouvelle réalité. Le fait que tout soit terminé. Que ce groupe n'existe plus. Qu'il y ait eu un mort. Peut-être d'autres qu'on ignore encore. Qu'on nous ait trahi. J'ai l'impression que tout ne cesse d'empirer, qu'on a beau se débattre, on ne nous offre aucun répit, aucune échappatoire. Et j'aimerais savoir... Quand est-ce que tout cette merde prendra fin ? Pourrons-nous un jour vivre paisiblement, sans plus jamais souffrir ?

Alisa essuya une nouvelle fois ses larmes, les mains tremblantes, avant de poursuivre :

- Je ne sais même pas si mon frère va bien, si les autres sont en sûreté. Je doute même que ce mot existe encore. Je ne supporterai pas de le perdre, Ronan est tout ce que j'ai. Mais je commence à prendre peur. Tout part tellement à la dérive que je m'attends à tomber plus bas que terre à chaque instant.

La Banshee cacha son visage dans ses bras, camouflant ses yeux humides. Je ne savais pas quoi lui dire, comment réagir. Je n'étais pas faite pour consoler les autres, pour remonter le moral.

- Dites-moi où se terrent le reste de votre groupe et on ira les chercher, proposa alors Hell qui avait assisté à toute la conversation. Je sais bien que chez moi, c'est tout petit, et qu'on est déjà à l'étroit, mais ce sera toujours mieux que de les laisser errant dans le royaume, sans toit au-dessus de leurs têtes.

- On ne sait pas vraiment où ils sont, lui répondit Alisa. Et vu tous les dangers se multipliant dans le royaume, certains sont peut-être morts.

Je n'avais jamais vu la Banshee aussi pessimiste.

- Ils ne sont pas morts, rétorquai-je, ton frère va bien.

Alisa fronça les sourcils.

- Comment peux-tu en être sûre ?

- Je le sais, c'est tout, me contentai-je de répondre, ne voulant pas dévoiler le fait que je l'avais su de la bouche de Kalidas, venu dans mes songes grâce à son pouvoir d'Inception.

Alisa me lança un regard étrange mais n'insista pas. Elle acquiesça, voulant me croire.

- Lorsque tu vivais au palais, tu n'avais pas le droit de côtoyer les autres membres ? finit par relever Hell.

Alisa lui lança un regard, embarrassée. Plus tôt, elle n'avait pas mesuré ses propos face au Faucheur qui ignorait tout de sa vie passée.

- Désolé, je ne voulais pas être indiscret, s'excusa aussitôt Hell, ce détail m'a simplement titillé.

- Je n'avais effectivement pas le droit de côtoyer les autres, répondit-elle tout de même. Je vivais avec quelques Obscuriums enfermés dans le château et j'avais pour tâche de m'occuper d'eux et de les étudier. Les Obscuras, me croyant à tort contagieuse, refusaient que je sorte de quarantaine.

- Il y a des Obscuriums dans le château de la reine ? s'étonna Hell.

- La reine Junon a voulu étudier leur cas d'elle-même et a donc demandé à ce qu'on en enferme quelques-uns dans une pièce isolée. Lorsque la reine Zara a pris le pouvoir, elle les a tous tués en prétendant que ces êtres affreux n'avaient rien à faire là.

- Ces reines sont écœurantes, grinça Hell. Traiter les Obscuriums comme des vermines et les tuer pour bon plaisir... Il leur manque un sacré sens moral.

- Pour toi, les Obscuriums devraient être traités comme des Obscuras ? s'étonna Alisa.

- Pas pour toi ?

La Banshee se mordilla la lèvre.

- Bien sûr que si ! Ce sont des êtres qui ressentent des émotions, des êtres vivants, ils méritent d'être pris en considération. Mais je crois bien que c'est la première fois que j'entends quelqu'un d'autre que moi prendre ouvertement leur défense.

- Je suis ravi que tu sois de cet avis, répondit Hell, je savais bien que tu étais quelqu'un d'ouvert et de sensible aux autres. Il suffit de regarder au fond de tes yeux pour le comprendre.

Le visage de porcelaine d'Alisa s'empourpra. Elle se dandina, gênée.

- Mon empathie pour les Obscuriums est justifiée, marmonna-t-elle, j'ai grandi au milieu d'eux, ils étaient ma seule compagnie. J'ai toujours rêvé trouver un moyen de les sauver de leur état, un moyen d'éradiquer ce phénomène de mutation.

- C'est quand même fou qu'après tout ce temps, personne ne sache encore ce qui cause la transformation d'un Obscuras en Obscurium, fit constater Hell.

- Ce n'est peut-être qu'une maladie, soufflai-je comme pour moi-même.

- Une maladie qui ne trouve aucun remède depuis des siècles ? répondit Hell d'un ton sceptique.

- Ce n'est pas une maladie ! affirma Alisa d'une voix qui ne lui ressemblait pas.

On se raidit à l'entente de la voix lointaine d'Alisa. Je fronçai les sourcils, détaillant la Banshee. Son regard s'était figé, son expression faciale avait changé. Ce n'était pas la première fois que je la voyais ainsi. Dans le château, elle avait également eu cet étrange comportement.

- Si ce n'est pas une maladie, qu'est-ce que c'est d'après toi ? demanda Hell d'un ton méfiant, s'étant lui aussi rendu compte que quelque chose clochait.

- C'est une malédiction.

- Une malédiction ? répétai-je.

- Comment est-elle apparue ? demanda Hell, parfaitement immobile.

- Elle a été lancée, il y a des siècles et des siècles.

- Lancée ? Mais par qui ? m'étonnai-je.

- Par moi.

Je restai sciée. Hell avait eu un mouvement de recul.

- Tu n'es pas Alisa, lâcha-t-il d'un ton méfiant.

La Banshee émit un petit rire.

- Effectivement.

- Qui es-tu ?

Alisa ne répondit pas à Hell, elle posa son regard sur moi, me contemplant en silence. Je n'osais plus bouger. Ce n'était pas Alisa, c'était désormais évident ; quelqu'un parlait à travers elle.

La Banshee eut un violent sursaut. Son expression faciale redevint celui que je connaissais, ses yeux s'agrandirent. Alisa recula vivement en regardant tout autour d'elle, les yeux écarquillés. Elle était revenue dans son état normal. Mais semblait complétement perdue. Dans sa panique, la Banshee heurta la table de cuisine et renversa ce qu'il y avait dessus. Plusieurs bols s'écrasèrent sur le carrelage dans un bruit tonitruant, se brisant en mille morceaux. Alisa perdit l'équilibre. Hell tenta de la rattraper, mais il ne fut pas assez rapide, la Banshee chuta sur les débris, se coupant la paume de la main au passage, poussant un cri sous la surprise et la douleur.

- Merde ! jura Hell en s'accroupissant face à Alisa. Montre-moi ta main.

Encore sonnée, Alisa lui montra sa main ensanglantée en papillonnant des yeux. On toqua à la porte. Puis, elle s'ouvrit, laissant Aleth, Maève et Martial entrer dans les lieux.

- C'était quoi ce bouquant ? Tout va bien ? demanda le Guerrier avant d'écarquiller les yeux en voyant Alisa affalée sur le carrelage.

- Elle est tombée avec des récipients dans les mains, mentis-je en lançant un bref regard au Guerrier.

- Tu vas bien ? s'inquiéta aussitôt Aleth en s'approchant de la Banshee.

Hell s'attelait déjà à lui faire un bandage à la main. La Banshee acquiesça pour unique réponse, les yeux perdus dans les vagues. Elle paraissait étrange et cela n'avait pas échappé aux nouveaux arrivants.

- Tu en es sûre ? insista Aleth, dubitative.

- Qu'est-ce que vous faites là ? demandai-je pour détourner l'attention. Pour entendre ce chaos, c'est que vous vous trouviez dans les couloirs.

Maève se pinça les lèvres.

- C'est vrai, on s'était un peu isolée du reste du groupe pour parler dans les couloirs. On est un peu à l'étroit dans cette maison. Martial nous a rejoint il y a quelques minutes.

Je camouflai un sentiment de surprise. Cela faisait déjà plusieurs fois que je voyais Maève discuter avec Aleth, mais j'ignorais que c'était au point de s'isoler pour pouvoir bavarder tranquillement... Je n'étais pas convaincue que ce rapprochement me plût.

- On vous rejoint dans quelques minutes, intervint Hell, le temps de ranger la casse. Vous n'avez qu'à rejoindre les autres, on ne va pas tarder à manger, incita-t-il aux arrivants à partir.

Aleth ouvrit la bouche pour protester, mais Maève lui fit signe de la suivre dans les couloirs, ne voulant visiblement pas déranger davantage. Martial lança un regard à Alisa, un sourcil haussé. Son regard vira en ma direction et je compris qu'il n'avait pas cru mon excuse de chute. Il savait que quelque chose ne tournait pas rond. Mais le Guerrier n'ajouta rien avant de sortir de la pièce, refermant la porte derrière lui.

Quelques minutes passèrent avant que l'un d'entre nous décide de prendre la parole.

- C'était quoi ce bordel ? finit par lâcher Hell. Qu'est-ce qu'il s'est passé au juste ?

Son regard allait de moi à Alisa, comme si nous étions en mesure de lui fournir une réponse.

- Je n'en ai aucune idée. Ce genre de truc est déjà arrivée une fois dans le château de la reine, mais je n'ai aucune explication face à un tel phénomène, répondis-je.

Alisa contempla sa main bandée, le regard perdu.

- Qu'est-ce que... Je... que s'est-il passé ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

- Tu ne te souviens pas ? s'étonna Hell.

La Banshee secoua vivement la tête.

- C'est comme un trou noir, marmonna-t-elle en contemplant les débris.

*

Après avoir remis tout en ordre, on se regroupa tous pour manger. Assise sur un petit fauteuil, je ne cessais de remuer le contenu de mon bol, n'ayant pas vraiment envie de gouter à ce coumalga qui m'avait explosé en pleine face. Avec une grimace, je finis par prendre un morceau. Je compris aussitôt pourquoi Hell avait parlé d'une ressemblance avec les courgettes. Le goût avait des similitudes.

Martial fut le premier à finir son repas. Voyant qu'il lorgnait sur les autres assiettes, Rose lui refila la sienne dans un rire, prétextant qu'elle n'avait pas très faim. Hell était le seul à ne pas manger. Je me doutais qu'il mangeait seul, après nous. Le Faucheur ne voulait simplement pas enlever son foulard et dévoiler une partie de son visage. Hell se contentait d'être présent, appuyé contre un mur, nous observant. Il finit par prendre la parole.

- Je suis allé ce matin en ville, nous apprit-il. On m'a parlé de deux nouvelles attaques des Furies de l'Ombre. Enfin... ceux que vous appelez les Darknils.

Tous les fugitifs se figèrent à cette information.

- Où ? demanda Aleth, les mains tremblantes.

- Dans le village Peinturiale et celui de l'Orient. Comme la première fois, il y a eu de nombreux morts et de nombreux disparus. La population est effrayée.

- C'est la merde, marmonna Sanjana en reposant son bol, l'appétit désormais coupé.

- C'est étrange, commenta Hell, on dirait qu'ils ne choisissent pas les villages au hasard.

Je me mis à rire.

- Le contraire serait plutôt étonnant, remarquai-je. Samaël est du genre à tout calculer dans les moindres détails.

- Samaël ? répéta Hell. Qui est-ce ?

Sanjana et Maève s'étaient figées, surprises que je sorte le nom de ce traitre avec autant de facilité face à autant de monde. Mais je ne l'avais pas sortie par inadvertance, sans but derrière la tête.

- Leur meneur.

- Tu connais leur leader ? s'étonna le Faucheur.

Je me contentai d'un acquiescement.

- Qu'est-ce qui te fait dire que les villages ne sont pas choisis au hasard ? lui demandai-je. Tu as remarqué quelque chose ?

Ma question creusa un petit silence. Hell soupira, la tête baissée.

- Si tu regardais le royaume sur une carte et que tu reliais les villages attaqués à l'aide d'un compas, tu verrais un début de cercle. Il y a un ordre dans les villages à attaquer et je ne sais pas pourquoi, mais le point positif, c'est qu'on peut deviner le prochain village touché.

- Alors trouvons le, lâcha aussitôt Aleth, nous pourrions prévenir le village avant que les Furies de l'Ombre ne débarquent. On pourrait sauver les villageois !

- Nous on ne peut pas grand-chose, la contredit Cassius. On se montre, qu'importe que ce soit pour sauver des vies, on se verra attrapé pour être enfermé dans le château de la reine.

- On trouvera un moyen, se buta sa sœur. Il nous faut une carte, nous devons comprendre quel village sera le prochain.

- Je le sais déjà, l'informa Hell, j'ai déjà fait le rapprochement. Il s'agit du village Mystique. Cependant, nous savons quel village sera touché, mais pas dans combien de temps. Il peut très bien être déjà rasé en ce moment même ou subir l'attaque que dans un mois.

- Le village Mystique ? répéta Sanjana qui s'était figée.

Ses yeux s'étaient écarquillés.

- Oui, confirma Hell. Il y a un problème ?

- C'est là où se sont réfugiés les autres ! s'étrangla Sanjana. Kairos, Adam... Il faut qu'on aille les prévenir !

Tous se redressèrent aussitôt.

- Attends, l'arrêta Hell, je croyais que vous ignorez où ils se trouvaient actuellement ?

- C'est le cas pour la majorité d'entre nous, acquiesça Sanjana, mais moi et Maève étions avec eux avant de rejoindre Eudora. On sait où ils se terrent et si c'est vraiment ce village qui est ciblé, ils sont en danger ! Nous devons les rejoindre au plus vite !

- Ils se cachent dans un village ? m'étonnai-je. Je croyais que tu avais parlé de grotte.

Sanjana tira une grimace.

- Le village Mystique est un village un peu particulier. Il est empli de cachettes, de passages secrets... Beaucoup de maisons là-bas sont des grottes et parmi elles, beaucoup sont abandonnées. Ce n'est peut-être pas la meilleure cachette possible, mais nous n'avions que celle-là. Lorsque nous y étions, nous faisions fréquemment des tours de garde dans l'éventualité où un villageois, ou pire, un cavalier, venait à nous dénicher.

- On a déjà manqué nous dénicher à plusieurs reprises, ajouta Maève d'une petite voix timide. Je pense que les villageois se doutent qu'une partie d'entre nous se cachent dans le village sans vraiment savoir où les trouver.

- Raison de plus pour les retrouver ! s'exclama Aleth. Ils sont exposés au danger, on ne peut pas les laisser là-bas ! Nous ne sommes peut-être plus les Clandestins que nous avions formé au début, mais nous restons avant tout un groupe. On ne peut pas les laisser tomber.

- Je suis d'accord, il faut s'y rendre au plus tôt avant qu'il ne soit trop tard, la soutint Alisa.

- Et comment on s'y rend ? lui demanda Cassius. A pied, c'est bien trop long.

- Je peux nous trouver des pégases, proposa Hell. L'éleveur du village me doit un service, je suis sûr qu'il acceptera de m'en passer.

- C'est vraiment tout petit chez toi, constata Sanjana, on va littéralement se marcher dessus. Faudra penser à une nouvelle planque à l'avenir.

- Vous pouvez me dire qui sont les Darknils ? demanda Hell, ignorant Sanjana. Je veux bien vous aider, mais rester dans le flou n'est pas vraiment sympathique. Comment ça se fait que vous semblez en savoir autant ?

Je serrai les poings tandis que certains regards se posèrent sur moi.

- Tu devrais poser la question directement à Eudora, commenta Aleth, elle semble en savoir bien plus qu'elle ne le laisse paraître.

Je la foudroyai du regard.

- C'est assez personnel, intervint Sanjana. Force pas la main.

Je serrai les dents. Oui, c'était assez personnel et oui, je détestais en parler. Mais quelque chose avait changé. Je ne voulais plus me méfier de tous les anciens Clandestins, sans cesse. Je ne leur faisais pas tous confiance, mais j'avais déjà tellement d'ennemis sur le dos qu'il était stupide de les laisser dans l'ignorance, à combattre un danger dont ils ignoraient tout. Surtout qu'ils étaient désormais sous les feux des projecteurs. Ils m'avaient trop longtemps côtoyé. Les Darknils les voulaient. Ils avaient demandé à la reine Zara de leur apporter les captifs qu'elle avait fait, parce que désormais, les anciens Clandestins les intéressaient tout autant que je les intéressais.

- Les Darknils, qu'on a surnommé les Furies de l'Ombre, sont une menace existant depuis toujours, commençai-je. Samaël en est le leader, mais c'est...

- Attends, s'effara Sanjana, tu vas tout déballer ? Tu te sens prête à tout raconter ? s'étrangla-t-elle. Parce que pour ma part, je ne suis pas prête à dévoiler ce genre de chose à tous.

- Tu crois que j'en ai réellement envie ? m'exaspérai-je. Mais les Darknils ont demandé à Zara par le passé de leur livrer les captifs qu'elle avait fait. Ils ne veulent pas seulement nous retrouver nous deux, mais tous ceux qui nous côtoie. Ils sont en danger, ils doivent savoir. Et crois-moi, je ne m'en réjouis pas.

- En danger ? répéta Martial. Comment ça, les Darknils veulent nous attraper ?

- Si on vous avait laissé entre les mains de Zara, elle vous aurait livré à eux, leur expliquai-je.

- C'est un sort pire que la mort, ajouta Sanjana.

- Comment ça se fait que vous semblez si bien vous y connaître ? demanda Aleth en plissant les yeux.

- Samaël, leur leader, faisait en quelque sorte partie de notre famille, avouai-je enfin. C'était l'un des meilleurs amis de mes parents.

Un silence pesant s'installa. Je profitai de cet hébétement pour poursuivre mes explications.

- Evilash ne veut pas réduire ce royaume en cendres et tuer tout le monde, elle veut débusquer les Darknils et mettre fin à leur règne une bonne fois pour toute. Même si des innocents doivent en pâtir pour qu'elle parvienne à ses fins. Et c'est aussi ce que je veux. Je veux leur mort !

- Tu... bafouilla Cassius. Mais... Qu'est-ce que ce Samaël a fait pour que vous vouliez sa mort ? Tu viens de dire que vous le considériez comme un membre de votre famille.

- Il a joué avec nous, m'irritai-je. Ce n'était qu'un double jeu. Il n'a jamais été sincère. Lorsque j'avais sept ans, il a tué mes parents et mon frère sous mes yeux, de la pire des manières. Il a mis le feu à ma maison, croyant que j'allais brûler vive.

Cassius déglutit à mes propos.

- Mais... pourquoi ?

- D'après la reine Zara, pour une simple race, expliquai-je avec amertume. Mais je pense qu'il y a autre chose. Il ne peut pas avoir attendu sept ans pour nous tuer à cause de nos origines... Si tout ne se résumait qu'à nos yeux, il nous aurait tué depuis bien longtemps.

- C'est... fou, lâcha Martial, à court de mots.

Je haussai les épaules, me redressant.

- On devrait peut-être se préparer à partir pour retrouver les autres, annonçai-je, voulant changer de sujet.

- Je croyais que toi, tu ne voulais plus te mêler à nous à cause de ce que pouvait voir Evilash, fit remarquer Sanjana, voulant comprendre ce qui avait retiré ma réticence.

- Si Evilash voulait vraiment espionner à travers moi, elle ne m'aurait jamais révélé pouvoir voir et entendre mes faits et gestes. Je pense aussi qu'elle est bien trop occupée avec les Darknils qui viennent de sortir au grand jour pour se préoccuper de nous. Puis, les autres sont en danger. On ne peut pas se disperser.

J'avais l'impression de répéter les propos que m'avait sorti Kalidas. Mais il avait raison. Evilash avait toujours voulu m'éloigner de tout le monde. Si elle voulait espionner quelqu'un, elle savait se débrouiller sans moi sans aucun problème.

- Je vais nous dénicher des pégases, lâcha Hell en se décollant du mur pour rejoindre l'extérieur.

- Tu as des armes ? lui demanda Martial.

Hell s'immobilisa.

- Hormis des couteaux de cuisine et les armes que vous aviez sur vous à votre arrivée, je n'ai rien, avoua-t-il. Faudra s'en passer.

- Ce n'est pas dérangeant si je pille ta cuisine pour dénicher tous tes couteaux ? le questionna le Guerrier. Je préfère qu'on soit un minimum armé. On ne sait jamais quelle mauvaise rencontre on peut faire.

- Fait comme chez toi, l'autorisa Hell.

- Fait attention, il ne risque pas de piller que tes armes, s'amusa Rose, quand il y a de la nourriture sous ses yeux, Martial ne sait pas résister.

Martial poussa un cri de protestation tandis que Rose se mit à rire. Toutes les personnes présentes dans la pièce étaient désormais debout, prêtes à s'activer pour partir de ces lieux. Je devais camoufler un certain sentiment de nervosité. J'allais revoir Kalidas. Cette pensée s'était immiscée dans mon esprit et ne me quittait plus.

Maève chancela brusquement, se massant les tempes. Surprise, Aleth poussa un couinement et la rattrapa pour la stabiliser. Mon cœur venait de rater un battement. Maève venait de pâlir, les yeux brillants de douleur. Chancelante, elle tenait debout uniquement grâce à l'appui que lui offrait Aleth. Elle se mit à tousser.

- Qu'est-ce que tu as ? s'inquiéta l'Obscuras aux cheveux rouge sang. Tu ne te sens pas bien ?

Maève ne répondit pas, prise d'une quinte de toux. Son état semblait empirer. Je ne savais pas quoi faire pour l'aider. Elle manqua s'écrouler et Alisa dut venir en aide à Aleth pour la maintenir debout. Ensemble, elles aidèrent Maève à s'assoir. Lâchant Maève, Alisa s'immobilisa et ses yeux s'écarquillèrent d'effroi.

Elle recula de plusieurs pas, ne détachant son regard de la Terrienne. Mon cœur se serra lorsque je compris ce qui lui prenait. Alisa pouvait sentir la mort planer et je n'eus aucun doute sur le fait qu'elle venait de sentir le sort de Maève.

- Tu es malade ? demanda-t-elle d'une voix hésitante.

Aleth fronça les sourcils en regardant la Terrienne à son côté avant de porter son attention sur Alisa. La réaction de la Banshee l'interpella aussitôt.

- Ne me dit pas qu'elle va mourir ! s'affola-t-elle.

Un petit silence suivis le cri de l'Obscuras. Ce ne fut pas Alisa qui lui répondit, mais Maève ;

- Si... marmonna-t-elle, mais peu importe, on a d'autres choses plus importantes à penser actuellement.

- Plus importante ? s'étrangla Aleth. Mais...

- On ne peut rien y faire et je me suis déjà faite à cette idée, l'interrompit Maève. Les autres sont plus importants. Il faut qu'on aille les rejoindre.

- On ? répétai-je. Tu ne viens pas, il en est hors de question.

- Quoi ? protesta Maève. Et pourquoi ?

- Tu n'as aucun pouvoir et en plus, tu n'es pas en forme. Ce serait insensé de t'emmener.

- Tu veux que je reste là à attendre votre retour ? s'injuria-t-elle. Comme la dernière fois ? Pour que l'abri explose, que vous ne reveniez pas tous et que j'apprenne la mort d'un du groupe ?

- Ce genre de truc n'arrivera pas, raillai-je, on va simplement les chercher, pas lancer une offensive contre qui que ce soit.

- Si on part simplement les chercher, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas venir.

Je soufflai bruyamment, montrant ouvertement mon agacement. Depuis quand Maève me tenait-elle tête avec autant d'assurance ?

- On ne va pas la mettre de côté, intervint Aleth, prenant sa défense. Elle fait partie de notre groupe. Puis, seule ici, qui te dis qu'il ne peut pas lui arriver quelque chose ?

- Toi, je ne t'ai rien demandé, m'agaçai-je. Mêle-toi de ce qui te regarde.

- Eudora ! s'offusqua Maève.

- Je vais aider Martial à rapporter des armes, me défilai-je.

Sans attendre une seconde, je partis en direction de la cuisine. Aleth me suivit, animant ma fureur.

- Maève n'est pas une petite chose fragile ! me lança l'Obsucras alors que je m'arrêtais devant la porte de la cuisine.

Je me tournai lentement vers Aleth.

- Je peux savoir de quoi tu te mêles ? m'irritai-je. Pourquoi tu prends sa défense ? Tu ne la connais même pas !

- Je la connais peut-être depuis peu, mais crois-le ou non, j'apprécie beaucoup ton amie. Elle est bien plus forte qu'elle ne le laisse paraître.

- C'est pour cette raison que tu as décidé de passer tout ton temps avec elle dernièrement ? Pour venir me contredire par la suite et prétendre que tu la connais mieux que moi ?

Aleth aborda un air ahuri.

- Quoi ? Mais pas du tout ! Je ne côtoie pas les gens par intérêt, moi. Si je passe du temps avec elle, c'est parce que j'en ai envie. Tu passais bien ton temps avec Cassius pendant un période, toi.

- Donc tu veux simplement me renvoyer la pareille ? me butai-je. Tu n'as toujours pas avalé le fait que Cassius m'apprécie ?

- Mais qu'est-ce que tu peux être bornée ! s'énerva Aleth qui s'était empourprée. Je te l'ai dit, je côtoie Maève parce que je l'apprécie ! Dès l'instant où elle est arrivée dans ce monde, quelque chose m'a attirée chez elle ! Elle est douce, profondément gentille et compréhensive, mais aussi forte et capable de supporter n'importe quoi. J'aime sa loyauté à toutes épreuves.

Je me figeai.

- Attends... ne me dit pas que tu es amoureuse d'elle ! m'effarai-je. Tu la connais à peine !

Aleth était désormais rouge comme une pivoine.

- Tu crois peut-être que ce genre de chose se choisit ? En ayant des sentiments pour elle, je transgresse toutes les lois de ma race. Je suis censée avoir des sentiments que pour Ronan. Mais la réalité, c'est que je ne l'aime pas, même pas un peu. J'aime les filles, ce qui est inconcevable pour quelqu'un de ma race. Mais en plus, voilà que j'en pince pour une fille d'une autre planète. Une fille qui, visiblement, est mourante.

L'Obscuras aux cheveux rouge sang avait désormais les larmes aux yeux, les lèvres tremblantes. Je ne savais désormais plus quoi dire. Je m'attendais tout, sauf à cet aveu.

- Pour son bien, reste loin d'elle.

Sur ces mots, je partis du couloir laissant Aleth seule.

***

NDA : Hey me voilà avec un peu de retard x) j'ai oublié de poster dimanche... Et je me suis dit que du coup autant attendre aujourd'hui pour le poster et en profiter pour souhaiter un JOYEUX ANNIVERSAIRE À Emmachier-dessus !!!! 💙💙💙

Voilà voilà x) j'espère que ce chapitre vous a plus ! Il fait 5555 mots, avouez, c'est trop stylé !

- Quelqu'un parle à travers Alisa ! Une idée de ce qu'il se passe ?

- Les anciens Clandestins vont enfin se regrouper, hâte ? Vous sentez que tout va bien se passer ? 🙄

- Aleth qui aime Maève, vous validez ? 🙄

Voilà voilà on se dit à ce weekend pour la suite (si je n'ai pas de retard xD)

Kissy kissy 💙

#Nakijo.

PS : Je sais pas si c'est Wattpad qui bug ou moi, mais j'ai un problème avec les notifications xD je reçois que la moitié.

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