1. Détruite.

Le chaos avait laissé place à un autre chaos bien plus grand.

Des ruines. C'était tout ce qui restait des lieux. Des ruines, du sang, des tripes. Ce qui était autrefois un village n'était désormais plus que ruines sanglantes et brûlantes. Les derniers rescapés étaient transis d'horreur et de peur.

J'étais à genoux, à terre, pliée en deux. La rage et la douleur me scindaient le corps. J'étais prise de hoquets, le visage déformé par le désespoir. Je ne pouvais plus regarder le monde autour de moi. J'en étais incapable. Je me sentais trop démunie. Trop faible. Trop emplie de rage. J'étais tellement brisée que j'avais peur de redresser la tête et de tout faire exploser une seconde fois. J'étais brisée. Encore une fois. Samaël voulait me briser. Une seconde fois.

Il y avait des années, il avait enlevé tous ceux qui comptaient pour moi, jusqu'à ce que j'en vienne à refuser de m'attacher. Et maintenant que je reconstruisais mon monde, que je m'autorisais à aimer de nouveau, il voulait une seconde fois tout détruire.

Ronan hurlait de douleur, le corps sans vie d'Alisa entre les bras. Son cri me transperçait tout le corps. Son cri empli de désespoir. Son cri empli d'une douleur profonde. D'un déchirement atroce.

La douleur d'une perte était la blessure la plus effroyable. Celle qui ne cicatrisait jamais.

Alisa était morte.

Cette phrase tournait en boucle dans mon esprit, rendant mon monde flou, tacheté de point noir. J'allais sombrer. J'avais sombré.

Mon cœur se déchira en deux sous la douleur et une vague de cendres s'échappa de mes mains contre ma volonté, rongeant les cadavres non loin de moi, m'alimentant de leur énergie pour éteindre cette douleur atroce qui m'enserrait la poitrine. Mais rien ne pouvait guérir la douleur d'une perte.

Ma vue se brouilla. Mon monde fut coloré de tache noire. Je me sentis tomber, mon crâne rencontrant la terre encore chaude. Du sang caressa ma joue. L'odeur des tripes me fouetta le nez, me rappelant ce que j'avais fait.

- Eudora ? m'appela doucement une voix.

Je fermai les yeux, refusant de voir tout ce sang, tout ce chaos, toute cette douleur.

- Eudora ?

Je me forçai à rouvrir les yeux à l'entente de cette voix insistante. Cette voix familière. Cette voix emplie d'inquiétude, de tristesse. Mes yeux rencontrèrent ceux de Martial. Ses yeux vert foncé étaient teintés de peine et de tracas. Il se faisait de soucie pour moi. Malgré ce que j'avais fait. Malgré que l'un des siens venait de périr à cause de mon ennemi.

Je suis aussi l'un des siens.

Cette réalité venant me frapper la figure me mis les larmes aux yeux.

Il est l'un des miens.

Je serrai les poings de douleur. Les miens finissaient toujours par mourir. Je ne le supportais plus.

Je fermai une nouvelle fois les yeux, voulant tout effacer. Tout recommencer. Mais j'avais beau fermer les yeux, je revoyais sans cesse la lave frapper Alisa. Alisa mourant. Son corps s'échouant contre le sol. L'odeur de chair brûlé. La sensation de vide. La symbiose se coupant net. Le sentiment atroce de perdre une nouvelle fois quelqu'un. Cette sensation qu'on m'arrachait les entrailles à mains nues.

Des larmes s'invitèrent sous mes paupières closes. J'étais perdue. J'avais l'impression de tout perdre une nouvelle fois. J'avais besoin de me raccrocher à quelque chose. Mais sans cesse, mes piliers s'effondraient.

- Eudora ?

Je rouvris les yeux, me rappelant de la présence de Martial se tenant juste à mon côté. Je n'étais pas seule. Je n'étais plus seule.

Tremblante, j'agrippai sa main, le cœur tellement lourd que j'avais l'impression qu'il allait exploser. Martial serra ma main dans la sienne, d'un geste se voulant rassurant.

- Ne me laisse pas, je t'en prie, articulai-je faiblement.

J'avais l'impression de naviguer dans un royaume trouble. Le vide rongeait mon corps. J'allais devenir folle. J'allais perdre toute ma lucidité. J'en avais marre de souffrir en continu depuis des années, tellement marre que j'allais finir par disjoncter.

- S'il-te-plait ne pars pas, murmurai-je d'une petite voix, ne me laisse pas, toi aussi. J'en peux plus de perdre sans cesse ceux que j'aime.

- Eudora...

- Promet le moi, insistai-je, désespérée. Promets-moi que tu ne m'abandonneras pas. Je ne veux plus perdre personne.

Ma carapace avait volé en éclat. Je me sentais faible. Vulnérable. Des larmes inondaient mes joues sans que je ne fasse rien pour les retenir.

- Ne m'abandonne pas comme tous les autres, s'il-te-plait. Je ne veux plus être seule. Je ne veux plus souffrir.

- Je serai toujours là pour toi.

Ces mots firent jaillir de nouvelles larmes. Martial avait lui aussi les yeux humides. Il semblait à bout. Prêt à craquer.

Les événements n'avaient été tendres pour personne.

Je me mis lentement sur les coudes, le regard levé vers le ciel. Le soleil se levait lentement dans l'horizon. L'affreuse nuit d'horreur était derrière nous, ne laissant dans son sillon qu'une atroce réalité. J'avais mal. Je ne supportais plus toute cette douleur.

Des larmes finirent par rouler sur les joues du Guerrier d'habitude si plein de vie. C'était insupportable. Ce fut à mon tour de serrer sa main dans la mienne dans un geste rassurant. La rage ne m'avait pas quitté, elle sommeillait dans mes entrailles, prête à se déverser. Mais la douleur était trop grande actuellement pour pouvoir concocter le moindre plan de vengeance.

Tout ce que je voulais, c'était de fermer les yeux et oublier. Oublier cette douleur qui m'éreintait la cage thoracique. Oublier les cris de Ronan qui refusait de voir sa sœur partir. Oublier cette réalité infernale qui ne cessait de m'enlever mes proches un à un.

Ma tête était lourde, ma vision trouble, mon esprit embrumé. Je serrai la main de Martial avec force, me raccrochant à lui pour ne pas me perdre dans les tourments, pour rester connecter à la réalité, pour ne pas perdre pied. Le Guerrier me la serrait en retour, comme ayant besoin du même accroche.

Tout se passa ensuite comme dans un étrange rêve. Je vécu la réalité, telle une automate dépourvue de pensée. Je me laissai aller, dans un état second. On rentra tous en direction du volcan, sous un silence de plomb. Ronan portait le corps inerte de sa sœur. Hell se tenait en retrait. Même sous cet amas d'habits qui empêchait de voir ses expressions, son dos vouté et son envie de s'isoler témoignaient de la douleur qui le rongeait. Piper, lui, ne nous avait pas suivis. Il était resté auprès des villageois ayant survécu au massacre.

Je ne prêtai même pas attention au chemin. J'étais déconnectée du monde. Le vide me rongeait les organes. J'avais envie de m'effondrer ou peut-être de tout envoyer valser. J'avais des sentiments contradictoires qui se déchaînaient en moi. Des sentiments en vrac. Des sentiments en dépotoir. J'avais envie de me laisser sombrer, couler, laisser aller à la tristesse et tout oublier. J'avais envie de hurler, de tout casser. J'avais des envies de meurtre. Je voulais retrouver Samaël et lui faire payer. Il pensait que j'étais incapable de le tuer ? Les choses venaient de changer de manière radicale. J'étais prête à tuer n'importe qui pour protéger le peu de proche qui me restait. Je ne voulais plus perdre personne.

Il avait voulu me briser, me faire perdre pied une nouvelle fois ?

Il avait voulu me provoquer, m'anéantir ?

Il m'avait tellement brisé qu'il venait de créer un monstre.

Je sentais en moi une colère sourde grandir, ayant soif de revanche.

Il allait mourir pour que plus jamais l'un des miens n'y perde la vie.

J'allais le tuer, lentement. J'allais le tuer, salement. J'allais le tuer, tel un animal. J'allais mettre fin à ses jours de la pire des manières. Il ne s'en tirerait pas ainsi. Jamais. J'allais être son plus grand obstacle. J'allais être son pire cauchemar.

Et tant pis si une deuxième Evilash devait pleinement voir le jour. Tant pis si je devais me confronter au royaume entier. J'étais prête. Prête à tout pour l'anéantir.

Un feu ravageur se déversait en moi. Le sang pulsait dans mes tympans au son d'un tambour de guerre.

Le vide et la tristesse laissèrent place à une haine sans pareille, à une rage incontrôlable. Je bouillonnais de détermination. Il était hors de question que j'attende passivement. Il était hors de question que je me tourne les pouces. Il était hors de question qu'il vive une année de plus. Je le voulais mort.

On arriva au volcan. Je marchais tel un robot, n'ayant plus qu'une idée en tête, prendre les armes. Un brouhaha éclata dans mes oreilles alors qu'on arrivait au cœur du volcan. Quand les anciens Clandestins virent le corps sans vie d'Alisa, le brouhaha s'intensifia. Je ne cherchais même pas à comprendre ce qu'il se passait sous mon nez. L'atmosphère déchirante de tristesse me fouettait à travers un voile hermétique. J'avais assez donné côté douleur, il était temps d'agir. Je voulais faire couler le sang. Son sang.

Pour me soulager.

Pour panser mes plaies béantes.

Parce qu'il était hors de question que le meurtrier de ma famille, le meurtrier d'Alisa, continue de sévir.

- Eudora ! s'étonna Sanjana en m'apercevant.

Les yeux ronds, elle me détaillait des pieds à la tête. Au vu des événements, le fait que mon physique ait changé du tout au tout m'était complétement sorti de l'esprit. Le pire, c'est que désormais, je m'en fichais. Tant pis si mon physique actuel était celui de ma vraie nature. J'avais d'autre chat à fouetter.

Sans faire attention à l'effervescence autour de moi, je me dirigeai vers un mur d'armes et m'emparai de plusieurs poignards, d'un sabre, d'une lance.

- Eudora, qu'est-ce que tu fais ? s'alerta aussitôt Kairos.

Je l'ignorai royalement, m'armant jusqu'au cou. Kairos me saisit le poignet, m'empêchant d'attacher un autre poignard à ma ceinture. Je me débattis, les yeux incendiés.

- Qu'est-ce que tu comptes faire au juste ? me demanda-t-il, plus inquiet qu'autre chose.

- Je vais le tuer, répondis-je d'une voix blanche.

Je repoussai Kairos, attachant les dernières armes à ma ceinture. Je fis volteface, prête à trouver Samaël et à le vider de son sang.

- Eudy ! m'interpela Kairos.

Je continuai d'avancer, ignorant les appels, ignorant Sanjana qui s'était élancée à ma suite. La Sirène m'agrippa l'épaule, refusant de me laisser partir.

- Tu n'es pas lucide E., lâcha-t-elle. Il faut que tu prennes du recul. Tu ne peux pas te lancer comme ça, après lui. C'est suicidaire.

- Je vais tuer Samaël ! m'écriai-je en faisant un mouvement brusque pour sortir de sa prise.

Je voulus partir d'un pas déterminé, mais voyant que je n'entendrais pas raison, Sanjana me retint par la taille et me maintint contre elle pour m'éviter de partir. J'eus beau me débattre, la Sirène avait une force étonnante.

- Je ne te laisserai pas mourir bêtement, me souffla-t-elle.

- Lâche-moi, San ! m'emportai-je. Je vais le tuer ! Je vais le tuer pour tout ce qu'il a fait ! Je veux le voir mort ! J'en peux plus, San. Je ne supporte plus de voir tout le monde mourir par sa faute ! Je vais le tuer !

Des cendres jaillissaient involontairement de mes mains au rythme de mes humeurs, mais je n'en avais que faire. Tout ce que je voulais, c'était tuer ce monstre pour écraser cette affreuse douleur qui me comprimait les organes.

- Je sais que tu souffres Eudora, je sais que tu veux que tout s'arrête, que tout soit derrière nous. Je le veux autant que toi. Mais partir maintenant, avec un tel état d'esprit, ne te sera d'aucun recours. Tu n'es pas assez lucide. Tu vas te faire tuer et tu n'auras rien réglé du tout. Tu auras juste permis à Samaël de faire une nouvelle victime.

Ses mots résonnèrent en moi comme une affreuse vérité. Elle avait raison. Et c'était insupportable. Je le voulais mort. J'avais besoin qu'il meure. Parce qu'il m'avait détruite. Parce qu'il ne cessait de me détruire. Parce qu'il avait détruit mes proches.

Je me laissai lentement tomber contre le sol, les larmes dévalant mes joues, et je poussai un cri de rage. 

***

NDA : Hey, me voilà avec le premier chapitre de la partie 2 ! J'espère qu'il vous a plus.

- L'état mental d'Eudora, vous en pensez quoi ?

- Cette partie 2 s'annonce comment d'après vous ?

Oui, je n'ai pas d'autre question x)
On se dit à la semaine prochaine ou peut-être celle suivante pour un nouveau chapitre ! (La semaine prochaine je ne suis pas chez moi, donc je ne suis pas sûre d'avoir le temps/l'occasion de poster la suite)

Kissy kissy 💙

#Nakijo.

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