0. Astéria.
Je me débattais, un sac de toile sur la tête, le souffle court. J'étais incapable de me défendre. Le poison qui parcourait mes veines était encore présent, me rendant trop faible. Il se dissipait, mais trop lentement. Bientôt, j'allais retrouver mes pouvoirs. Bientôt je serai en mesure de me sortir de ce guêpier. Mais il sera trop tard.
On devait se trouver prêt d'une cascade, le bruit de l'eau inondait les lieux. La Cascade de Vie ? Qu'est-ce que je faisais ici ? On m'attrapa violemment les poignets et mon dos heurta un piquet.
- Qu'est-ce que vous faîtes ? m'écriai-je pour la énième fois. On peut discuter, en parler, mais hottez-moi ce sac de la tête !
Encore une fois, je n'eus le droit qu'à un coup de poing comme réponse. Une corde se noua autour de mes poignets, de mes chevilles. On m'attachait au piquet.
- Qui êtes-vous ? hurlai-je. Qu'est-ce qu'il vous prend ?
Tout ce que je savais, c'est qu'un ravisseur avait réussi à entrer dans mon château pendant mon sommeil, sans que les gardes, ni qui que ce soit d'autre, ne l'aperçoive. Ce ravisseur m'avait empoisonné pendant mon sommeil pour me rendre vulnérable avant de me traîner jusqu'ici. Les bruits alentours m'apprirent qu'il avait de nombreux complices.
Ces inconnus me voulaient du mal, mais n'avaient même pas pris la peine de se justifier. Je savais que j'avais beaucoup d'ennemis dans le royaume, que certains voyaient d'un mauvais œil mes pouvoirs et mon titre de Déesse, et visiblement, ces ennemis de l'ombre avaient décidé de me le faire payer.
On me retira le sac de toile de la tête. J'eus un hoquet de surprise.
Non.
Il ne s'agissait pas d'inconnus.
- Non, pas toi aussi, me lamentai-je en découvrant l'Animalis face à moi.
La jeune Obscuras, l'être que je chérissais le plus au monde, ma compagne, agita vivement ses pattes d'araignée accrochaient à son dos, le regard venimeux. Cette expression ne lui ressemblait pas. Je ne l'avais jamais vu ainsi.
- C'est toi qui m'as empoisonnée et emmenée hors du château, réalisai-je, c'est pour cette raison qu'il vous a été si simple de m'enlever.
L'araignée entortilla ses longs cheveux bouclés autour de ses doigts, si fermement qu'elle s'en coupa la circulation sanguine. Ses yeux bleus extrêmement clair étaient emplis de colère.
- Ton ère est fini, grinça-t-elle, il est temps que la grande Astéria rende son dernier soupir.
Mon cœur se brisa.
L'être que j'aimais le plus au monde me haïssait.
- Pourquoi ? demandai-je, désespérée.
Pourquoi l'être qui partageait ma vie avait tant de rancœur à mon égard ? Au point de m'enlever et de mettre ma vie en jeu.
- Pourquoi ? s'étrangla-t-elle. Pourquoi ? Parce que ce que tu fais est injuste ! Tu te crois tellement au-dessus des autres que tu décides de choisir qui doit être immortel et qui ne doit pas l'être ? Et tu crois qu'on va accepter une chose pareille ?
L'Animalis grinça des dents.
- Tu prétends être venue pour rendre le monde meilleur, mais tu ne t'intéresses qu'à ceux attirants ton regard ! Tu changes des Trivials en Sang Royaux, tu donnes l'immortalité à tes favoris et tu laisses les autres sur la touche.
Je la contemplai avec incompréhension.
- Je pensais que tu comprenais, m'étonnai-je. Toutes les races ont autant d'importance à mes yeux, il n'y en a pas une inférieure à une autre. Mais je ne peux pas m'occuper du cas de tout le monde, j'ai beau avoir de grands pouvoirs, je suis trop faible pour ce genre de choses. Je choisis ceux qui ont les capacités de rendre le monde meilleur, ceux qui sont les clefs d'un avenir paisible. Parce que c'est tout ce dont je souhaite.
- Tais-toi ! hurla l'Animalis. Garde tes justifications à deux balles pour ceux trop bêtes pour te croire.
Je ne la reconnaissais pas. Celle que j'aimais me semblait être à cet instant précis, une parfaite inconnue.
- Tu ne fais que créer un fossé entre les races ! reprit l'Animalis. Tu te prends pour qui au juste ? Parce que tu as eu le pouvoir de la bénédiction, tu t'es prise pour Dieu ? Et tu as jugé qu'il était de ton devoir de choisir qui devait vivre ou mourir ? Mais d'après qui ? Ton jugement est loin d'être la vérité absolue, mais tu ne prends même pas la peine de voir les choses sous un autre angle !
L'araignée serra les poings, le regard furibond.
- Tu prétends aimer le peuple, mais tu es incapable d'amour.
J'eus les larmes aux yeux.
- Tu te trompes, murmurai-je.
J'avais envie de lui crier qu'elle faisait fausse route. J'avais envie de lui crier que ce monde était de ce que j'avais de plus précieux. J'avais envie de lui crier que je l'aimais de toute mon âme. Mais je n'en avais pas la force. Je me sentais vide. Faible. Vulnérable.
- Tu prétends m'aimer, mais tu mens, reprit l'Animalis. Tu préfères rendre immortel de parfaits inconnus, alors que je te prie chaque jour de m'offrir cette faveur. Tu prétends m'aimer, mais tu es prête à me laisser mourir et me voir définitivement disparaître !
Un trou béant se forma dans mon cœur. Je n'avais jamais voulu lui faire du tort. Si je ne la rendais pas immortelle, c'est parce que je me refusais à faire de privilégier. Je donnais l'immortalité selon une logique. Le donner par affect me discréditerait. Je déclarais ne faire aucun chouchoutage, vouloir être juste les uns envers les autres. Je ne pouvais pas me permettre de faire croire, à tort, au peuple que ce n'était que des paroles en l'air.
- J'ai cru que me rapprocher de toi me permettrait d'acquérir la vie éternelle, mais tu es tellement égoïste que tu préfères garder tout pour toi. Tu ne fais que manipuler ton petit monde, à ta guise.
Tout mon corps se figea à ces propos.
- Te rapprocher de moi ? répétai-je, espérant avoir mal interpréter ses propos.
L'Animalis se mit à rire.
- Qu'est-ce que tu croyais au juste ? Que j'étais auprès de toi pour tes beaux yeux ? Je voulais l'immortalité, mais tu me l'as refusé ! Malgré tous mes efforts pour me faire aimer ! Mais sache, ma chère Astéria, que je ne t'aime pas, moi. Comment le pourrais-je ? Tu me répugnes.
Mon cœur venait de se faire écraser. En miette. Mon cœur n'était plus que bouillie et charpie.
- Depuis tout ce temps, tu ne faisais que jouer la comédie ? réussi-je à articuler, blessée, brisée.
- Crois-moi, ce n'était pas facile tous les jours.
Mon monde s'écroulait.
- C'est dur de jouer l'amoureuse transit, grommela-t-elle, surtout auprès de toi et de tes projets plus abjects les uns que les autres. Tu changes le monde selon ton bon désir, sans jamais nous demander si nous, c'est ce que nous souhaitons comme avenir. Tu façonnes un futur à ton image, sans te soucier de l'avis du peuple, et tu prétends par la suite le faire pour lui. Mais tu ne lui laisses même pas donner son avis sur le sujet ! s'époumona-t-elle.
Je clignai des yeux, ne réalisant pas que ce regard haineux était dirigé contre moi. Ces mots étaient semblables à d'affreux couteaux qui s'enfonçaient dans mes organes.
C'est vrai, je n'avais jamais demandé au peuple quel avenir il souhaitait vraiment. J'étais tellement sûre de bien faire, tellement sûre que cet avenir conviendrait à tous, que je n'y avais même pas pensé. J'avais fait une terrible erreur, sans même m'en apercevoir. Elle avait raison là-dessus. Mais comment voulait-elle que je m'en aperçoive, que je me remette en question, si personne ne me faisait remarquer mes erreurs ? Elle me condamnait pour des fautes involontaires, sans me laisser l'opportunité de les régler ? J'avais toujours voulu bien faire, rendre ce monde sauf et paisible. Jamais je n'avais voulu blesser qui que ce soit.
Grâce à moi, la famine n'existait plus, les maladies non plus. J'avais œuvré pour l'équité et la paix, mais je n'avais pas réussi dans tous les domaines. On me condamnait pour ce que je n'avais pas su faire, sans même me laisser une tentative de me racheter.
Et la sentence venait de la bouche de l'être que j'avais le plus aimé dans ma vie.
- Tu es peut-être immortelle, me souffla l'Animalis, mais tu ne vivras plus sur ces terres. Tu seras considérée comme morte ! Tu es venue par le feu, tu repartiras par le feu.
Un Lumias se trouvant non loin de l'Animalis lui passa une torche enflammée. Ils allaient me brûler vive.
La culpabilité laissa place à un goût d'injustice.
Oui, j'avais fait des erreurs, c'est vrai. Mais je ne méritais pas de me faire assassiner pour autant. J'avais toujours voulu œuvrer pour le bien, pour le bonheur de chaque être, sans jamais rien attendre en retour. Personne n'était parfait, j'avais fait des erreurs, j'avais blessé des personnes, mais je ne l'avais jamais voulu. J'avais aussi fait beaucoup de bien autour de moi, mais les bonnes actions semblaient avoir été oubliées et effacées, remplacées par mes erreurs. On ne retenait que le négatif.
Et on voulait me faire passer pour le monstre.
L'être que j'avais tant aimé s'approcha pour m'embraser vivante. Le poison m'empêchait toujours d'user de mes plus grands pouvoirs et de ma race de Phénix, mais mes dons individuels semblaient se réveiller petit à petit. Mais il était bientôt trop tard.
La colère et le désespoir prirent la place sur toutes mes émotions. Je ne voulais pas mourir. Pas de cette manière. Mes yeux s'arrêtèrent sur la Lumias qui allait m'ôter la vie. Celle que j'avais aimé et qui me privait désormais de tout. La colère et la rancune remplaça l'affection que je lui portais. Je me sentais trahie, salie.
Ce monde ne voulait pas de ce que je lui avais offert, très bien, j'allais leur enlever tout ce que j'avais fait. Ils n'auraient désormais que l'opposé de ce que j'avais créé. Un monde sombre et inégaux.
J'avais le pouvoir de la bénédiction et de la malédiction, et pour la première fois de mon existence, j'allais utiliser celui de la malédiction. Parce que la rancune avait remplacé toute lucidité.
Si je devais mourir pour avoir créé un monde utopique, il n'y aurait désormais qu'un monde chaotique.
- Par ma volonté, je maudis ces contrées. L'éclat de Luméatium donnera vie à Obscuratium. Les Lumias deviendront Obscuras. Le malheur s'abattra, dévastateur, vous rongera. Seul la lutte et l'entraide pourront écraser les ténèbres.
Mes paroles raisonnèrent alors que la torche tombait à mes pieds, embrasant les ballots de pailles sous moi. La chaleur me déchira la peau. Le crépitement du feu ne put couvrir les cris horrifiés des anciens Lumias.
Ils n'avaient jamais rien fait pour embellir leur royaume. J'étais apparue et avais décidé de m'en charger, sans qu'ils n'aient jamais cessé de se tourner les pouces, et ils se permettaient encore de montrer leur mécontentement ! Désormais, seule une lutte acharnée pourrait les sauver des ténèbres pour les amener vers la paix.
Mon regard se posa sur l'Animalis. Je puisais dans mes dernières ressources de vie pour prononcer mes dernières malédictions.
- Par ma volonté, je maudis l'immortalité. Ceux se métamorphosant, resteront dans l'état d'entre-deux et seule les Phénix auront le pouvoir d'atteindre ces cieux. Par ma volonté, je maudis ces contrés. Une maladie sévira, la race d'Obscurium pourrira. Par ma volonté, je maudis l'araignée. Ceux de sa lignée, jamais ne pourront prospérer. A la naissance de triplé, tous les cinquante ans répétés, les parents se verraient mourir enflammés après avoir muté. Par ma volonté, je maudis ces contrés, que rien ne puisse changer tant que les ténèbres ne seront pas effacés.
***
NDA : Voilà donc le premier chapitre 0 de ce tome !
- Les raisons qui ont poussé les Lumias à brûler Astéria vous adhérez ?
- Ces histoires de malédictions vous en pensez quoi ?
Voilà voilà on se retrouve (bientôt j'espère) pour la partie 2 du tome 3 !
Kissy kissy 💙
#Nakijo.
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