30. Un ange gardien.
Une douce musique jouée au piano s'élevait dans l'air. Les notes s'enchaînaient avec grâce avant de me parvenir aux oreilles, étouffant le silence habituel des lieux. J'aimais particulièrement la mélodie qui était en train de se jouer. C'était une composition typique d'Obscuratium. Un air emblématique qui avait traversé les temps. Un classique. Un chef d'œuvre. À mes yeux, le meilleur morceau qu'on ait un jour eu l'idée de composer.
Le piano était l'un des rares instruments dont la mélodie avait le don de me transporter. Habituellement, je préférais le silence, ou encore le son angoissant des tambours. J'aimais beaucoup les univers angoissants. À croire que le piano échappait à cette règle macabre.
L'explorateur qui avait eu l'idée de ramener cet instrument provenant de la Terre sur notre planète, avait eu la meilleure idée qu'on puisse avoir. Sans lui, mes journées auraient perdu de leur couleur.
Posant l'objet que j'avais entre les mains, j'ôtai ma cape avant de l'accrocher au porte-manteau en forme de corne de licorne entremêlée et me dirigeai vers la source de cet agréable son. La jeune fille qui faisait voler ses doigts d'un blanc aussi pâle que la neige sur les touches du clavier s'arrêta brutalement de jouer en me sentant arriver. Elle se tourna vers moi, un magnifique sourire illuminant son visage.
- Tu es rentrée ! se réjouit-elle, je ne t'attendais pas de sitôt.
Je ne pus m'empêcher de lui sourire. Restant silencieuse, je retirai mes gants gris et les posai sur un meuble sombre décorant la pièce.
- Tu n'es pas obligée de t'arrêter de jouer à ma venue, j'aime quand tu joues cette mélodie, lui fis-je remarquer.
La jeune fille lâcha un rire et rejeta ses longs cheveux blancs derrière son dos avant de reprendre son morceau de musique, pour mon plus grand plaisir. Ses yeux blancs s'arrêtèrent sur mon visage et elle fronça les sourcils.
- Quelque chose ne va pas ? me demanda-t-elle, ayant relevé mon expression faciale divergeant du quotidien.
- Un imprévu qui sera réglé d'ici peu, me contentai-je de répondre, ne te préoccupes pas de ça.
Me dirigeant vers le bar, je me servis un verre, le remplissant d'un liquide vert au reflet rougeoyant. Il s'agissait d'une boisson à base de plantes diverses dont j'appréciais particulièrement le goût. C'était une boisson assez répandue sur Obscuratium, souvent bu lors des banquets. Mais on ne se faisait jamais assez plaisir. Je n'avais pas envie d'attendre la prochaine fête pour pouvoir boire ma boisson favorite. Pourquoi se priver des bonnes choses ?
- Quel genre d'imprévu ? demanda tout de même la jeune fille en continuant de jouer de son instrument. Te voir soucieuse me préoccupe forcément. Tes problèmes sont miens.
Je soupirai avant de me tourner vers elle.
- Je t'ai déjà assez impliqué dans mes histoires, ne va pas t'inquiéter inutilement, tout est en mon contrôle.
- Tu auras beau dire, je ne cesserai de m'inquiéter. Tu es ma famille, les problèmes nous les surmonterons ensemble et je veux t'apporter mon aide, s'entêta-t-elle, cessant de jouer pour se tourner vers moi.
Je sentis la colère m'envelopper. Je refusais qu'elle prenne des risques pour moi. Frappant violemment le bar de mon poing, je m'avançai en sa direction.
- J'ai dit que cela ne te regardait pas, est-ce clair ? lançai-je d'une voix aigre. Je ne veux pas que tu t'impliques encore plus dans tout ça, c'est trop dangereux et j'en assumerais seule les conséquences. Je préférerais que tu te tiennes en retrait, que tu vives enfin pour toi.
Malgré ma colère, mon interlocutrice ne se démonta pas. Croisant ses bras contre sa poitrine, elle me regarda en haussant un sourcil.
- Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose. Tu m'as prise sous ton aile, et depuis, tu as toujours veillé à ma sécurité alors il serait peut-être temps que tu te laisses à ton tour une chance d'être secondé. Tu ne peux pas tout accomplir seule, je te l'ai déjà dit. Personne ne peut avancer seule et isolée de tous et tu as toi aussi besoin d'un soutien.
- J'ai très bien su me débrouiller jusqu'ici, répliquai-je, la colère persistante. Et je t'ai déjà bien trop impliqué dans mes projets.
- Bien trop peu, oui. J'aimerais t'aider davantage. T'épauler. Te secourir comme tu as su me secourir autrefois.
- Ange, je te répète que je ne veux pas que tu te mêles de ça, m'agaçai-je, tu sais très bien que tout finira par dégénérer. Je ne veux pas que tu sois impliquée lorsque les choses tourneront mal.
- Et tu crois sincèrement que je vais te laisser seule face à ce qui arrive ? Je sais bien que c'est ton choix de provoquer ce chaos, mais si les répercussions venaient à te toucher, je ne pourrais pas rester ici, les bras croisés. Et si tout dérapait hors de ton contrôle ? Et si tu venais à être attrapée et tuée ? s'inquiéta-t-elle, atténuant ma colère à son égard. Je détestais voir ses yeux s'embuer de peur. Elle était mon plus gros point faible.
- On ne m'appelle pas Evilash pour rien, la rassurai-je. Si les villageois m'ont attribué ce nom, ce n'est pas simplement pour faire joli. Ils ne m'arrêteront pas aussi facilement.
- Et Eudora ? Elle ne risque pas de compromettre la suite des événements ?
- L'ancienne reine a fait une erreur en décidant de mettre leurs derniers espoirs en elle. Elle est bien trop instable, trop tourmentée pour leur être d'une quelconque utilité. Je sais comment utiliser ses failles contre elle et lorsque le moment sera venu, Eudora ne sera plus un problème pour nous, mais pour eux.
Ange resta silencieuse, visiblement dubitative. Je la connaissais assez pour savoir qu'au fond, elle était morte de peur. Même si elle ne le montrait pas.
- Pourtant, je ne pense pas me tromper en pensant qu'elle fait partie de tes imprévus, se buta-t-elle.
- Faisait. Je m'acclimate facilement à l'adversité, lui rappelai-je en buvant une gorgée de ma boisson.
- Je veux bien le croire, mais tu n'as pas oublié à qui la reine Junon a fait appel avant d'amener Eudora dans notre monde ? S'il a raison, il y a de quoi être sur nos gardes.
- La reine Junon est morte, c'est une chose que ce vieux fou n'avait pas prévu. Sa mort a tout compliqué de leur côté, c'est une aubaine pour nous. Pour le moment, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, bien au contraire.
Pourtant, Ange ne parut pas plus rassurée pour autant. Elle fit vivement passer ses doigts sur les touches du clavier avant de se lever de son tabouret et de se diriger lentement vers moi. Elle planta ses yeux aux iris blancs comme neige dans les miens, ne se laissant pas troubler par la nuance de couleur si particulière de mes iris. Se mordillant la lèvre d'un air songeur, elle fit lentement passer ses doigts sur ma veste cendrée, remontant la main jusqu'au niveau du coude. Détaillant dans un premier temps le médaillon en or que j'avais accroché à ma veste, elle finit par faire remonter son regard vers mon visage, tirant une grimace qui eut le don de faire apparaître deux magnifiques fossettes sur ses joues aussi pâles et délicates que des flocons de neige.
- J'ai peur, avoua-t-elle enfin, plus les choses avancent et plus j'ai peur qu'ils finissent par comprendre. Par saisir le sens des événements.
- Ils n'ont jamais été aussi loin de la vérité, la rassurai-je.
- C'est faux. Bien qu'ils n'en aient pas conscience, ils ne se sont jamais autant rapprochés de la vérité.
J'éclatai de rire, comprenant ce à quoi elle faisait allusion.
- Ils sont incapables de comprendre quoique ce soit, on pourrait leur étaler les morceaux de puzzle sous les yeux que jamais ils ne feront le lien.
- Ne sois pas si sûr de toi, ta confiance risquerait de te perdre.
Je soufflai bruyamment, commençant sérieusement à m'agacer. Je n'aimais pas quand elle doutait de moi. Je savais pourtant au fond, que c'était principalement de l'inquiétude à mon égard, mais j'aurais voulu par-dessus tout qu'elle efface tous ces sentiments. Je ne voulais pas qu'elle se sente concernée par ce qu'il arrivait. Je voulais la tenir à l'écart de tout ça. La protéger.
Si j'étais le corbeau, elle, avait toujours été la colombe. Je n'étais que le reflet d'un mauvais présage, une ombre inconnue qui semait la destruction à chaque pas, mais elle, mon ange, avait été ma colombe. Lumineuse, douce, elle m'avait éclairé et avait réussi à amener une touche de paix dans mon corps tempétueux, parsemé de vengeance et de rage, comme des flammes me dévorant les entrailles. Sa seule présence suffisait à faire taire toutes ces vagues enflammées qui se bousculaient au fond de moi. Elle était mon havre de paix.
- Je possède des atouts que tous ignorent encore, que tu ne connais même pas, alors cesse de t'inquiéter, tentai-je une nouvelle fois avant de me détourner, voulant mettre fin à la conversation.
Mais Ange n'en avait pas décidé ainsi, elle m'attrapa le bras alors que je m'éclipsai dans la pièce voisine. C'était bien l'une des seules personnes à pouvoir me toucher, m'approcher d'aussi prêt et me parler aussi aisément sans en subir les conséquences.
- Je pourrais être un atout, si tu acceptais que je prenne part à ton combat, s'entêta-t-elle.
- Je ne veux pas que tu t'impliques dans mes histoires, tu as suffisamment souffert par le passé.
- Et je souffre encore plus de te voir combattre seule pour ta cause, maudite de tous, s'écria-t-elle subitement. Si seulement ils pouvaient te voir à travers mes yeux, si seulement ils pouvaient te connaître aussi bien que moi je te connais ; jamais ils ne pourraient éprouver la moindre haine à ton égard.
Je lâchai un faible rire, sentant une multitude de frissons me parcourir la peau.
- Tu m'idéalises un peu trop mon ange.
- Laisse-moi t'aider, me supplia-t-elle.
Je n'osai pas me retourner. Je ne pouvais pas lui faire face. Rencontrer son visage. Ses yeux si saisissants. Ses traits si délicats. Sa peur si suffocante. Son angoisse si perçante. Je ne le supporterais pas.
- Mon pouvoir me suffit à moi seule pour mes projets, me contentai-je de répondre.
- Et pourtant, mon pouvoir peut-être aussi redoutable que le tien, insista-t-elle.
Ange était peut-être bien aussi têtue que moi, cela m'exaspérait. Je ne voulais pas céder. Je ne voulais pas qu'elle s'embarque là-dedans. Elle n'avait pas conscience des conséquences. De ce que cela impliquait. Je ne voulais pas qu'elle perde de son éclat, de ce qui lui restait de lumineux. Et l'embarquer dans ce chaos et ce carnage risquait de l'éteindre. D'éteindre cette flamme que je chérissais tant. Et cela m'était inconcevable. Je savais ce que c'était que de perdre toute lueur au fond de soi, et je ne voulais pas que ça lui arrive. Elle était bien trop précieuse pour ça.
Et je lui en avais déjà tellement demandé.
Il fallait qu'elle comprenne. Il fallait qu'elle saisisse l'ampleur de ce qu'elle risquait. Lentement, je me tournai vers elle, lui faisant face. Je ne pus me résoudre à la regarder droit dans les yeux, il m'était bien trop difficile de soutenir son regard. Elle risquait de faire fondre mes solides barrières. Elle était la seule capable de cueillir ce qu'il y avait de plus vulnérable en moi. Et je doutais qu'elle soit au courant d'un tel fait.
- Tu veux m'aider ? Me soutenir ? commençai-je, mais réalises-tu au moins ce que tout cela implique ? Tu penses sérieusement être assez forte pour encaisser tout ce que tu risques de devoir faire ? Tu devras accomplir des actes qui vont contre ta morale et ta philosophie, des actes qui te changeront à tout jamais. Tu risques de te perdre en plus de risquer ta vie. Et c'est quelque chose que je me refuse à voir arriver. Je poussai un soupir, me forçant désormais à la regarder droit dans les yeux. Me seconder viendrait à commettre l'irréparable. A semer la souffrance, la mort, le désespoir... Crois-tu vraiment être capable de tuer et semer le chaos autour de toi sans te briser et voler en éclats ? Tu n'es pas comme moi, Ange, tu es beaucoup plus sensible au monde qui t'entoure. Tuer quelqu'un te réduirait en miette. Contrairement à moi, ce n'est pas une chose que tu peux encaisser. Je pris une légère pause avant de reprendre ; je n'en ai que faire de faire souffrir d'autre être vivant, j'ai un but, un objectif et ils ne sont que des dommages collatéraux. J'ai énormément de sang sur les mains et pourtant, je n'ai jamais goûté à la culpabilité. Si tu pouvais sentir le feu ardent qui me parcourt les veines quand mes cendres brûlent la chair, quand les cris fendent l'air, tu me regarderais comme le monstre que je suis. Un monstre que je ne renie pas. Que j'assume entièrement. Et dont je suis fière. Ce monde, ces horreurs, c'est mon univers, pas le tiens.
Ange baissa la tête, laissant ses longs cheveux blancs camoufler son visage. Le silence s'infiltra dans la pièce, dévorant les secondes, enchaînant les minutes. Puis, Ange m'attrapa la main. Je fis un geste brusque pour me déloger de sa prise, mais elle resserra sa main dans la mienne. Lentement, elle releva la tête, m'examinant minutieusement, dans les moindres recoins.
- Tu noircis le tableau, se contenta-t-elle de répondre.
J'éclatai de rire. C'est tout ce qu'elle avait trouvé à dire ?
- Tu sais bien que non.
- Tu ne prends pas en compte le contexte qui t'a mené à de tels évènements, s'entêta-t-elle. Tu veux me préserver du monde, pour ne plus que je souffre de nouveau, comme jadis. Mais pourtant, je sais avoir beaucoup moins souffert que toi. Et même si ton but semble sombre et immoral, je sais très bien que l'enjeu est bien plus profond que ça.
- Ange, tu n'as pas idée de ce qu'il se passe dans ma tête, la contredis-je.
- Le peu que je sais, me mène droit à ton côté. Je veux t'aider à parvenir à ton but. Cela fait cinq ans, cinq maudites années. Il faut que tu arrêtes de refuser tout aide qui s'offre à toi, que tu la saisisses. Tu as assez attendu comme ça. Et je n'en peux plus de te voir attendre sans que jamais ton répit arrive. Je n'en peux plus de cette situation. Et je ne veux plus me cacher. Je ne veux plus que tu me préserves. Tu crois vraiment pouvoir m'épargner toutes douleurs indéfiniment ? Je ne peux pas rester enfermée ici pour l'éternité comme une princesse dans sa tour d'ivoire. Un jour, il faudra de nouveau que je me confronte au monde et alors, tout recommencera. Comme un engrenage. Une roue interminable. Je veux casser cette roue en sortant dès maintenant de mon mutisme, en sortant de l'ombre. Ensemble. Je veux faire pencher la balance en ta faveur. Pour ton répit. Mais aussi pour le mien.
Je tentai de refouler tous ces sentiments qui venaient me frapper. Je me refusais à l'écouter, à pouvoir pencher en faveur de ses propos. Le monde extérieur ne l'avait jamais épargné, je ne pouvais pas la laisser affronter de nouveau la dureté de la vie. Je ne voulais pas qu'il lui arrive quelque chose. Mais pourtant, au fond de moi, je savais que son aide pouvait m'être très précieuse.
- Supposons un instant que j'accepte que tu me secondes, as-tu au moins conscience des risques que tu encours ? insistai-je. Tu ne seras pas une menace aussi insaisissable que moi et s'il t'arrive quelque chose... Ce sera la fin de tout... dis-je, ayant du mal à lui avouer que sans elle, je ne voyais pas comment je pourrais trouver la force de continuer. Sans elle, je savais que je partirais droit à la dérive. Perdue pour l'éternité. Sans elle, j'étais pleinement consciente que j'exploserais, emportant tout ce foutu royaume dans ma perte.
- Peut-être n'as-tu pas vu tous les angles de l'opportunité qui s'offre à toi, souffla-t-elle, semblant avoir une idée derrière la tête. Je fronçai les sourcils, attentive à la proposition qu'elle comptait me faire part. J'ai un plan que tu ne sembles pas avoir envisagé, avoua-t-elle. Une option que tu n'as même pas pris la peine de t'y intéresser et pourtant, je pense qu'ainsi, tout pourrait s'accélérer. Je sais comment mettre fin à tout.
***
NDA : Hey, je suis dans les temps pour ce nouveau chapitre assez spéciale :3 car ce n'est pas sous le point de vue d'Eudora ! Surpris ?
Et du coup vous en avez pensé quoi de ce chapitre particulier ? Vous avez aimé découvrir un autre point de vu ? Ou bien vous préfèrez rester dans le pdv habituel ?
- C'est un point de vu Evilash ! Comment avez-vous vécus son pdv ?
- Evilash n'est pas seule, il y a Ange. Que pensez-vous de leur relation ?
- Vous avez une idée de ce qui motive Evilash dans ses plans ? Et quelle est l'idée d'Ange ? La suite de l'histoire, vous la sentez comment ?
Je crois que je vais arrêter avec mes questions, ça va en faire beaucoup sinon x) on se retrouve la semaine prochaine pour un retour au point de vu d'Eudora !
Ah et aussi, on se rapproche de la fin du tome 1 😱 (y aura un deuxième tomes) après ce chapitre il doit rester environs dix chapitres avant la fin !...
Kissy kissy ❤️
#Nakijo.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top