14. Les yeux de l'oubli.

J'enfilai la veste à capuche que m'avait passé Kalidas. La capuche camouflait également mes yeux. Le Rôdeur avait tout prévu pour préserver mon identité.

Le voleur me conduisit vers une licorne ailée. Il m'avait informé un peu plus tôt que nous voyagerons au dos de cette bête pour aller rencontrer Cécilien. Cécilien était le nom que portait l'homme possédant le pouvoir que je recherchais. C'était déjà un prénom plus courant que Kalidas ou Circé, cela faisait du bien.

Kalidas m'aida à monter sur l'animal et donna l'ordre de s'envoler. 

Je ne lançai même pas un seul regard au vide s'étendant sous moi. Je n'avais désormais plus qu'une idée en tête, percer à jour Evilash pour pouvoir trouver un moyen d'épargner ma vie. Je n'aimais pas avoir un ennemi dont je ne connaissais rien, j'avais l'impression qu'il avait le dessus sur moi, or, habituellement, c'était plutôt le contraire.

Mais pouvais-je réellement parler d'ennemi ? J'avais beau essayer, je n'arrivais pas à la voir comme telle. Comment aurais-je pu ? Je ne connaissais pas son visage, je ne l'avais jamais rencontré officiellement et elle n'avait jamais rien fait à mon encontre. J'avais du mal à la considérer ainsi. Mes ennemis, je les comptais sur une seule main. Cette pensée me fit voir noir. Je voyais déjà leurs visages flotter autour de moi. Ils n'avaient jamais eu ce qu'ils méritaient... Jamais. Je n'en avais jamais eu l'occasion. J'avais préféré oublier. Oublier leurs existences. Oublier ce qu'ils avaient fait. Oublier ce que je n'avais pas fait. Et maintenant, des inconnus me désignaient Evilash comme mon ennemie et je devais courir pour l'affaiblir et mettre fin à tout ça... L'ordre des choses m'avait complètement échappée.

Mais pouvais-je arrêter ce que j'étais en train de faire ? Et qu'est-ce que je ferais ensuite ? J'étais coincée dans ce monde sans réel plan. Je n'avais d'autre choix que d'en apprendre plus sur Evilash. De m'informer. Je ne pouvais pas rester dans la brume plus longtemps alors qu'on m'avait impliqué dans toutes ces histoires. Mais ils le paieraient. Tous. Je ne ferais aucune exception.

Ils m'avaient privé de tout. Bien plus que ce qu'ils pouvaient s'imaginer. Il n'était pas question que de routine et de quotidien stable, il n'était pas question de sécurité, ni même encore de proches laissés derrière, ils m'avaient privé de bien plus que ça. De tellement, que jamais je ne pourrais le pardonner à personne. J'avais essayé de refouler ce sentiment de haine et de rancœur qui se nourrissait à l'intérieur de moi, mais là, assise sur l'animal, n'ayant rien d'autre que mes pensées pour m'occuper, tout venait me frapper en pleine face. J'allais percer à jour, ou du moins essayer, Evilash. Parce que je n'avais pas le choix. Je voulais survivre. Mais une fois que j'aurais une meilleure connaissance de ce qui m'arrivait, une fois que j'aurais réglé tous ces problèmes qui me collaient à la peau, j'allais devoir faire payer. Les faire regretter d'avoir choisi, comme tant d'autres autrefois, la route que prendrait mon destin. Et par la même occasion, j'allais réparer un petit oubli. J'allais accomplir ce que je n'avais pas su faire autrefois. J'allais effacer toutes traces de regret.

Mais je devais faire les choses dans l'ordre.

Pour le moment, je devais m'occuper d'Evilash. Si j'y parvenais, car ça ne semblait pas être chose aisée, je passerais à l'étape suivante.

Et je continuerais tant que je n'aurais pas atteint mes objectifs. Je continuerais jusqu'à ce que je puisse retourner dans mon quotidien, sans tous ces sentiments néfastes pour venir gâcher mes journées.

- On y est, me prévint Kalidas, me sortant de mes pensées. La licorne ailée se posa doucement au sol et je n'attendis pas une minute avant de sauter de son dos, retrouvant la terre ferme.

Je tirai sur le haut de ma capuche afin de camoufler mes yeux. Kalidas descendit à son tour et un détaille me sauta aux yeux.

- Tu as récupéré ta veste à écailles, remarquai-je.

- Elle m'appartient, pourquoi ne l'aurais-je pas fait ? Je haussai les épaules.

- Fais ce que tu veux, je n'en ai rien à faire, lâchai-je, frustrée qu'il ait retrouvé son habit alors que je l'avais caché sous mon matelas. La prochaine fois, je ferais mieux de ne pas douter de ces compétences en matière de recherche d'objet volé. Après tout, il semblait être un maître dans ce domaine. Kalidas me lança un regard, semblant se retenir de rire. Il avait plutôt intérêt à retrouver le contrôle, car j'étais prête à lui enfoncer mon poing dans son nez à l'entente du moindre gloussement. J'avais horreur que l'on se paye ma tête, ajouté au fait que je n'aimais pas perdre la face, les deux combinés donnaient une humeur bien massacrante. Et chez moi, massacrante pouvait se changer en violence.

- Tu viens, me lança le Rôdeur qui s'avançait déjà vers une falaise. Un passage s'offrait à nous et semblait nous mener dans une clairière. Était-ce là, la maison de Cécilien ? On allait vite le découvrir.

Kalidas s'arrêta pour m'attendre et me fit signe de rester près de lui. Je fronçai les sourcils, interloquée par son comportement. Il était sur ses gardes. Mais pourquoi ?

On arriva dans la clairière et je compris aussitôt le comportement étrange du voleur. Nous n'avions pas atterri dans une maison d'un prénommé Cécilien, non. On semblait être au milieu d'un bidonville typique d'Obscuratium.

- Mais où m'as-tu emmené ? demandai-je avec méfiance, me demandant s'il ne m'avait pas guidé dans un piège. Après tout, je ne le connaissais pas vraiment, je ne pouvais pas lui faire confiance. De toute façon, je ne faisais confiance en personne.

- Tu voulais voir Cécilien, il est ici. Il ne manque plus qu'à le trouver, m'apprit Kalidas en faisant une grimace en croisant l'un des habitants des lieux. Si on pouvait qualifier les choses ainsi. Je sentis la stupeur m'agripper la gorge. À quoi tout cela rimait-il ?

Les lieux n'étaient que ruines, déchets et puanteur. Il y avait une surpopulation effarante. Les êtres, qu'on ne pouvait même pas qualifier d'humain, se marchaient les uns sur les autres pour pouvoir trouver de la place où se tenir. Des cadavres jonchaient le sol et pourrissaient sur place, des vers leurs sortaient même de la peau.

Cet endroit était dix fois pire que l'image que je mettais faite de l'enfer. À côté, l'enfer que je m'étais imaginé était le plus doux des paradis.

Dans ma tête, là-bas, on brûlait vif dans les flammes et le soufre pour le reste de l'éternité. Mais maintenant que je voyais ce lieu, là, sous mes yeux, je me demandais si l'enfer ce n'était pas plutôt ça.

Une déshumanisation. Un être, qui ne ressemblait plus à rien, voué à la misère et l'horreur. Ils souffraient autant physiquement que mentalement. Se traînant au sol comme des larves, ouvrant la bouche dans des cris muets comme de vulgaires carpes. Ils n'avaient plus aucune identité. Ils étaient tous semblable. D'une allure à faire peur même au guerrier le plus téméraire.

Ils avaient la peau nue et d'un blanc cadavérique, ils étaient aussi maigres que des clous, semblant ne pas avoir pris de vrai repas depuis des siècles. Ils semblaient fragiles, mourants, malades... Leurs crânes, dépourvus du moindre cheveu laissaient voir les veines ressortir. Mais le pire dans tout ça, c'était leurs yeux. Grands, écarquillés, blancs. Entièrement blanc. Il n'y avait aucune pupille, aucun iris. Rien d'autre que le blanc de l'œil. Comme si le vide s'ouvrait à eux. Comme si leur regard témoignait l'absence de l'âme. Comme si leurs yeux n'étaient plus que l'oubli d'une ancienne vie, avant la décomposition de l'âme elle-même. Ils avaient des yeux de l'oubli.

Ces personnes étaient mortes. On aurait dit des coquilles vides, souffrant comme ce n'était pas permis, mais à la fois morte.

- Qu'est-ce que c'est que ces choses ? demandai-je avec dégoût.

- Des Obscuriums. Autrefois, des Obscuras. Je fronçai les sourcils.

- Autrefois ? Tu veux dire qu'avant, ces monstres-là, ressemblaient à des personnes comme toi ? Mais comment ont-ils fini ainsi ?

- Personne ne le sait, avoua Kalidas alors que je clignai les yeux d'effarement. Ils étaient des Obscuras de tout ce qu'il y avait de plus normale. Certains étaient des Animalis, d'autres des Fées, d'autres encore des Rôdeurs ou même des Sirènes... Puis, du jour au lendemain, ils ont commencé à muter, jusqu'à devenir ce qu'ils sont aujourd'hui. Certains prétendent qu'il s'agirait d'une maladie non-contagieuse qui nous aurait frappé, d'autres que c'est l'œuvre d'une malédiction... Mais en réalité, personne n'a de vraies explications sur ce qui a bien pu se passer. Mais d'autres Obscuras sont encore frappés par ce fléau, sans qu'on ne puisse rien y faire.

- Pourquoi m'avoir amené ici ? l'interrogeai-je.

- Tu voulais trouver Cécilien, il est parmi eux. J'ai entendu son histoire. Du jour au lendemain, Cécilien s'est vu se transformer en Obscurium. Quand tu deviens l'un d'entre eux, tu perds ta race et tes pouvoirs en même temps que la couleur de tes iris. Puis, tu perds la faculté de communiquer et tu finis par vivre comme un vulgaire parasite démuni de la moindre pensée.

- Pourquoi ne pas me l'avoir dit directement au lieu de me faire perdre mon temps à me conduire ici ? m'agaçai-je. Kalidas passa une main dans sa chevelure d'un noir sans fond avant de me regarder avec ses yeux rouges, typique de la race des Rôdeurs.

- Je pensais qu'il était préférable que tu le vois de tes propres yeux. Que tu comprennes dans quel monde tu as atterri. Je suis heureux que tu te décides enfin à bouger pour contrer Evilash, même si c'est seule et dans ton unique intérêt, mais tu ne peux pas le faire comme ça de ton côté. Tu ne connais rien de ce monde et toutes les pistes abordables pour pouvoir mettre la main sur l'identité d'Evilash ont été supprimées. Intentionnellement ou non. Tu as besoin de nous pour régler cette affaire et que ça te plaise ou non, de la Garde Royale. Tu n'iras nulle part ainsi. Il n'y a que des impasses. Evilash n'a aucune identité, il faudra faire confiance à la Garde Royale pour trouver comment l'arrêter.

- Je ne me reposerais jamais sur la Garde Royale, lâchai-je d'un ton brusque. Si aucun indice ne mène à découvrir l'identité et le passé d'Evilash, autant aller lui demander en face. Kalidas ouvrit grands les yeux de stupeurs.

- Tu as perdu la tête ! s'écria-t-il. Ce serait du suicide. Je soupirai bruyamment.

- Où pourrais-je trouver Evilash ? le questionnai-je en ignorant sa remarque. Bien sûr, je n'avais pas l'intention d'aller la voir la bouche en coeur, des chocolats dans les bras. Je voulais la trouver sans qu'elle ne me voie et ainsi, pouvoir espionner ses habitudes à ma guise. Je savais bien que c'était plus difficile à accomplir qu'à penser, mais il fallait au moins que je me pose sur cette éventualité.

- On ne trouve pas Evilash, c'est elle qui vient à nous, m'apprit alors Kalidas, détruisant tous mes plans. J'avais l'impression de patauger, perdue, au milieu de l'océan, sans aucune solution pour rejoindre la terre. J'étais dans une impasse.

Un Obscurium voulu s'emparer de ma main, mais Kalidas souleva mon bras juste à temps. Il poussa l'être du pied pour le faire reculer loin de nous.

- Ne les laisse jamais s'emparer de tes mains, m'avertit-il.

- Pourquoi ? m'étonnai-je, me demandant s'ils ne risquaient pas de me refiler une maladie fatale.

- Ils ont peut-être perdu tous leurs pouvoirs, mais en se métamorphosant, ils sont capables de transmettre des visions en s'emparant de tes mains.

- Et ? C'est peut-être leur unique moyen de communiquer, fis-je remarquer. Quel genre de vision envoient-ils ?

- Justement, personne ne le sait. Ceux qui ont eu le droit à ces visions sont morts juste après ou sont entrés depuis dans une folie irréversible. Ne les laisse jamais te toucher à moins que tu ne veuilles courir à ta perte. J'ouvris de grands yeux avant de regarder les êtres épouvantables d'un air dégoûté. Visiblement, ils n'avaient rien pour eux.

Une idée vint subitement me frapper l'esprit. Et si leur vision était belle et bien leur seul moyen de communiquer ? Peut-être qu'ainsi, je pourrais trouver ce fameux Cécilien ? Mais le problème, c'est que leur touché était mortel dans la plupart des cas, et dans l'autre, ce n'était pas plus glorieux. Je ne pouvais pas prendre un tel risque.

- Nous ferions mieux d'y aller à présent, me lança Kalidas.

- Non, il faut que je trouve Cécilien, m'entêtai-je. Le Rôdeur m'envoya un regard empli d'incompréhension.

- Je te l'ai dit, c'est voué à l'échec. J'acquiesçai, plus pour le faire taire qu'autre chose. Je ne voulais pas repartir bredouille. Je n'avais plus aucun plan après celui-ci. Je ne voulais pas rester dans le flou. Mais je ne pouvais pas toucher tous les Obscuriums jusqu'à trouver Cécilien ! Même en toucher un était complètement suicidaire. Mais peut-être qu'il fallait simplement que je ne perde pas mon objectif de vu ?

J'avais déjà tout perdu et mes plans pour retrouver ma vie passée étaient voués à l'échec. Je n'avais plus grand chose à perdre... Mais je ne voulais pas mourir.  Inspirant profondément, je regardai autour de moi.

Il fallait que je le fasse. Aussi fou que ça semblait être, il fallait que je tente le coup.

J'étais peut-être tout simplement suicidaire, mais une voix dans ma tête me criait de le faire. Et je faisais confiance en mon instinct. Il m'avait toujours guidé sans faux pas.

Alors j'avançai vers les êtres qui n'avaient plus rien d'un être humain et tandis mes mains vers l'un d'eux. Kalidas me regarda avec stupeur et couru en ma direction.

- Non Eudora ! Mais qu'est-ce que tu fais ? hurla-t-il. Mais il ne fut pas assez rapide et les mains de l'être se refermèrent sur les miennes. La dernière chose que je vis fut les yeux vide de l'être face aux miens. Les yeux de l'oubli.

***

NDA : Hey et me revoilà avec le chapitre de la semaine !!

Un avis à partager ? X)

Sinon j'ai les petites questions habituelles :3 et une question spéciale à vous poser. Let's go !

- Cécilien, réduit à un tel état ? Vous l'auriez imaginé ? XD

- Un avis sur les Obscuriums ?

- La veste à écailles de Kalidas est retournée à son propriétaire légitime :'( triste ?

- La décision d'Eudora de toucher l'Obscurium, une phrase pour qualifier son acte ?

- Vous pensez qu'il va se passer quoi par la suite ?

/ Question spéciale maintenant ! /

J'ai une nouvelle covers pour Obscuras, je voulais vous la montrer avant de la mettre.

- Vous aimez ?

- Vous préférez celle actuelle ?

Merci pour ceux qui auront le courage de tout répondre et merci de me lire tout simplement.

Kissy kissy et à la semaine prochaine. ❤️

#Nakijo.

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