Chapitre 7
La ville de Rubis, construite aux abords d'un immense lac à l'eau rose pâle, s'étendait autour d'une vaste clairière à l'herbe bleue. La naine jaune aspergeait les grands bâtiments blancs de ses rayons, dans un ciel bleu parsemé de quelques nuages. Un vent frais s'engouffrait entre les passants, tandis que Clive et ses deux compagnons arpentaient une allée piétonne au brouhaha incessant. Tantôt, Rika avait insisté pour utiliser la voiture de sport volée, et non la jeep tout terrain. Répondant à son caprice, Clive l'avait laissé conduire jusqu'au grand parking, heureuse de pouvoir frimer à bord d'un bolide de course.
Autant dire que Clive ne passait pas le meilleur moment de sa vie. Les filles s'arrêtaient dans les magasins de vêtements les uns après les autres, pour ressortir avec des sacs pleins à craquer, de quoi remplir tous les placards de son vaisseau. Un dernier tour dans un supermarché et ils achetèrent de quoi manger pour la fin du voyage. Rika s'en donnait à cœur joie, prête à leur faire de la cuisine digne des grands chefs. Les mains pleines de sacs, ils n'eurent pas d'autres choix que de faire un allée retour jusqu'à la voiture pour déposer tous leurs achats dans le coffre.
Pour la suite, Clive les guida à travers les rues pour dénicher le magasin de membre cybernétique. Surprises, les deux jeunes femmes le regardèrent avec curiosité. Clive fit un signe de tête vers Éva, qui resta pantoise devant la vitrine qui dévoilait différents membres pour les amputés.
— Tu viens ? demanda Clive, alors qu'elle restait devant l'entrée.
— Mais... C'est hors de prix... murmura-t-elle.
Clive ricana.
— T'en fais pas. Lors de notre dernière mission, Rika et moi avons récolté pas mal d'argent.
Rika pouffa.
— Tu m'étonnes ! s'exclama-t-elle. Autant qu'il serve une cause juste.
Éva, les yeux en larme, suivit le mercenaire alors qu'il entrait dans la boutique. Ils furent reçus par une femme d'une quarantaine d'années, aux deux bras cybernétiques. Souriante, ses yeux se posèrent sur Éva et comprit, sans rien dire, qu'ils venaient pour elle.
— Bonjour, vous avez besoin d'information ? demanda-t-elle d'une voix calme et rassurante.
Clive poussa gentiment Éva à avancer en plaçant sa main dans son dos.
— Nous venons pour Éva, renseigna-t-il. Elle aurait besoin d'un nouveau bras et... d'arranger ça.
Clive se permit de soulever la manche de son tee-shirt pour dévoiler le travail horrible. La gérante grimaça.
— Effectivement... Cela peut se faire aujourd'hui si vous le voulez. Nous avons un créneau. Quel forfait voulez-vous ?
Sur un écran holographique, différentes formules proposaient des avantages en fonction du prix. Clive demanda le plus cher, afin que le bras s'accorde aux fonctions neuronales d'Éva, ce qui ferait de ce bras cybernétique un membre à part entière de son corps. C'était un peu plus complexe à mettre en place, mais cela lui faciliterait grandement la vie.
— T'es sûr ? demanda Éva. C'est cher...
Clive haussa les épaules.
— On a bien gagné notre vie récemment.
Il se tourna vers la gérante.
— Nous prenons la formule la plus chère. Combien de temps cela va prendre ?
Avec un large sourire au vu de sa vente, elle prit un air songeur.
— Le temps de refaire l'épaule puis d'installer le bras, les connexions et la programmation... Je pense que vous pouvez revenir demain matin. Ça vous convient ?
Éva ne savait pas quoi dire. Silencieuse, elle regardait Clive opiner du chef.
— Tant que sa vie s'en voit améliorée, prenez votre temps, déclara-t-il.
Éva allait pleurer. Les lèvres tremblantes et les yeux humides, elle ne pouvait décoller son regard d'émeraude du mercenaire. Clive posa la main sur son épaule valide et lui sourit.
— Merci... murmura-t-elle.
Il hocha la tête, puis quitta la boutique avec Rika. C'était avec l'esprit léger qu'il reprit la marche à travers l'allée piétonne. Sa bonne action soulageait son cœur meurtri, conscient que personne ne lui aurait offert un bras cybernétique à trois cent mille crédits. Au moins, qu'il l'abandonne sur Aion ou non, elle s'en sortirait bien mieux avec un membre valide et totalement opérationnel.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Rika.
Ils avaient une journée à attendre. Pour commencer, et au vu de l'heure, Clive s'arrêta dans un restaurant de burgers. Son estomac grondait avec le temps. En passant devant les nombreuses terrasses des restaurants, une myriade d'odeurs venait le faire saliver. Ils s'arrêtèrent dans un établissement dont le menu les attirait. Ils s'en mirent plein la panse avec les frittes de patates roses, et d'une bonne viande de Hyunk, l'animal ressemblant au bœuf qui vivait sur cette planète. Ils entamèrent ensuite une balade digestive près de la rivière. La naine jaune se reflétait dans l'eau rosée, ajoutant un ton absolument charmant à cette ville.
Quelques oiseaux virevoltaient entre les arbres, alors que Rika et Clive restaient silencieux en marchant côte à côte. Finalement, le mercenaire devait reconnaître que se promener en sa compagnie ne le dérangeait pas, mieux encore, il se sentait bien, apaisé. Loin de toute la violence des dernières missions, il profitait du calme et du charme de cette ville. Des péniches restaurants circulaient sur le fleuve, chacun offrant une musique douce pour ses convives.
Après quelques minutes de marche, Rika s'installa sur l'un des bancs qui bordaient la rive. Clive l'imita. Dans un coin, près d'un arbre, des enfants s'apprêtaient à jouer à cache-cache. Une jeune fille comptait en se cachant les yeux pendant que ses amis filaient aux quatre coins du terrain.
— Qu'est-ce qu'on fait en attendant demain ? demanda-t-elle.
C'était une bonne question. Clive n'avait pas prévu de patienter aussi longtemps. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas partagé une journée avec quelqu'un, encore moins avec une jeune femme qu'il trouvait aussi mystérieuse que jolie.
— J'ai une idée ! s'exclama-t-elle. Viens !
À peine levée, Rika lui agrippa le bras et le tira du banc. Il lui emboita le pas, et ils s'élancèrent de nouveau dans les rues piétonnes.
— Où est-ce que tu vas ? demanda Clive.
Mais Rika ricanait, sans lui répondre. Puis à force de dévaler l'allée, en évitant avec soin tous les passants, ils arrivèrent devant un magasin de musique.
— Qu'est-ce qu'on fait ici ? questionna le mercenaire.
Rika lui sourit.
— Je vais acheter un violon pour Éva !
— Un violon ? s'étonna Clive.
— Ben oui, elle en joue depuis toute petite. Avec son nouveau bras, elle va pouvoir en jouer. Ça lui tient beaucoup à cœur, tu sais ?
Clive resta pantois en observant Rika entrer dans la boutique. Tout à coup, il comprit qu'il ne les connaissait pas du tout. Non pas qu'elles faisaient tout pour cacher leur passé, mais parce qu'il ne s'intéressait pas à elles. Toujours à rester dans son coin, dans l'ombre, il repoussait toutes les personnes qui entraient dans sa vie.
Clive découvrit de nombreux instruments avec l'indémodable guitare électrique, les claviers, ou encore les violons. Rika chercha le plus beau. Avec l'argent de Karos, ils pouvaient lui offrir le haut de gamme. Elle en dénicha un d'un gris métallisé et brillant, dont l'archer prenait une forme de flèche d'un bleu azur. Sûre de son achat, Rika sortit du magasin, fière de sa trouvaille. Elle sautillait comme une enfant qui allait offrir le meilleur des cadeaux.
Clive se sentait un peu honteux. Il ne connaissait pas Éva et ne savait pas ce qu'il pouvait lui offrir pour lui faire plaisir. Mais c'en était de même pour Rika. Il n'avait pas pris le temps d'apprendre à les connaître alors qu'elles squattaient son vaisseau depuis quelques jours.
Les deux jeunes gens déambulèrent dans les rues alors que l'après-midi battait son plein. Ils leur restaient beaucoup de temps avant de rentrer dormir, mais pour l'instant, Clive n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait faire. S'il était seul, il serait déjà reparti en mission, mais là, Rika était avec lui. Elle n'avait pas l'air de s'ennuyer malgré tout, ses yeux d'ambre se posaient sur chaque bâtiment. Des panneaux publicitaires holographiques crachaient les dernières nouveautés en tout genre, tandis que des immeubles de trois étages se succédaient pour y proposer des appartements. Clive devait faire un effort. Se sociabiliser n'était plus dans ses habitudes, mais cela ne lui ferait pas de mal d'apprendre à la connaître.
— Dis, Rika, l'appela-t-il.
Elle s'arrêta pour lui faire face.
— Oui ? demanda-t-elle, étonnée de l'entendre l'appeler de cette faible voix.
— Qu'est-ce que tu aimerais faire ? Je veux dire... Tu as des passe-temps ?
Il avait eu tellement de mal à sortir cette question. Pourtant, voir qu'il s'intéressait à elle, Rika ne put contenir un large sourire et ses joues de rosirent.
— Tu ne vas peut-être pas me croire, mais j'adore jouer aux jeux vidéo ! déclara-t-elle.
— Vraiment ?
Il ne la voyait pas du tout avec une manette ou un casque de réalité virtuelle sur la tête.
— Eh si ! Attends, je crois que j'ai vu une salle d'arcade pas loin.
Avant même que Clive puisse émettre une objection, Rika l'entraîna dans une grande salle d'arcade. Des jeux vidéo à foison s'étendaient de tous les côtés. Les lumières à LED offraient une multitude de couleurs partout autour d'eux, tandis que des étagères dévoilaient les derniers objets de collections pour les fans. Les machines proposaient toutes sortes d'expériences immersives. Allant de bornes rétro avec des armes factices, au casque de réalité virtuelle. Rika le défia à un jeu de tir, et le mercenaire découvrit la précision de cette femme. Son score explosait tous les autres enregistrés, jusqu'à ce qu'elle batte le champion en titre. Clive avait dû mal à s'amuser à ce genre de jeu, alors elle lui proposa autre chose. Cette fois-ci, il fallait danser sur un sol en damier, posant les pieds sur les cases qui s'allumaient au rythme d'une musique électro. Là encore, l'agilité de Rika perça le classement.
Après ça, ils s'installèrent à une table pour boire un coup. Rika semblait s'amuser comme une folle. Son regard basculait d'une machine à l'autre tout en sirotant son cocktail, curieuse de savoir ce qu'elle allait tester ensuite. Mais Clive ne se sentait pas à l'aise, il s'ennuyait un peu face à tous ces jeux.
— Tu as d'autres loisirs ? demanda Clive, dans l'espoir d'essayer autre chose.
— La lecture ! J'aime bien beaucoup lire des romans d'aventures ou des bandes dessinées. J'ai essayé d'apprendre à dessiner aussi, mais ce n'était pas mon fort... Sinon, comme tu as pu le voir, j'excelle en cuisine.
Clive ne comprenait pas comment un soldat pouvait avoir le temps de s'essayer à tant de loisirs. La seule explication qu'il imaginait, c'était qu'elle avait joui d'une enfance heureuse lui offrant de multiples choix dans la vie, contrairement à lui et son passé compliqué.
— Et toi Clive, qu'est-ce que tu aimes faire ? demanda-t-elle finalement.
Il savait que la question n'allait pas tarder à tomber, mais il n'y était pas préparé. Il aurait aimé lui révéler, mais en ouvrant la bouche pour répondre, il remarqua que sa vie n'était faite que de combat. Comme une machine programmée à tuer.
Rika fit la moue.
— Tu n'as vraiment rien ? demanda-t-elle d'une petite voix.
— Désolé, soupira Clive. Je ne suis pas aussi ouvert que toi. Je n'ai pas pu m'adonner à toutes ces choses quand j'étais petit. Je suis un orphelin qui a été enrôlé rapidement...
Clive se mura dans le silence. Sans prendre garde, il allait lui révéler d'où il venait, et il n'avait pas envie de s'ouvrir.
Rika se leva d'un bond et le tira à nouveau.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda le mercenaire.
— Viens ! On va tester des trucs !
— Quoi ? Mais la soirée approche, il va falloir rentrer dormir au vaisseau.
Une fois dehors, Rika le poussa à la suivre dans une nouvelle allée. Après des tonnes de pubs holographiques vendant les derniers produits et vêtements à la mode, ils arrivèrent dans une ruelle bondée de magasins créatifs. Rika accompagna Clive dans chacun d'entre eux, histoire de lui trouver un loisir qui pourrait lui correspondre. Mais pour un ancien soldat qui embrassait la vie de mercenaire, cette mission s'avérait impossible. Il essaya de jouer un instrument, de dessiner, les jeux en tout genre, l'artisanat fait main, mais rien n'arrivait à captiver son esprit.
Au fil du temps, la nuit commençait déjà à tomber. Son voile noir assombrit le ciel, dévoilant une myriade d'étoiles dans la voute céleste. Même si Rika faisait la moue, déçue, Clive lui redonna le sourire en l'invitant à dormir dans l'hôtel de luxe. Malgré l'heure tardive, et les magasins fermés, ce n'est pas pour autant que Rubis fermait ses portes. Au contraire. De nuit, les bars et leurs pistes de dance prenaient le relai. Les salles de concerts disséminés dans la cité se remplissaient au grand bonheur des visiteurs.
Rika glissa son bras dans celui de Clive et marcha à ses côtés en sifflotant. Elle semblait contente de passer du temps avec lui, malgré son air morose. Clive resta de marbre, surpris par sa proximité. Son cœur tambourina dans sa poitrine, alors qu'il faisait tout pour éviter de croiser son regard.
— Tu sais, dit-elle après un long silence, tu trouveras un divertissement et un loisir. Quelqu'un de bien comme toi ne peut pas rester dans les ténèbres comme tu le fais.
Clive resta bouche bée, silencieux. Comment répondre à une telle affirmation ? Il ne méritait pas ces belles paroles et la gêne lui cloua l'estomac. Il aurait bien aimé rétorquer quelque chose, mais ils arrivaient déjà à l'hôtel. Un gigantesque bâtiment d'une vingtaine d'étages en forme de U. L'intérieur, entièrement vitré, dévoilait les services à l'aide d'hologramme dont la pub donnait même envie au mercenaire.
Un spa qui offrait des soins pour le corps, de grandes chambres confortables, des salles de sports et même un cinéma. Le dernier film à la mode passait en ce moment, et grâce à la formule qu'ils prirent pour séjourner cette nuit, Clive et Rika se rendirent dans le petit cinéma. Sa taille réduite leur permettait de bien voir l'écran. Profitant du spectacle, Clive assista à un film d'action bourré d'adrénaline, même si les cascades semblaient totalement impossibles.
Après le film, ils découvrirent leur chambre spacieuse. Un grand lit d'une taille démesurée occupait un petit espace surélevé. Clive observa l'extérieur à travers les immenses baies vitrées qui donnaient sur la ville. Un coin salon proposait un bar avec un canapé en forme de L et une belle table basse. Tout le confort nécessaire pour passer une nuit de rêve. Pour une fois, Clive allait dormir à poings fermer dans cet endroit luxueux.
Il se posa sur le canapé et laissa échapper un long soupir. Il s'avachit en s'enfonçant dans le cuir grinçant, complètement relâché. Il entendit Rika poser les quelques sacs qu'elle avait encore dans les bras. Elle vint ensuite lui masser les épaules, ce qui le raidit davantage. Il n'avait pas l'habitude que quelqu'un s'occupe de lui de cette manière.
— T'es tendu ! s'exclama Rika. Tu vas bien ?
— Euh... Oui, répondit-il nerveusement.
Il se leva brusquement et s'enquit de rejoindre la salle de bain. La lumière blanche du plafonnier dévoila une belle douche. Il retira ses vêtements pour se détendre sous une eau bien chaude. Ses muscles se relâchèrent, alors que le liquide ruisselait sur son corps musclé. Cela lui faisait tellement de bien.
Une fois sorti, il récupéra un peignoir. Pas question de sortir comme ça alors que Rika l'attendait dans leur chambre. Il préféra mettre d'abord son caleçon, et ensuite, il retourna se détendre dans le canapé. La jeune femme regardait la télé, affalé dans un fauteuil. Clive posa ses affaires à côté du divan et s'installa.
— Je vais prendre le canapé cette nuit, proposa Clive. Je te laisse le lit.
Rika pencha la tête sur le côté, surprise.
— Quoi ? Mais y'a assez de place dans le lit pour...
— Je serais bien là, coupa Clive.
Rika haussa les épaules, dubitative. Elle ne chercha pas à comprendre et s'enquit de rejoindre la salle de bain, un sac à la main. Pendant qu'elle prenait sa douche, Clive laissa les informations pour savoir si des découvertes allaient être révélées sur les fleurs astrales, mais rien. Il s'avachit et posa la tête contre le dossier. La fatigue n'allait pas tarder à l'emporter s'il restait ainsi.
— Clive, appela Rika après qu'il ait entendu l'ouverture de la porte de la salle de bain.
Quand il tourna la tête vers elle, il la découvrit vêtu d'une lingerie fine en dentelle, adossée contre le battant de la porte. Le cœur serré, il se demandait ce qu'il se passait. L'idée de passer une nuit calme n'allait peut-être pas être possible.
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