Chapitre 3
Clive resta pantois devant cette scène surréaliste. Son cerveau cherchait une explication à ce qu'il venait de se passer, mais aucune théorie ne tenait la route. Même si les éclosions des Lumnerium et Obscurium restaient un mystère encore non résolu, les scientifiques s'accordaient pour dire qu'il s'agissait d'un élément naturel survenant tous les cent ans. Mais là... Deux en même temps, alors que la dernière datait d'à peine un an.
L'astre se désagrégeait petit à petit. Les morceaux de planètes repoussés par les fleurs qui s'étendaient dans l'espace. Au sommet des tiges, des bourgeons de lumière et d'ombre brillaient d'une lueur intense et inquiétante.
Puis les images du bras mécanique de son ancienne prisonnière revinrent à Clive. Cette chose cybernétique s'était transformée en un cube étrange. Une fois au centre de la planète, les fleurs avaient poussé subitement, et bien plus rapidement que la normale. Il fit volte-face, et dans un mouvement rapide et précis, il dégaina son arme de son étui et la pointa sur la jeune femme rousse.
Prise de panique, elle recula, sa seule main valide tendue en avant pour lui implorer la pitié.
— C'était quoi ça ? s'énerva-t-il en agitant son arme.
— J'en sais rien ! Je vous le jure ! sanglota-t-elle.
— Te fous pas de moi, merde ! Tu nous avais prévenus d'un danger !
La colère de Clive la fit fondre en larme. Elle tomba à genoux en pleurant et baissa la tête, comme si elle était résignée à prendre la balle qui la menaçait. Le mercenaire n'avait qu'une envie à cet instant, c'était d'appuyer sur la gâchette. Si elle ne l'avait pas prévenu, il aurait pu mourir sur cette planète avec le prêtre Thésus. Et maintenant, le Saint Kylvea risquait de le prendre pour responsable s'il y avait d'autres survivants.
Rika posa une main sur son poignet et abaissa son pistolet.
— Calme-toi, murmura-t-elle. Si tu ne la laisses pas s'expliquer, on ne saura rien.
Clive devait bien reconnaître qu'elle avait raison. Il pesta et rangea son arme d'un geste vif. Rika aida l'inconnue à se relever et calma ses angoisses. Guidée jusqu'au canapé du salon, elle l'installa confortablement sur le divan.
— T'as une cuisine ? demanda Rika à Clive, qui les suivait.
Il pointa la pièce juste à côté du doigt, sans pour autant quitter la prisonnière des yeux. Il souffla lentement par les narines, fulminant. D'habitude, il lui suffisait de mettre des menaces au-dessus de la tête de quelqu'un pour le faire tout avouer, mais celle-ci tremblait tellement de peur, impossible de la forcer à parler. Les jambes flageolantes, elle fixait le sol de ses yeux éberlués. Comment pouvait-il désamorcer la situation ?
— Tiens, bois ça. Ça ira mieux ensuite, lui dit Rika en ramenant une tasse d'eau chaude.
Clive reconnut à l'odeur son fameux thé à la menthe et au chocolat. Leur invité l'accepta avec plaisir et, de sa main valide, but une petite goutte pour éviter de se brûler.
— Comment tu t'appelles ? demanda Rika en s'asseyant à ses côtés.
— Éva... Éva Nia, répondit-elle d'une voix chevrotante.
On avançait.
— Alors, c'était quoi ce bordel ? s'enquit Clive, d'un ton brusque.
Mais sa voix colérique la rembrunit. Rika lui jeta un regard noir. C'était lui le problème dans l'histoire, et il devait se calmer pour avoir des réponses. Il s'installa dans le fauteuil en face des deux filles et lâcha un profond soupir. Cette fois, il resta muet et laissa Rika se charger de l'interroger, même s'il ne savait rien d'elle non plus.
— Tu saurais nous dire ? demanda Rika d'une voix plus douce.
Éva resta silencieuse quelques instants, au grand dam de Clive. Toujours tremblante, elle but encore quelques lampées de thé avant de secouer lentement la tête. Ses yeux d'émeraudes se posèrent sur Clive, un air chagriné sur le visage.
— Je suis vraiment désolée, Clive. Je... Je ne savais pas ce qu'il allait vraiment se passer.
Clive fronça les sourcils. Faire en sorte de ne pas s'énerver relevait du miracle, mais elle commençait à s'ouvrir à eux.
— Qu'est-ce que tu savais ? demanda-t-il d'une voix qu'il essayait d'être posé.
La question la laissa de marbre. Elle n'osait pas parler, mais elle savait des choses. Rika dévisagea Clive un instant.
— On devrait la laisser se reposer, non ? Elle a l'air en état de choc.
Clive croisa les bras, mais il était forcé de lui donner raison. Son invitée sanglotait en posant sa tasse délicatement sur la table. D'un revers de main, elle se débarrassa des larmes qui coulaient le long de ses joues.
— Karos était au courant ? demanda Clive. C'est tout ce que je veux savoir.
Sans croiser son regard, elle opina. C'était tout ce qu'il lui fallait. Il se leva et retourna dans la salle des commandes pour entrer les coordonnées de la station spatiale où il avait rencontré Karos. Cet enfoiré allait goûter à sa vengeance. Personne ne pouvait le rouler en toute impunité.
Mais pour ça, encore fallait-il que le moteur d'hyperespace fonctionne. Il se releva et partit en direction du hangar, mais Rika l'arrêta en chemin. Vêtus de ses vêtements de barmaid, avec ses hauts collants noirs et ses bottines, ses yeux d'ambre se braquèrent sur le mercenaire. Une couleur rarissime dans la galaxie.
— Tu aurais une chambre pour la p'tite ? demanda Rika.
Ses beaux cheveux argentés couraient sur ses épaules, encadrant un visage fin qui offrait une expression de douceur.
— À gauche, avant le cockpit. C'est la chambre d'amis. Vous pouvez la prendre toutes les deux.
— Merci, dit-elle en passant la main sur son bras avec un joli sourire.
Un frisson lui parcourut le bras. Rika emmena Éva dans la pièce, et elles s'enfermèrent toutes les deux. Clive reprit ses esprits dans un soupir, puis retourna au hangar. Une fois là-bas, il prit un couloir vers les moteurs. Suite à cet éclair éblouissant, les avaries du vaisseau provoquaient de petites explosions d'étincelles dans le plafond où étaient cachés les câbles et les cartes électroniques.
Il arriva dans la salle des machines. L'enchevêtrement de machines et de câbles dans cet espace noir semblait intact, ce qui présageait du bon pour les moteurs subluminiques. Néanmoins, un peu plus en retrait, celui de l'hyperespace ne tournait plus. Il s'agissait d'une énorme sphère de métal encerclée d'anneaux qui, habituellement, tournaient autour.
Avec l'aide d'une tablette reliée à tous les circuits, il chercha la panne dans tout le système. Il finit par déceler un manque de puissance. Il devait dérouter l'énergie et cela pouvait lui prendre plusieurs jours. Il jura, dégouté d'être bloqué dans cette région de l'espace. À tous les coups, un vaisseau de Saint Kylvea allait venir en reconnaissance après la perte d'une de leur planète. Mais cela pouvait être bien pire...
Depuis toujours, Saint Kylvea et l'empire de Nedelech s'arrachaient la puissance de ces fleurs. Leur bourgeon pouvait être récupéré pour servir d'énergie, voir même de donner des pouvoirs magiques. Mais après une grande guerre qui coûta énormément de vie, les deux camps avaient conclu un traité de paix qui les autorisait à récupérer leur énergie respective. Kylvea le Lumnerium et Nedelech l'Obscurium. Mais avec les deux sur un seul astre, cela risquait d'attirer les deux camps et relancer une guerre, même si la Fédération Galactique les surveillait de près.
Avec les schémas holographiques de l'ordinateur, Clive repéra la source de la panne. Il se mit au boulot pendant plusieurs heures, ignorant totalement ce que faisaient les deux jeunes femmes dans son vaisseau. Mais la fatigue commençait à le ralentir, et il savait qu'il ne pouvait pas continuer comme ça.
Il ressortit des machines, les mains couvertes de crasses, puis retourna dans le salon. Les filles n'étaient plus là. Aucun bruit non plus. Il haussa les épaules, puis se permit une bonne douche dans sa salle de bain. Il se débarrassa de la transpiration de toute la journée, puis s'éclipsa en caleçon dans sa chambre qui se trouvait en face de celle des invités. Il s'y arrêta pour essayer d'entendre les deux femmes, mais toujours pas de bruit. De toute façon, elles ne pouvaient être qu'ici.
Une fois dans sa chambre, Clive rangea ses armes dans le renfoncement de la pièce prévu à cet effet. Il s'allongea dans son grand lit double confortable, et piqua un somme. Une fois sur les draps, il soupira en se remémorant tout ce qu'il venait de vivre aujourd'hui.
***
Le lendemain matin, Clive ouvrit les yeux dans l'espoir que tout ce qu'il venait de vivre n'était qu'un horrible cauchemar. Mais quand il sortit de sa chambre pour manger un morceau, il découvrit Rika et Éva à l'œuvre dans la cuisine. Une bonne odeur de viande grillée flottait dans l'air. Et quoi de plus normal en voyant Rika griller des morceaux de lards d'Opolin, un animal courant sur la planète mère de la Fédération Galactique, dont les élevages permettaient de fournir suffisamment de nourriture à une partie de la population. Il s'agissait de grosses bêtes dépourvues de poils, avec une longue queue et des cornes, dont chaque partie du corps était comestible.
Voyant Clive débarquer en caleçon dans la pièce, Éva se cacha les yeux de sa main valide. Elle se tourna vers le mur, rouge de honte.
— Quoi ? demanda Clive en se regardant.
Rika ricana en retournant les morceaux de viande.
— Je crois qu'elle n'a pas l'habitude de voir un beau ténébreux débarquer à moitié nue dans une cuisine, signala-t-elle.
Clive tiqua sur les termes qu'elle venait d'employer pour parler de lui. Si c'était pour le charmer, c'était raté. Sa méfiance envers elle l'empêchait de se laisser avoir. Il haussa les épaules et s'approcha de la table, au grand dam d'Éva qui écartait les doigts pour l'observer en toute discrétion.
— Assieds-toi, proposa Rika. Je vais vous servir votre petit-déjeuner.
Clive resta pantois face au naturel des deux jeunes femmes. Il ne s'attendait pas à les voir prendre leurs aises aussi rapidement. D'ailleurs, Éva portait un pantalon et un tee-shirt beaucoup trop grand pour elle. Si elle avait fouillé le placard de la chambre d'amis, c'était normal. Clive ne possédait que des vêtements pour homme et pour sa carrure. Éva était plus petite que lui, et du haut de ses dix-huit ans, plus mince.
Rika lui apporta son repas. Elle se pencha pour lui servir, et Clive ne put résister à jeter un œil à son décolleté qui mettait en valeur sa poitrine. Sa tenue de soubrette lui allait divinement bien. Clive se racla la gorge et détourna le regard, alors qu'elle ajouta un œuf bien cuit à son assiette.
Il récupéra sa fourchette quand elle s'éloigna. En goutant sa cuisine, il devait reconnaître qu'elle savait s'y prendre. L'assaisonnement et la cuisson étaient irréprochables. En bon célibataire, Clive ne prenait pas le temps de bien cuisiner. Il préférait les repas congelés à réchauffer pour gagner du temps. C'était la première fois qu'il se faisait servir.
Et ce n'était pas désagréable en soi. Mais son esprit le mettait en garde. Il ne savait rien de Rika, et ses actions ne pouvaient pas être désintéressées. Éva eut le droit au même repas après avoir rouvert les yeux. C'était difficile pour elle de manger avec une seule main, mais heureusement, Rika prit la peine de l'aider à couper sa viande. Clive se sentit légèrement honteux de ne pas s'être proposé.
— Merci pour ton aide, lui dit Éva.
Rika hocha la tête.
— De rien. Je n'allais pas te laisser te débrouiller toute seule, surtout après ce que tu as vécu, répondit Rika.
Éva baissa les yeux. Un coup d'œil vers la manche de son bras disparu raviva la douleur. Elle grimaça. Un revers de main essuya une larme qui perlait ses yeux, puis elle se mit à manger. Lorsqu'elle mit le premier aliment en bouche, ses yeux s'écarquillèrent. Elle se tourna vers Rika qui s'attablait avec le reste de l'équipe.
— C'est super bon ! s'exclama-t-elle, la bouche pleine.
— Merci ! J'ai fait avec ce que j'ai trouvé dans les placards. C'est-à-dire, pas grand-chose, railla-t-elle en observant Clive.
Le jeune mercenaire ne trouvait pas ça drôle. Il continuait à les observer d'un regard suspicieux. Il ne comprenait toujours rien à cette histoire, et encore moins après l'apparition de cette plante dont le bras mécanique d'Éva semblait lié. Après avoir englouti son repas dans un silence pesant, il s'empressa de retourner enfiler un pantalon et un tee-shirt, et de reprendre le travail.
Il lui fallut quelques heures pour réparer la fuite et contourner le système pour alimenter le moteur hyperespace. Après ça, il le relança dans le cockpit et leva les bras en l'air en criant sa victoire quand il le vit fonctionner de nouveau. Maintenant qu'il prenait une vitesse dix fois supérieure à celle de la lumière, il ne leur faudrait que quelques heures pour arriver à la station spatiale. Une fois là-bas, non seulement Karos subirait sa colère, mais il pourrait larguer ses deux passagères pour se retrouver à nouveau seule.
Pendant le trajet, Rika visitait le vaisseau en fouillant les placards malgré l'œil courroucé de Clive. Éva, elle, restait assise sur le canapé en touchant le moignon mécanique qui sortait de son épaule. L'air abattu, elle ne savait pas comment elle allait faire pour vivre avec un bras en moins. Clive hésita un instant à lui remonter le moral, mais comment le pouvait-il ? Ce serait hypocrite de sa part de lui raconter qu'elle s'y habituerait. Mais sa peine lui fendit le cœur et il s'installa à côté d'elle, en prenant le soin de garder une distance.
— Tout va bien ? demanda-t-il, même s'il savait la question bête.
Des larmes perlaient aux yeux de la jeune femme. Elle tira sur la manche pour cacher cette horreur.
— J-Je ne sais pas... Comment je vais faire maintenant ? Je ne sais même pas ce que je vais devenir.
Clive ne savait pas quoi lui dire. L'idée de l'abandonner sur la station ne lui plaisait guère, mais il ne pouvait rien lui offrir d'autre. En appelant la Fédération Galactique, ils pourront la prendre en charge et l'aider comme il se doit. Pour le moment, elle ne pouvait rien lui apporter à part d'autres ennuis qui auraient pu lui couter la vie. Il lui tapota amicalement le genou.
— Ne t'en fais pas, on va trouver une solution, promit-il.
Éva l'observait avec des étoiles dans les yeux quand il se leva. Elle retrouva un peu d'espoir et le remercia, mais Clive sentit la honte former une boule au fond de sa gorge face à son mensonge.
La voix du vaisseau annonça l'arrivée à la station orbitale. Une fois sorti d'hyperespace, Clive se prépara comme il se doit. Dans sa chambre, il enfila sa veste noire et prit son pistolet électromagnétique, dont les balles suffisaient à tuer n'importe qui, ainsi que son phaser, dont les lasers pouvaient percer les armures de Nerarium. Quelques grenades à la ceinture, et il était fin prêt à donner une leçon à Karos.
Mais en sortant, Rika et Éva l'attendaient devant le sas de sortie. Il s'approcha d'un pas lent, alors que leur regard suivait le moindre de ses mouvements.
— Quoi ? demanda-t-il une fois face à elles.
— Emmène-moi ! ordonna Éva.
Clive hoqueta de surprise. Il ne s'attendait pas à une demande aussi irrationnelle de sa part. Surtout si elle se doutait que le mercenaire la laisserait tomber sur la station.
— Non. Tu ne serais qu'une gêne, déclara-t-il froidement.
Éva fit la moue. Elle claqua la langue et rejoignit sa chambre à la hâte, sans oublier de bousculer Clive d'un coup d'épaule, même si cela ne l'ébranla pas outre mesure.
— Et moi ? demanda Rika.
Clive soupira. Rika était bonne en cuisine, mais que pourrait-elle lui apporter de plus sur le terrain ? C'était la première personne qu'il allait abandonner avant Éva. Alors qu'il allait lui répondre en haussant les épaules, la soubrette lui attrapa subitement le bras. En une gracieuse pirouette, elle pivota autour de lui et sa main glissa dans son étui pour récupérer son arme. Ils firent tous deux volte-face en même temps, et Clive dégaina. Chacun en joue, ils se jaugèrent un instant. Finalement, cette femme cachait bien son jeu.
— T'es qui en fait ? grommela Clive.
Rika lui sourit.
— Une soubrette capable de mettre une raclée à plusieurs mecs.
Clive pesa le pour et le contre. Si elle venait avec lui, elle pouvait peut-être le trahir et se retrouver dans une situation encore plus compliquée. D'un autre côté, il pouvait les abandonner toutes les deux si elles l'accompagnaient. Mais il n'avait aucune confiance en Rika. Sous son air doux et sympathique se cachait une guerrière à ne pas sous-estimer.
— Reste là et protège Éva. S'il se passe quelque chose, tu pourras décoller si j'arrive en urgence.
Rika opina du chef, une moue légèrement déçue.
— Pas de problème, soupira-t-elle. Mais j'aurais besoin d'un service alors.
Clive arqua un sourcil.
— On a besoin de fringue, tu peux nous en acheter ?
Clive soupira. Il n'avait aucune envie de faire les magasins. Mais cette demande cachait autre chose : voulait-elle rester dans son vaisseau ? Cette idée le fit frémir d'horreur. Ce n'était pas prévu de les garder aussi longtemps.
— Dans ce cas, sortez en acheter, décréta Clive.
Au final, cela pouvait être le meilleur moyen pour se débarrasser d'elles. Il repartirait dans son vaisseau en les abandonnant dans la station spatiale. Rika était suffisamment forte pour la protéger, et ensemble, elles trouveraient une solution pour contacter la Fédération Galactique.
— Ça marche ! se réjouit Rika.
Après cette conversation énervante, Clive pouvait enfin se concentrer sur son objectif : retrouver Karos et lui faire payer sa traitrise.
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