Chapitre 9

Jimin ne répliqua pas, mort de honte. Il quitta la pièce d'un pas précipité pour rejoindre la salle de bains. Après une douche rapide, il s'habilla. Alors qu'il tentait de se motiver pour partir au travail – et donc faire face à Yoongi une dernière fois, il remarqua qu'on glissait sous la porte de la pièce un petit papier jaune. Son cœur s'emballa avant même qu'il tende la main pour le récupérer. Il s'agenouilla, s'en saisit, timide, et lut.

Je te présente mes excuses, je pensais pas t'embarrasser à ce point. J'ai pas beaucoup d'occasions de communiquer en dehors du boulot, et j'ai toujours été très maladroit quand il s'agit de parler de ce que je ressens...

Un nouveau papier suivit.

C'est un peu minable, mais à part quelques collègues que j'apprécie, j'ai aucun ami. Je voulais te taquiner, mais j'ai été trop loin... T-T

Jimin soupira contre le battant. Dissimulé, seul dans cette pièce, il osa parler à ce fantôme qu'il avait pourtant rencontré la veille au soir.

« Je... m'en veux pas, Yoongi, mais... ouais, tu me plais. Les hommes me plaisent. J'ai douté toute mon adolescence, et puis j'ai fini par en être convaincu. J'ai... je suis sorti avec un mec de ma classe en première année de fac. Mais je me suis vite rendu compte... bah... que c'était juste du sexe entre nous. On partageait rien. Pourtant j'aimais ça, et lui je l'aimais, alors je suis resté. J'ai fini par le quitter quand je me suis lassé de lui, je voulais retrouver ma liberté pour aller voir ailleurs. Lui aussi, ça tombait bien. J'ignore par combien de lits je suis passé. Tout ce que je sais, c'est qu'à la fin, j'avais l'impression de... d-de n'être rien de plus qu'un objet. Tantôt rien de plus qu'un trou, tantôt rien de plus qu'une bite. Après deux ans à laisser mes désirs m'asservir, je me suis senti humilié par mon comportement. J'étais sale, poisseux ; le sexe me collait à la peau.

« C'était une bonne manière pour moi de décompresser : entre les études et les objets perdus, je devais toujours penser à l'avenir et aux autres avant de penser à ce que je voulais à l'instant T. Mais là, j'ai compris que j'avais frôlé l'overdose, et qu'un seul amant de plus aurait pu me faire énormément de mal. Dès que j'ai senti que j'en pouvais plus, j'ai complètement arrêté. Depuis, je n'ai plus osé ne serait-ce que rencontrer quelqu'un. J'ai peur... peur de retomber dans ces travers, de redevenir cet homme qui a failli me briser. Beaucoup de temps est passé, pourtant, quand je repense à toutes les mains qui se sont posées sur moi à l'époque, toutes ces choses que j'ai faites... ça continue de me dégoûter profondément. Mon corps m'a écœuré pendant des mois après tout ça, et... tu dois pas comprendre pourquoi je te raconte tout ça, alors pour faire bref, disons que je ne veux plus jamais dire à quelqu'un « tu me plais physiquement ». Je veux lui dire « je t'aime ». Alors... s'il te plaît, ne m'oblige plus à admettre ce genre de choses. »

Le front posé contre la porte, il resta silencieux, perdu dans de douloureux souvenirs, quand le frottement du papier sur le sol le sortit de ses songes et attira son attention.

Je l'ignorais. Je comprends. Je ne le ferai plus. Soyons amis, je t'aime bien, Park Jimin. :)

« Moi aussi je t'aime bien, Min Yoongi. »

Je peux entrer ?

« Oui. »

Jimin ne bougea pas. Il ferma les yeux, et quand il les rouvrit, le front toujours contre la porte, il frémit en expirant tout le poids qui lui écrasait les poumons : désormais torse contre son dos, Yoongi avait passé les deux bras autour de sa taille et posé la tête sur sa nuque. Jimin, qui se savait incapable du moindre contact avec son ami, observa la pâleur de sa peau si proche de la sienne. Un homme comme lui, bien sûr qu'il était capable d'en tomber amoureux, mais... même une fois sa pochette retrouvée, jamais Yoongi ne ressemblerait à ce concentré de pur bonheur.

Nourrir un quelconque espoir reviendrait à souffrir tôt ou tard.

« Ça fait... plusieurs semaines que je me sens vraiment seul, se confia Jimin. Mes journées sont partagées entre mon travail et les objets perdus des autres. Parfois j'aimerais penser à moi, et quand je me dis ça... je sais pas, ça a un goût d'égoïsme. »

Yoongi le relâcha, franchit de nouveau la porte qu'il ne pouvait pas faire traverser à son matériel pour écrire, et il glissa un nouveau post-it par la fente entre elle et le sol.

Prendre soin de soi, c'est pas être égoïste, c'est juste s'aider soi-même. Tu mérites de souffler parfois, t'es pas obligé de penser seulement aux autres et à ton boulot.

La poignée de la porte s'abaissa, et Jimin recula la tête pour éviter de tomber. Le battant s'ouvrit sans un bruit, peu à peu. Yoongi tenait toujours son bloc jaune clair dans une main, son stylo dans l'autre, et il afficha un mince sourire. Il écrivit sur le papier suivant.

Tu as le droit de te reposer, Jimin-ah.

Jimin se mordit l'intérieur de la joue en acquiesçant, bouleversé par sa compréhension. Il n'osait pas se confier à d'autres personnes par peur qu'on le juge, mais se confier à un fantôme... pourquoi pas, après tout ? Que risquait-il ? Enfin il pouvait exprimer tout haut ce qui le minait depuis des années et le rongeait jusqu'à la moelle. Il n'était plus seul – du moins plus tout à fait.

Seokjin et Hoseok... oui, ils comprendraient peut-être, mais eux s'étaient toujours montrés si droits, si exemplaire. Jimin se sentait lâche quand il les regardait. Hoseok, incarnation de la justice, aussi solaire qu'une étoile... Jimin ne voulait pas douter de lui, pourtant il ne s'imaginait pas lui avouer que pendant que lui et Seokjin entamaient une idylle aussi magique que dans les dramas, lui enchaînait les coups d'un soir avec un ou plusieurs partenaires, poussait son corps et son esprit dans leur retranchements, et que de fait, en effet il peinait à trouver un petit ami.

Qu'est-ce que Hoseok penserait de lui ? Que s'imaginerait-il ? Et son frère ? Bon sang, si Seokjin apprenait qu'il s'était donné pendant deux ans à n'importe quel inconnu cueilli dans un bar ou une boîte de nuit gay, il l'assassinerait...

Jimin n'avait gardé de contact avec personne d'autre que son plus vieil ami et son frère. À l'université, il préférait ne pas se lier de peur que l'on découvre qui il était une fois la nuit tombée – et si des rumeurs avaient circulé sur lui, elles auraient très vite risqué d'empoisonner son existence. Il était donc resté très discret, et les quelques « bons camarades » qu'il avait rencontrés à l'époque étaient redevenus de parfaits inconnus.

En dehors de ses collègues, son meilleur ami et son frère, le fantôme de Yoongi était la première conscience à laquelle il s'adressait depuis des mois – car pouvait-on qualifier un esprit de « personne » ? Jimin soupira à l'idée qu'aux yeux de n'importe qui, il parlait à du vide. Pire que ceux qui bavardaient avec leurs animaux...

Je te promets qu'une fois que je retrouverai mon corps, je ferai en sorte que tu sois mon ami.

Cette phrase fit déborder d'émotions le cœur de Jimin. Comme une fleur qu'il n'avait plus arrosée depuis des années, son pauvre petit organe avait flétri, de sorte qu'y toucher suffisait à tout détruire. Ses défenses anéanties, Jimin s'autorisa à craquer comme il ne l'avait encore jamais fait. Convaincu que son don n'avait rien d'un fardeau, qu'il devait le mettre au service de la société, le jeune homme ne s'en était encore jamais plaint, au contraire il en était reconnaissant.

Or, aujourd'hui, juste une fois, il accepta de penser à lui et à ce qu'il désirait vraiment.

« J'aimerais vraiment qu'on soit amis, alors, » affirma-t-il d'une voix tremblante.

Yoongi acquiesça avec son sourire cotonneux, celui-là même qui caressait l'âme de Jimin chaque fois qu'il le lui adressait. Il avança sa main d'éther et balaya d'un tendre geste du pouce les larmes de Jimin. Ce dernier ne sentit qu'un froid piquant contre sa joue, mais les deux infimes gouttes déjà en train de tracer leur sillon s'effacèrent. Ce prodige l'émerveillait.

« Je vais demander à mon chef le numéro de monsieur Min, et... je lui dirai que j'ai trouvé la pochette dans la rue, à un arrêt de bus près de chez moi. »

Tu n'as pas peur qu'il se demande comment t'as pu savoir qu'elle m'appartenait ?

« Non, je n'ai plus peur. Je le lui dirai, et s'il me demande, je lui dirai juste que je savais. »

Merci beaucoup, Jimin. Je ne sais pas combien de temps Yoongi tiendra sans moi...

Le jeune salarié opina, l'air grave, bien conscient que l'état psychologique de Yoongi devait se dégrader de jour en jour. Il devait agir au plus vite.

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