Chapitre 4
Le lendemain matin, Jimin quitta son appartement avec la même avance que la veille afin de rallonger son habituel trajet. À peine sorti de chez lui, il pressa le pas, chaque jour un peu plus impatient de revoir l'inconnu de l'arrêt de bus. Il était bel homme, le teint pâle et les traits d'une douceur rassurante. La première fois qu'ils s'étaient vus, leurs yeux s'étaient croisés, et Jimin avait lu dans ceux du jeune homme une curiosité qui dévorait sans doute aussi son propre regard. Il voulait savoir de qui il s'agissait, bien sûr, mais il n'osait pas l'approcher.
Depuis ce jour-là, chaque fois qu'ils se dévisageaient, il apparaissait sur les lèvres de ce bel adonis un sourire sincère et désarmant par sa beauté. Une manière à eux de se dire bonjour, de se côtoyer sans risque, d'échanger sans discuter. Jimin ignorait combien de temps cela durerait, mais d'emblée il aimait bien cette relation étrange.
L'homme attendait au même arrêt ; le bus passait une dizaine de minutes plus tard, il venait toujours en avance. Jimin lui sourit en lui adressant un bref signe de la tête, et l'homme le lui rendit. Il se redressa sur le banc, semblant hésiter, mais ne se leva pas. Jimin poursuivit sa route d'un pas soudain plus vif, le cœur au bord des lèvres alors que de la transpiration lui échappait de manière beaucoup trop abondante pour un frais matin de mai.
Il gagna l'entreprise pour laquelle il travaillait sans trouver d'objet perdu. Namjoon arriva en même temps que lui et ce fut ensemble qu'ils montèrent à leur étage, en bavardant. Jimin passa la matinée entre la machine à café et des piles de papiers qu'il lui fallait numériser pour pouvoir enfin en débarrasser la salle des archives, et quand l'après-midi débuta, il s'aperçut qu'il n'avait toujours pas déjeuné alors que la réunion entre Namjoon et monsieur Min, à laquelle il était tenu d'assister, s'apprêtait à commencer.
« Et merde, » jura-t-il en se dépêchant de rejoindre le bureau de son supérieur.
Il frappa à sa porte à deux heures moins vingt, et Namjoon l'invita à entrer.
« Monsieur Kim, lança Jimin en s'inclinant de façon polie, j'ai réuni les documents nécessaires pour tout à l'heure, nous... »
Un borborygme bruyant l'interrompit ; il s'empourpra, toussota, et poursuivit.
« N-Nous pouvons nous rendre dans la salle pour préparer la présentation avant l'arriver de monsieur Min.
- Vous devriez peut-être aller déjeuner, sourit Namjoon, vous m'avez l'air affamé.
- Je suis désolé, je ne...
- Il ne s'agissait ni d'un reproche, ni d'une question. J'expliquerai à monsieur Min que vous avez été très occupé et que vous ne pouvez pas assister aux premiers instants de la réunion. Filez, il vous suffira de frapper discrètement à la porte et personne n'y verra le moindre mal.
- Merci beaucoup, je fais vite. »
Jimin le remercia de ce sourire sincère qu'il réservait à son supérieur. Namjoon, professionnel, lui répondit par un visage identique et un signe du menton. L'employé partit comme une fusée pour chercher son sac et s'installer en salle de repos où il grignota au plus vite le repas qu'il s'était confectionné avant de partir. Il vérifia l'heure après avoir manqué de s'étouffer avec le thé qu'il s'était offert au distributeur, et il rejoignit dans la précipitation la salle de conférence réservée par Kim Namjoon pour leur réunion préliminaire. Il frappa deux coups discrets, poussa la porte en gardant à l'esprit qu'il n'accusait que trois minutes de retard, mais à peine eut-il franchi le seuil de la pièce qu'il se figea, le regard bloqué sur la seule autre personne que Namjoon.
Ce teint clair, ces traits magnifiques, ces cheveux sombres coupés de manière si banale mais qui lui seyait si bien...
Monsieur Min. L'homme de l'arrêt de bus... enfin, pas exactement.
« Vous... vous avez perdu quelque chose, » souffla Jimin.
Impossible, jamais il n'avait vu un tel phénomène. Le visage de l'homme face à lui paraissait presque flou par endroits, son corps inconsistant, tant le morceau d'âme qu'il avait perdu était colossal. Et pour l'être, oh ça il l'était : Jimin réalisait peu à peu que le bel homme auquel il adressait chaque matin depuis plusieurs jours un regard complice n'était rien de plus qu'une âme, mais pas une âme en peine : Monsieur Min avait égaré un objet si important que c'était toute sa bonne humeur, tout son être qui s'était détaché de son corps. Car si le fantôme lui souriait tous les jours, le jeune homme face à lui en revanche paraissait non seulement évanescent, mais aussi furieux.
« Je vous demande pardon ? pesta-t-il.
- J-Je... j'ai dit que je vous présentais mes excuses pour mon retard, se rattrapa Jimin en s'inclinant à quatre-vingt-dix degrés.
- Monsieur Kim m'a informé que vous ne seriez pas avec nous dès le début de cette réunion, rassurez-vous. Asseyez-vous et faites votre travail. »
Jimin hocha la tête sans oser répondre. Il déglutit en s'installant à côté de son supérieur. L'heure que dura la réunion et les discussions autour d'un potentiel contrat parurent durer une éternité à Jimin qui luttait pour ne pas lever les yeux sur le spectacle effarant qu'il était le seul à discerner. Comment était-ce possible de perdre presque tout ce que l'on était à cause d'un unique objet ? Qu'est-ce que monsieur Min avait bien pu laisser derrière lui à cet arrêt de bus pour que son âme semble si vivante, si palpable ?
C'était à n'y rien comprendre !
Monsieur Min – dont Jimin avait appris entre temps grâce aux fiches sous ses yeux qu'il s'appelait Yoongi – parut remarquer ses œillades, puisqu'il le fusilla d'un regard agacé. Que ressentait-on lorsque l'on perdait quelque chose de si précieux qu'on n'était plus tout à fait soi-même ? À quel point douleur et culpabilité devaient-elles se mêler... ?
Jimin en frémit d'horreur.
La réunion se conclut de manière cordiale entre les deux jeunes cadres tandis que Jimin tentait de s'effacer.
« Nous nous reverrons la semaine prochaine dans ce cas, termina Namjoon, même jour même heure, si cela vous convient ?
- Avec plaisir, approuva Yoongi sans l'ombre d'un sourire – pas même pour feindre la politesse. Je vous souhaite une bonne semaine, à bientôt. »
Il n'accorda pas une once d'attention à Jimin qui se sentit honteux de son comportement. Quand Namjoon se tourna vers lui, une fois la porte refermée derrière monsieur Min, Jimin lui présenta ses plus plates excuses.
« Est-ce que vous allez bien ? Vous devriez peut-être rentrer chez vous : ces deux dernières semaines, vous avez fait plus d'heures que vous ne le deviez, je peux vous accorder le reste de votre journée, vous le méritez. »
C'était une occasion à ne pas manquer !
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