Chapitre 2
Quand un être humain perdait une chose qu'il chérissait de tout son cœur, une part de lui-même se détachait et s'y accrochait. La personne ressentait alors un vide, un manque, et plus l'objet était précieux, plus le morceau d'âme qui l'accompagnait était important – plus la silhouette se précisait : quelques mois plus tôt, Jimin avait presque réussi à distinguer le visage d'une fillette qui avait perdu son doudou.
Les âges variaient, de même que les sexes, mais Jimin s'était aperçu au fil du temps que les enfants étaient beaucoup plus sensibles à des pertes que les adultes, et que parmi ces derniers, les femmes avaient tendance à s'attacher de façon plus importante.
Jimin s'avança jusqu'à l'âme qui ne réagit pas. Elles ne réagissaient jamais. Il se baissa pour ramasser un collier. Classique. Sûrement un cadeau d'un membre de sa famille ou d'un petit ami. C'était un joli bijou doré avec un pendentif en forme de cœur. Jimin le trouvait basique, mais il savait que la perte même du plus basique des objets pouvait provoquer un déchirement quand il recélait une forte valeur sentimentale. On ne remplaçait jamais vraiment un cadeau.
Jimin ramassa le bijou et le plaça dans son sac. Quand il se remit en marche, l'âme l'imita. Le jeune homme s'était aperçu avec le temps que même s'il courait, prenait le métro ou tentait de la semer par tous les moyens, l'âme ne s'éloignerait jamais de plus de cinquante centimètres de l'objet auquel elle était liée. Voilà pourquoi Jimin détestait que Hoseok soit d'après-midi à la gendarmerie : il n'y avait qu'à lui qu'il pouvait apporter des objets trouvés tout en donnant des descriptions approximatives des propriétaires, car Hoseok était le seul au courant de son don. Tout autre gendarme trouverait suspect qu'il tente de les aider en décrivant le propriétaire d'objets soi-disant trouvés par hasard dans la rue.
D'une certaine manière, donc, Hoseok était devenu son complice, et ce depuis l'enfance : ils s'étaient rencontrés lorsque Jimin, d'un an plus jeune que lui, lui avait rapporté son cahier de dessin qu'il croyait avoir perdus. Alors âgé de huit ans, Hoseok l'avait si chaleureusement remercié qu'ils étaient devenus d'inséparables amis, et Jimin lui avait avoué son don. Son aîné s'était alors mis en tête de l'aider à rendre à leurs camarades ce qu'ils perdaient en récréation ou bien dans le parc tout près de l'école. Aujourd'hui, son métier lui permettait de continuer dans cette voie.
Jimin, donc, se verrait contraint de se promener toute la journée avec cette âme derrière lui. Un jour, il était arrivé au travail avec trois esprits marchant dans son sillon et alors qu'il avait oublié son sac, les objets donc tous placés dans sa poche. Sans bureau ni casier à lui, Jimin avait dû passer sa journée entière entourée de véritables fantômes, un calvaire !
Pourtant... quand il voyait une de ces âmes en peine, abandonnées à leur sort, il ne parvenait pas à les ignorer. Impossible de les laisser là, à la merci des intempéries. La bonté de Jimin et la détermination de Hoseok permettaient de retrouver chaque année près de deux cents propriétaires qui tous exultaient quand leur âme redevenait entière.
Jimin ne trouva rien d'autre. Après une vingtaine de minutes de marche supplémentaires, il passa devant le petit poste de gendarmerie près de son entreprise. Ce soir il s'y rendrait.
Il franchit les larges portes de verre qui ouvraient sur un hall d'une propreté effarante au vue du nombre de personnes qui y passaient à longueur de journée. Il tira de son sac sa carte d'employé et la plaqua contre un détecteur devant un petit tourniquet qui pivota pour lui autoriser l'accès. Il avançait vers les ascenseurs, toujours suivi par la collégienne invisible aux yeux de ses collègues, quand une voix s'éleva derrière lui.
« Eh, Jimin ! »
L'appelé se retourna et sourit à son ami et ancien mentor. Kim Namjoon, un des fameux fils de chaebols à qui il devait préparer le café, était à la fois son supérieur direct et la seule personne qui refusait qu'il lui prépare sa boisson chaude. Le jeune homme en effet répliquait toujours la même phrase : « me faire mon café ? La machine est juste à côté du bureau, je suis encore assez grand pour marché trente secondes – une minute aller-retour, soyons fou ». C'était bien le seul de ces riches privilégiés à qui Jimin réussissait à sourire de façon sincère.
« Bonjour monsieur Kim, comment allez-vous ? s'enquit Jimin.
- Très bien, et vous ?
- Tout aussi bien. Des nouvelles du contrat envoyé avant-hier ?
- Pas la moindre, soupira Namjoon, mais le délai se termine ce soir, alors j'imagine que nous aurons bientôt notre réponse. J'ai appliqué vos conseils et le client m'avait l'air conquis.
- J'en suis heureux. Oh, et monsieur Min a décalé votre rendez-vous hier après votre départ. Il ne pouvait pas venir ce matin, il sera là demain sans faute en revanche, quatorze heures.
- Parfait, merci beaucoup, je ne sais pas ce que je ferais sans vous. »
Arrivé à son bureau, Namjoon laissa son assistant vaquer à ses occupations, à commencer par apporter leur café à tous les autres dirigeants qui s'estimaient trop bien pour presser le bouton démoniaque de la machine en salle de pause. La journée promettait d'être longue...
Le soleil était couché quand Jimin quitta l'entreprise, bien après Namjoon qui était parti en « réunion » avec les autres cadres – des réunions qui se déroulaient dans le salon privatisé du bar d'en face, en général. Le pas lourd, épuisé, il poussa la lourde porte du bâtiment de la gendarmerie. Il se présenta à l'accueil de la même manière qu'à l'accoutumée.
« Bonjour, je suis Park Jimin, je suis venu voir l'officier Jung.
- Park Jimin... oui, il vous attend, confirma la jeune femme face à lui. Vous savez où se situe son bureau.
- Oui, merci beaucoup. »
Après de rapides politesses, il s'éclipsa. Le bureau indiqué, il s'y rendait au moins trois fois par semaine. Ainsi, il frappa sans hésiter à une porte dont il ne prit pas la peine de vérifier le nom qui figurait sur le petit panneau doré. Hoseok l'invita à entrer, il obéit, soulagé de se débarrasser de ce nouveau fantôme.
« Salut, hyung, comment tu vas ? » s'enquit Jimin en souriant tandis qu'il s'avançait dans le petit bureau pour s'installer face à son aîné.
Ce dernier, assis de l'autre côté du meuble, était occupé sur son ordinateur, une impressionnante liasse de paperasse à côté de lui. Il finit de taper sur les touches de son clavier avant de tourner son attention sur son ami. Le visage long et fin, les traits d'une douceur inattendue pour un homme de sa fonction, Hoseok inclina la tête en signe de salut.
« Bien et toi ? Qu'est-ce que tu m'apportes encore aujourd'hui ?
- Collier, répondit juste le jeune homme en sortant le bijou de son sac. Une collégienne, de très longs cheveux noirs, un uniforme blanc et bleu foncé.
- Des carreaux sur la jupe ?
- Je saurais pas dire, trop floue.
- Je vois peut-être l'établissement d'où elle peut venir. Je vais faire circuler l'info, merci beaucoup. »
Il attrapa avec mille précautions le bel objet qu'il glissa dans un petit sachet plastique. Il rédigea ensuite sur un post-it la description de Jimin qu'il ajouta dans la pochette, et il laissa le tout sur son bureau ; il le descendrait plus tard au bureau des objets trouvés. Hoseok lissa son uniforme, en retira une poussière imaginaire, puis se frotta les paupières. Son service touchait à sa fin.
__________________________
Quand j'étais petite, j'ai perdu un jouet que j'adorais. Je l'avais égaré au parc. Je me rappelle encore le crève-cœur que ce fut pour moi, et chaque fois que je vois un bijou ou une babiole sur le trottoir, il me vient la même question : quelle est l'histoire de cet objet ? Ce pendentif, était-il précieux ? Car la valeur sentimentale qu'on accorde à un objet peut être immensément plus élevée que sa véritable valeur : et si la personne qui l'avait perdu était une jeune fille abattue à l'idée d'avoir égaré le dernier cadeau offert par le garçon qui lui plaisait et qui a dû déménager ? Et si c'était le premier bijou qu'elle avait pu s'acheter avec ses économies ?
C'est toutes ces questions qui m'ont amenée à inventer cette histoire, car à mes yeux quand on perd une chose à laquelle on tenait comme à la prunelle de nos yeux, il y a forcément une part de nous qui s'envole avec.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top