« Je me suis remis au piano depuis cet instant, et je me sens moins... je sais pas... moins rancunier vis-à-vis de l'univers. Parce que j'ai mon refuge, j'ai la musique. Quand mes responsabilités me pèsent trop, je les évacue avec une de ces partitions. Elles sont vraiment belles, elles ont toutes un quelque chose d'unique. Certaines sont plus ou moins mélancoliques, d'autres plus ou moins épiques, joyeuses, lancinantes... elles ont une âme. Et dans le monde des affaires, avoir une âme c'est si... si spécial, termina-t-il avant de pousser un profond soupir et de se retourner vers son cadet.

« Jimin, je suis sincèrement désolé pour la façon dont je t'ai traité quand on s'est rencontré et quand tu m'as demandé de venir chercher ma pochette. J'ai été infecte. Je sais que ça n'excuse rien, mais j'étais si bouleversé d'avoir perdu mon trésor, si abattu... j'en voulais à la terre entière, et je me suis demandé sincèrement combien de temps je survivrai au milieu de la tempête sans ma bouée de sauvetage. J'étais aussi frustré et furieux que j'étais effrayé. Alors... j'espère que tu accepteras mes plus sincères excuses. »

Il s'inclina à quatre-vingt-dix degrés, et Jimin s'accroupit pour le regarder dans les yeux.

« Excuses acceptées, affirma-t-il avec émotion. Je comprends pourquoi tu as agi de cette manière, et je comprends aussi que ça ne se reproduira plus.

- Tant que j'aurai ma pochette, plaisanta Yoongi en se redressant.

- Je serai toujours là pour la retrouver, ne t'en fais pas.

- Si tu me le jures...

- Oui.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

- Je t'expliquerai un jour, je te le promets.

- Juré ?

- Oui, rit Jimin attendri.

- Très bien, dans ce cas et pour l'instant, je te fais juste confiance. Je peux voir ton CV ?

- J'ai pas écrit « retrouveur de partitions » dans mes compétences, par contre. T'as un crayon pour que je le note quelque part ?

- Je tâcherai de me le rappeler, ne t'inquiète pas, » plaisanta à son tour Yoongi avec un sourire gommeux éclatant.

Jimin rit mais garda le silence pendant que son aîné consultait le papier qu'il lui avait donné. Il patienta quelques secondes à peine qui lui apparurent comme d'interminables minutes, angoissé à l'idée que sa vie s'apprêtait à basculer. Yoongi leva les yeux, croisa son regard anxieux, et lui adressa un rictus – il n'eut pas besoin de parler, Jimin comprit qu'il n'avait jamais eu l'intention de lire son CV et que sa décision avait été prise plusieurs jours plus tôt : il avait juste voulu le faire mariner.

« Ça m'a l'air complet, tu ferais un bon employé dans mon équipe. Motivé ?

- Si j'ai des perspectives d'évolution, je le suis.

- Tu pourras aller aussi haut que tu en as envie si tu t'en donnes les moyens. Le travail paiera toujours chez nous, du moins autant que les relations. Euh, les... d-dans le sens connaître des gens influents et... e-et venir d'une famille de chaebol. C-C'est... les deux sont équivalent. Les relations de ce genre, je veux dire, p-pas les relations... intimes.

- J'avais compris, » ricana Jimin.

Yoongi se racla la gorge, tenta de retrouver son calme et concentra son attention sur le CV qui le perturbait beaucoup moins que celui qui le lui avait donné. Lorsqu'il eut retrouvé ses esprits, il acquiesça.

« Eh bien si c'est bon pour toi, Jimin, alors je serais heureux que tu commences le plus tôt possible dans mon équipe.

- C'est vrai ?

- Vrai de vrai. »

Le cadet connaissait bien l'entreprise à laquelle appartenait Yoongi, puisque la sienne avait souvent traité avec, et il connaissait un peu leur fonctionnement, leurs objectifs. Le bâtiment se situait plus loin, il lui faudrait sûrement s'y rendre en bus ou en métro, mais peu importait. Ce qui comptait, c'était qu'il deviendrait un vrai commercial dans une équipe au sein de laquelle il pourrait évoluer s'il le désirait.

« Oh bon sang, merci beaucoup, hyung ! J'arrive pas à y croire ! »

Exultant d'un bonheur sincère, Jimin se laissa aller à enlacer son nouveau supérieur, lequel parut geler sur place, devenu aussi immobile qu'une statue de marbre. Le cadet s'aperçut de son geste et recula aussitôt, embarrassé. Il se frotta la nuque et esquissa un sourire penaud.

« Pardon, je me suis emporté. J'imagine que maintenant, il va falloir qu'on se vouvoie de nouveau...

- Au travail, sans doute, mais... si un soir on veut manger de nouveau ensemble au restaurant, alors peut-être... que ce serait plus sympa de se tutoyer.

- Je pense, » approuva Jimin qui lutta pour apaiser son cœur afin qu'il ne propulse pas tout son sang dans ses joues.

Le regard qu'ils échangèrent sans le vouloir, levant tous deux les yeux au même instant, leur donna l'impression d'un éclair qui les frappait. Une violence inouïe, une chaleur qui l'était plus encore. Jimin aurait ri si on lui avait présenté ainsi le coup de foudre, et pourtant les sensations délicieuses qui se développaient dans son corps ne mentaient pas : il aimait Yoongi, et connaître l'histoire de ces partitions, de ce bien si précieux, si humain, si touchant... Il ne l'en aimait que davantage, désormais convaincu d'être bel et bien épris du véritable Yoongi, et non d'un seul morceau de son âme.

Tout cequ'il était lui plaisait, pas juste son côté innocent et souriant. Il aimait lamine taciturne qu'il affichait en réunion, son côté mesquin lorsqu'il letaquinait un peu trop, sa sensibilité quand il était question de son piano etde ses partitions. Yoongi dégageait quelque chose de fascinant que ne possédaitpas le morceau trop lisse avec lequel Jimin avait cohabité durant une journée.Déjà le jeune homme avait hâte qu'ils travaillent ensemble afin de découvrirtoutes les facettes de sa personnalité comme autant de fantômes qui formaientun tout, le vrai Min Yoongi.