Chapitre 46 - King 🏒

Il y a trois jours à peine, jamais je n'aurais songé que j'arriverais à me trouver dans le même habitacle que James sans avoir envie de lui en mettre plein la gueule. Pourtant, ce week-end en sa compagnie et celle de ma mère s'est superbement déroulé. Après de nombreuses années, j'ai enfin eu l'impression d'être à ma place. Apprendre la vérité au sujet de mon père a modifié ma vision des choses. J'ai enfin compris certaines remarques de James, et ce ressentiment qu'il semblait éprouver à chaque fois que j'élogiais mon géniteur.

J'ai réalisé que malgré son air froid, James est bien plus droit que mon paternel. Il a toujours pris son rôle très au sérieux, il est conscient que des gens dépendent de lui, contrairement à mon père qui se fichait du bien-être de ses employés.

C'est difficile de déconstruire tout ce que l'on pensait réel. Malgré tous les soucis que le suicide de mon père m'a causés, je suis heureux d'avoir évité cette vision d'horreur à ma mère. Elle méritait de refaire sa vie auprès de quelqu'un de bien, qui la respecte et qui prenne soin d'elle.

Et James remplit ce rôle à merveille.

Je jette un coup d'œil vers lui, les mains serrées autour du volant de sa Mercedes-Benz Clase C. L'idée était que je rentre demain dans la soirée, mais j'ai déjà raté un entraînement. Et il faut bien que le capitaine montre l'exemple. Je ne veux plus décevoir le coach.

James a du mal à entamer une conversation avec moi, le sentiment est réciproque. Je me suis tellement évertué à le détester au fil du temps, mais surtout de ces derniers mois, que j'ignore quoi lui dire.

Mon parrain a repris un rôle qui ne lui correspondait pas. Et je conçois qu'il a porté sur ses épaules le poids d'une entreprise ainsi que d'une famille qu'il n'a pas fondée. Il a pris soin de ma mère, de moi et il s'est toujours assuré que nous ne manquions de rien.

Je ne doute pas de l'amour qu'il porte à Amanda, je le vois à chaque fois qu'il la regarde. La douceur, la tendresse que je lis sur ses traits alors qu'il pense que je ne remarque rien. Avant, je ne m'en rendais pas compte, mais aujourd'hui, je comprends, parce que je regarde Brooke exactement de la même manière.

Ma relation avec lui est toujours tendue et le restera pendant un moment. Après tout, on n'efface pas des années d'hostilité en un claquement de doigts. Néanmoins, je ne ressens plus cette rancœur permanente, et c'est drôlement libérateur.

Plongé dans mes pensées, la voiture s'arrête et je remarque que nous sommes arrivés devant mon immeuble.

James met le clignotant à gauche et se tourne vers moi, l'air peu assuré. Il craint sans doute que mon comportement du week-end n'ait été qu'une façade. On peut dire que je ne lui ai pas rendu la tâche facile depuis qu'il est devenu mon beau-père.

— C'était chouette de t'avoir à la maison, me confie-t-il. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu Amanda aussi heureuse. Ça lui a fait beaucoup de bien. Tu lui manquais atrocement, Ash.

Oui, j'en suis parfaitement conscient. Elle aussi je lui en ai fait baver. Je n'ai épargné personne. Mais, à partir de maintenant, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour me racheter. Je ne veux plus jamais ressentir cette haine en moi, c'est fatiguant, frustrant et surtout, ça ne mène à rien.

— Reviens plus souvent, ça lui ferait très plaisir. Et... à moi aussi.

La communication n'a jamais été le point fort de James. Il exprime rarement ses sentiments, comme beaucoup d'hommes de sa génération. Néanmoins, il essaye et ça, c'est déjà un bon début.

— Merci, James, réponds-je en lui tendant la main.

Il la fixe pendant quelques instants, puis, sans plus une once d'hésitation, il l'empoigne.

— Pour tout, ajouté-je, la gorge nouée. Je sais que si tu n'avais pas aidé ma mère, elle n'aurait peut-être jamais trouvé le courage de se libérer de mon père.

Mon parrain se fige, et yeux dans les yeux, nous nous observons dans le silence. Je suis également conscient que sans lui, nous aurions perdu la maison à cause des dettes accumulées par mon père. Apprendre tout ce qu'il avait pu commettre a été comme une énorme baffe en plein visage. Ou plutôt, comme être passé à tabac. Mais c'était nécessaire. Je vivais dans une illusion. Jamais la réalité ne m'aurait effleuré l'esprit, c'est bien trop malsain, cruel.

— Amanda est plus forte que ce qu'elle imagine. J'ai toujours cru en elle, et jamais je ne cesserai de le faire.

— Elle a de la chance... de t'avoir.

— C'est moi qui ai de la chance, avoue-t-il, un léger sourire en coin. Tout comme toi, tu es chanceux d'avoir Brooke.

Oui, enfin, ça reste à prouver.

Je l'aime, c'est un fait, mais en attendant... je n'ai toujours aucune nouvelle d'elle, et ça me mine. L'attente se fait trop longue, et l'envie d'aller la voir afin de mettre les points sur les « i » devient urgente. Je prends sur moi, cependant, c'est de plus en plus difficile de demeurer rationnel. Le pire, c'est la nuit, quand mon sommeil en résulte perturbé.

Wolfy se complait à me mener la vie dure, et la seule chose dont j'ai besoin, c'est de la serrer dans mes bras.

— Ça va s'arranger, j'en suis persuadé, Ash.

— Oui, j'espère. J'ai beaucoup de mal à rester sans ne rien faire, mais d'après mes amis, je ne peux rien faire d'autre, si ce n'est attendre.

Une logique totalement bidon, toutefois, il semblerait que la majorité ait raison.

— Suis ton cœur. Si tu as vraiment besoin de la voir et de mettre les choses à plat, fais-le. Prend le taureau par les cornes, démontre-lui que tu es prêt à tout pour elle. Même à rompre si c'est ce qu'elle désire.

Face à cette idée, mon ventre se noue et mon cœur se comprime. Tout arrêter ? Ça me tue de penser une telle chose.

— Ne reste pas sur la touche. Si tu veux mon avis, c'est la pire chose à faire. Je crois que tu es resté en retrait pendant suffisamment longtemps. À ta place, j'aurais craqué bien avant.

Il ignore à quel point je me réprime, même en cet instant. Tout mon être m'incite à quitter cette voiture et de partir tout droit chez elle afin de tout contextualiser.

— Et bonne chance pour ton poste de capitaine. Ce n'est pas rien d'être le leader d'une équipe. Mais tu vas y arriver, tu as ce qu'il faut pour les mener au Frozen Four.

— Attention, je vais peut-être battre le score de ton équipe, plaisanté-je.

— Je te le souhaite.

Amicalement, il me sourit et me donne une tape sur le dos. J'aimerais que notre génération puisse remporter le championnat, à l'instar de la sienne. Je vais tout faire pour mener mes gars à la victoire. L'échec n'est pas une option.

— Bonne soirée, Asher.

Je me contente de hocher la tête, de sortir du véhicule puis de me diriger vers le coffre afin d'attraper mon sac.

Une fois sur le trottoir, je salue James d'un geste de la main et je le contemple s'éloigner, alors que le soleil couchant de ce mois de novembre disparaît à l'horizon.

Passer ce moment avec lui m'a, étrangement, fait du bien. Encore une preuve que ma haine m'aveuglait terriblement. Je pourrais même dire que c'était agréable de discuter avec lui, presque apaisant. Nous nous cachons tous derrière des remparts afin de nous protéger, mais ces mêmes murailles sont celles qui nous éloignent de ceux qui sont prêts à tout sacrifier pour nous. La peur du rejet, de souffrir... ce sentiment est bien plus néfaste qu'on ne le croit.

Les mains plongées dans les poches, l'âme plus légère, je pénètre dans mon immeuble et rejoins le dernier étage.

J'insère la clé dans la serrure, et lorsque j'ouvre la porte, je retrouve Ian ainsi que Cass dans la cuisine. Ce dernier se retrouve derrière les fourneaux tandis que le premier est assis sur le plan de travail en train de siffler une bière. Tous deux me dévisagent, comme si un troisième œil avait élu domicile au milieu de mon front.

— Quoi ?

— Tu ne rentrais pas demain ? s'étonne le blond.

Je balance mes clés dans le bol placé à cet effet sur la petite table haute de l'entrée.

— Les plans changent, Ian, soupiré-je. J'ai raté l'entraînement d'aujourd'hui, je pense que c'est suffisant. J'ai pas mal de trucs à me faire pardonner auprès du coach, et du reste des gars.

Même de Novak. Après ces derniers jours particuliers, j'aime croire que je suis de retour. Je suis conscient de toutes les erreurs que j'ai commises et je compte bien réparer ça.

— Ça fait plaisir à entendre, remarque Cass, une louche à la main. On dirait que tu es redevenu... toi.

— Oui, on dirait, ricané-je en passant une main dans mes cheveux. J'avais besoin... de tout ça.

— La vérité rend libre, récite notre fée du logis. Je suis heureux pour toi. Tu as dîné ?

— Non, pas encore. Qu'est-ce qu'on mange ?

En tout cas, ça sent vachement bon. Je n'ai aucun doute des capacités culinaires de Cassidy. Cet enfoiré sait y faire.

— De la soupe de poulet aux vermicelles, répond-il, railleur.

Bon, parfois, il lui arrive d'avoir la flemme. L'essentiel, c'est que ce soit comestible. La dernière fois qu'Ian a tenté de préparer le repas, il a failli mettre le feu à l'appart. Et quand il découpe des légumes, il est toujours à deux doigts de s'auto-mutiler. Le regarder faire est synonyme d'avoir une attaque cardiaque.

— Ça sent bon ! balance une voix féminine en débarquant depuis le salon.

Max avance, ses cheveux courts noirs aux mèches vert fluo en bataille, et en baillant. Elle étire ses bras, puis s'empresse de faire quelques étirements. J'entends craquer certains de ses os, elle finit par pousser un petit gémissement de bien-être.

— Tiens, tu es de retour, remarque-t-elle enfin ma présence. Bon, qu'est-ce qu'on mange ?

Demain, ça fera sept jours qu'elle a débarqué. Et j'ai la nette impression qu'elle traîne le plus possible pour continuer à squatter notre chez nous. D'après Ian, elle est super douée en hacking, mais je commence à avoir des doutes. Selon elle, le pirate a bien couvert ses traces, mais je me méfie. Jusqu'à présent, la seule chose qu'elle ait fait, c'est vider notre frigo et nous demander de lui acheter des canettes de Monster. Cette fille est un drôle de personnage, elle me rappelle une espèce de petit lutin. Ou plutôt, un leprechaun.

— Tu avances ? ne puis-je m'empêcher de lui demander.

— Change ce petit ton avec moi, Kingston. Je fais ça de bonté de cœur, parce qu'Ian est un pote. Je te rappelle que je ne suis pas payée, et que je me casse la tête depuis presque une semaine.

Cette fille... est insupportable. J'ignore comment Ian s'est tissé d'amitié avec elle. Mais quoi qu'il en soit, j'ai besoin d'elle, alors je vais mettre mon mauvais caractère de côté, respirer et relativiser.

— Sinon, oui, ça avance. Je pense être tout près du but. Alors, sois patient, d'accord ? On y est presque.

— D'accord. Je fais confiance, marmonné-je.

— Comme si tu avais le choix ! raille-t-elle. Appelez-moi lorsque ce sera l'heure de dîner !

Puis elle retourne dans la chambre qu'elle occupe depuis son arrivée ici.

Ian arbore un sourire nerveux tandis que Cass lève les yeux au ciel. Jamais je n'aurais imaginé qu'une fille deviendrait notre coloc. Et j'ignore si elle repartira une fois toute cette affaire réglée.

— J'ai discuté avec Brooke ce matin, elle est retournée à l'université, m'annonce Ian.

À l'entente de son prénom, je me tends, perplexe.

Elle cause à Ian sans problème mais elle est incapable de répondre à l'un de mes foutus textos ? Ce n'est pas de la jalousie que je ressens, mais plutôt de la déception, ainsi qu'une bonne dose d'impuissance.

— C'est top, réponds-je en tentant de feindre l'indifférence, alors que je bous intérieurement.

— Elle compte rentrer à Boston, lâche-t-il lorsque je m'apprête à quitter la cuisine.

D'office, je me fige. Mon cerveau bugge, mon cœur ratte des battements et mes oreilles commencent à bourdonner. Les membres pantelants, je demeure statique pendant ce qui me semble être une éternité tant cette nouvelle me bouleverse.

Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Pourquoi ferait-il une telle chose ? Sa mère lui a demandé de retourner chez elle il y a deux semaines, or elle a refusé catégoriquement. Elle... elle fait ça à cause de moi.

Alors... c'est fini ? Elle ne compte même pas venir me le dire en face ?

Putain !

Les nerfs à vif, je fais volteface, attrape les clés de voiture et en moins de deux, je me retrouve derrière le volant de ma Porsche. Elle ne peut définitivement pas faire ça. Si elle veut tout arrêter, très bien, mais retourner chez sa mère causerait sa perte. Et... bordel, je ne veux pas qu'elle soit malheureuse à cause de moi. 

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Les choses redeviennent petit à petit à la normale pour King, même si le silence de Brooke l'agace toujours autant. Toutefois, la petite révélation d'Ian a de quoi lui faire péter les plombs 👀

Vous sentez les retrouvailles ? 

On se retrouve demain pour la publication du chapitre 47 à 20h. 

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