Les mains autour du volant de ma Fastback, je tremble légèrement, le regard braqué sur tous ces élèves qui traversent le parking du campus. Le cœur au bord des lèvres, revenir à la fac m'a rarement semblé aussi éprouvant. Cependant, il le faut. Je ne peux pas rester cloîtrée chez moi pour l'éternité afin d'éviter toute potentielle souffrance. J'ai peut-être agi ainsi ces derniers jours, mais c'est terminé.

Une boule en plein milieu de l'estomac, je m'extirpe de mon véhicule et claque la portière avant de me diriger vers mon bâtiment.

Aujourd'hui, je vais sans aucun doute croiser King. Je n'ai pas cessé d'y penser du week-end. Ma conversation avec ma grand-mère a remué quelque chose au fond de moi, je n'arrive pas à y passer outre. Il est temps de l'affronter, de lui demander pardon et de constater si notre relation peut être sauvée, ou si au contraire, il est trop tard.

J'avance parmi la foule avec aisance, à un pas modéré. Je remarque que personne ne fait attention à moi, pas de messes basses, pas de regards de travers ou graveleux. J'en conclus que cette vidéo n'a pas fuité, l'une de mes plus grandes peurs. Perdue, j'ignore toujours ce que cherchait ce pirate. Il est évident qu'il s'agit de quelque chose de personnel, à moins que ça ne soit qu'une coïncidence. Néanmoins, j'ai dû mal à y croire.

— Brookie ! m'accoste Ian en me sautant dessus, comme à son habitude.

Sans même m'en rendre compte, je me retrouve entre ses bras. Le blondinet me serre contre lui tendrement, tandis que Cass avance jusqu'à nous d'un pas nonchalant. Fidèle à lui-même, il arbore un air blasé qui en dit long sur son état d'esprit. Il se contente de me saluer d'un hochement de tête, tandis que son acolyte commence à me demander comment je vais et tout un tas de questions qui m'échappent. Mon attention est attirée par l'absence de King. En général, ces trois-là sont toujours collés ensemble en début de matinée, avant de se séparer pour rejoindre leurs cours respectifs.

— Il n'est pas là, m'informe Knight. Il rentre demain soir.

— Où... est-il ?

Ma question est sans doute audacieuse, tenant compte de mon comportement. Lorsqu'elle franchit la barrière de mes lèvres, j'ai la sensation que je n'ai pas le droit de la poser. D'ailleurs, l'attitude hautaine de Cassidy parle d'elle-même. Il n'apprécie pas que je ramène ma fraise après mon silence radio.

— À Richmond, intervient Ian, bien plus affable. Il est parti samedi avec sa mère.

Sa réponse me surprend énormément, pourtant, je suis heureuse de l'apprendre.

— C'est une bonne nouvelle... j'imagine.

— Oui, soupire le joueur de Lacrosse. Même si certaines révélations font mal, parfois, elles sont nécessaires.

Instinctivement, je fronce les sourcils, et la curiosité me gagne. J'aimerais lui demander de poursuivre, mais je doute qu'il le fasse. L'essentiel, c'est que King ait pu mettre les choses à plat avec sa mère et peut-être tenter de se réconcilier avec elle. Et pourquoi pas, avec James aussi. Si c'est le cas, je suis fière de lui.

— Max avance dans ses recherches, continue Ian.

— Ton amie le génie de l'informatique ?

— Elle-même ! répond-il tout sourire.

— Tu parles, ronchonne Cass. Elle dévalise notre frigo et squatte notre appart. T'as beau vendre ses mérites, elle n'a toujours rien trouvé.

— Homme de peu de foi, ricane le blond. Elle va y arriver, j'en suis persuadé. Max ne m'a jamais déçu, et ce n'est pas maintenant qu'elle va commencer. Disons simplement que l'hackeur a assez bien couvert ses traces, mais rien ne s'efface jamais totalement sur le net. Elle va dénicher ce salopard.

— Ou cette salope, intervient Poppy.

D'office, Cass lève les yeux au ciel, déjà agacé par sa simple présence. Cette dernière n'hésite pas à lui montrer l'aversion qu'elle éprouve à son égard.

Sans hésitation, elle m'enlace et dépose un baiser réconfortant sur ma joue, avant de me murmurer à l'oreille qu'elle est heureuse de me savoir de retour. Je me contente de lui sourire de mieux que je peux, même si le cœur n'y est pas vraiment.

Le fait de savoir King à Richmond devrait me rassurer, après tout, cela repousse l'échéance d'une journée supplémentaire. Or, l'angoisse devient de plus en plus pesante. J'aimerais enlever le pansement d'un coup sec.

— Tu as meilleure mine, remarque Poppy.

— Oui, après tout, quoi de mieux que se terrer pendant des journées entières pour péter le feu, pas vrai ? ironise Cass, qui visiblement m'en veut beaucoup.

Je devrais répliquer, mais pour le coup, je préfère écraser. Il ne fait que défendre son ami, après tout, mon comportement a laissé beaucoup à désirer. D'abord la façon dont je l'ai traité en quittant la soirée, et les jours qui ont suivi, en refusant de lui parler. Oui, il a de quoi être en pétards. Surtout que Cassidy, contrairement à Ian, semble être très protecteur envers ceux qu'il aime, et surtout, très rancunier vis-à-vis de ceux qui blessent ses proches.

— Ta bouche, Knightley, me défend mon amie, prête à lui arracher les yeux. T'es plus beau lorsque tu la fermes.

Au lieu de répliquer, le brun aux yeux émeraude la toise, avant d'esquisser un petit sourire malsain. On dirait que sa répartie l'amuse.

— Je ne vois pas de quoi tu te mêles, continue-t-elle en s'accrochant à mon bras.

— Je te retourne la question, Pops.

— Tiens, j'aime bien ce diminutif. « Pops », répète Ian.

— Contraction de Poppy et pop-corn, explique Cass, narquois.

— Parce que je bosse dans un cinéma, abruti ?

Il ne répond pas et se contente de sourire en la fixant, fier de l'effet que ce surnom produit chez elle.

— Parce que tu as tendance à péter les plombs. Comme un sac de pop-corn dans un micro-ondes, quand ça fait « pop », il n'y a plus de stop.

— Gamin, marmonne-t-elle.

— Avoue qu'elle est bonne, raille-t-il.

Ian lui tape dans la main, tandis qu'ils se bidonnent comme deux idiots. Cependant, cette ambiance me fait du bien. Il s'agit d'un parfait contraste de l'angoisse ressentie ces derniers jours.

— Bon, sinon, reprend-elle en tournant le dos aux garçons. Tu comptes faire quoi avec tu sais qui ?

— Je ne sais trop rien. Je suis... perdue. Je crève d'envie de lui parler et en même temps...

— La lâcheté n'a jamais aidé personne, m'interrompt le joueur de baseball. Tu veux un conseil ? Arrête de jouer et met les points sur les « i » au lieu de faire mariner mon pote. Je ne sais pas si tu te rends compte à quel point ton comportement à deux balles est cruel.

Ma gorge se serre, mon cœur se contracte et mon estomac se soulève. Le ton de Cass me file les chocottes, il ne plaisante plus. Son air sérieux et ténébreux me provoque des frissons.

— Cass, râle Ian. Tu n'as pas à t'en mêler.

— Désolé, mais j'en ai marre de cette pantomime. À cause d'elle, King a été à deux doigts de se faire virer de sa propre équipe.

— Quoi ?

Cette information me glace le sang. D'après Poppy, il était tendu, mais jamais elle ne m'a dit que c'était à ce point.

— Tu crois qu'il se passe quoi dans sa tête depuis mardi dernier ? Il ne pense qu'à toi, à combien cette histoire de webcam t'a blessé. Samedi, il s'est bagarré avec Novak sur la glace parce qu'il a remis en doute ses capacités en tant que capitaine. Tu ne nuis pas seulement mon ami, mais aussi au bon fonctionnement d'une équipe qui, jusqu'à il y a encore une semaine, avait toutes ses chances d'arriver en finale du championnat de la NCAA. Tu veux que je continue ou ça te suffit ?

Les larmes au bord des yeux, je pince mes lèvres. Même si je voulais parler, je crois que je ne le pourrais pas. J'imaginais que la situation affectait King, mais pas au point de foutre en l'air son avenir au sein de l'équipe. J'avais besoin de temps, je me suis comportée égoïstement et j'entends très bien les reproches de Cass. Ils sont plus que légitimes.

— Brooke, si tu veux mettre un terme à votre relation, dis-lui. Il a lutté contre son envie d'aller te retrouver afin de te laisser ton espace, on lui a tous conseillé de rester en retrait. Mais là, je suis désolé, tu vas trop loin. Alors prends une décision.

— Ce n'est pas si simple, chuchoté-je, le regard fixé sur mes pompes.

— Si, ça l'est, au contraire. C'est toi qui compliques inutilement les choses.

Sur ce, il fait volte-face et se barre, m'empêchant de lui répondre. Ian lui demande de l'attendre, mais le baseballeur trace sa route.

— Excuse-le, tente de me réconforter le blondinet. Il n'en a peut-être pas l'air, mais Cass est très empathique. Il ressent la douleur de ceux qui l'entourent avec beaucoup d'intensité.

— Qui le dirait, ironise Poppy.

— Mais il a raison, Brooke, prend-il un air sérieux. Si tu veux mettre un terme à ta relation avec King, dis-lui. Tu n'es pas la seule à souffrir.

Les larmes débordent, je les efface à l'aide de la manche de mon pull.

— Je sais, Ian. Je crains juste qu'il ne veuille pas me pardonner. J'ai honte de ce que je lui ai dit, la façon dont je l'ai traité.

— Brooke, continue-t-il en posant une main sur mon épaule afin de la serrer tendrement. Je peux t'assurer que King ne t'en veut pas, il comprend. J'ignore tout ce que tu as traversé, il n'a pas voulu en parler, mais j'ai rapidement compris que ta réaction démesurée était liée à ton passé.

Le fait que Dillinger n'ait rien raconté à ses amis compte énormément pour moi. Il n'a pas trahi ma confiance, il gardera mon secret sous scellé.

— King est loin d'être parfait, mais jamais il ne te blâmera pour ce que tu as dit ou fait. Il est bien trop amoureux pour ça.

Mes joues s'empourprent d'office.

— En tout cas, j'espère que cette idée saugrenue de rentrer à Boston a quitté ton esprit, reprend Ian.

Surprise, j'écarquille les yeux et lance un regard de travers vers mon amie. Visiblement, elle n'a pas pu tenir sa langue.

— Pardon, mais lorsque tu m'as balancé ça, j'ai flippé. T'en as parlé à personne, pas vrai, Ian ?

— Non, contrairement à toi, je sais me taire, la nargue-t-il.

Poppy lui tire la langue, il s'esclaffe.

— En effet, j'ai vite balayé cette idée, soupiré-je à bout, alors que la journée vient à peine de débuter.

— Je suis très heureux de l'entendre. Allez, souris ! Tout va bien se passer. King rentre demain, et vous pourrez tout arranger.

Un peu démoralisée, je me contente de hocher la tête. Il me gratifie d'un sourire éclatant et, à son tour, nous quitte.

En attendant, je ne sais toujours pas quoi faire. Je dois encore attendre une journée pour mettre fin à mon calvaire, à cette incertitude qui me ronge telle la rouille.

Les prochaines heures vont s'avérer les plus longues de toute ma vie. J'en suis persuadée. 

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Bon, Cass n'est pas connu pour mâcher ses mots, c'est un fait 😅 Il n'empêche que notre Brooke avait besoin d'une bonne remontrance, qu'on ne la prenne pas avec des pincettes. Pour balancer ses quatre vérités aux gens, Knight est l'homme de la situation 🤣

En tout cas, les retrouvailles c'est pour bientôt 😏

On se retrouve demain pour la publication du chapitre 46 à 20h. 

PS: on arrive bientôt à la fin du tome. Pour cause, il y a 50 chapitres + un épilogue 🥺