- Jones ! Jones !!
David s'arrêta sans se retenir de soupirer bruyamment. Auparavant, il avait toujours été très ami avec Georges Underwood, mais depuis qu'il y avait cette fille...
- Je suis pas d'humeur.
La veille, les Jones avaient eu une longue discussion familiale. Son père, après avoir délivré un véritable monologue sur les dangers représentés par Terry s'il restait à la maison, avait déclaré que l'aîné des trois enfants resterait encore quelques semaines dans l'hôpital psychiatrique où il avait été placé. La sœur de David avait dit oui, parce qu'elle ne s'entendait pas avec Terry. Sa mère avait dit oui, car elle avait peur pour lui. Elle semblait penser que la schizophrénie était contagieuse. Son cadet en revanche savait que ce n'était pas le cas et que, si un jour ses démons décidaient de se manifester, il n'aurait pas d'autre choix que d'attendre que ça passe, et de tenter de survivre à l'enfer. Cette perspective l'angoissait terriblement.
Le seul remède contre cette terreur qui le prenait aux tripes, c'était la musique. Jouer, écouter, chanter. N'importe. Juste fuir la réalité.
Dans ses moments lucides, David avait déjà entendu son frère dire qu'il n'entendait plus la musique quand il était en crise, qu'elle était couverte par les voix. L'adolescent avait songé que l'idée était encore plus terrifiante.
Terry... C'était lui qui l'avait initié à la musique. Quand il était en bonne santé, il était pour David une vraie idole. Mais le jeune homme ne se voilait pas la face. Sa mère pourrait prier autant qu'elle voudrait, jamais son frère ne serait totalement guéri. Mais il y aurait des jours meilleurs.
- Jones ? Tu te retournes quand je te parles ou...
Georges Underwood fut interrompu par une droite violente. David le lui avait dit : il n'était pas d'humeur.
La réponse ne se fit pas attendre. Moins de cinq secondes plus tard, les deux garçons étaient sur le bitume. Georges, plus lourd, parvint à maintenir David assez longtemps au sol que pour lui mettre un poings dans le haut de visage. Le jeune homme donna un coup de genoux dans le ventre de son adversaire, et reprit l'avantage. À califourchon sur son ennemi, il allait lui rendre la douleur aiguë qui lui traversait l'œil gauche quand un poigne de fer saisit son bras maigre et l'arrêta dans son geste.
- Jones, Underwood ! CONVOQUÉS !!!!

Margaret et David Jones étaient assis dans le métro, silencieux.
Un peu plus tôt, le verdict du médecin était tombé concernant l'œil du jeune homme : cas de mydriase. Le globe allait dégonfler, mais la pupille resterait dilatée en permanence. Cela ne poserait aucun problème de vue, mais donnerait seulement l'illusion de deux yeux vairons. Pour David, ça n'était pas un problème. Ça le caractériserait. Mais Margaret n'avait pas dit un mot de tout le trajet jusque chez le docteur, ni depuis. Il faut dire, elle n'en avait pas besoin, David savait ce qu'elle pensait. Qu'il aurait pu faire un effort, qu'il pourrait se montrer un peu plus mature, que ça n'était sûrement pas le moment de jouer au con.
- Je suis désolé.
Sa mère ne répondit pas. David soupira. Oui, il y aurait des jours meilleurs.