7 : La sensibilité d'un Kerivoula
- Euh, excuse-moi, marmonna-t-elle. Je ne voulais pas réagir comme cela...
- Tu détestes les miens ?
- Non, je t'assure. Seulement, je ne veux pas de vos rôles. Je préfère encore être servante que trempée dans vos affaires politiques. Mais vos ailes ne seraient pas de refus, je pourrais voir du pays à moindre coût.
Elle lui fit un clin d'œil en observant ses deux ailes. Elle tendit la main et en frôla le côté, le seul endroit qui était recouvert d'un fin duvet à l'aspect duveteux. Elle glissa ses doigts contre la fourrure orangée, provoquant une réaction tout à fait regrettable.
Lysander avait écartées ses ailes aussi grandes qu'elles pouvaient s'étendre, décollant d'une trentaine de centimètres.
Nyx recula de deux pas, plus embarrassée que surprise, puis percuta un vase en porcelaine qui se brisa contre ses talons.
- Flûte, lâcha-t-elle.
Le jeune homme retrouva la terre ferme tout en repliant ses ailes contre son dos. Leur taille était si imposante qu'elles frôlaient le sol.
- Je suis vraiment désolée, je ne savais pas que... je t'ai fait mal ? demanda Nyx avec embarras.
- Ce n'est absolument pas de la douleur que j'ai éprouvé, grogna-t-il. Nyx, promets-moi de ne jamais toujours les ailes de quiconque, du moins pas sans son consentement.
- Je... je n'aurais pas dû, je ne le referais plus.
- Tu ne pouvais pas savoir, ce n'est pas grave. Tu n'es pas blessée ? demanda-t-il en remarquant le vase.
- Non, je vais bien.
Elle entreprit de le rassembler. Par chance, il n'était brisé qu'en quatre morceaux.
- Alors, qu'est ce que ce monsieur a-t-il dit ?
Nyx posa la porcelaine sur la table d'où il était issu avant de continuer son récit, comme si de rien était.
Après tout, le vase n'allait pas se réparer comme par magie. Rien ne pressait, les autres membres de la famille de Lysander ne retourneraient pas dans leurs chambres avant deux bonnes heures.
- Comme je le disais, Monsieur Writher a voulu témoigner contre, et m'a appris quelque chose que je ne savais pas jusque là. Je savais qu'il était mon tuteur, mais j'ignorais qu'il versait une généreuse pension alimentaire chaque mois aux Dontyh. Or, je leur donnais également de l'argent.
- C'est là que ses ennuis ont commencé ?
- Oui, c'est à peu près cela. A partir de cette révélation, mon « père d'accueil » s'est retrouvé définitivement du côté des accusés. Lui qui avait lancé le procès, tout lui est retombé dessus.
- Au final, que s'est-il passé ?
- Pas grand-chose, beaucoup de bruits pour rien. Ceux qui m'avaient donné du travail n'ont eu qu'un avertissement et ont été prié de contacter les services de l'enfance s'ils rencontraient de nouveau ce genre de cas.
« Monsieur Donthy a dû me rembourser l'intégralité de l'argent que je lui avais donné. Celui que j'avais gagné m'appartenait toujours, mon tuteur l'avait même fait stocké dans une banque, afin qu'il puisse être en sécurité et surtout qu'il puisse rapporter du bénéfice sur le long terme.
- Ce monsieur Donthy n'a eu que cela comme amende ? s'étonna Lysander.
- Oh, le juge avait prévu tout autre chose. A la place, il devait normalement rembourser la pension alimentaire qu'il lui avait été versé depuis huit ans, en plus de ce que je lui avais donné. Seulement, mon tuteur est un homme bon, du moins il a de l'honneur. Il a refusé de punir sévèrement l'homme car cela se serait répercuté autant sur ses enfants qui eux sont innocents.
- En effet, un homme bon.
- Il a même remboursé les frais du procès. Tu sais, si tu lances une procédure et que tu perds, tu dois une véritable fortune à la Cour.
- Oui, en effet. Et après cela, où as-tu vécu ?
- J'ai vécu quelques mois chez mon tuteur.
- Je croyais qu'il ne pouvait pas te laisser chez lui ?
- Les... circonstances avaient changé. Du moins pendant quelques mois, jusqu'à mes seize ans, j'ai pu rester chez lui. Quand j'ai fêté mon seizième anniversaire, il m'a donné le choix de rester ou de vivre seule. J'ai décidé de travailler et de vivre par moi-même. Cela ne l'a pas empêché de me verser de généreuses donations. Quand je tente de les refuser, il me réplique qu'en tant que mineure, il est obligé de participer financièrement et que je défiais la loi en refusant son argent. En un mot, il me force la main. Malgré tout, ses gestes m'ont beaucoup aidé.
Le prince se grattait le menton, pensif.
- Cela ne répond pas à la première question : Comment êtes-vous devenue servante à seize ans ? C'est rare qu'ils prennent des domestiques si jeunes.
- A cause du procès. Mon excellente réputation s'est étendue jusqu'à atteindre le palais royal. Du moins, quand j'ai demandé quelle affection me siérait le mieux, ce passif a été pris en compte. Force, rapidité, discrétion, je savais faire toutes sortes de tâches ménagères. J'avais déjà des connaissances et un certain talent pour me faire oublier. Surtout, j'ai été franche. Lors du procès et même avant, à l'école. Je suppose que c'est pour cette raison que je travaille au Palais Royal et non ailleurs.
Soudain, elle réalisa qu'il avait dû se passer une heure le temps de leur conversation et ce constat la mortifia.
- Comment en sommes-nous arrivés à là ? se demanda-t-elle subitement. Je viens de vous conter ma vie toute entière !
- Pas entière, non, mais je suis heureux d'en connaître davantage sur vous.
- Filez, votre Altesse, que je puisse finir mes tâches.
- Encore une dernière anecdote ?
- Je suis sérieuse, vous allez me mettre en retard.
Elle se détourna déjà de lui, attrapa le vase et vérifiant les éclats qui se trouvaient au sol. Avant de partir, le prince ne put s'empêcher d'ajouter :
- Au revoir, Nyx.
Dans leur langue, cette formule signifiait plus qu'une simple salutation de politesse. Il s'agissait plutôt à marquer l'impatience qu'avait le locuteur de revoir son égal, c'était une marque d'affection. Utilisée entre amis, la plupart du temps, mais le Prince Lysander pouvait-il vraiment avoir un ami ?
Nyx murmura une réponse à son tour, juste avant qu'il ne disparaisse complètement de vue.
- Lysander.
Il se retourna.
- Merci de m'avoir écoutée.
- Ce fut un plaisir, Mademoiselle.
Puis il s'en alla vaquer à ses occupations de Prince, qui semblaient bien mystérieuses pour Nyx.
Elle rêva un instant qu'elle ne fut pas servante mais princesse puis se rappela que la royauté impliquait la politique, les intrigues de la Cour et elle se ressaisit.
Non, pour rien au monde elle ne voudrait devenir Princesse.
Et jamais elle ne le serait, elle en avait conscience jusqu'aux tréfonds de son âme.
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