Nyx frottait le voile de sa tenue entre son pouce et index, nerveuse.

- Vous savez déjà que je suis fille unique.

- En effet, murmura-t-il plus vite qu'il ne l'aurait voulu.

- Seulement, ce n'était pas un choix. Ma mère est retombée enceinte. Son accouchement s'est très mal passé. Elle est morte en couche.

- Seigneur.

- Je ne sais pas exactement comment ça s'est passé, j'avais seulement deux ans. On me l'a seulement raconté. Le petit frère que j'aurais dû avoir est parti, lui aussi. 

Elle prit une grande respiration avant de poursuivre. A présent qu'elle avait commencé à parler, il lui semblait que de l'eau se déversait d'elle, d'abord quelques gouttes puis une véritable cascade s'écoulait sans qu'elle puisse l'en empêcher.

- Mon père m'a élevé seul, il ne s'est jamais remarié. Du moins, peut être n'en a-t-il seulement jamais eu l'occasion. 

La voix tremblotante, la jeune femme inspira.

- J'avais cinq ans quand il est tombé gravement malade. Depuis lors, nous passions la moitié de notre temps chez son très grand ami. Il est décédé après deux longues années où il semblait perpétuellement épuisé et usé, comme si le temps passait plus vite pour lui que pour moi.

Nyx prit une pause afin de bien se remémorer les détails de sa jeunesse. Le déroulement de sa vie avant ses dix ans restait assez flou et si on ne lui avait pas raconté, elle aurait été dans l'incapacité de s'en souvenir.

- A la mort de ton père, qui t'a recueillît ?

- J'étais persuadée que j'irais vivre avec son grand ami et je ne m'étais guère trompée : c'est une branche de sa propre famille qui m'a recueillie.

Elle fit la moue à un souvenir puis continua sur sa lancée :

- Les Dontyh étaient une famille nombreuse avec bien trop d'enfants à nourrir. Je n'ai jamais été très à l'aise avec eux. Chacun vaquait à ses occupations comme si personne n'avait véritablement conscience de son voisin. Nous vivions tous ensemble, prenions nos repas ensemble, jouions ou travaillions dans les mêmes lieux et pourtant cette demeure n'avait rien à voir avec celle que j'avais partagée avec mes parents. J'ai quitté leur compagnie dès qu'il m'a été possible de le faire.

- Tu avais quel âge ?

- J'ai quitté leur demeure à mes quinze ans.

Nyx mourrait d'envie de tout lui raconter, à présent qu'elle était lancée sur le sujet. En sa qualité de servante, elle ne pouvait accaparer le temps du Prince pour son plaisir personnel.

- Je vous remercie de m'avoir écouté, fit-elle en esquissant une piètre révérence.

Lysander attendit un instant, elle se relevait, se mordillait la lèvre et se grattait distraitement les ongles, geste disgracieux qu'elle ne parvenait pas à stopper.

- Nyx, gronda le Prince.

- Votre Altesse ?

- Pourriez-vous me conter le reste de votre histoire ? Cela me ferait plaisir de l'entendre. Bien entendu, cette décision vous appartient.

- Eh bien...

Le jeune homme sourit, il savait qu'elle appréciait autant que lui ces discussions.

- Vous en étiez à parler de votre famille d'accueil... lui rappela Lysander.

- Oui. J'aidais les Dontyh aux tâches ménagères et à la ferme également. Cela me paraissait naturel, c'était la moindre des choses. Quand j'ai eu 10 ans, j'ai aidé dans les fermes voisines contre quelques piécettes.

Nyx sourit, un air rêveur dans le regard.

- Deux ans plus tard, j'avais déjà économisé un petit butin. J'en donnais la moitié à ma famille d'accueil car cela me semblait tout aussi normal que les tâches ménagères. Au fil des ans, je m'étais déjà forgée une petite réputation de bonne travailleuse.

- Alors cela ne date pas d'hier ?

Il fit son commentaire d'un air amusé, espérant quelque peu détendre l'atmosphère qui ne cessait de s'alourdir. Nyx lui retourna un doux sourire rêveur, coincée entre ses souvenirs et la réalité.

- Qu'as-tu fait, après ?

- Comme je le disais avec que Son Altesse ne me coupe la parole, ajouta-t-elle malicieusement, je m'étais construite une réputation dans les environs.

Il fit la moue devant le terme « Son Altesse » qui lui donnait de l'urticaire.

- Quelle était donc ta « Réputation » ?

- Elle était celle d'une jeune fille qui faisait le travail qu'on lui demandait. Avec pour particularité d'être discrète, forte, rapide et inépuisable. A dire vrai, ce n'était guère exact mais le bouche à oreilles construit sa propre œuvre et à seulement douze ans, j'avais triplé le nombre de domaines où je travaillais.

- Attendez une minute ! s'exclama-t-il.

Lysander fit les gros yeux, venant de réaliser ce qu'elle sous-entendait.

- N'en dites pas plus. Cela n'était certainement pas légal. Mais je persuadais les gens de m'aider, je leur servais l'histoire bien connue de l'orpheline qui veut s'émanciper. Les fermiers et fermières du coin avaient bon cœur. De leur point de vue, je ne travaillais qu'une ou deux heures en plus de mes journées d'école. Ce qu'ils ignoraient c'est que je cumulais deux petits boulots le matin et deux le soir. Sans compter tous les après-midi où j'ai fait l'école buissonnière.

Le Prince la regardait, dubitatif. Une question lui mordait la langue, en mauvais menteur, il ne pouvait pas non plus cacher ses pensées.

- Mais... personne ne l'a jamais su ?

- Bien sûr que si, pourquoi croyez-vous que je sois ici ?

Il eut une mine encore plus dubitative. Il la questionna du regard et, voyant qu'elle ne répondrait pas, lui demanda franchement :

- Ils ont voulu prendre une jeune fille qui travaillait illégalement... pour la faire travailler au palais ?

- Pas exactement.

Elle souriait d'une moue mutine. Lysander trouvait cela charmant.

-Disons que j'ai eu quelques... problèmes. Quand j'ai eu quinze ans, la famille qui m'a recueillie a voulu profiter de ma situation quand ils se sont aperçus que je travaillais autant et que je ne leur donnais que les mêmes maigres piécettes qu'ils recevaient depuis mes dix ans.

- Ils ont voulu te faire travailler pour leurs comptes ?

- Non... ma famille d'accueil à préféré porter plainte contre moi.

Note de l'auteur :

Vous en savez plus sur l'enfance de Nyx et cela ne fait que commencer !

Nyx, l'orpheline, la débrouillarde et l'adorable servante taquine, nous réserve bien des surprises.