1 : Le Palais Royal

Dans le royaume de Panmah, au cœur même du palais, une servante s'activait pour rendre la bâtisse impeccable.

Elle frottait consciencieusement les lames du parquet en bois verni jusqu'en apercevoir son propre reflet. Quelques mèches de ses cheveux noirs avaient glissées de ses chignons lâches.

Deux tresses africaines partaient de son cou pour remonter chacune dans un chignon délibérément lâche. On appelait cette coiffe « double top knot tressé ». Il n'y avait aucune élégance dans ce nom, selon elle.

-Vous n'avez pas finit de vous admirer ?

Elle releva la tête pour croiser les yeux bleus du Prince. Elle afficha un sourire narquois.

-Vous n'avez rien d'autre pour remplir votre journée que de parler aux domestiques ? lui demanda-t-elle d'un ton léger pour le taquiner.

-Non aux domestiques, corrigea-t-il, seulement à vous.

Elle roula des yeux dans un élan de fausse exagération. Tous deux savaient qu'ils appréciaient autant l'un et l'autre ses petites entrevues.

-Certes. Pour répondre à votre question, oui j'ai fini de m'admirer sur le fabuleux sol que Son Altesse peut fouler de ses nobles pieds.

-Ne m'appelez pas comme ça.

-Comment, Votre Altesse ?

-Votre Altesse !

-Mais c'est le titre requit par votre rang, Votre Altesse.

-Nyx, grogna-t-il.

Elle détestait quand il l'appelait par son prénom, d'autant plus qu'il lui était interdit par la bienséance de lui retourner la pareille. Alors elle fit comme à son habitude : elle le rendait aussi mal à l'aise qu'elle l'était, sans se soucier de son rang ou de son titre.

-Votre Altesse, je n'ai pas eu le temps de m'admirer assez longuement puisque vous m'avez interrompu en pleine réflexion.

-Quelle est-elle ?

Il haussa un sourcil interrogateur, attendant patiemment la suite. Il se doutait déjà que la jeune femme ne se priverait pas de ces petits jeux taquins auxquels ils s'adonnaient parfois. Mais tout comme elle, il les appréciaient et les attendaient toujours avec la plus grande impatience.

-Me trouvez-vous jolie, Votre Altesse ?

Il déglutit un instant. Nul Kerivoula ne pourrait mentir et même si certains maîtrisaient le concept de vérité à la perfection -ne pouvant mentir, ils détournaient les mots afin de cacher leurs véritables pensées- ce n'était pas le cas du Prince Lysander.

Le Prince ne pouvait cacher ce qu'il pensait, cela était d'autant plus vrai quand il s'agissait d'une question directe. Jamais il ne pourrait l'ignorer ni répondre par des demi-mesures.

-Evidemment, arçonna-t-il, vous êtes toujours magnifique.

-Ah, oui ?

Lysander voulu se mordre la langue, cette humaine savait le faire sortir de lui comme nul autre. Peut-être était-ce pour cette même raison qu'elle lui semblait si intéressante.

-Cette coiffure vous va à ravir.

-C'est la coiffe obligatoire des servantes, votre Altesse, souligna Nyx.

-C'est exact mais vous lui donnez une touche particulièrement personnelle, tout comme le reste de votre uniforme...

Cette fois-ci, il se mordit vraiment la langue pour s'empêcher de parler davantage. Mais la curiosité avait piqué Nyx qui se délectait sans s'en donner l'air. Elle se redressa de toute sa hauteur, lissa le bermuda bouffant qui s'arrêtait à ses genoux et fixa le Prince avec une curiosité non dissimulée.

-Mon uniforme ?

Il n'en fallut pas plus que cela. Il la regarda de haut en bas, passant en détails chaque couche de tissu qui la recouvrait. Son bermuda bouffant ajusté à la taille par une large ceinture colorée, symbole de son rang et de son importance.

Dans son cas, elle brillait d'un rose incarnadin faisant ressortir la couleur sable de ses vêtements. Un voile de mousseline d'un rose légèrement plus pâle formait un haut diablement transparent. Sa large encolure dégageait les épaules mais ses larges manches descendaient presque sur la moitié de son bras.

Par chance ou par malchance, selon la personne que l'on interrogeait, un haut sans manche surplombait le premier en s'attachant contre sa nuque, dévoilant une partie de son dos et de son ventre, qui n'était caché que partiellement par la mousseline.

Son profond décolleté descendait jusqu'au sternum, trop étroit pour qu'on puisse réellement le qualifier de décolleté, il donnait tout de même une allure irrésistible à la jeune femme.

Le même voile de mousseline lui couvrait ses mollets, tombant jusqu'à ses chevilles où s'entrechoquaient plusieurs bracelets couleur d'or -que ce soit du vrai ou non.

-Nyx... s'il vous plaît, ne...

-J'insiste.

-Très bien. Sur les autres, l'uniforme reflète davantage leurs rangs, leurs responsabilités. Mais vous... vos cheveux semblent décoiffés négligemment, votre tenue décontractée vous confère une allure pour le moins...

Il détourna les yeux, embarrassé. Nyx attendait, la tête penchée sur le côté, deux mains sur ses hanches. Elle guettait la suite avec impatience. Le Prince déglutit avant de lâcher la fin de sa phrase dans un seul souffle.

-Vous avez une allure qui vous donne un air terriblement sensuel.

Ce n'était pas qu'il avait voulu le lui faire remarquer mais il avait été dans l'incapacité physique de lui mentir et même de faire sortir ses pensées de sa maudite bouche.

-Je ne voulais pas vous dire cela, Nyx.

Là encore, il était parfaitement sincère.

-Je suis désolée de vous avoir obligé à parler, bien que le referais encore.

Elle montrait toujours le même sourire amusé, nullement contrariée ou gênée par ses propos.

-Vous n'êtes pas énervée, constata-t-il.

Ce n'était pas une question mais elle y répondit toutefois.

-Si vous saviez le nombre de gentlemans -elle souffla ce mot avec mépris- qui m'ont dit la même chose avant de laisser leurs sales mains s'égarer sur mon corps, vous ne vous étonneriez guère de mon comportement impassible. Mais je vous ai assez côtoyé pour savoir que vous n'êtes pas comme ces autres... personnes.

-Ils ont... quoi ? cria le prince, rongé par l'indignation. Qui vous a fait cela ?

-Je n'ai jamais dit que je les avais laissé faire... tout ceux ayant tentés quoi que ce soit ne s'y sont jamais repris à deux fois.

Il ne semblait guère impressionné par sa tirade.

-Dites-le moi, si cela devait arriver de nouveau.

-Votre Altesse, je ne veux pas vous paraître ingrate mais je me passerais de vos services. Si je devais faire appel à vous au moindre problème...

-Pourquoi, est-ce si fréquent ?

Elle détourna les yeux et changea imperceptiblement de sujet :

-Encore une fois, je ne vais pas faire appel à vous à chacun de mes problèmes.

-Pourquoi refuser de l'aide ?

-Pour tout vous expliquer, je suis loin d'être la seule dans cette situation. La plupart des servantes ont reçu des propositions à la limite de l'indécence et beaucoup ne peuvent se protéger des agressions. Cela me semble injuste de jouir d'une protection qui ne se limiterait qu'à ma personne, alors que je sais pouvoir m'y protéger moi-même.

A présent, le prince Lysander fulminait.

-Que voulez-vous dire ? Insinuez-vous que nombre de servantes se font violenter ?

-Ce n'est pas aussi simple que cela. Voyez-vous, certaines se font bien violer, n'ayez pas peur des mots. Mais d'autres ne savent tout simplement pas comment refuser les avances des messieurs aux rangs qui leurs sont supérieurs, ce qui est le cas le plus fréquent malheureusement. Alors elles se laissent séduire ou persuader, c'est l'un ou l'autre. Pour finir, quelques exceptions ne se déplaisent pas de la situation.

-Vous voulez dire qu'elles l'acceptent ?

-Je veux dire que si ces messieurs fortunés sont assez galants pour leur offrir quelques présents, elles les laissent jouer à leurs petits jeux secrets. Ce sont elles, les vrais dangers.

-Pourquoi donc alors que ce sont celles qui se satisfasses le plus de la situation ?

-Car elles incitent insidieusement leurs consœurs de suivre la même voie qu'elles. Mais nous sommes des servantes, pas des putains.

Comme Nyx le fixa dans ses yeux orageux lors de sa dernière phrase, il tressaillit légèrement. Sa voix était chargée d'une haine teintée de désespoir. Il n'en connaissait la raison, mais ce son fut un supplice à entendre.

-Bien évidemment que non ! Je verrais ce que je peux faire pour... améliorer cette latence.

Nyx lui lança un sourire en biais et retomba sur ses genoux, le chiffon toujours en main. Elle le glissa dans le seau, l'essora et recommençait son dur labeur sans relever la tête.

Bien qu'il soit Prince, elle doutait qu'il puisse réellement améliorer la situation.

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