II.

Cette fois, la curiosité est collective. Le soir même, un rassemblement improvisé s'empare de la salle commune et échafaude toutes les folies : un amoureux brusquement éconduit, un criminel en fuite, un esprit vengeur, une romance perverse, une rivale déloyale, une Moldue rêvant d'être un sorcier, toutes les folies, les élèves d'une autre maison, le directeur de Poudlard, le ministre de la Magie, pour semer la zizanie dans cette époque turbulente, toutes les folies, sauf l'idée que, peut-être, les messages expriment une vérité que personne ne veut entendre.

Les discussions persistent jusqu'à ce que la Préfète disperse la foule à coup de menaces malfaisantes.

*

Narcissa gratte les derniers mots de son essai pour le prochain cours de soins aux créatures magiques lorsqu'un chuchotement furieux ("Avery !") lui fait relever la tête sur les rayonnages. Plus loin, la silhouette calme d'Avery et son châtain sans éclat disparaissent entre deux étagères, et alors que Narcissa s'apprête à reprendre ses devoirs, une pile de livres dégringole et Andromeda s'assied.

— Je hais McGonagall, dit-elle en s'effondrant sur la table.

— Bonne journée à ce que je vois, salue Narcissa sans lever les yeux.

En conclusion, la peau du Manticore ayant le pouvoir de repousser presque tous les sortilèges, il serait judicieux de conserver son usage à...

— Je m'étonne que tu ne sois pas en pleine chasse aux sorcières.

Avachie, un rideau d'épais cheveux noirs étalé en cercle, l'expression d'Andromeda est insondable.

— Avery accapare le corps et l'esprit de Violet, objecte Narcissa d'un ton fermé.

Elle aurait adoré mener quelques recherches, comploter, conduire un interrogatoire musclé, frémir sous le frisson du danger et, à la fin, s'accorder les crédits de la victoire... D'autant plus qu'elle avait une longueur d'avance sur les Serpentard, ayant passé des heures à réfléchir à l'identité de l'auteur des messages quand les autres s'en moquaient éperdument, mais Violet repoussait réunion après réunion, préférant canaliser ses efforts physiques et intellectuels sur le bécotage.

Andromeda hoche la tête, semblant comprendre l'implication de ces paroles sibyllines.

— De toute manière, le secret ne doit plus être si intéressant.

— Ah bon ?

— Réfléchis. Les secrets les plus ensorcelants enferment leurs possesseurs dans le silence. Avec cette nouvelle manifestation, il partage son secret, explique Narcissa. Je te parie que d'ici quelques semaines, tout Poudlard connaîtra l'histoire derrière ces messages.

— Mmmm (Andromeda se redresse et ouvre un livre au hasard) on dirait que tu y as longuement réfléchi

— Tu n'imagines pas le temps dont on dispose quand la gent masculine ne nous intéresse pas le moins du monde. D'ailleurs, j'ai considéré ton problème, aussi.

— Mon problème ?

Un air étonné alterne la physionomie arrogante et dédaigneuse des Black de son visage, bien que cette dernière ait toujours pris un aspect plus doux chez Andromeda.

— Tu adorerais avoir nos problèmes de sixième année...

Narcissa a laissé sa plume de côté et dévisage attentivement sa soeur.

— Ah... (Comme sa soeur ne bouge pas, Andromeda élabore) Oh, tu sais, juste l'impression écrasante que chaque décision est décisive pour mon avenir...

— Tu sais que ce n'est pas vrai.

Andromeda ne réagit pas, les yeux rivés sur un point derrière son épaule. Curieuse, Narcissa se retourne et surprend Severus Rogue et Lucius Malefoy au milieu de l'allée centrale, comme pulvérisés par une météorite, les yeux rivés sur leur table. Après un flottement, les traits de Lucius Malefoy reprennent leur rigidité coutumière et le grand blond s'éloigne d'une démarche sèche. Le petit rat, lui, les toise quelques secondes supplémentaires avant de suivre son aîné. Narcissa continue, fâchée par cet examen :

— Je ne crois pas à cette théorie du décisif. (Andromeda la regarde de nouveau) Notre existence ne dépend pas d'un ou deux choix en dernière année. La vie est une voie sans issue – peu importe le trajet, les détours et ralentissements, tu finis toujours arriver là où tu devais être.

Et comme sa grand soeur ne dit rien :

— Crois-moi, rien de ce que tu peux faire ne changera ton avenir. Il est déjà gravé dans les étoiles.

*

— On pourrait commencer sans Violet, propose Cornelia le lendemain.

Seul l'écho lui répond. Depuis les inscriptions sur la pureté de son sang, Kimberly ignore farouchement Cornelia et la concentration de Narcissa est retenue par son essai de soin aux créatures magiques qui n'a toujours pas de conclusion. Ce silence est d'autant plus vexant pour Cornelia que la salle commune est très calme à cette heure-là.

Les jambes étendues sur l'assise du canapé, celle-ci s'agace :

— Ohoh, vous m'écoutez ?

— J'étudie, répond la blonde. Contrairement à d'autres, je veux tous mes ASPICS.

— Pour quoi faire ? s'exaspère Cornelia. Tu comptes travailler peut-être ? (Le mot contient un mépris à peine voilé) Ouvrir une boutique pour créatures magiques sur le Chemin de-

— Non, abrège froidement Narcissa. Mon mari pourrait être intéressé par le fait que je peux prendre soin de toutes ses possessions.

— Je pense qu'il serait plus curieux de tes talents dans la chambre, ricane Cornelia, mais qu'est-ce que tu en sais... Tu n'as jamais embrassé personne !

Recroquevillée dans un fauteuil en face du canapé de Cornelia et Narcissa, Kimberly l'interrompt :

— Tu as froid, Narcissa ?

En effet, la blonde porte une grande cape d'extérieur alors que les foyers éclairent suffisamment la salle commune pour qu'on y voit sans aide magique. Plusieurs étudiants dispersés ont même délaissé leurs pulls, des petits bras nus apparaissant ci et là dans l'obscurité relative de la pièce.

— J'ai commandé des nouvelles robes.

Ses robes lui compriment tant la poitrine que les coutures des aisselles tirent, tirent jusqu'au point de rupture. Et un autre problème est apparu. Si ses cuisses conservent leur finesse, ses hanches se sont élargies, le plat de son ventre bombé... Narcissa a immédiatement arrêté le jus de citrouille et réduit ses apports caloriques, mais rien n'y fait. Elle ressemble aux madones nourrissant leur nouveau-né au sein ou ces Vénus glorieusement nues dans les tableaux du deuxième étage. De fait, Narcissa avait capitulé et commandé de nouvelles robes, plus larges et moins révélatrices. Fort heureusement, son visage a résisté à ces changements mortifiants.

Moins grande que Narcissa, Cornelia a néanmoins un corps aux angles droits, étroit et fragile. Apparemment très consciente des changements de mensurations de sa camarade, elle conseille, souriante :

— Tu devrais arrêter le jus de citrouille, cela fait grossir.

— Ne l'écoute pas, tu es très belle.

Cornelia jette une oeillade assassine à Kimberly et Narcissa, pressée de passer à des sujets plus importants, rétorque en ajustant sa cape :

— Oui, on devrait commencer sans Violet.

*

Un mouvement la tire brusquement du sommeil. L'esprit engourdi et désorienté, Narcissa ouvre les yeux et tâtonne dans le noir pour comprendre l'origine de ce bruit, mais l'inquiétude se mue en terreur lorsqu'elle prend conscience du poids sur ses jambes et la main sur sa bouche.

— Ne crie pas, c'est moi.

Une faible lueur au bout d'une baguette éclaire l'environnement. Les rideaux du baldaquin sont hermétiquement clos et Cornelia, en robe de nuit, à califourchon sur ses cuisses, la fixe intensément.

— Ne crie pas, répète-t-elle en retirant lentement sa main.

— Mais qu'est-ce que tu fiches, chuchote furieusement Narcissa.

— Shhhhhhhhh. (Cornelia se fige et attend quelques minutes pour voir si quelqu'un s'est réveillé) J'ai besoin de te parler...

— Dans mon lit ? Au beau milieu de la nuit ? Tu n'aurais pas pu attendre dema-

— Non ! S'affole l'intruse. Kimberly et Violet ne doivent pas savoir. Promets-le !

— Mais qu'est-ce qui t'arrive, s'irrite Narcissa en tentant de la repousser.

Cornelia obtempère et s'éloigne au pied du lit.

— Je... Je n'étais pas sûre au début, mais maintenant...

— Maintenant quoi ? S'impatiente Narcissa.

Être brusquement réveillée amenuise surprenamment ses maigres réserves de tolérance.

— Les mots sur le Mur, ils parlent de moi.

Cornelia tremble, ses yeux agrandis par la peur et la honte. Plus calme, Narcissa s'assied en remontant les couvertures jusqu'à ses épaules.

— Explique-toi.

— Violet disait tout le temp qu'embrasser un garçon changeait la vie... Je- j'ai voulu essayer...

— Cornelia, personne n'écrit Pute ou Traître à son sang pour avoir embrassé quelqu'un, explique Narcissa sur le ton le plus raisonnable de son répertoire.

— Je n'ai pas embrassé un Serpentard, précise l'autre écolière, rouge pivoine, je ne peux pas le dire à haute voix, mais... disons que si tu devais choisir celui qui te donne ton premier baiser, il ne serait certainement pas de cette maison...

— Gryffondor ?

— Pire, gémit Cornelia. Tu dois m'aider, j'en mourrais si cela se savait !

Narcissa compatissait – très modérément tout de même. Quelle idée répugnante, coller sa langue – le sol fertile des bactéries, le refuge des morceaux de repas, l'ensemble noyé par de la salive, un fluide corporel qui, comme tous les fluides corporels, est un déchet du corps humain – dans la bouche d'un autre... A la langue d'un autre...

— Je ne vois pas ce que je pourrais faire, renifle-t-elle.

— Eh bien, hum, Rusard nous a un peu surpris et... il m'a confisqué mon rapeltout.

— Tu te moques de moi, grince Narcissa.

Cornelia baisse les yeux, ce qui offre une réponse plus que suffisante.

— Tu me le paieras au centuple, s'énerve Narcissa en glissant dans son nuage d'oreillers. Maintenant, dégage de mon lit !

*

Le rendez-vous est pris dès le lendemain. D'une simplicité presque enfantine, le plan repose sur trois piliers. Un, agir normalement et, le soir venu, quand le château est endormi, se rhabiller pour sortir. Deux, monter jusqu'au rez-de-chaussée, pénétrer le bureau de Rusard, s'emparer du rapeltout. Trois, revenir au dortoir, jurer de ne jamais reparler de ce moment et, de nouveau, agir normalement.

La simplicité absolue constitue probablement la clé de l'harmonie, car Narcissa quoique brisée par la fatigue de sa courte nuit parvient à se comporter tout à fait normalement toute la journée. Après, l'effort n'a pas été titanesque, la banalité de cette journée frise le ridicule. Rien sur le mur, rien dans ses classes – bien qu'enfin débarrassée de ce devoir de soin aux créatures magiques, rien du côté de Violet – résolument absente pour batifolages, rien chez Kimberly – sans doute un peu plus maussade qu'à l'habitude, mais la jeune femme porte sa mauvaise humeur comme un vêtement de deuil depuis que son nom a été ensorcelé au mur.

Le soir, à la frontière de la somnolence, Narcissa attend patiemment le signal. Plus tard, sa baguette qui repose sur l'oreiller à sa droite vibre doucement jusqu'à ce qu'elle s'en saisisse.

En silence, Narcissa attrape au hasard un pantalon et un haut et descend de son lit en écartant prudemment les rideaux. Immédiatement, un mouvement draine son attention et, par réflexe, elle tourne la tête et rencontre les yeux bruns de Kimberly qui la dévisage dans l'obscurité de la chambre.

— Où vous allez ?

— Nulle part, chuchote Cornelia. Rendors-toi !

— Rusard lui a confisqué son rapeltout, on va le chercher.

— Je viens avec vous, dit Kimberly en se levant.

— On n'a pas le temps ! (Après avoir stupidement gardé la bouche grande ouverte sous le choc de la déloyauté de Narcissa, Cornelia a retrouvé sa combativité) On est déjà en retard sur le plan !

— J'enfile juste mon peignoir, contrecarre Kimberly.

Joignant le geste à la parole, celle-ci est prête en deux battements d'aile et, une minute plus tard, les trois Serpentard arpentent le couloir du dortoir des filles, Cornelia en tête pour éclairer le chemin de sa baguette.

Rejoindre le rez-de-chaussée est facile, ce n'est que lorsqu'elles arrivent au croisement avant le grand hall que Kimberly serre la main de Narcissa pour se donner du courage. Quelques tableaux râlent à leur passage, mais, rapidement, Cornelia déverrouille le bureau de Rusard et la tristesse de l'intérieur les déconcerte tout juste.

— Dépêchons-nous ! Presse Cornelia.

Narcissa assiège les placards en bois alignés contre les murs nus pendant que Kimberly et Cornelia s'efforcent d'ouvrir les tiroirs du bureau sans briser les verrous. En quelques minutes, les loquets cèdent et une grosse sphère fumeuse retrouve les mains de sa propriétaire.

— Incroyable ! S'extasie celle-ci. On pourrait en profiter pour fouiller dans les dossiers des élèves, non ?

— Mauvaise idée, signale Narcissa. On devrait rapidement regagner le dortoir.

— Ce que tu peux être froussarde, glousse Cornelia. Allez, imagine tout ce qu'on pourrait écrire sur le Mur...

— Narcissa a raison, tranche un peu froidement Kimberly.

C'est la première fois qu'elle adresse directement la parole à Cornelia depuis l'inscription Sang-de-Bourbe.

— D'accord, marmonne cette dernière. Rentrons.

Sur le retour, les tableaux protestent plus bruyamment, agacés d'être de nouveau dérangés. Kimberly, un peu craintive, comprime la main de Narcissa qui lui renvoie la même force avant de percuter brusquement Cornelia.

— Qu'est-ce que tu fiches, marmonne Kimberly en même temps que Narcissa prend conscience du fait que le halo blanc qui éclaire le couloir ne provient plus de la baguette de Cornelia.

Lucius Malefoy, l'insigne de Préfet-en-chef épinglé sur la poitrine, les a prises sur le fait.

— J-je, euh, bégaye Cornelia qui recule.

— Est-ce que l'une de vous peut m'expliquer ce qui se passe ? Demande le Préfet-en-chef.

Cornelia – qui recule encore – est décidée à rejoindre Durmstrang en marche arrière et Kimberly tremble comme un elfe de maison dans son peignoir à fleurs.

— Rusard lui a confisqué son rapeltout, révèle Narcissa. On est venues le récupérer.

— De nuit ?

L'inflexibilité de son visage masculin et arrogant suggère l'évidence sans qu'il n'ait besoin de se rabaisser à une énonciation : sans passer par la procédure standard et obtenir un formulaire du directeur de Serpentard ?

— De nuit, confirme-t-elle.

Sans s'en apercevoir, Narcissa a avancé au point qu'ils se touchent presque.

— Plus rapide, ajoute-t-elle.

La scène est surréaliste. Le faisceau du Lumos les immobilise et Narcissa ne ressent rien comme à l'ordinaire. Levant les yeux pour observer l'autre – ce qui lui arrive rarement, en raison de sa grandeur –, la jeune femme ne distingue rien d'autre que les minuscules rides d'expression au coin extérieur de son regard gris et froid, et le bout pointu de son nez. Dans son monde, Narcissa aurait été horrifiée de porter un pantalon vaporeux et un vieux tee-shirt de Quidditch. Dans son monde, Narcissa n'aurait jamais parlé à un sorcier, riche et influent de surcroît, sur ce ton-là. Mais rien ne semble réel.

— Et vous, que faites-vous dans les couloirs à cette heure ?

L'accusation transperce audiblement sa voix, mais Lucius Malefoy n'y répond pas. Soutenir ce regard inébranlable devient difficile, d'autres détails l'accaparent. La couleur de ses cheveux – un ton plus foncé que la sienne, la largeur de ses épaules – imposantes alors qu'il ne joue même pas dans l'équipe de Serpentard, un grain de beauté – à la lisière entre sa mâchoire et le menton...

Il détourne les yeux, reportant son attention sur Kimberly, chancelante et Cornelia, abasourdie par l'audace de Narcissa.

— Vous feriez mieux de réintégrer votre dortoir.

Son intonation est abrupte et le Préfet-en-chef ne la regarde plus quand il contourne les trois Serpentard pour partir dans la direction opposée.

Elles se précipitent aussi silencieusement que possible.

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