Une histoire de famille | Bourgeon

          Ils me fixaient, attentifs au moindre de mes mouvements tandis que je me présentais au pied de leurs trônes. Les rides qui faisaient autrefois sourire leurs visages se contentaient de les obscurcir, en cet instant solennel. L'immense pièce était sombre, et la présence du reste de ma famille dernière moi ne parvenait pas à la réchauffer. Les silhouettes de mes frères et oncles dansaient sur les murs, animées par un feu mourant. Ils me sourirent, alors que je prenais soin de me tenir bien droite.

         Et s'ils me demandaient un discours ? Et si je trébuchais ? Et si je les décevais ? M'inviteraient-ils toujours dans leur château ?

           Je les fixai en retour, tentant de discerner un encouragement muet sur leurs figures graves. Si sombres qu'elles se confondaient avec les ténèbres de la pièce derrière eux. Elles s'enfonçaient dans l'obscurité, leurs contours s'estompaient progressivement. Je me retrouvai seule dans l'atmosphère froide et humide. Leurs silhouettes planaient encore dans la pièce, glaçantes mais familières.

          Une main s'abattit sur mon épaule et je me retournai en sursautant. Liam était conseiller dans le palais, et bien plus que cela dans mon cœur. Ses yeux bleus s'illuminèrent lorsqu'il me sourit, et je sentis la bienveillance de mes grands-parents. Enfin. Mes épaules se détendirent, un fracas retentit alors.

         Nous nous ruâmes vers la porte d'un même mouvement, pour n'observer qu'une vaste étendue d'herbe tondue au millimètre. Liam sortit en direction de la grille du parc, je le suivis, inconsciente du danger. En effet, des gens escaladaient la grille, une lueur hargneuse dans le regard. Une lueur qui avait explosé dans leurs corps et les faisait avancer d'un pas rageur.

          Glacée par l'effroi apporté par la vision de ces personnes qui envahissaient le domaine, qui m'envahissaient moi, je ne pouvais bouger. Ce fut le cri de Liam qui me réveilla, et je courus vers le bâtiment, là où je serais en sécurité. Mais les missiles de défense s'étaient déjà mis en marche. Ils lacéraient le terrain selon une danse mortelle dont les mouvements se répétaient inlassablement. Trois tirs à la droite. Puis deux fonçant droit sur moi après une seconde. Quatre à ma gauche. Ils formaient une barrière de terre et d'acier entre le château et moi, une barrière qui n'était pas faite pour être franchie. Car plus je m'avançais, plus les tirs se rapprochaient, et il me restait à peine une seconde pour les éviter.

         Mes muscles réagissaient en suivant un instinct de survie primaire, il me fallait bouger sans réfléchir, ou les tirs m'atteindraient. Mon coeur battait si fort dans mes tempes que je n'entendais rien d'autre. Seulement le fracas du sang qui affluait dans ma tête. Si bien que je perdis le rythme.

          Je ne savais plus si je devais me baisser, ramper, courir ou éviter. Je ne savais même plus s'il était possible de survivre à ces tirs mortels. Alors, je plongeai vers la terre labourée, et le vacarme s'estompa.

          J'avais froid.
          J'étais dans le noir.

— Nous n'avons plus rien pour chauffer le château. Il n'y a plus d'argent dans les caisses, et le peuple se soulève.

         J'étais devant les cendres, à peine chaudes, la conversation résonnait dans toute la pièce. J'étais vivante. Je montai prendre une douche et croisai une ombre aux cheveux bruns et aux yeux bleus cernés.

— Liam ?

          Il me jeta un regard torturé et continua son chemin jusqu'à une suite vide. Interdite, je me dirigeai vers la salle de bain de la mienne. Il faisait si froid que je pouvais à peine m'y tenir sans grelotter. Dans un brouillard opaque, la tête lourde et l'esprit complètement ailleurs, je me réfugiai là où Liam venait d'entrer. Il ne m'accorda pas un regard, aussi j'allai prendre ma douche dans sa salle de bain plus chaude.

          Assise sur la baignoire, vêtue d'une serviette moelleuse, mes paupières se faisaient lourdes. Le moindre geste me demandait un effort incommensurable, et je savais que si je ne luttais pas, je m'endormirais ici même. Sombrer était si tentant... Je voulais lâcher priser, laisser mon corps s'abandonner à la moiteur ambiante.

           Je glissai dans la baignoire, sentis à peine le choc contre mon crâne, pas plus que je n'imprimai l'entrée fracassante de Liam. Je voulais juste dormir et avoir chaud. Rien d'autre.

— J'étais soldat, avant. Je ne supporte plus les tirs, voir les gens en danger de mort. Et surtout, je n'arrive pas à oublier la terreur sur ton visage.

          Mais je dormais déjà, et ses paroles ricochèrent sur mon esprit opaque.

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