La condition humaine | Enraciné

          Il flottait dans le noir.

          Un noir abyssal, si profond que les ombres semblaient tendre leurs tentacules pour l'absorber. Inexorablement, le noir l'entourait, le captait. L'attirait. Mais peut-être avait-il les yeux fermés ? La progression inéluctable de l'ombre n'était-elle pas seulement une projection de son esprit ? Une chimère, faite pour qu'il espère. Pour lui faire croire qu'il n'était pas seul au monde.

          Il leva le bras.

          L'atmosphère grésilla. Il prit conscience du message nerveux envoyé vers son cerveau. Rien n'était immédiat. Il devait faire l'effort de penser au mouvement décrit par son bras pour qu'il bouge. L'autre était inerte. Il ne le sentait pas. Il ne sentait rien.

          Il visualisa le trajet jusqu'à sa paupière. Il frémit de sentir le contact de sa propre peau.

          Il ouvrit les yeux.

          Il découvrit qu'ils étaient jusqu'alors fermés. Or le noir menaçait toujours de l'avaler. À la différence qu'il se trouvait dans une bulle. Les contours scintillaient légèrement, juste assez pour les distinguer du néant ambiant. Cette bulle l'enveloppait sans le toucher, afin de le détacher du rien. Car autour de lui, il n'y avait rien.

            Son cœur se mit à battre frénétiquement, ce qui lui fit remarquer qu'il avait un cœur. Il ne se voyait pas. Ne sentait pas ses membres tant qu'il ne le faisait pas bouger.

— J'existe, dit-il posément.

         Une voix claire lui parvint, reflétée par les parois de la bulle.

— Je parle, j'existe. Qui suis-je ?

          Rien que du son, des mots qui dégoulinaient dans son esprit.

— Je suis moi. Je vis, car j'ai un cœur. Où suis-je ?

          La bulle frétilla imperceptiblement, lui renvoya ses paroles. Il distinguait un bourdonnement ténu et persistant dont il ne pouvait déterminer la provenance.

— Je ne ressens pas. Je ne vois pas. Ou alors ne vois-je donc que du noir ? Que sais-je ?

          Le bourdonnement s'amplifia. Il crut distinguer des ombres dans les parois de la bulle. Il voyait. Mais que voyait-il ?

— Je parle. Je sais des choses. Où vais-je ?

        Sa question heurta l'intérieur de la bulle, elle le frappa de plein fouet en revenant. Où vais-je ? Où vais-je ?

— Pour quoi suis-je ?

          Déboussolé par ces deux questions qui ne s'arrêtaient plus de résonner en lui, de tourbillonner dans son esprit dans une danse sans fin, il s'affola. Sa peau se para d'un frisson, il ressentit ses propres limites. 

— Pour quoi suis-je ? répéta-t-il, perdu dans un univers de néant.

          Rien ne l'entourait. Il n'y avait rien. Juste lui, le noir et le bourdonnement qui s'amplifiait à en faire vibrer la bulle.

— Pour QUOI SUIS-JE ? hurla-t-il.

          Mais les ondes sonores refusèrent de se déplacer, son cri mourut dans sa gorge après l'avoir lacérée. Alors, il comprit que rien ne lui répondrait. Il n'existait pas de force supérieure capable de l'enfermer dans une bulle. Il n'y avait que lui, au cœur du néant, dans une bulle crée par son cerveau pour le rassurer. La réponse ne résonnerait pas soudainement dans sa tête, comme une évidence.

          Il était seul. Seul dans le noir. Seul, entouré du rien.

— Je parle, je parle, je parle. J'existe. J'existe !

          Son esprit fut ébranlé par sa solitude. Il était. Il vivait. Et sa condition humaine n'était pas régie. Il n'y avait que lui et con cœur. S'il s'arrêtait de battre, la bulle se désagrégerait, il disparaîtrait dans le néant. Sans bruit. Seul. Et il ne penserait plus. 

— Pourquoi existé-je ?

          Il voulait des réponses. Mais il n'y avait rien au-dessus de lui. Une larme aussi aiguisée qu'un poignard roula sur sa joue, la lacéra. Il ne pouvait supporter sa vie dans le noir.

— Je vis, j'existe, je suis, je sais, je vois, je suis seul, déclara-t-il d'une voix paniquée.

         Une distraction face au néant, vite. Il se focalisa sur ses sensations afin d'éviter de penser. Éviter de ressasser sa condition. Le bourdonnement était toujours là, il résonnait contre lui, semblait venir de partout à la fois, mais n'était peut-être que dans son esprit. Et puis, il les vit. Des bulles aux contours scintillants apparaissaient. Elles vibraient dans le noir qui reculait, envahi d'humains. C'étaient eux qui produisaient ce bruit étouffé, à force de parler dans le vide. Des humains seuls, comme lui.

          Des humains distraits.

          Ils en oubliaient leur condition humaine. Ils oubliaient de penser à quoi ils servaient. Ils se focalisaient sur les distractions offertes par leurs bulles, sur la paroi desquelles scintillaient des paysages. Ils voyaient des mondes au lieu du néant, ils espéraient avoir un rôle précis dans l'univers.

          Et ils interagissaient.

           Certaines bulles se balançaient comme si elles étaient attachées à un fil, et agissaient sur leurs voisines. Leurs propriétaires se rencontraient, s'éloignaient du noir et de la solitude avant d'y replonger. Chaque contact entre les bulles produisait des impacts de tailles variées. Plus gros étaient les impacts, plus proches étaient les habitants des bulles. Et plus ils agissaient les uns sur les autres.

          Il était perdu dans un univers ténébreux, où chacun évoluait de son côté, protégé du néant par une fine membrane. Un univers où chacun savait ce qui l'attendait. L'effacement. L'annihilation. 

          Puis, il fut catapulté dans un monde en couleurs, un monde familier. Mais son âme n'oubliait pas, alors il chercha une distraction.

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