Alignements des astres | Éclos

La musique retentissait dans l'atmosphère, elle était partout, sa présence était si systématique qu'elle semblait venir d'ailleurs, de l'espace peut-être. Elle parvenait sur terre en nappes homogènes, elle se diffusait entre les feuilles des arbres, dans les brins de l'herbe grasse des bois. La musique créait une bulle d'inquiétude, avec son rythme rapide qui me faisait haleter, moi, en position du soleil, qui observais la planète. Je voyais tout, je ressentais tout, mais surtout, j'entendais. Une cacophonie harmonieuse qui s'accélérait. Les cris des chasseurs à la poursuite du loup blanc à crinière dorée. Les pas du couple qui, main dans la main, se dirigeait vers la rivière. Mon regard s'attacha à eux, leurs sourires d'enfants qui vont découvrir quelque merveille qu'ils ont longuement espérée.

Ils se déshabillèrent, et sautèrent dans l'eau claire de la rivière. Un sentiment d'angoisse m'étreignit le coeur, au moment même où la musique prit de l'ampleur, devint plus menaçante. Les notes se liquéfiaient, elles ruisselaient sur mes épaules, lourdes, pesantes. Elle s'abattirent sur moi, tentant de m'asphyxier pour que je contienne ma terreur. Il ne fallait pas que je l'exprime. Elle devait rester enfouie, là où la fille ne serait pas prévenue.

Celle-ci plongeait désormais sous l'eau, à la recherche de quelque chose qui se trouverait dans les rochers immergés, et moi, je ne pouvais plus respirer. Chaque fois qu'elle disparaissait sous la surface cristalline, la terreur compressait mes poumons, les essorait pour me laisser haletante et désespérée. Elle ne parvenait pas à rester longtemps sous les flots, elle était obligée de remonter sans cesse afin d'inspirer une goulée d'air frais. Tout comme le garçon. À croire qu'ils n'étaient pas faits pour respirer. À croire que, comme moi, leurs poumons savaient et tentaient de les prévenir quand je ne le pouvais pas. Ils les protégeaient.

La musique s'arrêta brutalement, et j'eus à peine le temps de m'en étonner que je fus dans l'eau. Et je savais tout. Je savais pourquoi ils étaient là, parce que j'étais avec eux. J'étais apparue dans une gerbe d'eau limpide, mais c'était comme si j'étais là depuis le début. Comme si je vivais avec eux.

Comme aimantés par le ciel, mes yeux s'y dirigèrent, afin de constater ce que je savais désormais. Au-dessus de la rivière, un immense cercle s'étalait là où auraient dû se trouver des milliers d'étoiles. Il était si étendu qu'il en paraissait menaçant au premier coup d'oeil, dominant la terre d'une couleur sombre indéfinissable et opaque. Impossible de voir les étoiles habituelles en transparence, et les nuances de bleu foncé qui tapissaient l'atmosphère durant la journée, donnant l'impression que la luminosité ambiante provenait de la terre elle-même. Son disque était légèrement fluorescent, il se détachait du fond sombre de la voie lactée.

Dans ce grand cercle, que je savais être une planète dans l'ombre, des segments étaient dispersés. Tantôt parallèles, tantôt orthogonaux, ils étaient longs comme trois soleils mis bout à bout et larges comme un. Bien qu'ils semblaient disséminés par hasard, ils étaient tous identiques et révélaient la main de l'homme, ou au moins son esprit. Et derrière ce grand cercle, Saturne se dressait, immense et offerte aux regards. Tout comme la planète dans l'ombre, elle était bien trop grande, et aurait dû emporter la terre dans un tournoiement continuel.

Les astres étaient alignés. Cela signifiait que la terre abritait quelque chose. Un objet céleste convoité ? Là se plaçait la limite de mon savoir. Mais le couple le cherchait sous l'eau, c'était indéniable. Le garçon remonta alors, pas le moins du monde étonné de me trouver là.

— Les planètes s'estompent. Le phénomène sera bientôt fini, prononça ma bouche sans que je ne la contrôle. Tu l'as mémorisé ?

Il fit non de la tête, et fixa des yeux le ciel. Quelques minutes plus tard, il avait fini. Il n'oublierait pas ce qu'il avait vu. Il se tourna vers moi, et à l'instant où il croisa mon regard, nous réalisâmes tous deux : la fille qui l'accompagnait n'était jamais remontée. Il plongea, fouilla un instant dans les rochers, trouva sa main au moment même où les planètes disparurent de la voûte céleste. Il la remonta, mais je savais déjà qu'elle était morte.

Je me sentis brutalement propulsée en arrière vers mon emplacement initial, impuissante et brisée de me rendre compte que je n'avais pu utiliser mes connaissance. À l'instant même où je m'étais matérialisée, je n'avais agi que selon une volonté plus fondamentale que la mienne. Effacé, mon pressentiment. Effacée, ma liberté de mouvement. Je contemplai le garçon, alors que son visage se tordait dans une grimace torturée, et qu'il hurlait sa douleur en direction des signes disparus du ciel, à peine conscient de ce qu'il venait de se passer. Il se hâta dans les bois, trébuchant sur chaque racine, sa souffrance le déstabilisant. Lorsqu'il eut atteint la lisière de la forêt, un loup blanc à crinière dorée le rejoignit. Il lui suffit de jeter un regard à l'humain pour saisir le vacarme de ses émotions. Il hurla lui aussi, en guise de soutien à son compagnon, et tous deux disparurent dans les bois.

Je ne savais pas où j'étais, mais il m'était impossible de percer le dense feuillage sombre. Je ne pouvais que guetter l'endroit d'où ils devraient ressortir. Mais lorsqu'enfin ce fut le cas, le loup était maculé de sang. Son pelage immaculé était poisseux du sang qu'il venait de perdre, et une plaie béante lui lacérait l'encolure. Son maître courrait, il se déchirait les cordes vocales, comme si la douleur physique pouvait atténuer les pertes de ses compagnons. Lorsqu'il atteignit finalement le campement, la musique explosa.

C'était une véritable symphonie qui se jouait dans les bois, les envahissait d'une mélodie presque palpable tant elle était puissante. Les violons imitaient les pleurs de l'homme, ils gémissaient dans l'air alourdi par le désespoir. Les cuivres étaient majestueux, ils vibraient dans le tronc des arbres dont l'écorce tremblait sous l'émotion, jusqu'à ce que mes propres poumons soient frappés par ce rythme insoutenable. Le piano naviguait sur un chagrin que je m'appropriai, si dense que je m'en gavai à m'étouffer.

On se retrouvera dans mille ans, au prochain alignement...

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