Chapitre 28 : Nymphée

Nous évitons les personnes, essayant de nous diriger loin de la foule. La tâche s'avère finalement moins difficile que prévue, car les humains s'écartent de nous en voyant nos tenues. Lorsque nous passons, je les entend murmurer des choses comme "il doit y avoir une animation" ou "quels étranges costumes". Néra joue des coudes à travers la foule, espérant se diriger vers une partie moins fréquentée. Nous nous écartons de la foule, vers un carré de pelouse.

- Je n'en pouvais plus ! s'exclame Néra avant de pousser un soupir de soulagement. Pourquoi est-ce qu'ils restent tous collés comme ça, je ne comprends pas comment ils arrivent à vivre; ces créatures sont vraiment étranges !

Je ne peux retenir un petit rire face à son air agacé.

- Bon, récapitule, dit Jason. il faut qu'on trouve un point d'eau, où "Daphné repose", avec un trône qui renfermerait une part d'elle ? J'oublie quelque chose ? Demande-t-il, sarcastique en abordant son habituel sourire de côté.

- Je crois qu'on cherche quelque chose de doré, à moins que ça soit la part d'elle qui le soit, je ne sais pas trop, je rajoute.

- Ça va être facile, dit Néra ironiquement.

- Je pense qu'on ne cherche pas un point d'eau tout simple, mais peut-être quelque chose comme une fontaine ou un endroit qui serait marqué par la présence de Daphné, peut-être un hôtel ou quelque chose pour lui rendre hommage... j'ajoute, incertaine.

- Ça en élimine déjà une petite partie, dit Néra en regardant les bassins autour de nous, qui sont simplement creusés dans le sol.

- On peut peut-être demander aux humains? propose Jason en haussant les épaules d'un air nonchalant. Je le regarde avec surprise, mais sans attendre notre réponse il interpelle un passant au hasard.

- Excusez-moi, est-ce que vous savez où l'on pourrait trouver une statue ou une fontaine, quelque chose comme ça ? demande-t-il à un vieil homme avec une canne. Ce dernier semble énervé d'avoir été ainsi dérangé.

- J'en sais rien moi, je ne suis pas un guide, il doit bien y avoir des statues au temple de Diane aller voir ! Dit-il d'un ton courroucé en agitant sa canne sous son nez. Le vieillard repart sans en dire plus.

Nera éclate de rire face à la mine déconfite de Jason. Mais ce dernier ne se laisse pas abattre, et interpelle un autre passant. Cette fois-ci c'est une femme d'âge mûr, qui semble plus sympathique.

- Excusez-moi, savez-vous où l'on peut trouver le temple de Diane, demande-t-il

- Oui bien sûr, c'est juste là, dit-elle en pointant du doigt le fond du jardin, où l'on peut apercevoir une ruine.

Du peu que je peux en voir, il semble qu'il s'agit d'un bâtiment effondré, sans toit, dont il ne semble subsister qu'une partie des murs et l'arche des portes. Je ne peux m'empêcher de penser que ce bâtiment devait être magnifique quelques années auparavant.

Jason remercie la passante en lui adressant un sourire charmeur, ce qui la fait glousser avant qu'elle ne tourne les talons.

- Et voilà le travail ! s'exclame Jason avec un sourire triomphant.

- Allez, on y va ! Dit Néra en lui tapotant l'épaule d'un geste maladroit.

Non retournons dans la foule, devant à nouveau jouer des coudes malgré les écarts que font les gens en nous voyant. Lorsque nous nous dirigeons vers la ruine, j'aperçois un groupe de personnes qui semblent écouter un homme qui parle en agitant les bras en direction du temple.

Nous nous approchons et je parviens à saisir une partie de ce qu'il dit.

- Personne ne connaît la fonction exacte du temple de Diane, c'est un des plus beaux monuments mais aussi le plus mystérieux de Nîmes. Au 16e siècle, un architecte a réussi à en faire quelques croquis avant qu'un incendie ne lui donne son aspect actuel.

L'homme, à la barbe grisonnante donne cette explication au groupe de personnes qui l'écoute avec attention.

- Excusez-moi ! intervient alors Jason, sans aucune gêne. Est-ce qu'il est possible de rentrer à l'intérieur ? demande-t-il.

- Bien sûr, même si vous le voyez bien : il n'y a pas vraiment d'intérieur, ajoute le guide, en désignant la ruine dont des pans entiers de murs manquent, se moquant presque de notre ami.

Tous les regards du petit groupe sont braqués vers nous, nous reluquant de haut en bas. Un petit garçon tire la main de sa mère pour lui demander "Pourquoi les gens sont habillés comme ça ?", j'observe du coin de l'œil sa mère lui répondre qu'il doit y avoir une animation costumée après la visite.

- Allons-y, je dis à mes amis, mal à l'aise par tous ces regards sur nous. I

Nous nous dirigeons vers l'entrée, du moins ce qui semble être l'entrée, le reste de l'édifice étant protégé par des barrières en métal.

Comme si l'intervention de Jason n'avait jamais eu lieu, l'homme reprend son récit là où il l'avait laissé.

L'intérieur du temple est à l'image de l'extérieur : fait de pierre, et partiellement détruit. mais surtout, il est complètement vide, il n'y a aucune fontaine ou statue à l'intérieur.

- À mon avis, ce n'est pas ici que nous trouvons ce que nous cherchons, dit Néra en regardant autour d'elle.

- à part les murs, il n'y a pas grand chose; ce temple est complètement vide, s'étonne Jason. Ce vieillard avait faux sur toute la ligne ! s'énerve-t-il.

- Sortons, je dis presque déçue.

Nous ressortons de la ruine aussi vite que nous y sommes rentrés, sous le regard de quelques curieux du groupe de visiteurs, qui nous fixe au lieu d'écouter l'homme dans ses explications.

Nous faisons à peine quelques mètres, avant qu'une voix ne nous interpelle.

- Néra, Jason, Jihanna ! Je me retourne pour voir Livia et Aaron courir vers nous. Lorsqu'ils arrivent à notre hauteur, Livia reprend son souffle.

- On a trouvé quelque chose ! s'exclame-t-elle.

- Venez ! Ajoute Aaron d'une voix plus posée.

- Alors voilà, commence à expliquer Livia alors que nous les suivons. Nous avons demandé à des passants s'il y avait un édifice à l'égérie de Daphné, il n'en connaissait pas. Mais nous avons trouvé une espèce de fontaine avec une statue, sur écriteaux, il y a écrit "Nymphée de Nîmes". un "Nymphée"! ça ne peut pas être une coïncidence ! Explique-t-elle.

- Mon Dieu ! s'exclame Néra. Tu as raison c'est forcément ce que nous cherchons !

- Qu'est-ce que c'est un nymphée ? je demande.

- J'ai vu le petit texte explicatif, commence Livia, et apparemment à l'époque romaine - je ne sais pas trop de quand ça date pour eux - un nymphée était un bassin qui avait pour objectif de recevoir de l'eau sacrée et qui faisait office de fontaine publique en quelque sorte. J'ai même vu que c'était à l'origine un sanctuaire dédié aux nymphes !

- Les humains connaissent notre existence ? Je m'étonne.

- Oui, mais d'après ce que j'ai compris, il s'agit plus de légendes pour eux qu'autre chose. ils n'y croient pas vraiment, m'explique Livia.

- Ah ? S'étonne Néra.

- C'est ici ! s'exclame Livia en montrant du doigt une fontaine.

En me rapprochant, je remarque alors la beauté de l'édifice.

Le nymphée est une fontaine de forme carrée, encadrée par des statues d'angelots à chaque coin. Ils semblent me saluer, comme s'ils en étaient les gardiens. Les murs qui entourent l'eau sont ornés de bas-relief, qui doivent sans doute raconter une histoire qui m'échappe. À l'intérieur de ces murs, une eau claire et paisible prend son lit. En son centre, un socle d'au moins 50 cm de haut prend place. dessus, je remarque la statue d'une jeune femme assise sur un rocher. Ses traits sont fins, un sourire délicat étire ses lèvres tandis qu'elle tient de ses mains un pichet duquel semble se déverser de l'eau. À ses côtés, deux angelots espiègles jouent joyeusement.

En m'approchant davantage, je remarque un écriteau; comme l'a indiqué Livia; le mot Nymphée est écrit en lettres capitales.

- Vous en pensez quoi ? Demande Aaron.

- Je pense que c'est l'endroit qui correspond le plus à la description de la prophétie, confirme Néra.

- Nous devrions chercher un indice, confirme Aaron.

- La statue de la jeune femme au milieu, je commence. vous ne pensez pas que ça pourrait être Daphné ? je demande.

- C'est possible... confirme Aaron. Relis nous encore une fois le passage de la prophétie.

- Daphné à jamais repose près de l'eau de Nîmes

en son trône git une part d'elle infime

dorée à l'image du soleil, de désir, tourmenté

coquille vide faite d'or, et de laurier sacré

Je récite cela par cœur. Les autres me regardent, visiblement surpris que je l'ai retenue. J'ai passé tant de temps à analyser ces vers que je les ai mémorisés.

- Le poème précise "en son trône", remarque Livia. Je pense que nous devrions nous rapprocher, confirme-t-elle.

Sans attendre une quelconque réponse de notre part, elle enjambe le muret qui protège la fontaine, et se retrouve avec de l'eau à mis mollet. Plusieurs visiteurs autour étouffent des hoquets offusqués. Il semble qu'il n'y ait pas le droit de faire ça ici.

- Attends Liv' ! lui dit Aaron. Il sort un morceau de craie de sa poche et commence à tracer un cercle de transmutation sur le sol, en quelques secondes, il l'active avant de se redresser. Une sensation de chaleur m'enveloppe.

- Voilà, c'est un sort d'illusion, il ne devrait plus pouvoir nous voir, annonce-t-il. on peut y aller.

Sans plus attendre, nous enjambons le muret, et pataugeons dans l'eau pour rejoindre le centre du nymphée. Lorsque nous arrivons à hauteur de la statue, je remarque mieux les détails de son visage. Livia commence à toucher la surface de la pierre du socle.

- Il doit y avoir un mécanisme, ou quelque chose qui doit cacher un indice, affirme-t-elle avec aplomb.

Suivant son exemple, nous commençons tous à toucher du bout de doigt chaque pierre de l'édifice, espérant trouver quelque chose qui s'apparente à une pierre cachée. J'imite mes amis, espérant trouver un indice. Je laisse Néra s'occuper de la partie supérieure tandis que je m'occupe de la partie inférieure, accroupie dans l'eau. Je palpe la paroi, espérant trouver une irrégularité, le souci est que je ne rencontre que ça : la pierre est tellement vieille et rugueuse que je commence à me dire qu'il sait qu'il serait impossible de trouver un quelconque mécanisme.

Mon doigt glisse et se coince dans un trou. Surprise, je le retire. Je jette un coup d'œil à la crevasse. Elle ressemble étrangement à celle de la bibliothèque de Telos. Curieuse, je glisse mon doigt dedans et, à ma grande surprise, mon doigt rencontre un petit bouton à première vue invisible, comme dans la bibliothèque. Mon cœur rate un battement; pendant un instant je suis persuadé d'avoir trouvé ce que nous cherchions, j'appuie dessus, pleine d'espoir. Mais rien ne se passe.

Déçu, je continue de tâtonner. Quelques secondes plus tard, je sens le sol trembler. Je redresse la tête pour regarder mes camarades, qui eux aussi semblent l'avoir senti.

- Qu'est-ce qui se passe ? demande Livia

- J'ai trouvé un bouton, j'avoue. J'ai appuyé dessus mais il se passait rien, pendant quelques secondes j'ai cru que ça ne marchait pas, j'explique en haussant la voix pour qu'ils m'entendent malgré le grondement.

Aaron esquisse un vif geste de la main, et je le sens étendre son sortilège d'illusion sur la statue. Il fait bien, car quelques secondes plus tard, le milieu du socle de la statue s'ouvre, laissant apparaître un passage sombre.

Interloqués, nous nous penchons pour tenter d'apercevoir ce qui s'y cache. Livia fait apparaître une flamme dans sa main pour nous aider à mieux distinguer ce qui s'y trouve. Un escalier ?

Le nymphée s'est ouvert sur un escalier qui descend sous terre.

Éberlués, nous nous jetons des coups d'œil perplexes.

- Qu'est-ce qu'on fait ? demande Néra, visiblement peu à l'aise à l'idée de descendre dans un souterrain.

- On y va bien sûr, dit Livia avec conviction.

- Attendez, on ne sait pas ce qui se trouve en bas, commente Jason.

- Oh aller ! râle Livia. De toute façon on pourra remonter. Visiblement impatiente, Livia courbe l'échine pour s'engouffrer dans le souterrain, sa flamme éclairant l'escalier humide.

- Vous venez ? demande-t-elle. Si la prophétie nous a amené là c'est pour une raison !

Je ne peux que lui donner raison. Voyant qu'aucun de mes compagnons n'a l'air décidé, je m'engouffre moi aussi dans le nymphée pour rejoindre mon amie.

Néra pousse un soupir agacé, puis elle prend une grande inspiration avant de nous rejoindre. Peu de temps après, les garçons finissent par descendre également. Nous commençons à descendre, éclairé par la flamme de Livia.

Soudain, alors que nous avons seulement descendu quelques marches, le sol se met à nouveau à gronder. Déséquilibrée, je tente de me raccrocher à la paroi. La luminosité commence à baisser. Je tourne la tête pour voir que l'entrée est en train de se refermer. Mon cœur rate un battement.

- Non ! s'écrit Néra en se précipitant vers l'ouverture. Mais en vain; le nymphée se referme derrière nous, nous plongeant dans l'obscurité totale. Un silence s'installe.

- Il n'y a plus qu'à continuer d'avancer, murmure Livia.

Nous n'avons d'autre choix que de continuer, guidés par la lueur vacillante de la flamme de Livia.

Nous descendons pendant plusieurs minutes, nos pas résonnent dans le silence oppressant de la crypte souterraine. L'air est frais et humide, empli d'une énergie étrange.

Aucun de nous ne parle, mon cœur bat à la chamade, d'un mélange d'appréhension et d'excitation. Qu'allons nous découvrir en bas ?

Puis, alors que l'escalier devient plat sur un mètre ou deux, je ressens une sensation familière au creux de mon estomac. Je connais cette sensation. Je me tourne vers les autres pour voir s'ils l'ont ressentis aussi. à en juger par leur air surpris, j'en déduis que oui.

- Les gars... commence Jason, la voix tremblante d'angoisse.

- Oui, confirme Néra dans un souffle.

Il n'y a qu'un seul endroit où mon corps soit aussi léger. Alors que l'angoisse nous tend, seul Aaron arrive à formuler ce que nous savons tous :

- On est à Nymphéa.

Fin du tome 1


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