Lorsque je suis rentré au baraquement, Néra et Livia étaient bel et bien réveillées et affairées à préparer notre expédition.

Après s'être préparés et avoir mangé, nous sommes désormais prêts à partir. Je réajuste les bretelles de mon sac à dos et vérifie que le fourreau de mon épée est bien accroché, tout comme celui de mon arc. Livia a noué mes cheveux en une tresse, en attendant que les garçons soient prêts. Je dois l'avouer, le résultat est assez impressionnant, j'avais déjà remarqué son habileté dans ce domaine en voyant les différentes coiffures qu'elle abordait, mais c'est la première fois qu'elle me coiffe.

Nera, Livia, Jason et moi attendons patiemment devant le bureau de Marcus que Aaron ait fini de s'entretenir avec lui. Comme convenu, nous l'avons prévenu de notre départ imminent, nous attendons qu'il donne les informations concernant la position du lieu à Aaron.

Livia sautille d'impatience, visiblement excitée à l'idée d'une nouvelle aventure, ou peut-être d'un nouveau combat. Néra, elle, me semble plus ronchon et se contente de fixer Jason, occupé à suspendre le fourreau de son épée à sa ceinture.

Finalement, Aaron sort du bureau de Marcus.

- C'est bon, j'ai tous les détails pour que l'on puisse se téléporter au bon endroit, annonce-t-il à la cantonade.

- Super ! s'exclame Livia. On peut partir alors !

- Attends, la calme Aaron. Comme je n'ai jamais fait de cercle de transmutation pour se téléporter vers le monde des humains, Marcus m'a conseillé de sortir du camp pour que l'on y soit directement et que je n'ai plus qu'à passer d'un point A à un point B sans traverser le sortilège qui camoufle le camp.

- D'accord, dit Livia, alors qu'est-ce qu'on attend, venez ! dit-elle en faisant un signe de la main et en se dirigeant gaiement vers le passage qui se trouve à l'orée de la forêt, au racine d'un immense pin. Le souvenir de la première fois que je suis arrivé au camp me revient. ça me semble s'être passé il y a une éternité.

Livia dépasse les feuillages qui couvrent l'entrée du souterrain et s'y engouffre sans aucune hésitation. Nous restons figés un moment, surpris par sa motivation.

- Vous venez ? nous parvient la voix étouffée de Livia. sortant Jason de sa torpeur, il descend lui aussi les barreaux de l'échelle métallique qui mène sous terre. Je décide de faire de même.

Comme lors de mon arrivée, je pose mes pieds sur l'échelle avant de descendre petit à petit les barreaux. Lorsque je me retrouve en bas, Livia éclaire le tunnel à l'aide d'une flamme qu'elle fait émerger de sa paume.

Quelques secondes plus tard, Aaron arrive à nos côtés, suivi de Néra. Le petit groupe commence à marcher dans le tunnel, Livia en tête éclairant le corridor avec sa flamme. Aaron se place derrière, abordant également de la lumière dans le creux de sa main. Ainsi éclairé, nous avançons en silence.

Au bout d'un moment, Livia s'arrête et je manque de percuter son dos. Intriguée, je regarde par-dessus son épaule et remarque le cercle tracé sur le sol qu'Aaron avait activé lors de mon premier passage. Livia s'écarte, et instinctivement, je fais comme elle et tout le monde laisse passer Aaron devant. Il passe sa main sur le cercle, mais n'a pas besoin de prononcer quoi que ce soit pour que ce dernier s'illumine. Livia passe en première. Je prends une grande inspiration et je la suis. Mon estomac se soulève avec la sensation habituelle que je ressens en passant un cercle de transmutation. Lorsque tout le monde a passé le cercle, nous reprenons notre marche. L'atmosphère est différente qu'au camp, beaucoup plus épaisse et lourde.

Comme la première fois où je suis passé par ce passage, nous continuons d'avancer encore quelques minutes, éclairé par les pouvoirs de Livia et Aaron, avant de se retrouver face à une autre échelle.

Comme tout à l'heure, Livia passe avant, et la flamme qu'elle tenait au creux de sa main s'éteint lorsqu'elle pose les mains sur les barreaux incrustés dans le mur. Maintenant seulement éclairé par la flamme d'Aaron, je la suis et entreprend escalader l'échelle. Arrivée en haut, Livia déplace la pierre plate qui bouche l'entrée. Mes yeux qui s'étaient accoutumés à la pénombre se plissent face à la lumière soudaine. Livia sort du tunnel, je fais de même en laissant le soleil réchauffer ma peau.

J'arrive alors au pied du sapin sous lequel l'entrée du tunnel était camouflée. Comme dans mes souvenirs, lorsque j'essaye de ressentir l'énergie vitale de la forêt, la force des arbres est faible comme s'ils se battaient pour survivre.

Finalement, Aaron, Jason et Néra sortent à leur tour du tunnel. Jason et Néra regardent autour d'eux, visiblement curieux. Ça doit faire un moment qu'ils ne sont pas venus ici, ou peut-être ne sont-ils jamais sortis par là. Alors que Aaron s'apprête à prendre la parole, un éternuement étouffé l'en empêche. Nous nous tournons tous vers Nera. Pourtant elle n'a pas semblé avoir éternué. Le regard fuyant, elle émet un éternuement qui semble faux.

- Les arbres d'ici me font éternuer, dit-elle pour s'excuser. Je jette un coup d'œil à Livia et aux autres, mais aucun de nous n'est dupe : ce n'est pas elle qui a émis cet éternuement.

- Néra ? demande Aaron d'un ton suspicieux.

- Quoi ? demande-t-elle. De nouveau, ce petit éternuement se fait entendre, mais cette fois-ci nous pouvons clairement identifier qu'il provient de son sac.

- Je peux voir ton sac ? lui demande Aaron. Elle semble hésiter un instant, puis finalement elle retire son sac de ses épaules et le tend au chef d'escouade. Lorsque Aaron l'ouvre, une sorte d'insecte volant en ressort et vol se cacher derrière l'arbre le plus proche.

- Mélusine ? s'étonne Livia. Mélusine ? la petite fée de Tellos nous aurait donc suivie ?

Néra pousse un soupir.

- Sors de ta cachette, dit-elle. Timidement, la petite fée laisse apparaître la moitié de son corps du tronc.

- Je voulais partir avec vous, et avec Néra, avoue-t-elle d'une petite voix.

- Le grand Sage sait que tu es ici ? lui demande Aaron d'une voix indifférente.

La petite fée hoche la tête.

- Je lui ai laissé un mot, dit-elle.

Aaron soupire d'un air embêté.

- Il faudra que l'on te ramène à Telos, dit-il en se passant la main dans les cheveux d'un air agacé.

- Oh non ! s'exclame Mélusine. S'il vous plaît, je veux rester avec vous, je m'ennuie à Telos, je préfère rester avec une amie, dit-elle en souriant à Néra.

- Ce n'est pas quelque chose de discutable, répond Aaron. tu ne peux pas rester avec nous, lui dit-il.

- Pourquoi pas ? demande Mélusine. De tout façon, vous ne portez pas vos masques, je sais à quoi vous ressembler, vous n'avez aucun intérêt à me renvoyer à Telos. Affirme-t-elle en croisant les bras d'un air assuré.

Aaron soupire en jetant un coup d'œil à Néra qui lui adresse un regard suppliant.

- De toute façon il est trop tard pour l'heure, tu peux venir avec nous pour cette mission, à la condition que tu reste bien cachée dans le sac de Néra, lui dit-il.

- Oui ! Merci ! s'exclame la fée, visiblement au comble du bonheur en virevoltant vers son amie. Elle tape dans la main de Néra, disproportionnée par rapport à la sienne.

- Bon aller ! la presse Aaron. Dépêche toi de rentrer dans son sac, que je puisse tracer le cercle.

Néra ouvre la fermeture éclair de son sac à dos, et la petite fée disparaît à l'intérieur dans une légère pirouette.

Sans plus attendre, Aaron sort une sorte de craie de sa poche et commence à tracer un cercle dans l'herbe. Pendant un instant, je reste persuadée que ça ne va pas marcher, mais, comme pour me prouver le contraire, la craie laisse un sillon parfaitement blanc dans le gazon.

Le chef d'escouade finit de tracer le cercle en quelques secondes. A chaque fois, l'habileté qu'il a pour tracer ces cercles m'impressionne.

Finalement, le chef d'escouade commence à débiter ses formules mystérieuses dans un langage incompréhensible. En quelques secondes, le cercle de transmutation s'illumine.

Une partie de moi ne peut s'empêcher de se demander vers où il mènera, et à quoi peut bien ressembler Nîmes.

Sans se poser de questions, Livia saute directement dans le cercle et disparaît en quelques secondes. Surprise, je reste dérouté un instant. Puis, Jason fait de même et saute dans le cercle. Reprenant peu à peu ma concentration, je fais un pas en avant et saute moi aussi dans le cercle.

Tout devient noir, je sens mon corps se distendre puis reprendre sa forme normale à plusieurs reprises. Je ferme les yeux et laisse cette sensation au creux de mon estomac prendre place.

Puis, aussi soudainement que cela a commencé, la sensation s'arrête. Je me retrouve dans un nouvel endroit beaucoup plus lumineux que la forêt. Je protège mes yeux à l'aide de mon bras, le temps que mes rétines s'habituent à la luminosité ambiante.

Lorsque je rouvre les yeux, je me trouve dans un lieu rempli de personnes. Des Nymphes habillées de façon étrange se pressent tout autour de moi, me bousculant parfois. Désorientée, je cherche Livia et Jason des yeux. Je finis par les repérer quelques mètres, tout aussi décontenancés que moi.

Je me rapproche d'eux, en jouant des coudes dans la foule pour y parvenir.

- Où est-ce qu'on a atterri ? je demande.

- Aucune idée, m'avoue Livia en regardant partout autour d'elle, aux aguets.

"C'est étrange, peut être qu'il y a spectacle déguisé", la voix d'une femme me parvient. Je lui jette un coup d'œil, suffisamment pour voir qu'elle regarde nos tenues de combat d'un air intrigué.

Je repère finalement Aaron et Néra dans la foule, qui viennent sans doute d'apparaître. Étonnamment aucune personne aux alentours n'a semblé le remarquer. Le chef d'escouade finit par nous repérer et s'approche.

- Où est-ce qu'on est ? lui demande Livia lorsqu'ils arrivent à notre hauteur.

- Dans le monde des humains, répond-il simplement. Je regarde autour de moi. Toutes ces personnes que je pensais être des Nymphes sont donc des humains ? Maintenant que je me concentre, je parviens à ressentir qu'ils n'ont pas de magie. Ils ressemblent vraiment à des thyades.

- Ce n'est pas dangereux qu'ils nous voient ? s'interroge Néra.

- Non, les humains ont tendance à trouver des explications rationnelles à ce qui ne l'est pas, ils vont sans doute penser que nous participons à une sorte de rituel costumé. Dit Aaron en haussant nonchalamment les épaules.

Comment la passante avait-elle qualifié ça ? Un spectacle ? En me rappelant sa réaction, je ne peux m'empêcher de penser qu'Aaron a sans doute raison.

- Qu'est-ce que nous cherchons ici exactement ? Demande Néra, visiblement pressée de repartir.

- N'importe quoi qui pourrait s'apparenter à la description du poème, lui répond Aaron. Jihanna, tu peux nous le relire ? Demande-t-il en se tournant vers moi. Surprise, je fouille dans ma poche pour en sortir le papier sur lequel j'ai recopié la prophétie. Je me racle la gorge avant de leur lire la première strophe.

- Daphné à jamais repose près de l'eau de Nîmes

en son trône git une part d'elle infime

dorée à l'image du soleil, de désir, tourmenté

coquille vide faite d'or, et de laurier sacré

- Donc nous cherchons un point d'eau ? demande Livia. En disant cela, elle regarde autour de nous. Hormis la foule, nous nous trouvons dans un lieu magnifique, de superbes arbres filtrent la lumière du soleil, et des chemins pavés serpentent autour des jardins. Mais surtout, nous nous trouvons juste à côté d'une sorte de bassin qui ne semble pas naturel. C'est alors que je remarque un écriteau, en plissant les yeux je parviens à lire "Les Jardins de la Fontaine".

- Ça va être simple, dit ironiquement Jason en regardant la multitude de fontaines et points d'eau autour de nous.

- Comment tu peux être sûr que c'est ici que l'on va trouver ce que l'on cherche ? je demande. Je veux dire, la ville est sûrement beaucoup plus grande que ça, j'ajoute en désignant vaguement le jardin.

- Marcus m'a dit que c'est ici que nous devrions chercher en premier, c'est la partie la plus vieille de la ville, m'explique Aaron.

- Bon, on se sépare ? propose Livia.

Nous acquiesçons.

- Aaron et moi irons ensemble, affirme-t-elle, vous pouvez y aller tous les trois, nous dit-elle. Sans attendre notre réponse, elle agrippe son frère par le bras et l'entraine avec elle comme si elle avait quelque chose d'urgent à lui dire. En quelques secondes, ils disparaissent dans la foule.

Jason, Néra et moi partons de notre côté.