Chapitre 26 : Insomnie

Livia a réussi à convaincre tout le monde de partir en expédition dans le monde des humains. Après un repas et une nuit de repos, nous serons déjà prêts à partir de nouveau à l'aventure. Comme je l'avais imaginé, il s'avère qu'aucun de mes coéquipiers n'aime vraiment rester au camp. C'est vrai qu'à part s'entraîner, il n'y a pas grand chose à faire, d'autant plus que la plupart des autres escouades sont également en mission.
L'énigme est restée dans ma tête toute la nuit. Je n'arrivais pas à détacher mon attention d'elle et les vers revenaient hanter mes pensées. A tel point que je pense la connaître par coeur maintenant. N'y tenant plus, je suis sortie du baraquement en emportant le grimoire avec moi.
Je suis assise sur une des tables où l'on mange habituellement. L'aube commence à peine à se lever, c'est pourquoi j'ai emporté avec moi une boule de lux qui éclaire les pages du grimoire.
Je machouille le bout de mon crayon, tentant d'annoter le poème que j'ai recopier sur une feuille.

Daphné à jamais repose près de l'eau de Nîmes

en son trône git une part d'elle infime

dorée à l'image du soleil, de désir, tourmenté

coquille vide faite d'or, et de laurier sacré

là où la sagesse communique avec l'esprit

là où Apollon rencontre Poséidon à la fin de la nuit

se trouve la pierre nécessaire à un bon roi

garder par les soeur de la mer et des détroits

où les assistants d'Héphaïstos demeurent

tu trouveras ce que tu cherche en son coeur

où le soleil s'illumine à travers le cristal

Sous la terre, garder par un polycéphale

Au pays des elfes, au sud des bois enchantés,

En son cœur tu trouveras la bonté.

Dans le berceau des montagnes, tout près des épinettes,

Une pépite et un don que l'on respecte.

Entre les chants magiques au pays de sorcellerie,

Au nord enchanté où le vent hurle avec féerie,

Se cache une pierre de courage, éclat divin,

Telle une flamme ardente, elle brille sans fin.

J'ai commencé à annoter la troisième strophe. Je me rappelle que dans les cours que les muses nous donnaient à Nymphéa, les "assistants d'Héphaïstos" était le nom que l'on donnait aux cyclopes, des créatures à un œil, dont on nous a assuré qu'ils avaient disparus. Mais si les centaures, les fées et les sirènes n'ont pas disparu alors qu'on nous as affirmé le contraire, il n'y a aucune raison pour que ça soit le cas des cyclopes. Un rire amer m'échappe. On nous manipule dès le plus jeune âge en nous apprenant qu'au-delà de Nymphéa, seules des créatures sanguinaires vivent, et qu'il faut absolument que l'on produise des émeraudes pour maintenir la barrière magique qui nous protège. D'un côté, il est vrai que les créatures ténébreuses sévissent; mais il existe tant d'autres peuples, qui ont fini par évoluer différemment après la Grande Séparation.
Machinalement, je sors les notes que j'ai prise après mon échange avec Néra pour éviter de tout oublier. Je me rappelle qu'elle m'avait parlé des cyclopes, mais j'ai oublié de noter sur quelle île ils se trouvent. Je suppose qu'il s'agit de Rama; de ce que je me souviens, d'après la légende les cyclopes aidaient le dieu de la forge Héphaïstos (ce qui signifie simplement qu'ils auraient obtenus un don), alors quel meilleur endroit pour des forgerons que l'île de l'ingénierie ?

J'anote "Rama ?" près de la strophe que j'ai soigneusement recopiée sur une page à part.

Un bâillement m'échappe. Au vu des récents évènements, j'aurais vraiment eu besoin d'une bonne nuit de sommeil, mais il semblerait que mon esprit en ait décidé autrement.

Notre voyage à Tellos, ainsi que notre combat avec les sirènes me reviennent constamment en mémoire.

Je ferme les yeux, fatiguée, et un flash me revient. Moi, transformant l'eau sous mes pieds en glace. Je rouvre les yeux et un frisson me parcourt. J'ignore toujours comment je suis parvenu à faire ça. Je jette un coup d'œil vers le ciel, l'aurore s'est à peine levée, j'ai encore un peu de temps avant que les autres ne se réveillent. D'un geste décidé, je referme le grimoire, et me lève. Je traverse la clairière; sans toutes les Nymphes qui courent et s'amusent, elle me paraît bien vide.

Le bruissement de mes bottes dans l'herbe est le seul bruit qui brise le silence. Une légère brise fouette mon visage et j'inspire pour reprendre contenance. Je me dirige vers le bassin où les hydriades s'entraînent habituellement. L'îlot qui se situe au centre me paraît vide sans Néra et ses congénères.

Lorsque j'arrive face à la rive, je prends une grande inspiration. cœur bat dans la poitrine à l'idée de découvrir que je n'ai pas rêvé cette fois-là. je place mes mains au-dessus de l'eau, et tente de me concentrer. J'essaie de me concentrer sur la sensation qui m'a traversé l'heure du combat avec les sirènes, j'avais peur pour mes amis et une sensation de froid m'a envahie. J'essaye de repenser au combat que j'observais le loin, effrayée que quelqu'un puisse être blessé. J'ignore exactement comment, mais je parviens à recréer cette sensation de froid. Mes doigts se crispent involontairement, je rouvre les yeux et vois que mes tatouages, habituellement verts lorsque j'utilise mes pouvoirs, sont bleus. Pas comme les tatouages de Néra, mais un bleu plus clair, plus intense. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Puis, l'eau se fige et gèle exactement à l'endroit où j'avais placé mes mains. Effrayée, je les retire comme si je venais de me brûler. C'est donc bien moi qui était à l'origine de cette glace. Mais qu'est-ce que cela veut dire ?

- Qu'est-ce que c'est que ça ? La voix sortie de nulle part me fait sursauter. Je me retourne d'un bond, pour me retrouver face à Aaron. Mon cœur rate un battement. Il a tout vu.

- Je ... Heu... je commence, mal à l'aise. C'est drôle, l'eau semble gelée à cet endroit ! je dis, espérant qu'il ne m'ait pas vu faire.

Il s'approche de moi en haussant les sourcils d'un air dubitatif.

- Tu es en train de me dire, que ça n'a rien à voir avec la couleur étrange qu'ont pris tes tatouages ? demande-t-il en continuant de se rapprocher. je retiens mon souffle alors qu'il n'est qu'à quelques centimètres de moi, son regard fixé dans le mien pour y déceler la moindre trace de mensonge. Il est beaucoup plus grand que ce que je ne pensais, et je dois lever le menton pour pouvoir le regarder. Ses yeux verts tranchent avec sa peau sombre, et le contraste est d'autant plus saisissant avec l'obscurité ambiante. Mon coeur tambourine dans ma poitrine, il est si près que je sens son souffle sur mon visage probablement cramoisi.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, je réplique en détournant les yeux, gênée de cette proximité.

- Je ne te crois pas, dit-il. Explique-moi ce que c'est ? Insiste-t-il en désignant le bassin gelé.

- Je ne sais pas, j'avoue dans un souffle. J'ai aussi gelé une partie de la mer lors de notre combat avec les sirènes, mais j'ignore ce que cela veut dire et en quoi c'est lié à mes pouvoirs; je n'ai jamais pas entendu parler d'une hydriade qui avait le pouvoir de geler l'eau...

Aaron s'éloigne de moi, visiblement perturbé. Tout mon corps se relâche, et je reprends mon souffle, me rendant compte que je me m'étais arrêté de respirer en sa présence. Etrangement, une partie de moi en vient à regretter cette proximité.

- Hum... moi non plus, avoue-t-il. J'ai toujours su que les nymphes métisses possédaient les pouvoirs de ses deux parents, mais je n'ai jamais entendu parler de pouvoirs nouveaux qui se développaient, dit-il en passant une main sur son visage, visiblement frustré de ne pas comprendre.

- Connais-tu l'existence de métisses mi-Driade et mi-hydriade ? je demande, pensant que cela est peut-être dû à ce mélange.

- Non, tu es la première à ma connaissance, c'était le mélange le plus interdit, dit-il en fixant ses yeux verts dans les miens. C'est peut-être dû à ça tu as raison, avoue-t-il en soufflant.

Je mordille ma lèvre inférieure, embêté qu'il ait découvert mon secret.

- Peux-tu garder ça pour toi ? je demande. Je ne veux pas que les autres l'apprennent avant que je ne comprenne moi-même à quoi cela peut être dû, j'explique.

Aaron me toise un instant , essayant sans doute de comprendre mes motivations.

- Très bien, cède-t-il. Mais en échange, je veux que si l'occasion se présente ou que nous sommes dans une impasse tu n'hésites pas à te servir de ces pouvoirs, me dit-il plutôt sous l'aspect d'un ordre que d'une suggestion.

Je hoche la tête. Il pousse un soupir en passant sa main dans ses légères boucles rousses.

- Pourquoi es-tu réveillé ? me demande-t-il. Je relève la tête vers lui, surprise par cette question, ou même par le fait qu'il s'en soucie.

- Je n'arrivais pas à dormir, j'explique. Et toi ? Je rajoute par politesse.

- Pareil, souffle-t-il. Sans prévenir, il s'assoit dans le sable dans un soupir. D'un mouvement de menton, il m'invite à m'asseoir à côté de lui. Aaron aurait-il besoin de compagnie ? Surprise et ne sachant que faire d'autre, je m'exécute, en gardant tout de même une certaine distance avec lui.

- Désolé si je n'ai pas paru très accueillant, me dit-il. Tu as sans doute remarqué mais j'ai beaucoup de mal à faire confiance aux gens.

Aaron s'excuse ? Que de surprises, est-ce la fatigue qui le fait parler ?

- Aucun souci, je comprends, je lui réponds.

- Je peux te demander une chose ? demande-t-il

- c'est déjà une question, je dis ironiquement. Il tourne la tête vers moi en levant les yeux au ciel. Il a les mêmes expressions que sa sœur, je ne peux m'empêcher de remarquer. Cette pensée m'arrache un sourire.

- Est-ce que je peux te scanner ? Me demande-t-il très sérieusement. J'explose de rire face à cette demande.

- Me scanner ? Je dis en continuant de rigoler. Mon air hilare lui arrache un léger sourire.

- Je rêve où tu souris ? C'est incroyable ! je dis sarcastiquement.

- Très drôle, réplique-t-il. Plus sérieusement, c'est simplement un sort alchimique qui me permettrai de m'assurer que tes intentions ne sont pas mauvaises, m'explique-t-il. Je cesse de rire à cette annonce.

S'assurer que mes intentions ne sont pas mauvaises ? Depuis le début, le chef d'escouade ne me fait donc pas confiance, et c'est seulement maintenant qu'il se décide à vérifier à l'aide de ce sort ? Mon coeur se serre à cette pensée.

Je hoche la tête. Au moins il sera fixé.

Il sort un bout de papier chiffonné de sa feuille et un stylo. Il entreprend de tracer un cercle dessus, en s'appuyant sur son genoux. Son geste est marqué par l'habitude et en quelque seconde il a terminé. Il se tourne vers moi.

- J'aurais besoin d'une goutte de ton sang, me dit-il. Je pousse un soupir et lui tend ma paume. Il la prend délicatement, et ma peau frémit à son contact. Il m'adresse un regard, comme pour me demander mon accord, je hoche la tête. D'un mouvement rapide, il plante l'extrémité de son crayon dans ma paume pour l'écorcher. Je grimace alors qu'une gouttelette rouge grossit dans le creux de ma main. Aaron rapproche lentement nos mains du papier, je me laisse faire tandis qu'il incline légèrement la mienne au-dessus. Une goutte tombe sur l'esquisse. Il me relâche et commence à réciter une formule incompréhensible. Une lueur s'échappe du cercle, et Aaron pose sa main dessus. Il ouvre les yeux d'un coup, et ce que je vois me hérisse le poil. Ces iris ont pris une teinte dorée, et il semble en transe. Puis aussi vite que tout à commencé, il se tait et ses yeux redeviennent verts. Un silence s'installe.

- Alors ? je lui demande.

- Je ne te dirais pas ce que j'ai vu, me prévient-il. Je hoche la tête. Je lève les yeux vers le ciel, en voyant que la pénombre à presque entièrement disparu. Il fait complètement jour. Suivant mon regard, Aaron se passe à nouveau la main dans les cheveux.

- On devrait aller préparer nos affaires pour la mission, les autres doivent être levés, dit-il. Je souris malgré moi, s'il n'a pas annulé la mission, c'est sans doute qu'il m'a jugé digne de confiance. En disant cela, il se redresse et m'offre sa main pour m'aider à me relever. Je l'ignore et me relève seule.

Nous nous séparons pour rejoindre nos baraquements.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top