Chapitre 21 : Parchemin

Je fixe un instant le morceau de parchemin sans le ramasser. C'est exactement le même type de papier sur lequel était écrit la prophétie que Marcus m'a montré. Réticente, je le ramasse prudemment. C'est exactement la même texture rugueuse...

Mon cœur bat à la chamade alors que je le déplie. A l'intérieur, des vers sont rédigés d'un écriture pressée, saccadée. Avant même de lire le poème, la première phrase attire mon attention. D'une écriture presque convulsive, il est écrit : "il ne faut pas que j'oublie". Cette phrase est écrite un peu partout sur le parchemin, de plus en plus profondément, à tel point que des tâches d'encre apparaissent ponctuellement. Qui donc a pu écrire ça ? Je plisse les paupières pour essayer de lire le poème à travers les gribouillis.

Daphné à jamais repose près de l'eau de Nîmes
en son trône git une part d'elle infime
dorée à l'image du soleil, de désir, tourmenté
coquille vide faite d'or, et de laurier sacré

là où la sagesse communique avec l'esprit
là où Apollon rencontre Poséidon à la fin de la nuit
se trouve la pierre nécessaire à un bon roi
garder par les sœurs de la mer et des détroits

où les assistants d'Héphaïstos demeurent
tu trouveras ce que tu cherche en son cœur
où le soleil s'illumine à travers le cristal
Sous la terre, garder par un polycéphale

Au pays des elfes, au sud des bois enchantés,
En son cœur tu trouveras la bonté.
Dans le berceau des montagnes, tout près des épinettes,
Une pépite et un don que l'on respecte.

Entre les chants magiques au pays de sorcellerie,
Au nord enchanté où le vent hurle avec féerie,
Se cache une pierre de courage, éclat divin,
Telle une flamme ardente
, elle brille sans fin.

Je reste bouche bée face au poème. Cela ressemble à une nouvelle prophétie. Je fixe le poème sur le parchemin avec une certaine fascination. Cette phrase répétée, "Il ne faut pas que j'oublie", m'évoque quelque chose de bien plus profond que de simples gribouillis. La tension de l'écriture témoigne de l'importance du message. Qui pouvait bien être l'auteur de ce poème, et pourquoi semblait-il si anxieux de ne pas oublier ?

Je vérifie instinctivement autour de moi si personne ne me regarde, ce qui est inutile car je suis seule ici, avant de glisser le parchemin dans ma poche. Il faudra que je le décrypte lorsque j'aurais le temps, pour l'heure, il faut que je comprenne ce qu'il se passe avec cette pierre. Je pose le livre par terre et commence à le feuilleter, à la recherche d'informations sur cette gemme.

Sa couverture en cuir est craquelée par le poids des années, et lorsque je le prends en main, je peux sentir la texture rugueuse sous mes doigts. Il exhale une odeur douce de vieux parchemin et d'encre séchée. L'écriture qui couvre les pages est un mélange de caractères anciens et de symboles mystérieux. Elle est tracée à la main avec un soin méticuleux, chaque lettre est chargée de la patience de son scribe. Les pages sont jaunies par le temps et fragiles, comme si elles pouvaient se désintégrer au moindre contact maladroit. Le livre est richement illustré, avec des images peintes à la main qui accompagnent les textes.

Je reste un moment à admirer ce livre, à sentir l'histoire qu'il renferme. Il est clair que cela ne ressemble en rien aux livres que nous utilisons à Nymphéa, bien que rares, ils sont plus petits et moins vieux.

Je secoue légèrement la tête pour me concentrer sur ma lecture. Les premières pages, fragiles et usées par le temps, révèlent des lettres anciennes qui me sont en grande partie incompréhensibles. Mais à mesure que je tourne les pages, mon étonnement grandit. Les mots, bien que dans une langue inconnue, semblent prendre vie sous mes yeux, et par un phénomène inexplicable, je parviens à les lire. Je suis captivée par les descriptions de lieux fantastiques et de pouvoirs oubliés. Les secondes s'étirent en longues minutes, pendant lesquelles je suis plongée dans un monde de mystère et d'intrigue. Tout ce que je pensais savoir sur notre mission, sur Nymphéa, semble vaciller.

Tout à coup, un bruit sourd me tire de ma lecture, comme un livre qui tombe au sol. Je réalise alors que je suis restée bien plus longtemps que prévu dans cette bibliothèque. Mes amies doivent certainement s'inquiéter. Je referme le livre avec précaution et le presse contre ma poitrine avant de replacer la brique où elle était.

Je me lève et me dirige rapidement vers la sortie de la bibliothèque, le cœur empli de questions et de doutes. Il faut absolument que j'en parle aux autres.

Je retraverse la bibliothèque en sens inverse, le livre contre ma poitrine. Tout vacille dans ma tête, quelle est cette prophétie tombée de l'ouvrage ? qui l'a mise ici ? Est-ce que les informations du livre sont vraies ?

Le coeur battant à la chamade, je traverse à nouveau les couloirs d'un blanc immaculé du palais pour rejoindre le plus vite possible ma chambre. Lorsque j'aperçois notre couloir, je cours presque vers la porte que j'ouvre en trombe avant de me glisser à l'intérieur.

- Jihanna ! Où étais-tu passée ? On commençait à s'inquiéter ! S'exclame Néra. En voyant mon air troublé, son sourire s'affaisse légèrement. Ça ne va pas ? me demande-t-elle.

- Qu'est-ce que c'est que ce livre ? me demande Livia en désignant le vieux grimoire.

- Je...hum... je balbutie. Ne trouvant pas les mots, je soupire avant de déposer le grimoire sur mon lit pour qu'elles puissent lire le titre. Mes amies observent d'un air confus la couverture, ne comprenant pas où je veux en venir.

- "Les Nymphes et les pierres" lit Livia tout haut. Elle me jette un regard interrogateur.

- Je suis allé à la bibliothèque du palais pour faire des recherches sur la pierre violette qu'on a trouvé. J'ai trouvé une première version de ce livre, mais les pages étaient arrachées, j'explique. Ce manuscrit là, je l'ai trouvé caché dans le mur de la bibliothèque, je leur confie. A l'intérieur, il y a plein d'informations; autrefois, les Nymphes créaient des émeraudes, des saphirs, des diamants ou des rubis dès qu'elles riaient, chantaient, sans faire le moindre effort !

- Tu es sûre que ce livre dit la vérité ? me demande Livia septique. A ma connaissance, il a toujours fallu une concentration extrême pour pouvoir créer des joyaux.

- Justement, il est dit que depuis que la "couronne" a disparu, (je dis le mot couronne en mimant les guillemets avec mes doigts) les pouvoirs des Nymphes s'affaiblissent chaque jours et que ce n'est qu'une question de temps avant qu'elles ne possèdent plus aucune magie.

Livia fronce les sourcils.

- Montre moi ça ! me dit-elle en prenant le livre. Elle commence à lire, et au fur et à mesure, son front se plisse.

- Alors ? je dis.

- Ca... c'est surprenant. C'est vrai qu'il a l'air très vieux, commente-t-elle, c'est comme si quelqu'un avait essayé de la cacher. Mais je suis désolé Jihanna, c'est impossible, les nymphes peuvent vivre des siècles, les doyennes nous en auraient forcément parlé !

- C'est ce que je pensais, je commence, mais j'ai trouvé ça dedans ! je lui dis en sortant le parchemin de ma poche. Mes amis l'examinent, perplexes.

- Je ne vois pas très bien ce que ça prouve, commente Néra.

- C'est comme si la personne était en train de perdre la mémoire, c'est étrange non ?

- Oui, mais ça ne prouve pas que ce qui est dit est vrai, rétorque Livia. Excédée, je lui reprends le livre des mains et commence à tourner les pages.

- Tiens ! là, regarde cette illustration, je leur montre, c'est le clan des dryades qui a été peint, ça veut dire que l'auteur y est déjà venu, pourtant, il y a une barrière magique tout autour de l'île. Livia reste coite un instant, en fixant l'image.

- Ca alors, c'est le clan des Nymphes infernales sur cette image, me dit-elle en me montrant la seconde illustration de la page représentant un champ d'arbres morts.

- Tu vois ! je lui dis.

- Montre-moi ça, dit-elle en prenant le livre. Elle s'assoie sur mon lit et l'ouvre, Néra se place à côté d'elle et commence à lire par-dessus son épaule.

Sur la première page, les émeraudes, les diamants, les rubis et les saphirs des Nymphes sont tour à tour décrits. Au fur et à mesure qu'elles tournent les pages, leurs visages sont marqués par la surprise. Finalement, elles arrivent à une page que je n'ai pas lu, curieuse, je jette un coup d'œil par-dessus leurs épaules.

Après avoir fouillé le grimoire ancien pendant un certain temps, mes amies et moi sommes stupéfaites par les révélations qu'il contient. Assises autour de mon lit, nous parcourons les pages jaunies du livre, laissant nos doigts glisser sur les écritures soigneusement tracées et les illustrations détaillées.

Livia, plongée dans sa lecture, finit par poser le livre sur ses genoux, ses yeux encore écarquillés de surprise.

- J'y crois pas ! Si ce que ce livre raconte est vrai, ça expliquerait beaucoup de choses.

Néra, qui suit l'histoire avec un intérêt grandissant, pose une main sur le livre.

- Je ne comprends pas, s'il existait une couronne qui désignait la reine des Nymphes, où est-elle maintenant ? Il est juste dit qu'elle a été perdue, et que les quatre filles de la reine précédente ont décidé de se partager le pouvoir.

Mes yeux se posent sur la page du livre, où une illustration de Daphné, la nymphe de la mythologie grecque, est délicatement peinte.

- On nous a souvent raconté l'histoire de Daphné au clan des Dryades, mais c'était une légende pour nous expliquer pourquoi nous devions fusionner avec notre arbre sacré. On nous a seulement dit qu'elle était le premier amour d'Apollon et alors qu'elle le fuit et est sur le point d'être rattrapée, son père, le dieu fleuve Pénée, la métamorphose en laurier. À partir de ce moment, Apollon en fait son arbre sacré, dédié aux triomphes, aux chants et aux poèmes. C'est une légende très connue d'où je viens, mais je n'ai jamais entendu parlé de la suite ! J'affirme. Curieuse, Livia baisse à nouveau la tête vers l'ouvrage et lit à voix haute.

- "La légende narre qu'à chaque chute d'une feuille issue de cet arbre, elle était transformée en or de façon inexplicable. Un antique chaman, épris de l'or, s'empara de cette essence pour forger la couronne, proclamant qu'elle serait l'oracle de la royauté à venir."

Le silence enveloppe la chambre pendant un moment. Nos esprits tourbillonnent, essayant d'assimiler ces révélations.

- C'est incroyable, dit Livia. Mais, si c'est vrai, que s'est-il passé pour que la couronne disparaisse, et pourquoi les nymphes ne nous ont jamais rien dit ?

- Et qui a écrit ce livre ? Ajoute Néra

Suite à cette question, je commence à examiner la couverture, à la recherche d'un quelconque nom. Mais il n'y rien de plus sur le cuir que le titre, pas l'ombre d'un pseudonyme.

Je rouvre le livre à la page où l'on s'était arrêté. Je tourne la page et mon cœur rate un battement.

- Elle est là ! je crie presque

- De quoi ? demande Livia paniquée

- La pierre, je l'ai trouvée dans ce livre ! Je lui dis en pointant de l'index la page. Mes amies se penchent sur l'ouvrage, et écarquillent les yeux de surprise en voyant le schéma d'une couronne faite de feuilles et ornée de huit pierres de différentes couleurs. Les quatre pierres les plus grandes forment une fleur au centre, tandis que les quatre autres sont réparties de part et d'autre du bijoux. Je leur montre du doigt la pierre la plus à droite. Même si l'esquisse est tracée à la main, on reconnaît très distinctement la pierre que nous avons trouvé dans la grotte, elle est taillée exactement de la même manière, et son éclat est le même. Livia observe le croquis avec une mine concentrée.

- Redonne-moi le parchemin que tu as trouvé dedans, me demande-t-elle. Je fouille dans ma poche quelques secondes avant de le lui tendre. Elle le relit en fronçant les sourcils.

- Il me semblait bien que ça parlait de Daphné ! Et regardez, ça dit "coquille vide faite d'or, et de laurier sacré", c'est évident que ça parle de la couronne !

Mon cœur rate un battement.

- Montre moi ça, je lui dit en prenant le morceau de parchemin. Je relis la strophe à voix haute.

"Daphné à jamais repose près de l'eau de Nîmes

en son trône git une part d'elle infime

dorée à l'image du soleil, de désir, tourmenté

coquille vide faite d'or, et de laurier sacré"

- C'est comme si on nous donnait des indications pour trouver la couronne ! S'exclame Néra. Je me tourne vers elle, maintenant qu'elle l'a prononcé à voix haute, ça me parait évident. Comment ai-je fait pour ne pas le voir ?

Je commence à lire la suite.

- Oh bon sang ! Je m'exclame. Les filles, je crois que cette strophe parle de la pierre qu'on a trouvé ! Je m'exclame, enthousiaste. Ecoutez ça :

"là où la sagesse communique avec l'esprit

là où Apollon rencontre Poséidon à la fin de la nuit

se trouve la pierre nécessaire à un bon roi

garder par les sœurs de la mer et des détroits"

Elles me regardent, incrédules. Exaspérée, je poursuis : "là où la sagesse communique avec l'esprit, c'est Telos ! l'île de la sagesse ! Là où Apollon rencontre Poséidon à la fin de la nuit, ça veut dire quand le soleil rencontre la mer, à la fin de la nuit c'est l'aube, donc à l'est ! là où on a combattu les sirènes ! garder par les sœurs de la mer et des détroits, ça c'est évident, c'est les sirènes !

Elles me regardent un instant, estomaquées.

- Ca alors, murmure Néra.

- Cette prophétie doit servir à rassembler la couronne... Livia vient de prononcer à voix haute ce qu'on avait toutes en tête.

- Mais ce n'est qu'un bijoux, pourquoi quelqu'un voudrait s'embêter à le rassembler ? Dit Néra en baillant.

- Néra, tu ne comprends pas, lui dit Livia, cette couronne servait à trouver la véritable reine des Nymphes, si on la retrouve, on pourrait mettre fin aux souffrances des Nymphes à Nymphéa ! s'exclame Livia.

- Quelles souffrances ? De ce que je me rappelle, on n'était pas si malheureux, dit-elle.

- Parce que produire des rubis jusqu'à épuisement tu appelles ça le bonheur ? Rétorque Livia en roulant les yeux.

- Bon allez les filles, calmez-vous, de toute façon il faut que nous allions nous coucher, je leur dis en sentant la fatigue monter. Je referme le livre et le pose sur ma table de chevet. Mes amies, toutes aussi épuisées que moi, ne se font pas prier pour rejoindre leur lit et se glissent sous leur couette sans même discuter.

- Bonne nuit, je leur dis avant d'éteindre la lumière.

- Bonne nuit, me répondent-elles à l'unisson, dans le noir.

Alors que la pièce plonge dans l'obscurité, le mystère de la couronne des Nymphes s'entrelace avec mes pensées. Un tourbillon de questions me vient en tête alors que je tente de me laisser envelopper par le sommeil.

Toute cette histoire semble bien plus profonde qu'elle ne le laisse voir.

Qu'est-ce qui nous attend ?


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